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Il y a 30 ans, François Mitterrand quittait la scène politique au terme d'un second septennat effectué à l'Elysée. Il aura écrit une page de notre histoire. Mais que retenons-nous aujourd'hui de cet ancien président ? Quel héritage politique a-t-il laissé à la gauche française ?

Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit l'historien Christophe Prochasson, spécialiste de l'histoire de la gauche, le député Boris Vallaud, Président du groupe « Socialistes et apparentés » à l'Assemblée nationale et la journaliste politique Astrid de Villaines.

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00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat doc.
00:00:18Voilà 30 ans, François Mitterrand quittait la scène politique
00:00:22au terme d'un second septennat effectué à l'Elysée.
00:00:25Il aura écrit une page de notre histoire,
00:00:28mais que retient désormais l'histoire de François Mitterrand ?
00:00:31C'est à cette interrogation que tente de répondre
00:00:34le réalisateur William Carel à travers le documentaire
00:00:37qui va suivre, François Mitterrand,
00:00:39que reste-t-il de nos amours ?
00:00:41A l'appui de nombreux témoignages, il y lit, vous allez le voir,
00:00:45un portrait sans concession de l'ancien chef de l'Etat.
00:00:49Je vous laisse le découvrir et nous nous retrouverons
00:00:52sur ce plateau en compagnie de l'historien Christophe Prochasson,
00:00:55du président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale Boris Vallaud
00:00:59et de la journaliste Astrid de Villene.
00:01:01A eux aussi, nous poserons cette question,
00:01:04que reste-t-il de François Mitterrand ?
00:01:07Bon doc.
00:01:08On demande parfois à des écrivains ou à des hommes politiques
00:01:12quelle inscription ils voudraient voir sur leur pierre tombale.
00:01:15J'ai beaucoup admiré ce que Willy Brandt,
00:01:18j'étais l'ami d'ancien chancelier allemand,
00:01:21a fait en effet écrire sur la sienne à Berlin.
00:01:24J'ai fait ce que j'ai pu.
00:01:26Que reste-t-il de nos amours ?
00:01:30Que reste-t-il de ces beaux jours ?
00:01:35Une photo, vieille photo
00:01:39de ma jeunesse
00:01:42Que reste-t-il des billets doux ?
00:01:47Des mois d'avril ? Des rendez-vous ?
00:01:51Un souvenir qui me poursuit
00:01:55sans cesse
00:01:58Bonheur fané, cheveux au vent
00:02:03Baisers volés, rêves mouvants
00:02:07Que reste-t-il de tout cela ?
00:02:11Dites-le-moi
00:02:14Un petit village, un vieux clocher
00:02:19Un paysage si bien caché
00:02:23Et dans un nuage, le cher avisage
00:02:27de mon passé
00:02:33Il n'y a eu qu'un seul vainqueur de dimais 1981.
00:02:38C'est l'espoir. Arrêtez vos salades.
00:02:43Je suis foutu.
00:02:45C'est sérieux, c'est vrai. Maître, nous allons commencer un traitement.
00:02:49Il est important que vous soyez d'accord avec ce que nous allons faire.
00:02:51Sinon, je suis foutu. Vous ne me donnez pas le choix.
00:02:54Mitterrand, peu de temps après son arrivée au pouvoir,
00:02:57apprend qu'il a un cancer mortel, qu'il va disparaître dans les six mois,
00:03:00qu'il ne terminera même pas ses deux premières années de septennat.
00:03:04On jouait au tennis et il tombe sur le terrain.
00:03:06Il souffrait de martyre et il ne se relève pas.
00:03:09Je lui ai appelé l'ambulance. Surtout pas, surtout pas.
00:03:11Et donc, on l'a ramené chez lui.
00:03:13Il nous dit, voilà le résultat des médecins et formels,
00:03:17je serai mort avant la fin de l'année.
00:03:18Prenez vos dispositions.
00:03:19Il ajoute, c'est quand même rallant.
00:03:22Et puis, il décide soudain
00:03:24qu'il n'aurait jamais dû se laisser aller à ses confidences
00:03:27et il va, d'une certaine façon, démentir.
00:03:29C'est-à-dire qu'à tous ceux à qui il a confié sa maladie,
00:03:32il va dire, je me suis trompé.
00:03:33Les médecins se sont trompés, je n'ai rien.
00:03:35La première interview qu'il ait faite comme président de la République,
00:03:37c'était à la fin 81.
00:03:39Juste avant l'interview, il nous a dit bonjour très gentiment
00:03:42et s'adressant à moi, il m'a dit,
00:03:45j'espère quand même que vous allez me poser des questions sur ma santé.
00:03:48Monsieur le président, bonjour.
00:03:50Si vous le voulez bien, ma première question,
00:03:52je vous la pose franchement, carrément.
00:03:54Est-ce que vous allez bien ?
00:03:55Il est normal que la presse s'intéresse
00:03:59à la santé du président de la République.
00:04:01Il ne m'est jamais arrivé,
00:04:03depuis que j'ai l'âge adulte,
00:04:06d'avoir affaire pour des choses sérieuses à la médecine.
00:04:10Ni pour des problèmes cardiaques,
00:04:13ni pour des problèmes de maladies malignes.
00:04:15Je veux dire, pour des cancers.
00:04:16Ça ne m'est jamais arrivé.
00:04:17Mitterrand a employé cette expression auprès de son médecin.
00:04:20Il lui a dit, c'est un secret d'État, c'était un mensonge d'État.
00:04:22Le traitement permet de vivre pendant 2, 3, 5 ans.
00:04:28Maximum.
00:04:31Et là, ça a duré beaucoup plus.
00:04:37La droite, qui avait vécu l'arrivée de François Mitterrand comme un mauvais rêve,
00:04:41attend que l'expérience de la gauche au pouvoir
00:04:43se termine en déconfiture.
00:04:45Et pourtant, la liste est longue des réformes
00:04:47qui ont profondément changé le visage de la société française.
00:04:51Abolition de la peine de mort,
00:04:53augmentation du SMIC de 10%,
00:04:55désallocations familiales de 25%,
00:04:58autorisation des radios privées,
00:05:00impôts sur les grandes fortunes,
00:05:01semaine de 39 heures,
00:05:03cinquième semaine de congé payé,
00:05:05retraite à 60 ans,
00:05:07égalité salariale entre hommes et femmes,
00:05:09sans oublier la première fête de la musique.
00:05:11Changer la vie avant d'être une promesse de François Mitterrand,
00:05:15était un poème de Rimbaud.
00:05:18Il est élu en 81 pour faire un programme commun
00:05:20qui date des années 60.
00:05:22Il va l'appliquer.
00:05:23C'est un programme absolument obsolète
00:05:25pour la France en désindustrialisation.
00:05:28Et elle est irrésistible.
00:05:32Les paysans ont disparu
00:05:33et la classe ouvrière est en train d'être atomisée.
00:05:36Il a essayé cette formule du socialisme.
00:05:40C'est vrai qu'il avait été élu en 81,
00:05:41mais il a fini par s'apercevoir, parce qu'il n'était pas idiot,
00:05:44que ça ne pouvait pas marcher.
00:05:46Le socialisme à la française que voulait Mitterrand
00:05:48va se heurter aux contraintes financières mondiales.
00:05:51Le réalisme économique l'a emporté
00:05:53et les vieux rêves de la gauche se sont fracassés sur la réalité.
00:05:56La parenthèse s'est vite refermée.
00:05:58La cote du président Mitterrand n'est plus que de 28 % de satisfait
00:06:02contre 55 % de mécontent.
00:06:05En 84,
00:06:07Mitterrand a le président le plus impopulaire de la Ve République.
00:06:11Il ne faut jamais oublier.
00:06:12Nous avons une conversation
00:06:14où il me dit en substance là,
00:06:16écoutez, les élections, on les a en 86,
00:06:19là nous sommes en 84,
00:06:21ce n'est pas possible de les gagner tellement on les bat,
00:06:24mais votre mission, comme on dit à la télévision,
00:06:27dans les feuilles de temps,
00:06:28c'est de remonter suffisamment, de faire remonter suffisamment
00:06:32pour que je puisse rester au pouvoir,
00:06:36que l'opposition ne me sorte pas de l'Élysée.
00:06:41Bon, j'essaie de faire ce qu'il faut pour pouvoir gagner.
00:06:45Mais il fallait qu'il y ait un système électoral
00:06:50qui était conforme à la position du Parti socialiste,
00:06:52la proportionnelle, qui permettait d'équilibrer les forces.
00:06:54Tout d'un coup, crac, apparaît ce Front National
00:06:57que François Mitterrand a, non pas créé, mais favorisé.
00:07:03Pourquoi l'a-t-il fait ? Un, par cynisme.
00:07:05Il fallait affaiblir la droite,
00:07:06le Front National était un des moyens les plus efficaces
00:07:08d'affaiblir la droite.
00:07:09C'est sûr que le jeu qu'il a mené avec Le Pen,
00:07:12c'est un jeu très cynique.
00:07:14Quand on fait une manœuvre, il faut la faire jusqu'au bout.
00:07:16La proportionnelle, c'était un cadeau.
00:07:18Il fallait aussi donner à Le Pen la possibilité
00:07:20de rafler des électeurs, c'est-à-dire de communiquer.
00:07:23Donc, il lui fallait l'accès aux médias, l'accès à la télévision.
00:07:25Il y a eu cet échange de lettres quand Mitterrand a demandé,
00:07:30enfin dit à Le Pen qu'il avait insisté auprès des chaînes
00:07:33pour qu'on le traite mieux.
00:07:34Jean-Marie Le Pen a une idée, au sens premier du terme, géniale,
00:07:38c'est que l'immigration va être le fait politique majeur
00:07:41des 20 ans qui viennent.
00:07:42François Mitterrand savait aussi à quel point mettre Le Pen
00:07:45à la télévision, c'était mettre un tigre dans un moteur.
00:07:47Quand je vois les Arabes avec leur allure avachie,
00:07:50je me demande s'il n'y a pas un déterminisme biologique qui joue.
00:07:54Demain, les immigrés s'installeront chez vous, mangeront votre soupe
00:07:58et coucheront avec votre femme, votre fille ou votre fils.
00:08:01Comment décrire autrement la véritable invasion
00:08:05qui est en train de se produire dans notre pays ?
00:08:08La constitution de véritables villes étrangères,
00:08:11imperméables à l'autorité, au fisc, à la police.
00:08:15Et cette invasion, je ne sais pas comment dire cela autrement,
00:08:18qui ne cesse de croître.
00:08:21Comment expliquer aux gens qu'elle les menace
00:08:23dans l'essence même de leur liberté et de leur devenir ?
00:08:26Je note que vous ne considérez pas que ces propos
00:08:28ont une teneur raciste.
00:08:30Oui, mais non, je ne pense pas.
00:08:32Non, non, non, non.
00:08:33Et ça a fait beaucoup pour la martyrologie du Front national
00:08:37et son succès d'une certaine façon auprès
00:08:40notamment des milieux les plus populaires.
00:08:42Et nous voyons surgir aux élections le Front national,
00:08:45qui était totalement minoritaire, petit groupuscule,
00:08:47et qui, tout d'un coup, monte.
00:08:49Mais il ne monte pas par une opération du Saint-Esprit.
00:08:51Ça a fait connaître le Front national,
00:08:53ça l'a un peu démystifié,
00:08:57ça l'a un peu normalisé, entre guillemets,
00:09:01quand on a 36 députés,
00:09:05on a le droit à la parole.
00:09:07Mitterrand a été un puissant, précieux allié pour le Front national.
00:09:11Oui, le FN peut dresser une statue à François Mitterrand.
00:09:14Aider le Front national, ça permettait de garder le pouvoir.
00:09:16Ça a pris une dimension
00:09:18que Mitterrand n'avait peut-être pas évaluée au départ.
00:09:21Il a libéré sans doute des forces
00:09:22qui lui ont quand même fini par lui échapper.
00:09:26Le démantèlement des chaînes de télévision
00:09:28et le changement de mode de scrutin,
00:09:30une façon pour un médecin incompétent de casser le thermomètre
00:09:33faute de pouvoir guérir le malade,
00:09:35aurait dû amoindrir la défaite attendue.
00:09:37Mais François Mitterrand et le Parti socialiste
00:09:40sont battus en 86.
00:09:43Qui est battu en 86, aux législatives de 86 ?
00:09:46C'est pas la gauche, c'est François Mitterrand.
00:09:48Il ne démissionne pas, il invente la cohabitation.
00:09:51François Mitterrand n'avait aucun ami autour de la table.
00:09:53Et donc, il a été extrêmement froid, il n'a serré la main à personne.
00:09:57Et c'est vrai que tous, c'était des petits garçons,
00:09:59ils étaient tous impressionnés.
00:10:00François Mitterrand était très, très impressionnant.
00:10:02C'était un monstre d'indifférence aussi.
00:10:06Et donc, je peux comprendre que des gens ne l'aimaient pas.
00:10:08Pour lui, cette première séance de la cohabitation a été épouvantable.
00:10:12Donc, il a eu le temps de dominer ça,
00:10:15mais quelque part, il voulait monter à Chirac,
00:10:17que face à lui, Chirac n'existait pas.
00:10:21Donc, il a eu cette volonté, comme ça, de la battre.
00:10:24On était dans un rapport de force assez voyou.
00:10:28Ferme-moi la porte pour que les collaborateurs du Premier ministre
00:10:30ne puissent pas venir, c'est un comportement de voyou.
00:10:31Et avec Jacques Chirac, c'était extrêmement tendu,
00:10:36extrêmement tendu, et il y avait eu un haut couteau,
00:10:39une extrême violence.
00:10:40Chirac, par exemple, pensait qu'il était là pour six mois, Mitterrand.
00:10:44Il était là pour six mois.
00:10:45Il va être balayé.
00:10:47Moi, je me souviens, Chirac disant, il va être balayé.
00:10:50Et Jacques Chirac, à mon avis, n'a pas été loin du coup d'État.
00:10:54François Mitterrand écrit,
00:10:56« Le plus dur d'entre eux, c'est Chirac.
00:10:58Il faut lui casser les reins en l'usant.
00:11:00Avant de se demander s'il pourrait cohabiter avec moi,
00:11:03il aurait mieux fait de cohabiter entre eux. »
00:11:10L'élection présidentielle est dans deux ans.
00:11:12La première cohabitation ressemblera à une campagne électorale permanente
00:11:16entre le président et son Premier ministre.
00:11:19Pendant la première cohabitation, Chirac vient voir Mitterrand
00:11:22et lui dit, « J'envisage de faire un remaniement ministériel. »
00:11:28Et Mitterrand lui dit, « Monsieur le Premier ministre,
00:11:32pas de conseils à vous donner,
00:11:35mais ça ne marche, un remaniement ministériel,
00:11:39que quand on change le Premier ministre. »
00:11:41Jacques Chirac a énormément souffert.
00:11:43Il a terminé en lambeaux, après ces deux années,
00:11:48auprès de François Mitterrand, qui l'humiliait,
00:11:51qui, sans arrêt, lui mentait.
00:11:55François Mitterrand, qui avait dit à Valéry Giscard d'Estaing,
00:11:58« Vous n'avez commis qu'une seule erreur, celle de vous représenter »,
00:12:02pense déjà à sa réélection.
00:12:04Autour de lui, rare, quand même,
00:12:07ont été ceux qui l'ont disputé de se présenter.
00:12:10D'abord parce qu'il y avait une cour,
00:12:12et qu'au contraire, tout le monde se pamait en disant,
00:12:15« Mais il n'y a que vous, François Mitterrand,
00:12:17qui pouvez représenter la gauche. »
00:12:19La dernière fois où je l'ai vu, seul, c'était en 88,
00:12:22il s'est interrogé pour savoir s'il allait se représenter ou pas.
00:12:27Il m'a dit, « Mais tous les hommes de ma famille sont morts à 80 ans,
00:12:30donc, si je recommence,
00:12:32je n'ai coûté tant qu'à mourir, mourir à l'Élysée. »
00:12:35Mon envie, mon désir n'est pas d'être candidat.
00:12:38Donc, n'attendez rien de moi.
00:12:40J'en suis navré, parce que ça me plairait,
00:12:43ça me plairait vous faire des confidences.
00:12:44Mais je n'ai pas d'ailleurs... Je ne suis pas aucune confidence.
00:12:48Enfin, oui, je connais mon désir.
00:12:50Mon désir n'est pas de rester président de la République.
00:12:52Vous me permettez de prendre un pari ?
00:12:54Oui, dites-moi.
00:12:55Vous serez candidat ?
00:12:56Écoutez, prenez vos risques.
00:12:58Monsieur le Président, êtes-vous à nouveau candidat
00:13:00à la présidence de la République ?
00:13:03Oui.
00:13:05Vous avez mûrement réfléchi ?
00:13:08Je le crois.
00:13:09Pour lui, comptait le fait de gagner cette élection présidentielle de 88.
00:13:14C'est-à-dire de montrer qu'il était le plus fort, quoi.
00:13:17Jean, Jean, Jean...
00:13:20Voilà donc l'image de ce nouveau président de la République.
00:13:24François Mitterrand vient d'être réélu, selon l'estimation Bull BVA,
00:13:27avec 53,9 % des voix.
00:13:32François Mitterrand dira après sa victoire
00:13:35la meilleure partie de moi-même me conseillait de ne pas me représenter.
00:13:38Mais finalement, c'est l'autre qui l'a emporté.
00:13:41C'est évident que le second mandat est un mandat de trop,
00:13:45un mandat raté,
00:13:46un mandat de l'enfermement et de la dérive monarchique.
00:13:51Le président de la République
00:13:52Je pense que le président de la République
00:13:55vive trop comme vivaient les monarques bourgeois
00:13:58de la moitié du XIXe siècle.
00:14:00Il faudrait cesser cette sorte de disparité
00:14:03entre les exigences de la vie moderne
00:14:06et ces personnages confinés derrière des protocoles désuets.
00:14:11François Mitterrand nomme Michel Rocard au poste de Premier ministre.
00:14:15Il avait confié à des journalistes
00:14:16Alors qu'il lui demandait qui il voyait pour lui succéder,
00:14:19il avait répondu...
00:14:28Il n'avait pas, je prendrais un vocabulaire mitterrandien,
00:14:33une appétence particulière pour Rocard.
00:14:36Je ne suis pas sûr qu'il lui ait facilité le travail,
00:14:39mais je pense qu'il a été très, très, très, très, très, très,
00:14:43Je ne suis pas sûr qu'il lui ait facilité le travail,
00:14:46mais il était assez dur, trop dur avec Rocard.
00:14:49C'est l'état normal.
00:14:50Il l'a nommé, mais avec l'idée derrière la tête
00:14:53qu'il se casse la figure, c'est absolument évident.
00:14:56D'ailleurs, il lui a mené une vie absolument infernale.
00:15:01Il n'a pas de mots assez durs pour Rocard.
00:15:03C'est d'un mépris absolu.
00:15:06Même lorsqu'il le nomme Premier ministre,
00:15:09il dit à tous ses proches,
00:15:10dans 15 jours, on verra à travers.
00:15:26Dans l'Hexagone, François Mitterrand s'ennuie,
00:15:28ne se passionne plus pour grand-chose
00:15:30et laisse son Premier ministre dans les tracas nationaux.
00:15:33Il voyage pour renforcer sa stature à l'étranger
00:15:36et est omniprésent sur la scène internationale.
00:15:41La fin de l'Union soviétique,
00:15:43puis la réunification de l'Allemagne l'inquiètent.
00:15:57Tous les chefs d'Etat et de gouvernement,
00:16:00au moment de la chute du mur, sont paniqués.
00:16:03Tout le monde cherche à freiner le cours de l'histoire.
00:16:05L'histoire va trop vite.
00:16:08De manière surprenante, aucun chef d'Etat,
00:16:11personne n'a anticipé que le mur allait s'effondrer.
00:16:14Bush a dit à Mitterrand, devant moi,
00:16:17qu'il y aurait peut-être une réunification dans 5 ans,
00:16:18peut-être dans 20 ans.
00:16:20On est en décembre 89.
00:16:21Quand le mur tombe,
00:16:23il ne comprend pas que c'est définitif
00:16:27et qu'au fond, tout ce monde de la guerre froide
00:16:31qu'il a connu et qui a accompagné toute sa carrière politique,
00:16:34elle est bien terminée.
00:16:35Il n'a pas su accompagner ce grand changement,
00:16:39ce grand basculement historique.
00:16:40Et au moment de l'écroulement du mur de Berlin,
00:16:43il n'a pas eu incontestablement les mots qu'on attendait.
00:16:46Ça regarde l'Allemagne.
00:16:48Moi, je n'entends pas du tout dicter à l'Allemagne
00:16:51ce que sera son statut futur
00:16:54et de quelle manière déterminera ses alliances
00:16:56et la nature de ses alliances. Ça regarde l'Allemagne.
00:16:59Et on l'a vu aussi lorsque s'est précisée la perspective
00:17:02d'un éclatement de l'Union soviétique
00:17:04que Mitterrand redoutait beaucoup.
00:17:06Il va faire une erreur de jugement.
00:17:08Cet homme si passionné d'histoire,
00:17:10au fond, il ne va pas comprendre que l'histoire a changé.
00:17:12Il n'y a pas de visionnaire chez Mitterrand.
00:17:15On peut reprendre tous les textes de Mitterrand.
00:17:17Il n'a rien compris à ce qui se passait finalement dans le monde.
00:17:24Finalement, ce qui aurait pu être le grand homme de cette période,
00:17:28c'est Michel Rocart.
00:17:30Rocart est bon.
00:17:32Rocart réforme. Rocart redresse le pays.
00:17:34Ce que Mitterrand a raté en 81-83.
00:17:36Donc, il faut tuer Rocart.
00:17:37Les deux hommes s'entendaient si mal qu'à un moment donné,
00:17:40la rupture était évidente.
00:17:44François Mitterrand exige de Michel Rocart
00:17:46qu'il lui remette sa démission.
00:17:48Lorsque Michel Rocart est parti,
00:17:51trois ans, jour pour jour, après avoir été nommé,
00:17:54c'était en 91,
00:17:56la succession des premiers ministres
00:18:00a été catastrophique par la suite.
00:18:02Edith Cresson devient 1er ministre.
00:18:05François Mitterrand dira,
00:18:06« Quand j'ai nommé Edith Cresson,
00:18:07je lui ai dit qu'elle avait le devoir d'être impopulaire.
00:18:10Je ne pensais pas qu'elle réussirait aussi bien. »
00:18:13Les propos maladroits d'Edith Cresson sur les Anglais,
00:18:15tous homosexuels, sur les Japonais, un peuple de fourmis,
00:18:19où sa remarque « la bourse, j'en ai rien à cirer »,
00:18:21vont effriter sa crédibilité
00:18:23et l'obliger à céder sa place à Pierre Bérégovoy.
00:18:27Le nouveau 1er ministre se veut exemplaire
00:18:29et prend la tête d'une croisade contre la corruption,
00:18:31les scandales politico-financiers et autres délits d'initiés.
00:18:39Mais les révélations par la presse d'un prêt sans intérêt
00:18:42et jamais remboursé,
00:18:43accordées à Pierre Bérégovoy par un ami du président
00:18:45à la réputation sulfureuse, Roger Patrice Pellat,
00:18:48vont faire l'effet d'une bombe et aggraver le rejet de la gauche.
00:18:52À la veille d'une défaite électorale annoncée,
00:18:54le 1er ministre apparaît politiquement miné par cette affaire.
00:18:57C'était quelqu'un qui était complètement déprimé.
00:19:00Il était dans la spirale descendante de la désolation.
00:19:04Il était catastrophé.
00:19:08Je suivais deux ou trois conseils des ministres avant.
00:19:10J'étais assis à côté de lui, toujours, comme ministre d'État.
00:19:14J'étais là et il suivait rien du conseil.
00:19:18Il me disait « mais enfin, Roland, toi qui connais, qui est avocat,
00:19:22tu connais les juges, comment trouves-tu,
00:19:24comment expliques-tu qu'un juge puisse donner
00:19:27des pièces du dossier à des journalistes ? »
00:19:29Mitterrand le prenait le plus souvent possible,
00:19:32mais il nous a dit, on a été plusieurs à qui il disait
00:19:36« mais il faut qu'il sorte de là, Bérégovoy,
00:19:38il faut qu'il pense à l'avenir,
00:19:41j'essaye de lui faire penser à l'avenir, mais je n'y arrive pas. »
00:19:44Moi, j'ai vu ça à un poste d'observation exceptionnel.
00:19:47Je faisais mon service militaire à Matignon, au service de presse.
00:19:51Plusieurs fois par jour, je rentrais dans le bureau de Bérégovoy
00:19:54et je voyais un homme accablé.
00:19:56Je ne me rendais pas compte qu'il y avait par-delà
00:19:58une dépression totale de cet homme.
00:20:00Cet homme faisait des conférences de presse.
00:20:02Il y avait tellement peu de journalistes qui venaient
00:20:04qu'on nous demandait, à nous, les petits militaires du service,
00:20:07de venir s'asseoir dans la salle comme si on était des stagiaires de journaux.
00:20:11Tous les élus, à chaque fois qu'ils allaient dans la circonscription,
00:20:15étaient vilipendés, sifflés, hués.
00:20:25Aux élections législatives de mars 1993,
00:20:28le Parti socialiste connaît une défaite sans précédent
00:20:31et perd la moitié de son électorat.
00:20:33Son groupe parlementaire est réduit à 56 députés.
00:20:36L'opposition enregistre un succès historique.
00:20:39La nouvelle majorité peut compter sur le nombre impressionnant de 484 élus
00:20:43sur un total de 577.
00:20:47La débâcle du PS impose une seconde cohabitation à François Mitterrand,
00:20:51qui nomme Édouard Balladur à la tête du gouvernement.
00:20:55François Mitterrand rappelle que réélu pour 7 ans en 1988,
00:20:59il accomplira la totalité de son second mandat.
00:21:06Comparé à la première cohabitation,
00:21:08la deuxième sera qualifiée de consensuelle,
00:21:10une cohabitation de velours, moins tumultueuse.
00:21:14Même si à l'Élysée, l'ambiance est crépusculaire,
00:21:16les deux hommes vont cohabiter sans accroc.
00:21:22Après moins d'un an à Matignon,
00:21:24Pierre Bérégauvois quitte ses fonctions de Premier ministre.
00:21:27Au vibrant hommage de François Mitterrand à la politique qui l'a mené,
00:21:31il répond, non, ce que j'ai fait est inacceptable et impardonnable.
00:21:35Pierre Bérégauvois a été abandonné
00:21:37après la défaite terrible des législatives.
00:21:40Contrairement à ce qui a été dit, il ne recevait pas de signes.
00:21:44Il était seul.
00:21:46Il a pris tout son temps pour faire des choses.
00:21:48Il a eu une dépression au sens physique,
00:21:52médicale.
00:21:54Et je me rappelle,
00:21:58on était à l'Assemblée nationale, à ce moment-là, ensemble,
00:22:01il me disait, tout est de ma faute, j'ai plus rien à faire,
00:22:06regarde mon carnet de rendez-vous, j'ai plus rien.
00:22:09Et en plus, il y a eu quelques scènes qui étaient pénibles
00:22:13alors qu'il était Premier ministre.
00:22:15Il allait dans des réunions socialistes
00:22:18et les Irak socialistes le considéraient comme peu de choses.
00:22:22Donc c'est très dur.
00:22:24Et on a essayé de l'entourer, mais peut-être pas assez.
00:22:29Et puis voilà, il s'est tué.
00:22:32Mitterrand s'est peut-être reproché aussi
00:22:36de ne pas avoir assez communiqué avec lui,
00:22:39de ne pas avoir assez parlé avec lui,
00:22:41de ne pas avoir été assez attentif avec lui.
00:22:45Est-ce qu'il se l'est reproché ?
00:22:48C'est possible.
00:22:50Mais là encore, en faisant preuve quand même d'un aplomb
00:22:56et d'une mauvaise foi incroyable.
00:22:59Toutes les explications du monde ne justifieront pas
00:23:03qu'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme
00:23:07et finalement, de l'homme,
00:23:09l'honneur d'un homme et finalement, sa vie,
00:23:13au prix d'un double manquement de ses accusateurs
00:23:16aux lois fondamentales de notre République.
00:23:19Si on regarde bien la phrase, les journalistes, c'est ils.
00:23:22Ils ont, les journalistes, livré l'honneur de Berrigauvois
00:23:26aux chiens, c'est-à-dire vous, les Français avides de scandale,
00:23:28qui lisez tous les journaux dès qu'il y a un scandale.
00:23:30Donc les chiens, c'est les lecteurs dans l'esprit de Mitterrand.
00:23:33Par ailleurs, c'est faux.
00:23:34Qui a sacrifié Berrigauvois ? C'est Mitterrand.
00:23:37Le suicide de Berrigauvois, c'est le suicide des désillusions,
00:23:40c'est la marque des désillusions de la gauche,
00:23:42bien plus que celle d'un homme attaqué par la presse.
00:23:47C'est ça qui a tué Berrigauvois.
00:23:48C'est la machine classique politique qui broie les hommes
00:23:51et c'est la cruauté effroyable de Mitterrand,
00:23:55mais qui a permis à Mitterrand de faire la carrière qu'il a faite.
00:23:57On a beaucoup brodé sur le suicide,
00:23:59on a même cru que c'était pas un suicide,
00:24:02que c'était une exécution, racontait n'importe quoi.
00:24:05Et je lui ai dit, tous les gens de droite,
00:24:08ils racontent partout que c'est vous qui avez fait assassiner Berrigauvois.
00:24:11Mitterrand me regarde et me dit,
00:24:15Roland, c'est pas par lui que je commencerai.
00:24:28Un an après, il y a eu un deuxième suicide,
00:24:31qui est François de Grosse-Ouvre, qui se suicide au pied de son maître,
00:24:35dans le palais présidentiel lui-même, dans son bureau.
00:24:42François de Grosse-Ouvre, l'éminence grise de François Mitterrand,
00:24:45est retrouvé mort d'une balle dans la tête dans son bureau de l'Elysée,
00:24:48un Magnum 357 à la main.
00:24:51Dans l'ombre depuis 35 ans,
00:24:53il connaissait les moindres secrets de François Mitterrand.
00:24:56Il avait joué un rôle clé dans le financement des campagnes électorales
00:24:59de 1974 à 1981.
00:25:02A l'Elysée, il avait ses propres secrétaires
00:25:05et ses gardes du corps personnels.
00:25:09Cet homme racontait beaucoup de choses,
00:25:11fantasques, invérifiables.
00:25:14Il disait qu'aujourd'hui, il n'y a plus que l'argent et la mort qui l'intéressent.
00:25:18Il le disait dans son appartement.
00:25:20Il me recevait dans cet appartement comme une provocation.
00:25:23Il était extrêmement aigri,
00:25:27vindicatif,
00:25:28vitupérant contre les voleurs, disait-il,
00:25:32qui entouraient Mitterrand,
00:25:35critiquant l'enfermement du roi dans sa cour.
00:25:40Il passait sa vie à cracher sur Mitterrand.
00:25:44C'était obsessionnel.
00:25:46Il essayait de me raconter des horreurs sur Mitterrand.
00:25:49À chaque fois que je le voyais, je suis allée voir Mitterrand en disant,
00:25:52écoutez, pourquoi vous acceptez d'avoir,
00:25:56à l'intérieur de l'Elysée, un soi-disant conseiller
00:25:59qui passe son temps à appeler tout Paris pour vous cracher à la gueule ?
00:26:03En le gardant au sein même des appartements de la République,
00:26:07il discréditait son témoignage.
00:26:09Ça vous donne tout à fait une idée de ce qu'était Mitterrand,
00:26:13c'est-à-dire un sens de la manipulation très, très fine.
00:26:17L'abandon mitterrandien, la disgrâce mitterrandienne,
00:26:20c'était un poison pour ces gens-là
00:26:23qui avaient fait toute leur vie dans la dévotion à Mitterrand.
00:26:26Mitterrand prenait les hommes, les utilisait et les jetait.
00:26:30D'un mot, d'un geste.
00:26:32Il y avait un lien très profond entre ces deux hommes,
00:26:36François de Grossoeuvre et le parrain de Mazarine Pinjot.
00:26:40François de Grossoeuvre était chargé de veiller sur Mazarine,
00:26:43la fille cachée du président François Mitterrand,
00:26:46née en 1974 d'une relation extra-conjugale avec Anne Pinjot.
00:26:51Mazarine doit vivre dans l'ombre, le public ne doit rien savoir.
00:26:55Mais il y a les rumeurs, il faut sans cesse les démentir,
00:26:58scruter la presse.
00:27:00On n'arrivait pas à le croire, ça paraissait absolument incroyable
00:27:03que le président de la République ait un enfant caché
00:27:06et qu'il ait pu le dissimuler à la France entière.
00:27:08Vous savez, quand on arrive dans une école,
00:27:10on vous fait remplir une fiche,
00:27:12votre nom, père, mère, etc., profession du père.
00:27:16Et la gosse, elle a eu le président de la République.
00:27:19C'est arrivé à l'instituteur.
00:27:21Il a dit à Anne Pinjot,
00:27:23nous sommes inquiets pour la santé mentale de Mazarine,
00:27:25parce qu'elle nous a dit que son père était président de la République.
00:27:29Et Anne Pinjot avait dit, c'est parfaitement exact.
00:27:32Et Mazarine ne se cache pas qu'elle est la fille du président de la République.
00:27:36Tout le monde dans son lycée sait qu'elle est la fille du président de la République.
00:27:41Ma fille était en classe, dans la même classe.
00:27:44Tout le monde connaissait.
00:27:46Elle allait faire du cheval à l'école militaire.
00:27:49Tout le monde le savait.
00:27:51Les gens qui étaient là, Mazarine, c'était la fille du président.
00:27:55Les journalistes qui avaient vu Mazarine
00:27:58ou qui avaient vu Mitterrand avec Mazarine
00:28:00n'avaient pas toujours fait le lien
00:28:02et en tout cas pas osé non seulement briser le tabou en l'interrogeant,
00:28:07mais même y songer.
00:28:08Comment un homme politique a pu cacher ?
00:28:12Ben non, il n'a pas caché.
00:28:14Mais comment les journalistes ne l'ont pas révélé ?
00:28:16Eh ben non, ils ne l'ont pas révélé.
00:28:18Il a fallu que ça vienne de François Mitterrand lui-même.
00:28:23François Mitterrand décide de révéler l'existence de sa fille Mazarine.
00:28:27Jusqu'alors, il s'était employé à maintenir le secret.
00:28:30Depuis 13 ans, 8 super-gendarmes veillaient en permanence sur la maîtresse
00:28:34et l'enfant illégitime de François Mitterrand.
00:28:39Par l'entremise de Roland Dumas,
00:28:41négociations s'engagent pour savoir comment révéler au monde
00:28:45l'existence de Mazarine.
00:28:46Donc c'est une révélation à la fois volée et consentie
00:28:49qu'il va organiser, je crois, en novembre 1994.
00:28:52Mazarine, on lui demande,
00:28:53comment votre père a-t-il pu imposer le silence,
00:28:57maintenir le secret autour de votre existence et celui de votre mère ?
00:29:01Et Mazarine répond, si j'ai bonne mémoire,
00:29:03mais par la crainte qu'il inspirait à tous.
00:29:05Mitterrand n'est jamais passé pour un parangon de fidélité.
00:29:10Mais quand on est en politique, on ne divorce pas.
00:29:13Daniel Mitterrand a sa vie, il a sa vie.
00:29:15Il faut savoir que Daniel avait son partenaire, son amant,
00:29:20cinq ans avant que Mitterrand ait tombé amoureux d'Impargio.
00:29:25Et cet amant, Jean Balancy, était avec elle pendant 23 ans.
00:29:32Et Rue de Bièvre, ils étaient tous ensemble.
00:29:36Tous les trois habitaient Rue de Bièvre.
00:29:39Quand Mitterrand disait,
00:29:40je ne peux pas intédir à ma femme ce que je maîtrise en moi-même.
00:29:44Un président marié ne pouvait pas avoir un deuxième foyer,
00:29:49et donc une fille.
00:29:51Il y a une raison aussi totalement politique.
00:29:55Donc il fallait qu'il protège de façon absolue
00:29:58l'existence de ce deuxième foyer.
00:30:01À partir du moment où il y avait des gens
00:30:04qui risquaient, même inopinément, de révéler cette vie,
00:30:08il devenait un peu...
00:30:09Objectivement, il perdait un peu la raison.
00:30:11De cet homme dont on attendait le retour et le triomphe
00:30:14de la moralité publique,
00:30:16on a été surpris de trouver les écoutes téléphoniques
00:30:18et autres vicissitudes.
00:30:20De lien en lien, par une forme de capillarité,
00:30:22ce système va devenir fou puisque tout le monde va être écouté.
00:30:26Je l'ai découvert à mes dépens
00:30:27avec les écoutes téléphoniques de la cellule de l'Élysée.
00:30:29Cette fameuse cellule qui protégeait le secret du prince,
00:30:33qui deviendra un cabinet noir, un cabinet d'espionnage,
00:30:37à la main du président lui-même et hors de toute légalité.
00:30:41Mitterrand devenait un peu obsédé par ce problème-là.
00:30:47Mais dans cette tradition monarchique,
00:30:49quand même, protéger le monarque, c'était fondamental.
00:30:56Christian Proutot, chargé de la sécurité de François Mitterrand,
00:30:59et responsable du groupe d'intervention
00:31:01de la Gendarmerie nationale,
00:31:03était la nounou attitrée de Mazarine.
00:31:05Pour cette mission très spéciale,
00:31:07il sera fait officier de la Légion d'honneur.
00:31:10Christian Proutot, nous vous faisons officier de la Légion d'honneur.
00:31:22L'extension que Mitterrand et les gens qui l'entouraient,
00:31:26et l'Élysée, ont donnée à ce système
00:31:28est absolument injustifiable.
00:31:29Mais il l'a niée avec une superbe, absolument incroyable scène
00:31:33où Mitterrand est questionné par un journaliste belge
00:31:36sur les écoutes téléphoniques.
00:31:37Alors, M. le Président,
00:31:39cette fameuse histoire des écoutes téléphoniques
00:31:41qui auraient été commandées par l'Élysée...
00:31:43Il n'y a pas de service d'écoute à l'Élysée.
00:31:45Il ne peut pas y en avoir.
00:31:48Je ne sais pas comment on fait, d'ailleurs, les écoutes.
00:31:50Mais il s'agissait d'écoutes qui auraient été commandées
00:31:52par la cellule antiterroriste de l'Élysée, bien sûr, pas...
00:31:55Les Concentrance, encore un peu plus.
00:31:56Mais...
00:31:58Je n'ai pas l'intention, à vous, qui n'avez rien d'autorisé à cela,
00:32:02de répondre à vos questions.
00:32:05Je voulais vous demander, justement,
00:32:06si le fait de décorer M. Proutot n'avait pas été pour vous...
00:32:09Notre conversation est terminée, monsieur.
00:32:13Si vous voulez bien, nous allons nous séparer, maintenant.
00:32:17Je ne pensais pas qu'on allait tomber dans un tel degré de vilainie.
00:32:22Mais, M. le Président, s'il ne s'agissait pas de ça...
00:32:25C'est terminé.
00:32:27Ils font leur vrai travail.
00:32:29Ils ne se contentent pas, à la française, d'une question.
00:32:32Ils le relancent trois fois, quatre fois,
00:32:33au point que c'est lui qui quitte son propre bureau.
00:32:37Et puis, il appuie sur une sonnette et il fait vider les journalistes.
00:32:41C'est là où on voit l'extraordinaire aplomb qu'il pouvait avoir.
00:32:44Un culot d'enfer.
00:32:45D'un autre côté, ce n'est pas ce qui restera de mieux
00:32:48de François Mitterrand que ses écoutes téléphoniques.
00:32:51Il préférait que, dans sa vie, dans sa biographie, ça disparaisse.
00:32:56Le journaliste Pierre Péance apprête à publier un livre,
00:32:59Une jeunesse française,
00:33:00qui se penche sur le François Mitterrand jeune homme des années 30-40.
00:33:04L'itinéraire très complexe, atypique,
00:33:06du futur président de la République.
00:33:09Contractuel du gouvernement de Vichy,
00:33:11puis employé au commissariat aux prisonniers de guerre,
00:33:14il en démissionne et s'engage dans la résistance.
00:33:17Mais cette période, contrastée, a deux versants.
00:33:20Il est résistant, mais il est décoré par Vichy.
00:33:23De plus, tout ce que colportait l'extrême droite la plus haineuse
00:33:26semble être vrai.
00:33:27L'étudiant sympathisant avec les croix de feu,
00:33:30la francisque décernée par le maréchal Pétain.
00:33:33L'image du résistant incontestable va s'estomper,
00:33:36au profit d'un portrait plus flou.
00:33:40François Mitterrand avait écrit
00:33:42« Je hais ceux qui veulent fouiller, juger.
00:33:44Les inquisiteurs sont des lâches. »
00:33:48Je ne savais pas si ça allait être une bombe,
00:33:50mais je pensais, en tout cas,
00:33:53que ça risquait de poser quelques problèmes.
00:33:56...
00:34:01François Mitterrand n'était pas chaud du tout.
00:34:04Il me disait à quoi ça sert, etc.
00:34:06Et donc, il estimait qu'il n'avait rien à se reprocher.
00:34:10Mitterrand, à mon avis, aide Pétain par distraction.
00:34:13C'est-à-dire qu'il ne voudrait pas l'aider,
00:34:15mais il est vieux, il est fatigué, il ne contrôle plus tout.
00:34:18Ce qui est très extraordinaire dans l'histoire de Mitterrand,
00:34:20c'est que tout le monde savait tout, mais rien ne paraissait.
00:34:24Il avait une telle force de persuasion
00:34:26qu'il avait réussi à faire oublier complètement cette période.
00:34:32J'ai trouvé des choses dont lui-même ne se souvenait plus.
00:34:36Et très rapidement, il m'a dit
00:34:37« Mais vous connaissez mieux ma jeunesse que moi. »
00:34:40La photo et la manifestation sur les métèques,
00:34:42c'est la seule qu'il a refusée.
00:34:45Il reconnaissait que c'était lui sur la photo,
00:34:48mais il disait « C'est pas possible. »
00:34:50Jusqu'à la fin, il refusait la manifestation entre les métèques.
00:34:55Je ne lui ai pas parlé non plus de la photo avec Pétain.
00:34:59Il n'est jamais, jamais intervenu.
00:35:01Ce qui est plus choquant que l'affaire Vichy, c'est l'affaire Bousquet.
00:35:04Ce qui est plus étrange, c'est son amitié avec Bousquet.
00:35:09Pierre Péon va révéler que François Mitterrand
00:35:11a conservé jusqu'au soir de sa vie
00:35:13des relations d'amitié avec René Bousquet.
00:35:16Ancien secrétaire général de la police de Vichy,
00:35:19il avait joué un rôle central dans la collaboration policière
00:35:21avec l'occupant allemand pour arrêter les Juifs étrangers
00:35:24et accélérer leur déportation.
00:35:27Il avait déclaré « Nous les chercherons.
00:35:29Nous les prendrons là où ils sont.
00:35:31Quel que soit l'issue de la guerre,
00:35:33le problème juif devra être résolu. »
00:35:37L'affaire Bousquet va prendre le pas, parce qu'elle est vivante.
00:35:39On le voit sur cette fameuse photo
00:35:41où il déjeune à La Tchez, chez Mitterrand.
00:35:44Et on voit que, jusque très tard,
00:35:46il a poursuivi des relations très étroites avec Mitterrand,
00:35:50dont il avait financé notamment les campagnes électorales.
00:35:53Président ! Président ! Mitterrand !
00:35:55Président ! Président ! Mitterrand !
00:35:58Président ! Président ! Mitterrand !
00:36:01Président ! Président ! Mitterrand !
00:36:04Président ! Président ! Mitterrand !
00:36:08Bousquet s'était mis à la disposition de Mitterrand
00:36:11et de tous les candidats qui patronnaient Mitterrand.
00:36:14Et donc, c'est comme ça que ce lien s'est maintenu,
00:36:16jusqu'au jour où on a découvert qu'il était plus qu'un collaborateur,
00:36:21il avait été l'auteur de la rafle du Lviv,
00:36:24ce qui était pire que tout.
00:36:27En 1978, le magazine L'Express
00:36:30publie un entretien avec Darquier de Pellepoix,
00:36:32directeur du commissariat général aux questions juives,
00:36:35condamné à mort à la libération et exilé en Espagne.
00:36:38Il y déclare notamment « À Auschwitz, on a gazé, oui, c'est vrai,
00:36:42mais on y a gazé uniquement les poux ».
00:36:45Face aux journalistes, il nie la réalité de la Shoah,
00:36:48puis attribue à René Bousquet toute la responsabilité
00:36:51dans la rafle du Veldiv.
00:36:54Quelques semaines plus tard, l'affaire Darquier de Pellepoix arrive,
00:36:57et je lui dis « Votre ami Bousquet, c'est quand même un monstre ».
00:37:00Il m'a dit « Je ne le verrai plus jamais »,
00:37:02ce qui n'était pas vrai, puisqu'il a continué à le voir.
00:37:07On m'a menti, là, oui.
00:37:08Il a fallu cette ordure de Darquier de Pellepoix
00:37:11pour que toute l'histoire du Veldiv ressorte
00:37:15en pleine lumière et en lumière crue.
00:37:17Il n'était vraiment pas désireux de savoir, le père Mitterrand.
00:37:20Beaucoup de ses proches vont nier cette proximité.
00:37:23Mitterrand ne savait pas
00:37:25que les relations avec Bousquet se sont arrêtées très, très tôt,
00:37:29ce qui est tout à fait faux.
00:37:30Les relations avec Bousquet ont continué très tard,
00:37:33et Mitterrand savait évidemment parfaitement à qui il avait affaire,
00:37:36puisqu'il l'avait connu à Vichy.
00:37:37Mais enfin, Bousquet, tout le monde savait qui c'était.
00:37:39Tout le monde savait ce qu'il faisait.
00:37:41Tout le monde connaissait l'ampleur de ses responsabilités.
00:37:44À la Libération, quand Bousquet est jugé,
00:37:48il n'est pas jugé pour avoir tué des Juifs.
00:37:52Parce qu'à la Libération, on s'en fout.
00:37:55C'était pas un crime.
00:37:58C'est après qu'on va considérer que c'était un crime.
00:38:01C'est terrible de dire ça,
00:38:03mais les nazis ont déporté les Juifs, point.
00:38:07Donc, il n'y a pas de Français qui ont participé.
00:38:10Il est là-dedans, Mitterrand.
00:38:12Je crois qu'il n'a pas pris la mesure
00:38:14de ce qu'a été la participation policière
00:38:16à la rafle du Val-d'Ivre de juillet 1942.
00:38:20Il refuse de s'expliquer jusqu'au bout.
00:38:21Il refuse de se justifier.
00:38:24Et il ne le fait pas.
00:38:24Il ne le fait pas par une sorte d'entêtement orgueilleux.
00:38:27Et je lui propose une solution.
00:38:29Je dis, il faut vous expliquer sur Vichy
00:38:31et sur Bousquet particulièrement.
00:38:34Admettez-le.
00:38:37Il hésite et me lance un regard mauvais
00:38:40et est persécuté en me disant, vous aussi.
00:38:42René Bousquet est enterré dans un cimetière du sud-ouest.
00:38:46Le fils de René Bousquet m'a même dit qu'on lui avait rapporté
00:38:48que Mitterrand était venu se recueillir sur sa tombe.
00:38:51Mitterrand n'était pas un homme de remords ni de regrets.
00:38:54Jusqu'au bout, il se défendait d'avoir eu tort,
00:38:57même quand il savait qu'il avait eu tort.
00:38:59Le seul sujet qui lui causait,
00:39:02non pas un remord, mais une inquiétude, si on l'interrogeait,
00:39:05c'était la justice militaire accordée en Algérie.
00:39:08Si on découpe le parcours de Mitterrand,
00:39:11on trouve Bousquet et on trouve l'Algérie.
00:39:16Mitterrand a eu beaucoup de chance
00:39:17que pendant son double septennat,
00:39:20on ne revisite pas l'histoire algérienne.
00:39:23On avait commencé à ouvrir le couvercle sur Vichy,
00:39:25mais pas sur la guerre d'Algérie.
00:39:28En 1954, François Mitterrand est ministre de l'Intérieur
00:39:31dans le gouvernement Pierre Mendès-France.
00:39:33Opposé à l'indépendance de l'Algérie, il déclare
00:39:36« La seule négociation avec la rébellion algérienne, c'est la guerre ».
00:39:40Nommé garde des Sceaux,
00:39:42François Mitterrand est chargé de défendre le projet de loi
00:39:45remettant les pouvoirs spéciaux à l'armée.
00:39:47Pour lui, la République ne pouvait pas s'épanouir sans un empire.
00:39:52Il fallait être dans un fait colonial qui était légitime.
00:39:55Quel archaïsme ! Quel archaïsme chez cet homme !
00:39:58Il fallait le courage et la vision historique du général de Gaulle
00:40:02pour comprendre que la France et l'Algérie
00:40:05pourraient continuer leur histoire en marchant côte à côte.
00:40:09Il n'a rien compris à la légitimité
00:40:12de ceux qui étaient pour la décolonisation.
00:40:14Il a tout faux sur ce dossier-là, mais il a faux surtout moralement.
00:40:18Pour garder les colonies, il était prêt à cautionner des exécutions,
00:40:23une justice entièrement militaire.
00:40:25Sans doute était-il informé pour la pratique de la torture
00:40:28et n'a-t-il, comme beaucoup de politiques, rien dit.
00:40:31C'était le garde des Sceaux qui accompagnait la guerre d'Algérie.
00:40:34Il avait été du côté de la guerre d'Algérie,
00:40:37de l'aveuglement, de la torture.
00:40:38Nous châtirons de manière implacable,
00:40:41sans autre souci que celui de la justice.
00:40:44En la circonstance, la justice exige la rigueur.
00:40:48Les responsables seront soumis, comme tout criminel, à la loi.
00:40:51La loi sera appliquée.
00:40:52Du temps de la guerre d'Algérie, c'est sous François Mitterrand
00:40:56qu'il y a eu le plus grand nombre d'exécutions capitales.
00:41:01C'est sous François Mitterrand, garde des Sceaux, le président,
00:41:05au nom duquel est associée l'idée de l'abolition de la peine de mort,
00:41:10c'est sous sa gouvernance comme garde des Sceaux,
00:41:13ministre de la Justice,
00:41:15qu'il y a eu le plus de gens, de civils,
00:41:20qui ont eu la tête coupée.
00:41:22Et qui ont eu la tête coupée, on a les documents depuis.
00:41:25Il était le plus dur dans les comités d'appel.
00:41:27Et dans beaucoup de cas,
00:41:30c'était contre l'avis du président de la République.
00:41:32Il est incontestable, alors qu'il a eu la main lourde.
00:41:35Et il a fait exécuter 50 personnes.
00:41:37Mendes France, lui, était souvent partisan de mesure de clémence.
00:41:42Ce qui n'était pas du tout le cas de Mitterrand.
00:41:44Il n'avait encore jamais été président du Conseil.
00:41:47Il pensait qu'il pouvait le devenir.
00:41:50Et qu'il ne fallait surtout pas, dans ce climat-là,
00:41:52qu'il donne des signes de faiblesse.
00:41:53Et donc la gauche a vécu dans une illusion pendant très longtemps
00:41:57que jamais Mitterrand n'avait eu ce passé au ministère de la Justice,
00:42:01que jamais Mitterrand n'avait eu ce passé pendant la Seconde Guerre mondiale.
00:42:05Je crois qu'aujourd'hui, on s'accorde quand même...
00:42:07Il y a des choses qu'on ne peut plus soutenir.
00:42:10On ne peut pas soutenir que Mitterrand n'était pas vichy,
00:42:14qu'il n'a pas fait exécuter 50 personnes
00:42:17quand il était garde des Sceaux, 50 Algériens.
00:42:20Il y a les faits qui sont là, on ne peut pas les nier.
00:42:24Depuis que sa maladie est devenue publique,
00:42:26on admire le courage du président,
00:42:27face au mal qui chaque jour gagne du terrain.
00:42:31Edouard Balladur est toujours à Matignon.
00:42:33Chaque mercredi, au Conseil des ministres, il m'ausculte.
00:42:36Et il se demande quand.
00:42:38Monsieur le Premier ministre.
00:42:39Quand il me serre la main, j'ai l'impression qu'il prenne mon poux,
00:42:42ma tension.
00:42:43Je ne peux plus aller aux toilettes sans qu'on imminute ma présence.
00:42:46Qu'est-ce que j'ai devant moi ?
00:42:47J'ai à accomplir ma tâche.
00:42:50La tâche pour laquelle les Français ont besoin de moi.
00:42:52La tâche pour laquelle les Français m'ont élu.
00:42:55Dis-moi, c'est à ma portée.
00:42:59Et même davantage, je l'espère.
00:43:01Ensuite, j'aurai des préoccupations de caractère privé.
00:43:06L'essentiel, c'est que je puisse parvenir au terme de mon mandat.
00:43:11La question ne semble pas poser.
00:43:13Il souffrait et à la fin, il ne pouvait plus le cacher.
00:43:16Et pour lui,
00:43:17qui...
00:43:20que j'avais côtoyé en majesté,
00:43:23se sentir lui-même affaibli, il n'aimait pas ça.
00:43:26Même Balladur, d'ailleurs,
00:43:29Gomet et, en tout cas,
00:43:32Cachet ne livraient pas ce qu'ils voyaient de Mitterrand
00:43:35et qui était la réalité, c'est-à-dire que Mitterrand
00:43:37passait parfois des journées et des journées couchées.
00:43:40Il avait deux heures
00:43:42de véritable présence,
00:43:46voire lucidité, où à la fin, il recevait dans une chambre
00:43:49qui avait été installée au rez-de-chaussée de l'Elysée,
00:43:52où il était pris dans cette bataille avec la mort.
00:43:55Au Conseil des ministres, il y avait des médecins.
00:43:57Il y avait notamment Bernard Debré, qui était ministre de la coopération,
00:43:59et qui, toutes les semaines, était au Conseil des ministres.
00:44:01Et qui faisait des petites notes à Édouard Balladur.
00:44:03Il n'en a plus que pour 15 jours. Le mois prochain, il est mort.
00:44:06Préparez-vous à être candidat. Il n'ira pas au bout de son septennat.
00:44:09Absolument faux. Absolument faux.
00:44:12Pendant les Conseils des ministres,
00:44:14François Mitterrand était fatigué.
00:44:17Et à un moment donné,
00:44:19François Mitterrand s'est endormi.
00:44:21Et mon voisin me dit qu'il est mort.
00:44:24Et j'ai dit, mais non, pas du tout.
00:44:25Mais jamais, et je vous le dis,
00:44:28jamais,
00:44:30je n'ai dit un mot sur la santé de François Mitterrand
00:44:34à Édouard Balladur,
00:44:36ni à aucun ministre. Jamais.
00:44:38Beaucoup, à ce moment-là, évidemment,
00:44:42pensaient qu'il allait avoir une élection présidentielle anticipée.
00:44:45Balladur s'est dit, allez, il n'ira pas plus loin,
00:44:48c'est moi qui vais prendre le pouvoir,
00:44:50et c'est moi qui vais être élu,
00:44:52et il s'est cru président de la République.
00:44:57François Mitterrand écrit à un ami.
00:44:59Après mon opération, M. Balladur a d'abord prié pour moi,
00:45:03afin que, par une élection anticipée,
00:45:05M. Chirac ne vienne prendre ma place.
00:45:08Puis M. Chirac est allé brûler un cierge
00:45:10pour que mon décès subi n'amène pas M. Balladur à l'Élysée.
00:45:14Je suis un homme comblé.
00:45:16Mes deux ennemis me protègent de la mort.
00:45:19Ça s'est dégradé à partir de la seconde opération de Mitterrand,
00:45:22parce qu'il y a eu un article...
00:45:24Édouard Balladur a écrit un article dans le film
00:45:26Roma politique étrangère.
00:45:27Mitterrand se réveille de sa deuxième opération
00:45:31en découvrant ce titre,
00:45:33le président bis.
00:45:36Et là, il a le sentiment, on rentre dans la troisième époque,
00:45:38de la trahison absolue.
00:45:40Pendant que j'étais en train de me faire opérer,
00:45:42il prend mon siège.
00:45:43Et à partir de ce moment-là, il a décidé de lui faire la peau.
00:45:47Il faut bien dire les choses.
00:45:50Et le peu de force qui lui restait,
00:45:51il les a employées, au fond, à nuire à Balladur.
00:45:56D'Édouard Balladur, François Mitterrand dira...
00:45:59Je croyais avoir tout vu en matière de trahison,
00:46:01mais là, ça dépasse les bornes.
00:46:03Je n'ai jamais rencontré quelqu'un de plus hypocrite.
00:46:06Tout est faux chez lui.
00:46:07Si on lui perçait la peau avec un couteau,
00:46:09on verrait qu'il n'y a que du venin en dessous.
00:46:12Chirac, même s'il manque un peu de structure mentale,
00:46:15est un extraordinaire bâtant.
00:46:16Il est intelligent, lui.
00:46:18Il agit, il est rapide, il court.
00:46:20Et là, ça change du tout au tout, et il va se rapprocher de Chirac.
00:46:23De ce Chirac qu'il détestait,
00:46:27de lui trouver des qualités.
00:46:28Ils s'étaient réunis, tous les deux,
00:46:30François Mitterrand et Jacques Chirac,
00:46:33dans la détestation d'Édouard Balladur.
00:46:35On l'a senti.
00:46:37Moi, il me l'avait dit.
00:46:38François Mitterrand m'avait dit que ça serait Chirac qui serait élu.
00:46:41Je m'en occuperai.
00:46:42Il décide de passer à l'action et de conseiller en direct Chirac.
00:46:46Il va me charger d'aller porter un message à Chirac.
00:46:49Et le message, c'est quoi ?
00:46:50Déclarez-vous vite, dans les jours qui viennent,
00:46:53sinon vous êtes foutus.
00:46:57Dès le lendemain, Jacques Chirac annonce sa candidature contre Balladur.
00:47:02Avec la complicité et le soutien de François Mitterrand,
00:47:05il se lance dans la campagne présidentielle.
00:47:09Je ne pense pas qu'il avait beaucoup de considérations
00:47:12pour la personnalité de Chirac,
00:47:14mais c'était un successeur qui lui convenait.
00:47:17Parlant de l'élection présidentielle de 1995,
00:47:20François Mitterrand déclare...
00:47:27Il a voté Jospin, mais enfin,
00:47:30il a quand même tout fait, objectivement, pour favoriser Chirac.
00:47:35Jacques Chirac, élu président de la République.
00:47:38Il recueille 52 % des suffrages
00:47:41contre 48 % à Lionel Jospin.
00:47:45Au fond, il ne voulait pas de successeur.
00:47:47Il ne voulait surtout pas de successeur socialiste.
00:47:50C'est ça qui est...
00:47:52Il voulait rester le seul à avoir porté la gauche au pouvoir.
00:48:05Mais 1995,
00:48:06il vient de faire son dernier conseil des ministres de la République.
00:48:10Il était assez malade, assez fatigué.
00:48:12Finalement, il était assez heureux et soulagé.
00:48:15D'abord parce qu'il pensait mourir avant d'y arriver.
00:48:17Avoir le pouvoir, cette drogue si puissante,
00:48:21ça a fait de lui un surhomme, au sens propre.
00:48:24Il a été plus fort que ses métastases.
00:48:27Il a tenu 14 ans. Je ne connais pas beaucoup de gens
00:48:29qui ont un cancer et qui ont des maladies.
00:48:31Je ne connais pas beaucoup de gens qui ont un cancer
00:48:35et qui durent 14 ans.
00:48:41-"Sur le destin accompli,
00:48:43François Mitterrand aura cette image à la fois modeste et orgueilleuse.
00:48:47Ca a été comme un chemin que l'on a devant soi.
00:48:49Cette route à 100 km de long,
00:48:51et on s'imagine, on se dit à 20 ans,
00:48:54comme le parcours va être beau.
00:48:56Et puis, à la veille de mourir,
00:48:58on se rend compte qu'on a à peine fait 150 m."
00:49:02Mitterrand disait, si j'arrive à un tel état
00:49:05où je risque de devenir un légume,
00:49:09épargnez-moi ça.
00:49:11Je veux à tout prix ne pas avoir, ne pas être dans cet état.
00:49:16Il décide de ne plus s'alimenter
00:49:19et de ne plus prendre ses médicaments
00:49:22devant le docteur Tharaud, consterné,
00:49:27et sa famille anéantie.
00:49:28C'était toute façon, évidemment,
00:49:30de dire, à partir de maintenant, je ne veux plus vivre.
00:49:33A un moment donné, il s'est dit, ça suffit.
00:49:36Mitterrand avait dit, je ne veux voir personne.
00:49:39Ceux qui m'aiment vont comprendre.
00:49:41Il est mort à l'aube du lendemain matin.
00:50:01François Mitterrand meurt le 8 janvier 1996,
00:50:04finalement vaincu par son cancer.
00:50:06Il avait écrit dans son testament,
00:50:08une messe est possible.
00:50:10Il en aura deux, l'une à Paris, l'autre à Jarnac.
00:50:13Et derrière son cercueil, deux familles réconciliées,
00:50:16l'officielle et l'officieuse.
00:50:18Il y associe Mazarine, comme l'aurait fait un roi de France.
00:50:22Une celle de Mitterrand,
00:50:23une autre de François Mitterrand,
00:50:25une autre de Mitterrand.
00:50:27Ma situation est singulière.
00:50:29J'ai été l'adversaire du président François Mitterrand.
00:50:33Mais j'ai été aussi son premier ministre.
00:50:37Et je suis aujourd'hui son successeur.
00:50:41Tout cela tisse un lien plus fort
00:50:44avec la vie de Mitterrand.
00:50:46Il est mort le 8 janvier 1996.
00:50:48Il n'y a pas eu d'hébergement.
00:50:50Il n'y a pas eu de réconciliation.
00:50:53Il n'y a pas eu de réconciliation.
00:50:55Tout tisse un lien particulier
00:50:58où il entre du respect pour l'homme d'Etat
00:51:02et de l'admiration pour l'homme privé.
00:51:05Chirac m'a dit qu'il y a eu deux grands présidents,
00:51:10De Gaulle et Mitterrand.
00:51:12Et j'ai noté cette petite phrase.
00:51:15Il m'a dit, d'ailleurs,
00:51:17moi, au fond, je suis plutôt mitterrandiste.
00:51:21Il y a chez Mitterrand quelque chose d'indicible,
00:51:25de merveilleux, d'inexplicable.
00:51:28C'est le génie.
00:51:30Il y a du génie chez Mitterrand.
00:51:32Un mauvais génie, parfois, mais il y a du génie.
00:51:35Ils sont où, les hommes politiques géniaux aujourd'hui ?
00:51:38C'est un merveilleux personnage
00:51:40à la fois historique et romanesque.
00:51:43C'est vrai.
00:51:45Il n'y en a pas tant que ça, au fond, dans la politique française.
00:51:49C'est un personnage très complexe.
00:51:51Il part même d'idéalisme, chez lui.
00:51:54C'est un peu comme Dimitri Karamazov,
00:51:58qui est à la fois cynique et idéaliste,
00:52:01et dans les deux cas, avec sincérité.
00:52:04Ce sont des personnages doubles.
00:52:06On a du mal à comprendre.
00:52:08Il reste un personnage de roman extraordinaire.
00:52:11Chacun est d'accord pour dire que c'était quelqu'un d'en orme.
00:52:14Il savait lui-même qu'il était unique.
00:52:17Ou il le croyait, en tout cas.
00:52:19En ce moment de bonheur,
00:52:21comme l'histoire en a peu connu,
00:52:24je vous pose cette question.
00:52:26Qu'allons-nous faire de cette époque où nous entrons ?
00:52:30Si prometteuse, si périlleuse.
00:52:33Oui, qu'allons-nous en faire ?
00:52:37...
00:52:40Un homme,
00:52:42une rose dans la main,
00:52:45à faire le chemin...
00:52:47Voilà 30 ans, François Mitterrand quittait la scène politique
00:52:51au terme d'un second septennat effectué à l'Elysée.
00:52:54Il aura écrit une page de notre histoire,
00:52:57mais que retient désormais l'histoire de François Mitterrand ?
00:53:01C'est à cette interrogation que tentait de répondre
00:53:04Mme Carel à travers ce documentaire.
00:53:06Que reste-t-il de François Mitterrand ?
00:53:08Eh bien, nous allons, à notre tour,
00:53:10poser la question à nos invités présents aujourd'hui
00:53:13sur ce plateau de débats d'oc,
00:53:15en commençant par vous, Christophe Prochasson.
00:53:18Vous êtes historien de la France contemporaine,
00:53:21spécialisé dans l'histoire culturelle de la politique
00:53:24et directeur d'études à l'Ecole des hautes études
00:53:27en sciences sociales, que vous avez d'ailleurs présidée
00:53:30entre 2017 et 2022.
00:53:32Et vous êtes l'auteur, entre autres,
00:53:34de Voyages d'un historien à l'intérieur de l'Etat.
00:53:37C'est un ouvrage toujours disponible chez Fayard.
00:53:40Boris Vallaud est également avec nous.
00:53:42Bienvenue. Vous êtes député socialiste
00:53:44de la 3e circonscription des Landes.
00:53:46C'est pas n'importe laquelle, c'est l'ancienne circonscription
00:53:49d'Henri Emmanueli, qui a été lui-même
00:53:51président de l'Assemblée nationale.
00:53:53Vous êtes, quant à vous, président
00:53:55du groupe socialiste de l'Assemblée nationale,
00:53:58et ce, depuis 2022, avec une réélection, d'ailleurs,
00:54:01en 2024. Vous êtes, par ailleurs,
00:54:03aujourd'hui candidat au poste de Premier secrétaire du PS
00:54:06dans le prochain congrès du PS,
00:54:08qui se déroulera en juin prochain.
00:54:10Je crois que c'est le 13 et 15 juin que c'est prévu.
00:54:13Vous présenterez une motion. Vous avez aujourd'hui 49 ans.
00:54:16Et l'on vous doit récemment ce livre,
00:54:18En permanence, ces vies que je fais miennes.
00:54:21C'est un ouvrage disponible chez Odile Jacob,
00:54:24qui traite, finalement, de la manière
00:54:26dont on est censé incarner la politique aujourd'hui.
00:54:29Quand on voit permanence dans ce titre,
00:54:31c'est évidemment la permanence physique qui est la vôtre
00:54:34dans votre département d'Eland.
00:54:37Astrid de Villene, enfin, est avec nous.
00:54:39Bienvenue. Vous avez, quant à vous, 37 ans.
00:54:42Vous êtes journaliste politique,
00:54:44productrice et animatrice
00:54:46de l'émission Sens politique
00:54:48chez nos confrères de France Culture.
00:54:50Nous citerons, entre autres, cet ouvrage vous concernant,
00:54:53les sept péchés capitaux de la gauche,
00:54:55ouvrage publié aux éditions Jean-Claude Lattès.
00:54:59Que reste-t-il de François Mitterrand ?
00:55:01Je vais vous poser la question après ce film.
00:55:04Christophe Pochasson dans le panthéon
00:55:06du socialisme français.
00:55:08Vous le placez où, François Mitterrand ?
00:55:11Vous savez, habituellement,
00:55:13on donne quatre noms
00:55:15qui dominent le panthéon socialiste.
00:55:18Il y a Jean Jaurès,
00:55:20il y a Léon Blum,
00:55:22il y a Guy Mollet et il y a François Mitterrand.
00:55:25On voit bien qu'un partage se dessine
00:55:28entre ceux qui pourraient être...
00:55:30On s'arrête à François Mitterrand ?
00:55:32Non, puisque nous parlons de François Mitterrand.
00:55:35Peut-être, d'ailleurs, d'une certaine façon,
00:55:38doit-on s'arrêter à François Mitterrand,
00:55:40parce que là a été marqué le terme
00:55:42d'une certaine façon de faire de la politique
00:55:45et d'incarner le socialisme.
00:55:47Donc, d'une certaine façon, oui, on peut s'arrêter là.
00:55:50Mais on voit bien qu'entre la mémoire de Jean Jaurès
00:55:54et de Léon Blum, qui est une mémoire,
00:55:56en quelque sorte, presque de saint politique,
00:55:59et puis celle de Guy Mollet et de François Mitterrand,
00:56:02on n'est pas exactement sur le même plan.
00:56:05Ce sont deux personnalités socialistes
00:56:07beaucoup plus controversées,
00:56:09pour des raisons parfois, d'ailleurs, parentes.
00:56:12Notamment le rapport à la guerre d'Algérie
00:56:15ou au monde colonial, plus généralement,
00:56:17mais pas seulement.
00:56:18François Mitterrand a été le ministre de la Justice
00:56:21de Guy Mollet, avant d'avoir...
00:56:24Absolument, il est ministre de l'Intérieur,
00:56:27avant Pierre Mendès-France,
00:56:29et donc à un moment tout à fait difficile
00:56:32pour des hommes de gauche face au monde colonial.
00:56:36Et puis controversé, disais-je,
00:56:38parce que François Mitterrand a gouverné longtemps,
00:56:42et ça a été véritablement le premier socialiste
00:56:45à exercer dans la durée de telles responsabilités.
00:56:49Et donc, quand on gouverne,
00:56:51on est en but à toutes sortes de défis
00:56:55et de négociations et d'accidents imprévus
00:56:59qui, évidemment, vous conduisent
00:57:02à une réputation qui n'est pas toujours bonne.
00:57:05Boris Vallaud, d'une certaine manière,
00:57:07vous êtes un bébé Mitterrand, encore,
00:57:09ou alors Mitterrand fait partie de l'histoire,
00:57:12et tout ce qu'on a vu là fait partie de l'histoire.
00:57:15Il faut assez vite oublier cette page
00:57:17pour en écrire une autre.
00:57:19L'oublier, pas nécessairement.
00:57:21En tirer des leçons, en faire un point d'appui,
00:57:24un point de réflexion, sans nul doute.
00:57:29C'est une légende pour vous, Mitterrand.
00:57:31J'ai rappelé votre âge, évidemment.
00:57:33Christophe Crochasson a raison de dire
00:57:36que dans le panthéon socialiste,
00:57:38les grandes figures qui reviennent,
00:57:40y compris lorsqu'on s'astreint à écrire un discours,
00:57:43il y a, en général, si les choses sont bien faites,
00:57:46une situation de Jaurès, de Blum et de Mitterrand.
00:57:49Mollet, c'est plus rare.
00:57:51C'est plus difficile, oui.
00:57:53Parce que plus controversé, c'est Mollet.
00:57:56La réalité est celle-là.
00:57:58Vous posez la question, compte tenu de ce que l'on vient de voir
00:58:02du documentaire sur François Mitterrand.
00:58:05Il est, à tous les moins, assez peu agéographique.
00:58:08J'aurais tendance à dire qu'il aurait pu être intitulé
00:58:11la face sombre de François Mitterrand,
00:58:14parce qu'il manque quand même, à mon sens,
00:58:17une dimension plus proprement politique
00:58:20au récit de ces deux septennats.
00:58:23Mais en tout cas, ce que l'on voit,
00:58:25puisque vous posez la question de savoir s'il appartenait
00:58:28d'une certaine manière au passé,
00:58:30il est un homme qui, d'une certaine manière,
00:58:33appartient à un autre siècle,
00:58:35et d'ailleurs, lui-même arrivant au pouvoir
00:58:38après 23 ans d'opposition,
00:58:40et il est le seul arrivant en 81 au pouvoir
00:58:43ayant eu des responsabilités ministérielles,
00:58:47il apparaît, à certains égards,
00:58:50comme un homme du XIXe siècle,
00:58:52sans doute assez excessif,
00:58:54mais il y a quelque chose comme ça
00:58:56dans le verbe, dans la façon d'être,
00:58:58dans la culture, dans une sorte de classicisme
00:59:01qui, je pense, s'éteint avec lui.
00:59:04Cette face sombre que vous évoquez,
00:59:06qui a été évoquée, à vos yeux,
00:59:09assez largement dans ce film,
00:59:11vous le mettez de côté ?
00:59:13Vous ne voulez peut-être pas voir
00:59:15que cette face sombre a aussi contribué au socialisme
00:59:18tel que l'a imaginé, mis en oeuvre,
00:59:20François Mitterrand ?
00:59:22Il y a l'homme, et puis il y a la politique mise en oeuvre.
00:59:25Oui, bien sûr, il y a les deux,
00:59:27et les deux ne sont pas distincts l'un de l'autre.
00:59:30L'histoire est un bloc.
00:59:32L'approche Chasson ne me contradira pas.
00:59:35Je ne récuse rien de ce qui a été dit,
00:59:38mais par exemple, quand est évoqué
00:59:41sa relation à Michel Rocard,
00:59:44elle paraît ne relever que d'une affaire d'ego,
00:59:48alors qu'elle peut être aussi expliquée
00:59:50comme cette friction permanente
00:59:52entre une première et une deuxième gauche.
00:59:54Je trouve le sujet, évidemment, un peu absent.
00:59:57Son rapport à la question coloniale,
00:59:59elle est évidemment datée,
01:00:01et elle est même l'histoire d'un socialisme
01:00:04qui a raté le moment de la décolonisation.
01:00:07Il y a aussi, dans son histoire personnelle,
01:00:11avec la Francisque, avec Vichy,
01:00:14que je distingue de son amitié avec Bousquet, par ailleurs,
01:00:18il y a aussi probablement ce qu'a été le rapport de la France
01:00:22à cette période-là,
01:00:24pendant très longtemps, jusqu'à ce que des historiens,
01:00:27notamment américains, en réalité les premiers,
01:00:30fassent l'histoire de cette période sombre de notre histoire.
01:00:34Astrid de Villene, même question ?
01:00:36C'est vous, François Mitterrand,
01:00:38qu'est-ce que ça représente encore ?
01:00:40Pour moi, François Mitterrand, c'est avant tout
01:00:42la gauche qui arrive au pouvoir sous la Ve République.
01:00:45Alors même qu'il avait tellement critiqué
01:00:47cette Ve République dans le coup d'État permanent en 1964,
01:00:50il se fond finalement très bien dans ces habits-là
01:00:53de président de la République gaulliste.
01:00:56Et il y a une forme de joie, aussi, 1980,
01:00:59pour moi, c'est une forme de la gauche arrive au pouvoir.
01:01:03Moi, c'est des images où j'étais pas née.
01:01:05Après 23 ans d'opposition.
01:01:07On va en parler, c'est très important dans son parcours.
01:01:10Pour moi, c'est d'une grande modernité
01:01:12et ça devrait inspirer les politiques d'aujourd'hui.
01:01:15Le fait de s'être pris des obstacles,
01:01:17d'avoir une longue marche.
01:01:19Mitterrand, pour moi, c'est aussi la profondeur.
01:01:22C'est l'homme qui écrit, qui lit beaucoup, très cultivé.
01:01:25C'est l'homme qui prend du temps
01:01:27pour le promeneur du champ de Mars,
01:01:29pour aller à la conquête du pouvoir.
01:01:31Ce documentaire est très intéressant sur la partie sombre,
01:01:34mais ce qui est très intéressant, c'est la conquête.
01:01:37C'est la Nièvre, c'est toutes ces années de maire de Château-Chinon,
01:01:41de président du Conseil général, etc.
01:01:44Les deux élections présidentielles manquées,
01:01:47c'est pas les comètes qu'on peut parfois avoir aujourd'hui,
01:01:50des hommes politiques très jeunes qui n'ont pas fait grand-chose
01:01:53et qui peuvent disparaître de nos écrans.
01:01:55Je pense aussi qu'il y a quelque chose de président-bâtisseur.
01:01:58La pyramide du Louvre, ça, je trouve que ça manque aujourd'hui.
01:02:01Il y a aussi le quinquennat, les chaînes d'infos,
01:02:04mais la fête de la musique et les réformes sociales et sociétales
01:02:08que j'ai payées, la peine de mort,
01:02:10tout ça, pour moi, est d'une immense actualité.
01:02:13Je crois que Mitterrand nous parle encore.
01:02:16En tout cas, il vous parle encore, visiblement.
01:02:19Oui ?
01:02:20Je voulais rebondir sur des choses qui viennent d'être dites.
01:02:24Dans le bilan sombre que dresse ce film,
01:02:30il y a un élément qui manque,
01:02:32qui a ajouté au caractère controversé du personnage,
01:02:35c'est le Rwanda.
01:02:37Et ça, évidemment, c'est sans doute la pièce la plus lourde,
01:02:41aujourd'hui, du procès qui peut être fait à Mitterrand.
01:02:46Le rapport Duclert a, je crois, été assez explicite
01:02:50sur ce point,
01:02:53qui fait que c'est un personnage
01:02:56tout à la fois séduisant,
01:02:58pour les raisons que vous dites.
01:03:00La France est une nation littéraire,
01:03:02en tout cas, l'a longtemps été,
01:03:04et c'est un personnage de roman,
01:03:06c'est souvent dit, qui est inspirant,
01:03:09qui lui-même, d'ailleurs, se nourrit de toute une littérature,
01:03:12notamment celle des années 30,
01:03:14qui n'est pas forcément une littérature très à gauche,
01:03:17qui me conduit, d'ailleurs, à dire
01:03:19que Mitterrand, ne l'oublions pas,
01:03:21est un peu un intrus dans l'histoire du socialisme,
01:03:24qu'il y vient à l'occasion
01:03:27d'une séquence historique imprévue
01:03:30et qu'il n'a jamais été de tempérament
01:03:33véritablement socialiste, non seulement de tempérament,
01:03:36je ne sais pas ce que c'est qu'un tempérament socialiste,
01:03:39mais de culture socialiste.
01:03:41Il a toujours été très à distance
01:03:45des grandes références culturelles, intellectuelles,
01:03:48théoriques, doctrinales du socialisme.
01:03:50C'est peut-être pour ça, d'ailleurs,
01:03:52que vous l'avez mis à une estrade un peu plus basse
01:03:55que Jaurès et Blum, lorsqu'on a évoqué
01:03:57le panthéon du socialisme français.
01:03:59Astrid Levinel le rappelait, je comprends tout à fait
01:04:02son point de vue, c'est tout de même
01:04:04le premier socialiste
01:04:06qui donne au socialisme l'exercice du pouvoir
01:04:10sur une telle durée qui a permis au socialisme,
01:04:13au mouvement socialiste uni, il faut le rappeler.
01:04:16C'est aussi cet homme qui vient de l'extrême droite
01:04:19des années 30, qui va accepter de faire l'union
01:04:23avec ce qui lui a toujours paru sans doute
01:04:26comme une, à sa manière, abomination politique,
01:04:29qui est le Parti communiste, avec l'idée, d'ailleurs,
01:04:32de détruire le Parti communiste, il faut le rappeler.
01:04:35C'est cet homme-là qui va faire l'union de la gauche
01:04:38pour porter la gauche au pouvoir.
01:04:40Ca aussi, je crois que c'est inspirant.
01:04:43C'est-à-dire que l'union est indispensable
01:04:46aux forces de gauche,
01:04:48mais elle l'est à un certain prix, d'une certaine façon,
01:04:52et avec une aisance politique
01:04:54qu'il n'est pas toujours facile à avoir.
01:04:57Vous souhaitez rajouter quelque chose ?
01:04:59Quand on parle de panthéon pour les socialistes,
01:05:02peut-être qu'il faudrait ajouter Lionel Jospin.
01:05:05En tout cas, moi, les jeunes élus ou engagés à gauche
01:05:08que j'ai pu interviewer, souvent le citent.
01:05:11Je suis étonnée que... François Mitterrand,
01:05:14c'est vrai qu'il vient de cette droite-là,
01:05:18C'est intéressant, parce que l'image de Jospin
01:05:21se construit sur la moralité politique.
01:05:23Et aussi sur les 35 heures.
01:05:25Elle se serait construite, d'une certaine manière,
01:05:28contre l'image, peut-être, de la fin de Mitterrand ?
01:05:31Peut-être, mais je trouve qu'il y a une continuité,
01:05:34sur la gauche plurielle, sur les 35 heures.
01:05:37Le bilan de Lionel Jospin, souvent,
01:05:40est quand même mis en avant
01:05:42par les héritiers de cette gauche-là.
01:05:46Après, c'est vrai que...
01:05:48Je trouve que François Mitterrand est très peu présent
01:05:51dans les références, quand même, au quotidien,
01:05:54dans l'actualité politique,
01:05:56à part chez une personne, qui est Jean-Luc Mélenchon.
01:05:59Et c'est assez...
01:06:01Et lui, d'ailleurs, qui a été socialiste,
01:06:03je sais pas ce qu'il en dirait aujourd'hui,
01:06:05parce qu'il a quand même beaucoup dévié,
01:06:07de la période où il était ministre de Lionel Jospin,
01:06:10mais à l'époque, il vouait une admiration.
01:06:12Quand je l'ai interviewée pour mon livre,
01:06:14que vous aviez la gentillesse de citer,
01:06:16il parlait encore de Jospin et de Mitterrand,
01:06:19le vieux et le grand, il les appelait.
01:06:21Et il disait, il ne démentait jamais,
01:06:24qu'il parlait, même, il invoquait François Mitterrand
01:06:27dans des voyages en train, il essayait de s'inscrire
01:06:30dans cette lignée-là. Je ne sais pas s'il y est toujours,
01:06:33mais c'est finalement assez rare, en fait, d'y faire référence.
01:06:37Je ne suis pas certain qu'il soit rare d'y faire référence,
01:06:40en tout cas, quand on est socialiste.
01:06:42Il y a effectivement le cheminement politique et personnel.
01:06:45Jean-Luc Mélenchon, lui, il y fait référence à Mitterrand.
01:06:48Il y fait référence comme, sans doute,
01:06:50aussi une nostalgie de jeunesse,
01:06:52un attachement à la première gauche,
01:06:54la place de l'Etat, de la puissance publique,
01:06:57de l'initiative publique. Il y a sans doute tout ça
01:07:00qui est véhiculé. Mais...
01:07:03Surtout dans les moments difficiles,
01:07:05on se raccroche aux heures glorieuses du socialisme.
01:07:08C'est vrai qu'on évoquait mai 81,
01:07:10il y a, dans tous ceux qui en ont été les témoins
01:07:13et les contemporains, ce récit,
01:07:15et c'est Barbara qui le dit, finalement, dans sa chanson,
01:07:18d'un moment où l'air semble le plus léger.
01:07:21Après 23 ans de droite,
01:07:2423 ans de conservatisme,
01:07:26même si Giscard, sans doute, avait inauguré
01:07:29une forme de modernité bien incomplète,
01:07:32il y a le sentiment qu'enfin, on respire,
01:07:35que la société respire,
01:07:37que le projet qui est porté
01:07:39est à la fois social, mais aussi culturel,
01:07:42et que le socialisme est un fait de culture,
01:07:45et il trouve une traduction très concrète
01:07:48dans la campagne de 81, mais dans les premières années,
01:07:52et même ceux qui n'en ont pas vécu
01:07:55en ont, d'une certaine manière, la nostalgie.
01:07:58C'est la nostalgie de la victoire,
01:08:00et je ne suis pas certain qu'aucune des victoires suivantes
01:08:04ait eu cette espèce de légèreté, d'ivresse,
01:08:08et constituée à un moment
01:08:10qui marque la psyché d'un pays tout entier,
01:08:13comme ça a pu être le cas en mai 81.
01:08:15Ni la seconde élection de François Mitterrand,
01:08:18ni probablement les élections législatives
01:08:21qui portent L. Jospin au pouvoir,
01:08:23ni peut-être l'élection de François Hollande.
01:08:26Donc il y a, j'allais dire,
01:08:28à travers l'élection de François Mitterrand,
01:08:31son ascension, d'abord l'idée que l'Union est un combat,
01:08:35que le socialisme peut être aussi
01:08:38une construction personnelle
01:08:41dans sa conscience politique,
01:08:43et on peut venir de loin et, finalement,
01:08:46en être le visage.
01:08:48Et si nous regardons tout cela aujourd'hui,
01:08:51c'est que, dans les difficultés que nous avons eues,
01:08:54nous nous sommes posés la question
01:08:56de savoir si nous ne fermions pas un cycle ouvert avec Épinay.
01:09:00Il peut être achevé avec la vente du siège de Solferino.
01:09:05Un peu en historien du socialisme.
01:09:07Vous précédez ma question, car je m'interrogeais
01:09:10pour savoir si on avait vraiment dressé l'inventaire
01:09:14de Mitterrand et de son parcours politique,
01:09:18de ses réalisations politiques.
01:09:21Je vais marcher avec beaucoup de prudence
01:09:24devant le président Vallaud, car il est mieux informé que moi,
01:09:28mais je ne suis pas sûr que les socialistes
01:09:31aient tiré un inventaire aussi approfondi, en tout cas,
01:09:34qu'il faudrait le faire.
01:09:36On n'a pas encore parlé, c'est évoqué dans le film,
01:09:39de la dimension internationale et de la réaction de Mitterrand
01:09:43face à une géopolitique en plein bouleversement.
01:09:46Avec, évidemment, le point d'ordre,
01:09:48c'est l'effondrement de Berlin et l'effondrement des deux blocs.
01:09:52Il a structuré le communisme, puis le monde bipolaire,
01:09:56a structuré sa représentation politique,
01:09:59ses représentations politiques.
01:10:01Il a structuré les affiliations politiques.
01:10:04Tout cela, tout d'un coup, disparaît.
01:10:07Je ne suis pas certain qu'un homme du 19e siècle,
01:10:10de ce point de vue-là, il est comme de Gaulle,
01:10:13il est le double de de Gaulle,
01:10:16ait pu correctement faire face à ses défis.
01:10:20Je crois que la séquence qu'il ferme,
01:10:23c'est cette séquence insécable entre le 19e et le 20e siècle,
01:10:27parce que le 20e n'est finalement
01:10:29jamais que le prolongement du 19e siècle.
01:10:32Et à la fin du film, il y a une formule,
01:10:35il dit lui-même, je ne sais pas dans quel monde nous entrons,
01:10:38il a cette conscience, incontestablement,
01:10:41que quelque chose de nouveau est en train de se passer
01:10:44au niveau géopolitique, au niveau du rapport des forces politiques,
01:10:48mais aussi, tout simplement, de la sociologie de la France,
01:10:51la gauche qui s'est appuyée sur une classe ouvrière éminente,
01:10:55qui s'est définie avec tout un ensemble de représentations,
01:10:59là aussi, tout d'un coup, les classes populaires
01:11:02ne sont plus les mêmes, les médias,
01:11:05tout ce monde qui a environné sa formation
01:11:08et le début de son action est en train de disparaître.
01:11:11Alors, qu'est-ce qui arrive après ?
01:11:13Là, il ne nous donne plus des clés.
01:11:15Il a, en quelque sorte, fermé la porte et nous a laissés,
01:11:18quand je dis nous, peut-être nous, c'est contemporain,
01:11:21mais aussi le Parti socialiste, les socialistes,
01:11:24il les a laissés devant ces défis-là en leur demandant,
01:11:28au fond, à la fois des analyses et des réponses
01:11:31à une situation nouvelle. Mais je crois que le socialisme
01:11:35tel qu'il peut se développer aujourd'hui
01:11:38ne courront pas après un nouveau Mitterrand.
01:11:41Je crois que ce serait une erreur.
01:11:43Il faut une autre figure au socialisme, aujourd'hui,
01:11:46qui n'est plus, peut-être, on peut le regretter,
01:11:49parce qu'effectivement, c'est un personnage,
01:11:52qui est fascinant, pour certains côtés,
01:11:55pour d'autres, beaucoup moins,
01:11:57plein de culture.
01:11:59On n'a pas cité les lettres à Anne,
01:12:01mais il faut lire ces magnifiques lettres
01:12:04qu'il écrit à Pacejo,
01:12:06qui montrent, d'ailleurs, le conquérant.
01:12:09Alors, non pas le conquérant politique,
01:12:11mais le conquérant des femmes.
01:12:13C'est un personnage, de ce point de vue-là,
01:12:15qui, à mon avis, n'est plus du tout de notre temps.
01:12:18Il y a quelque chose qui est évoqué dans ce film,
01:12:21c'est le cynisme.
01:12:23En tout cas, aux yeux de William Carel,
01:12:26le cynisme de Mitterrand,
01:12:28dans la manière d'exercer le pouvoir.
01:12:31Ca, c'est quelque chose qui vous choque,
01:12:34cette manière d'exercer le pouvoir
01:12:36tel que l'a fait François Mitterrand,
01:12:38avec le recul, maintenant,
01:12:40vous qui représentez la plus jeune génération.
01:12:43Ca dépend de quoi on parle.
01:12:45Je trouve que dans le film, il y a beaucoup mis l'accent
01:12:48sur le fait qu'avec la proportionnelle intégrale,
01:12:51en 1986, il donne quasiment les clés du pays O.R.N.,
01:12:54au FN de l'époque. Ca mériterait d'être analysé
01:12:57de manière un peu plus large.
01:12:59Il fait rentrer le FN dans la bergerie.
01:13:01Je ne suis pas sûre qu'il n'y ait que ce facteur-là
01:13:04qui fasse monter le Front national.
01:13:06C'est dit de manière caricaturale.
01:13:08Sur le cynisme, on peut le voir comme un stratège.
01:13:11Je ne parle pas de toute la façon
01:13:13qui est très bien décrite dans le film,
01:13:15sur les écoutes de l'Elysée, le mensonge qui ne serait pas possible
01:13:19aujourd'hui sur la maladie du président,
01:13:21la double vie aux frais de la République.
01:13:23Tout ça n'est pas d'une grande modernité.
01:13:25Il ne serait plus possible.
01:13:27Les successeurs, les socialistes qui ont été au pouvoir après,
01:13:30ont beaucoup fait des lois de moralisation,
01:13:33de l'avis politique.
01:13:34Moi, c'est plus sur la verticalité et l'incarnation
01:13:37qu'il devrait inspirer les socialistes d'aujourd'hui.
01:13:40Je pense que c'est parce qu'il vient de la droite
01:13:42qu'il est comme ça.
01:13:43Parce que la gauche, intellectuellement,
01:13:45dans son histoire, est beaucoup plus collective.
01:13:48Je ne sais plus si c'est Jacques Attalé
01:13:50ou certains de l'époque l'appelaient quand même Dieu, le sphinx.
01:13:54Moi, je trouve que ça, dans la cinquième telle qu'elle est aujourd'hui,
01:13:58c'est très utile, en fait, en politique,
01:14:00d'être au-dessus, de faire peur, d'inspirer la crainte,
01:14:04d'être un leader, en fait.
01:14:06Et ça, on ne le voit plus beaucoup, en fait,
01:14:08aujourd'hui, dans le paysage à gauche.
01:14:10Baris Allaud ?
01:14:11Je pense qu'on ne le voit plus beaucoup dans le paysage
01:14:14parce que ça ne correspond plus à l'esprit de l'époque.
01:14:17Moi, j'ai tendance à considérer
01:14:19que le XXe siècle s'achève avec lui
01:14:21et que le XXIe commence après lui,
01:14:23y compris dans la façon de faire de la politique.
01:14:26Ce qui est intéressant dans le documentaire,
01:14:28c'est qu'au fond, les commentaires...
01:14:30Il y a beaucoup de choses qu'on ne pourrait plus revoir
01:14:34dans la manière d'exercer la politique.
01:14:36Je n'en nourris pas de regrets
01:14:38comme pourrait laisser penser Astrid de Villene.
01:14:41D'accord.
01:14:42Je pense vraiment que...
01:14:44Je voulais juste, dans le document,
01:14:46au fond, ceux des journalistes
01:14:48qui ont eu à chroniquer cette part sombre
01:14:51n'en demeurent pas moins dans un état de fascination,
01:14:54d'admiration, parce que je crois qu'à cette époque,
01:14:57peut-être le cynisme,
01:14:59j'allais dire exercé en politique avec une forme de maestria,
01:15:03suscite l'admiration.
01:15:05On est quand même égonflés.
01:15:07Moi, je dois dire qu'aujourd'hui,
01:15:09ce n'est pas le rapport que l'on a à la politique.
01:15:12Et puis, il y a presque une incarnation
01:15:15de ce que l'on pourrait dire, et lui-même le dit,
01:15:18la monarchie présidentielle,
01:15:20qui me paraît ne plus avoir sa place aujourd'hui,
01:15:23ne plus être admise par les Français,
01:15:26l'unilatéralité de l'exercice du pouvoir.
01:15:32Cette figure, en effet, tutélaire...
01:15:35Moi, je ne suis pas certain qu'on doit aujourd'hui,
01:15:38y compris dans la reconstitution de la gauche,
01:15:41être à la recherche du chef suprême.
01:15:44C'est une autre façon, à mon avis,
01:15:47d'appréhender la politique.
01:15:49Vous revenez aux racines de la culture...
01:15:52C'est-à-dire qu'il ne faut jamais mettre en avant un individu.
01:15:56Il faut mettre en avant un collectif.
01:15:59La stricte de Voulaine vous dit qu'il a trouvé la formule
01:16:03pour gagner, en fait.
01:16:05Pour être assez clair, je veux sortir de la Ve République.
01:16:09Je veux sortir de cette figure présidentielle,
01:16:12de cette monarchie républicaine qu'on a souvent décrite
01:16:16et qu'Emmanuel Macron a portée, je crois,
01:16:21au pire de ce qu'il peut produire.
01:16:24Je suis à la fois dans la recherche d'un collectif,
01:16:28dans un exercice qui doit être un exercice parlementaire du pouvoir
01:16:32et qui, de fait, est un rebours de la Ve République,
01:16:35telle qu'elle a pu s'exercer sous François Mitterrand,
01:16:38jusqu'au moment où il n'y a plus de majorité absolue
01:16:41à l'Assemblée nationale.
01:16:43D'ailleurs, si je peux poursuivre ce que vous disiez,
01:16:47Boris Vallaud, puisque nous évoquions
01:16:50Jean-Luc Mélenchon tout à l'heure,
01:16:52je pense qu'une des sources de la fascination
01:16:55de Jean-Luc Mélenchon pour Mitterrand,
01:16:58est précisément ce sens de l'incarnation.
01:17:02Il pense, et je crois, comme vous, Boris Vallaud,
01:17:06que c'est une erreur, je crois que nos temps sont
01:17:09beaucoup plus démocratiques que ceux
01:17:13où Mitterrand régnait, j'allais dire,
01:17:16et Jean-Luc Mélenchon, on le voit bien,
01:17:20est fasciné par cette autorité,
01:17:23cette violence, même.
01:17:25Il y a une scène tout à fait fascinante dans le film,
01:17:28face à ces journalistes belges, qu'il renvoie,
01:17:31et il se trouve que Jean...
01:17:33C'est la question des écoutes téléphoniques.
01:17:36Récemment, hier ou avant-hier,
01:17:38Mélenchon s'est trouvé face à un de vos confrères
01:17:41à peu près dans la même posture.
01:17:43En ayant vu les deux scènes, l'une après l'autre,
01:17:47j'étais absolument frappé
01:17:49de cette communauté de jeux politiques.
01:17:54Et puis l'autre, qui va avec, d'ailleurs,
01:17:57le rayonnement de Mitterrand,
01:18:00et qui doit fasciner aussi Jean-Luc Mélenchon,
01:18:03parce qu'authentiquement, il en est,
01:18:06l'homme de culture, et c'est d'ailleurs...
01:18:09C'est peut-être la limite que je mettrais
01:18:12à notre position, Boris Vallaud et moi.
01:18:15Ce qui me frappe beaucoup,
01:18:17c'est que la personnalité de Jean-Luc Mélenchon,
01:18:20comme autrefois celle de François Mitterrand,
01:18:23avait un certain succès auprès de la jeunesse.
01:18:26C'est-à-dire que, justement, des hommes de culture,
01:18:29avec un lexique très riche,
01:18:31des références parfois un peu obscures,
01:18:34arrivaient à capter, tout de même,
01:18:36une partie de la jeunesse,
01:18:38alors qu'ils sont vieux.
01:18:40Mitterrand était vieux,
01:18:42comme Jean-Luc Mélenchon est vieux, d'une certaine façon.
01:18:45Là, l'histoire est toujours ainsi,
01:18:47faite de tensions et de contradictions,
01:18:50mais il faut en avoir conscience.
01:18:52Globalement, je pense que Boris Vallaud a raison.
01:18:55Mitterrand, c'est un autre âge que le nôtre.
01:18:58Il avait fait une promesse aux Français,
01:19:01la rupture avec le capitalisme.
01:19:03Il a d'abord fait aux militants socialistes
01:19:06cette promesse, épiné,
01:19:08et ce qui l'a pas beaucoup déçu, les Français.
01:19:11Il a beaucoup promis,
01:19:13mais l'électorat populaire en est revenu de ces promesses.
01:19:17Il l'a fait payer à la gauche, électoralement.
01:19:20C'est l'histoire de la gauche au pouvoir
01:19:23que, de ce fois, a reproché ces trahisons.
01:19:26Et Léon Blum, on en a souvent parlé ensemble,
01:19:29au moment même des grandes conquêtes sociales
01:19:32du Front populaire, est l'objet
01:19:34des plus violentes critiques en trahison.
01:19:37Donc, j'allais dire, c'est quelque chose
01:19:40d'assez, en effet, habituel.
01:19:43Ce dont je suis convaincu, c'est qu'il y a eu,
01:19:46quand même, dans la geste mitterrandienne
01:19:50des acquis considérables,
01:19:52sur la cinquième semaine de congés payés,
01:19:55sur la retraite à 60 ans,
01:19:57sur l'augmentation du SMIC,
01:19:59l'augmentation des minimas sociaux,
01:20:02sur les politiques culturelles.
01:20:04Les lois au roue.
01:20:06Et je trouve qu'il serait assez peu honnête,
01:20:09et en tout cas, une forme d'injustice,
01:20:12de conclure de façon définitive à la trahison
01:20:15qu'il se soit heurté au réel,
01:20:17dans son ascension vers l'idéal,
01:20:19ça, c'est assez manifeste.
01:20:21Ce qui manque, sans doute, aujourd'hui,
01:20:24aux socialistes et à la gauche,
01:20:26c'est ce que j'appelle
01:20:28cette geste de la rupture.
01:20:30Avec quoi avons-nous envie de rompre,
01:20:32aujourd'hui, un monde devenu invivable
01:20:34du fait des inégalités et inhabitable
01:20:36du fait du réchauffement climatique ?
01:20:38Mais on a une difficulté supplémentaire
01:20:40compte tenu de ce qu'est notre sociologie électorale.
01:20:43C'est que nous ne pouvons pas,
01:20:45dans les élections législatives,
01:20:47avec un rassemblement national à 45 %,
01:20:49dans les circonscriptions...
01:20:51Je me suis dit, finalement, nous, les socialistes,
01:20:54qui voulons rompre avec l'ordre établi,
01:20:57est-ce que nous ne sommes pas, d'une certaine manière,
01:21:00devenus, nous-mêmes, pour une part,
01:21:02l'incarnation de cet ordre établi ?
01:21:04Donc, tout le défi qui nous est fait,
01:21:06c'est de, d'une certaine manière,
01:21:08retrouver le chemin des classes populaires,
01:21:10cette langue commune, redevenir un parti travailliste,
01:21:13un parti des travailleurs,
01:21:14c'est-à-dire mettre au coeur de nos vies et de la société
01:21:17la question du travail.
01:21:19Et vous voyez bien, cette espèce de...
01:21:21Il ne faut pas céder à la facilité
01:21:24de vouloir...
01:21:25Des promesses du grand soir
01:21:27qui, parfois, font les petits matins blêmes.
01:21:30Je pense qu'il y a aussi quelque chose
01:21:32qu'on voit, plus on voit de présidents défilés,
01:21:35c'est la déception, une fois arrivé au pouvoir.
01:21:37C'est pour ça que je préfère la conquête,
01:21:39parce que c'est toujours plus amusant
01:21:41et ça fait rêver tout le monde.
01:21:42Une fois au pouvoir, beaucoup de gens sont déçus,
01:21:44peu importe les étiquettes politiques.
01:21:46On se souvient de la fin du quinquennat de Chirac,
01:21:48c'était quand même très difficile pour lui,
01:21:50avec un Sarkozy qu'il traitait de roi fainéant.
01:21:52Une fin de quinquennat de Nicolas Sarkozy
01:21:54qui se termine très mal avec une défaite cinglante.
01:21:56Une fin de quinquennat de François Hollande,
01:21:58dramatique, dans laquelle il ne peut même pas se représenter.
01:22:01En revanche, une fois que les présidents partent,
01:22:03tout d'un coup, les Français les adorent
01:22:05et se souviennent que des bonnes choses.
01:22:07C'est ça aussi que je retiens de François Mitterrand,
01:22:09son tonton, c'est un peu le président de la République
01:22:11qu'on a eu dans ces années-là, les radios libres,
01:22:13et donc qui, en un sens comme tous les autres,
01:22:16unissent à un moment la nation.
01:22:18Et ce que je trouve très intéressant dans le documentaire,
01:22:21c'est la façon dont il choisit Jacques Chirac
01:22:23face à Édouard Balladur, ça, c'est très bien mis en scène.
01:22:26Et je trouve qu'il y a quelque chose,
01:22:28sous la cinquième récente,
01:22:29qu'ils se reconnaissent entre eux, les présidents de la République,
01:22:32peu importe leurs étiquettes.
01:22:33Je ne sais pas si vous vous souvenez de Jacques Chirac,
01:22:36en 2011, qui adoube, en un sens, François Hollande,
01:22:39alors même que les conseillers de Jacques Chirac,
01:22:42à ce moment-là, sont très mal à l'aise
01:22:44que des caméras aient pu capter Je voterai pour François Hollande.
01:22:47Et Chirac, lui-même, venait aussi, sans doute,
01:22:49plus de la gauche que de la droite
01:22:51et pourtant a été un président de droite.
01:22:53Donc, en fait, il y a une forme de continuité aussi, je trouve,
01:22:56jusqu'à, sans doute, Emmanuel Macron.
01:22:58Il avait désigné un héritier, François Mitterrand.
01:23:01C'est vrai qu'en 95, certains disent
01:23:03qu'il a peut-être plus aidé Chirac,
01:23:05c'est peut-être aussi ce que laisse entendre ce film
01:23:08que Lionel Jospin, par exemple.
01:23:10Certainement pas Lionel Jospin,
01:23:12et je pense que c'est un peu suggéré dans le film.
01:23:15Ca, c'est entré dans la psychologie des acteurs politiques,
01:23:18que je dis devant Boris Vallaud.
01:23:20Savoir ce qu'un homme politique a dans la tête,
01:23:23c'est un défi que je me refuse de relever.
01:23:26Les hommes politiques sont pris dans de telles dynamiques
01:23:30et de tels jeux d'intérêts
01:23:32qu'ils doivent en permanence naviguer et composer
01:23:35avec ce qui leur reste de conviction.
01:23:37Il aurait pu mettre l'un des siens sur orbite
01:23:40pour cette présidentielle de 95, mais il ne l'a pas fait.
01:23:43Pourquoi ? Est-ce que c'est de la vanité ?
01:23:46Il a un rapport à l'histoire, tout de même,
01:23:49incontestablement affiché. Je ne sais pas ce qu'il pensait,
01:23:52mais ce qu'il dit, la fameuse formule
01:23:55je ne vous quitterai pas lors de ces derniers voeux,
01:23:58c'est assez hallucinant, d'ailleurs,
01:24:01comme représentation de soi-même.
01:24:04Je ne vous quitterai pas, je crois aux forces de l'esprit.
01:24:07-"Les fameuses forces de l'esprit".
01:24:09La référence aux forces de l'esprit.
01:24:11Ce qui est, pour un homme de gauche,
01:24:13pas, disons, la formule la plus évidente.
01:24:16Elle peut surprendre.
01:24:18D'autant plus que lui s'était toujours méfié
01:24:21de tout ce qui était religieux avec le politique.
01:24:24C'est une des origines de son hostilité
01:24:27ou de sa méfiance à l'égard de Michel Rocard,
01:24:31protestant, et peut-être même de Lionel Jospin,
01:24:34puisque vous posez la question aussi, protestant aussi.
01:24:38Peut-être se méfie-t-il de ces gens-là,
01:24:41avec un peu de moraline dans leurs discours,
01:24:44mais non, il n'y a pas d'autres dauphins.
01:24:48Laurent Fabius aurait pu l'être, mais il ne l'est plus.
01:24:51Donc, il laisse derrière lui,
01:24:53et c'est peut-être une question qu'on pourrait poser,
01:24:56il laisse derrière lui un grand vide politique
01:25:00à l'intérieur du socialisme français,
01:25:02et peut-être ce grand vide politique
01:25:05est toujours à remplir depuis 30 ans.
01:25:07Merci, un grand merci à tous les trois
01:25:10d'avoir participé à ce Débadoc aujourd'hui,
01:25:13après ce documentaire signé par William Carel,
01:25:16ce portrait de François Mitterrand.
01:25:18Merci aussi à Félicité Gavalda,
01:25:20Yasmine Benaïssa, qui m'ont aidée,
01:25:22comme à l'accoutumée, à préparer cette émission.
01:25:25Vos réactions, ce sera sur hashtag Débadoc.
01:25:28J'espère que vous serez là pour réagir à ces réactions.
01:25:32Prochain Débadoc, même place, même heure,
01:25:35avec son documentaire et son débat. A très bientôt.
01:25:39SOUS-TITRAGE ST' 501

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