C'est un homme qui a créé un courant à son nom, une figure incontournable du paysage politique des années 1950 mais aujourd'hui assez méconnu... Qui était Pierre Poujade, l'homme qui a donné naissance à ce qu'on appelle « le poujadisme » ? Pourquoi ce terme continue-t-il encore d'être régulièrement utilisé par les observateurs de la vie politique ? Que reste-t-il du poujadisme ? Les parallèles entre hier et aujourd'hui sont-ils judicieux ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Poujade, à l'assaut de la République, signé Didier Sapo et Cédric Grua, un film réalisé à base d'archives précieuses pour savoir qui était Pierre Poujade,
00:11auquel on fait parfois référence dans des débats politiques sans vraiment le connaître.
00:14Film important aussi pour rappeler l'époque trouble et assez violente dans laquelle il a émergé, ce n'est pas sans rappeler notre époque.
00:21En tout cas, on va se poser la question avec nos invités.
00:23Jean-Marc Vessousefort, bienvenue à vous, vous êtes sénateur socialiste du Lot, le Lot d'où est parti le mouvement de Poujade ?
00:29Vous nous direz dans quelle mesure le département et la ville de Saint-Cervé ont été marqués par cette figure que certains qualifieront d'un peu encombrante.
00:36Je précise enfin que vous êtes secrétaire de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
00:41Christophe Bourseiller, bienvenue à vous également, journaliste, écrivain, historien, président de l'Observatoire des extrémismes et des signes émergents.
00:48Auteur de ce livre, La France en colère, avec un S aux éditions du Serre.
00:53Et vous publiez en septembre prochain une biographie de la famille Le Pen et vous parlez notamment de Pierre Poujade.
00:59Annie Colovade, bienvenue, vous êtes sociologue, spécialiste de la droite et de l'extrême droite et notamment de Poujade,
01:05professeure émérite de sciences politiques à l'Université Paris-Nanterre, chercheuse à l'ISP, Institut des sciences sociales du politique.
01:13Frédéric Dhabi, bienvenue, vous êtes directeur général de l'IFOP, Institut de sondage, auteur avec Brice Socol de Parlons-nous tous la même langue ?
01:21Comment les imaginaires transforment la France aux éditions de l'Aube,
01:25ouvrage qui a reçu au Sénat le prix Edgar Ford, l'œuvre engagée en septembre 2024, bravo.
01:31Avant d'aller vers des parallèles avec l'époque que nous vivons, avant même d'aller vers des comparaisons avec des hommes politiques
01:37que nous connaissons bien aujourd'hui, je voudrais qu'on s'arrête sur ce que dit ce film de Pierre Poujade,
01:42une comète entrée par effraction sur la scène publique passée en quelques mois d'illustres inconnus à meneurs d'hommes.
01:49Tout cela est-il juste, Christophe Bourseiller ? C'est vrai qu'il y a eu une entrée fracassante de Pierre Poujade dans le monde politique,
01:55il y est entré comme il en est sorti, d'ailleurs aussi vite.
01:57Oui, oui, c'est vrai, c'est souvent le principe des phénomènes populistes, des émergences populistes,
02:01vous avez un leader charismatique venu de nulle part, qui ne fait surtout pas partie de ce qu'on appelle entre guillemets le système,
02:07qui n'est pas quelqu'un qui vient du monde politique et qui va tout à coup, parce qu'il a du bagout, parce qu'il a du culot, comme Pierre Poujade, émerger.
02:14Après, toute la difficulté, bien sûr, c'est de se prolonger, ce que Poujade ne réussira pas à faire, parce qu'il n'en sera pas au niveau, en réalité,
02:22car quand vous regardez Pierre Poujade, vous vous apercevez qu'il a l'étoffe d'un leader syndical des petits commerçants,
02:27mais pas vraiment l'étoffe d'un leader politique, et c'est peut-être là que tout se joue.
02:31Nicolas Valls, vous êtes d'accord, ça a été une entrée fulgurante ?
02:34Oui, tout à fait, ça a été en fait à la surprise générale, on ne s'attendait absolument pas à l'émergence de l'UDCA,
02:41ce mouvement de petits commerçants et artisans, surtout que toute l'époque était organisée autour d'un discours sur la faim, justement,
02:51de ces petites entreprises, et plutôt les grandes entreprises, et donc ils étaient vus vraiment comme voués à disparaître,
02:59et donc ils n'étaient absolument pas attendus.
03:03Et puis il y a tout un, on appellerait ça un storytelling, aujourd'hui, Frédéric Dhabi, c'est le petit papetier de s'en serrer,
03:10un très bon storytelling d'ailleurs.
03:12Ah oui, il est très intéressant, c'est une sorte d'ascension irrésistible assez rapide, c'est une comète qu'on peut dater de 54 à 58,
03:22alors on le voit après, dans les années 70, quand il prend la parole, quand il dit « je suis le seul représentant d'un isme qui est toujours vivant »,
03:31mais c'est vrai qu'on a des choses qui sont très modernes et qu'on voit en politique ou dans le mouvement syndical,
03:37ce que j'appelle la proximité identificatoire, quelqu'un qui nous ressemble, qui vient de notre milieu, en l'occurrence les artisans et les commerçants,
03:46qu'on pousse et qui va devenir notre représentant, on voit des choses très intéressantes, la défense des petits,
03:53Pierre Bienbaume depuis longtemps avait travaillé sur le clivage gros-petit, c'est-à-dire qu'on retrouve encore aujourd'hui,
03:58mais j'anticipe peut-être la suite du débat, c'est-à-dire que tout ce que le mouvement se bat, s'érige, s'édifie contre les gros qui nous attaquent, qui nous martyrisent,
04:09et puis ce qui est très intéressant, c'est ce documentaire, cette France quand même de l'après-guerre, qui sort de la guerre,
04:16les tickets de rationnement s'arrêtent en 48 ou en 49, on est dans 53-54, le passage du petit commerçant au progrès, de l'artisan à la grande distribution,
04:27toute une série de fractures, et il a pu profiter de ça.
04:30J'ajouterais peut-être une petite chose, c'est qu'il y avait un mouvement en Italie assez comparable dans la même période,
04:35qui s'appelait l'Omocoalunque, l'homme quelconque, vous voyez, c'est la même idée, nous sommes des gens quelconques,
04:41et c'est les gens quelconques qui enfin se font entendre, etc.
04:44Le représentant de monsieur et madame Tout-le-Monde, et c'est né sur vos terres, Jean-Marc Bessousseur,
04:47ce qui peut sembler paradoxal, une terre historiquement de gauche, est-ce que c'est une figure encombrante pour le Lot ?
04:53En tout cas, il y a plusieurs explications à ce phénomène.
04:56Le premier, c'est d'abord la situation du Lot à ce moment-là, une inquiétude vis-à-vis de l'avenir,
05:03des petites exploitations agricoles plutôt de subsistance, et donc il y a ce terreau-là.
05:09Certains historiens disent aussi que ce territoire, jusqu'en 1738, faisait partie de la Vicomté de Turène,
05:15et que par rapport au pouvoir royal, ils avaient des avantages fiscaux importants.
05:19On finit à partir de 1738, et donc la fiscalité est quasiment décuplée,
05:25et il y a, jusqu'à ce mouvement de 1953, en 1820 et en 1930, des mouvements d'opposition à la fiscalité,
05:35donc ça ne part pas de rien.
05:37Mais la vérité, c'est que ce qui fait que ce mouvement se développe, c'est la personnalité de Poujade,
05:43enfant du pays, bien connu, qui n'est pas à l'initiative au départ de cette opposition au contrôle fiscal,
05:49mais qui rapidement s'impose et ensuite va créer l'UDCA,
05:53et c'est vrai que ce mouvement se crée autour de la personnalité de Poujade, de sa capacité à s'exprimer.
05:59D'ailleurs, au moment de sa disparition, le titre de la dépêche locale, c'était Poujade, il savait parler.
06:06Et on a longtemps dit libraire, alors que vous dites non, il était papetier, ce qui n'est pas tout à fait pareil.
06:11Il avait une tapeterie.
06:12Il était effectivement papetier, et c'est vrai qu'il y a encore aujourd'hui dans ce territoire,
06:17ceux qui ont connu Poujade, l'enfant du pays, qui sont fiers de voir que finalement, il a fait connaître ce territoire.
06:24Vous imaginez, il passait dans les médias, il a fait la une de Paris Match,
06:27et puis ceux qui d'abord s'opposaient à ses idées, vous l'avez dit, on est un département plutôt républicain,
06:32et puis ceux à qui ça a vraiment posé des difficultés derrière.
06:37Donc à chaque fois d'ailleurs qu'il s'agit de saluer la mémoire de Poujade, plus tard,
06:42souvent d'ailleurs la famille qui demandait est-ce qu'une rue porte le nom de Poujade,
06:46ou lui-même qui contacte le maire à l'époque pour fêter les 50 ans de l'UDCA,
06:52bon, le maire est un petit peu embêté, il fait quelque chose,
06:56et puis derrière, la population s'oppose, ça peut créer des tensions dans le conseil municipal.
07:01Oui, pour certains, ça a été un poids, et la vérité, c'est qu'aujourd'hui, il n'en reste pas grand-chose.
07:08– Mais il y a quelque chose que le documentaire ne dit pas, Frédéric Daby,
07:11c'est qui votait pour Pierre Poujade ?
07:13Est-ce que ce sont des gens qui votaient d'abord à gauche, plutôt à droite,
07:16ou des gens qui ne votaient pas ? Est-ce qu'il a déplacé des gens dans les urnes ?
07:19– Je pense qu'il a réussi, quand on perce comme ça,
07:21on est quand même sur quelque chose d'absolument inédit,
07:24quelqu'un à la tête d'un mouvement social, d'un syndicat, d'une union, cette UDCA,
07:30qui arrive à percer électoralement.
07:33Si je fais un parallèle audacieux, rappelez-vous les gilets jaunes,
07:37qui ont essayé de s'ériger et de peser électoralement aux européennes de 2019,
07:42c'est entre 1 et 1,5%, partagé avec trois listes, si je ne me trompe pas.
07:47Là, c'est vrai qu'il dit dans des discours, on le voit dans le documentaire,
07:52qu'il arrive à rassembler les petits, les petits employés,
07:55les petits agriculteurs, les artisans, les commerçants.
07:59Alors, j'ai retrouvé des vieilles enquêtes IFOP,
08:02parce qu'on joue cette carte de l'antériorité,
08:04comme on est le premier institut français, créé en 1938,
08:07et il y a quelques éléments sur, pas sa sociologie électorale,
08:11je n'ai pas retrouvé des choses sur les élections de janvier 1956,
08:14mais sur les gens qui soutenaient le mouvement,
08:17effectivement, on trouve cette sociologie-là très peu,
08:19on va dire, de bourgeois, de cadres ou de professions intellectuelles supérieures,
08:23et plutôt, oui, ce qu'on appelle ces petits, ces personnes
08:26qui étaient plutôt bouleversées par les mutations...
08:29Mais qui ne votaient pas avant ?
08:31Ça, je ne peux pas vous donner la réponse,
08:33et puis on était sur une tradition électorale qui avait été arrêtée pendant la guerre.
08:36Et c'est clairement un mouvement à droite,
08:38parce que quand on regarde le soutien à l'égard de l'UDCA,
08:41il est très faible au Parti communiste et extrêmement faible également à la SFIO.
08:45Quand on se focalise sur la politique, à juste titre,
08:48il y a quand même 52 élus en 1956,
08:52mais dans le champ syndical de patronat,
08:56il a fait aussi une très forte réussite,
08:59et il a emmené l'UDCA...
09:02Quand je dis lui, c'est un peu embêtant,
09:04parce qu'on se focalise sur Poujade, à juste titre,
09:06il l'a représenté, il n'était pas seul.
09:08Et il y a eu des tensions très fortes au sein de l'UDCA,
09:12avec des dissensions...
09:14Donc son charisme était un charisme relativement faible.
09:18Il n'arrivait pas à imposer l'ensemble de ses vues.
09:22Ce qui est intéressant, c'est qu'aux élections du 2 janvier 1956,
09:26il ne fait pas un bon résultat dans le Lot,
09:29puisque son score est inférieur au résultat national.
09:32Alors que dans les départements voisins,
09:35il fait 18 % dans le Lot-et-Garonne,
09:38il fait 23 % dans l'Aveyron,
09:41et nous, dans le département du Lot, il fait autour de 11 %.
09:44C'est fou, parce que c'est de là qu'il part,
09:46mais finalement, ce n'est pas là qu'il convainc.
09:48C'est peut-être que, d'ores et déjà,
09:50c'est interrogé sur sa personnalité.
09:52– En revanche, ce qui est incroyable avec ce documentaire,
09:54c'est que je pense que plein de gens vont découvrir
09:56ou redécouvrir le visage de Pierre Poujade,
09:58on connaît plus le Poujadisme que Poujade lui-même,
10:00Christian Bourseiller.
10:01– Absolument, mais Poujade, en fait, il y a deux visages,
10:04parce que vous avez le visage de l'UDCA,
10:06l'Union de défense des commerçants et des artisans,
10:08qui donc va lancer le Poujadisme,
10:10puis ensuite la création d'un grand parti
10:12qui s'appelle l'Union et Fraternité Française,
10:14qui va rassembler toutes les couches de la population.
10:16C'est à ce moment-là qu'il va s'adjoindre Jean-Marie Le Pen
10:18et beaucoup d'autres qui vont participer à ça.
10:20Et là, le discours change d'une certaine façon,
10:22parce que tant qu'il est UDCA,
10:24alors c'est nos impôts, il y en a marre,
10:26il y a trop d'impôts, on n'en peut plus, etc.
10:28Mais ensuite, ça devient sortez les sortants, pendez-les,
10:32les politiciens sont tous des pourris.
10:34Il y a vraiment une évolution extrêmement violente du discours.
10:38La campagne électorale de Poujade en 1956,
10:40pour cette fameuse élection,
10:42c'est d'une violence invraisemblable.
10:44Avec des diatribes homophobes, par exemple,
10:46Camus, Sartre, c'est tous des pédérastes.
10:48Pendez-les, fusillez-les, justice militaire.
10:52On est vraiment dans des diatribes,
10:54mais je crois qu'aujourd'hui un parti populiste
10:56n'oserait peut-être pas aller à ce point de violence.
10:58Justement, vous faites la transition
11:00avec la deuxième partie vers laquelle je voudrais vous emmener.
11:02On va tenter de définir le Poujadisme,
11:04ce mouvement qu'il a laissé derrière lui
11:06et qui sert encore de référence aujourd'hui
11:08quand il s'agit de qualifier une politique
11:10ou un mouvement, un courant.
11:12Le film rappelle que le Poujadisme,
11:14c'est évidemment un discours antifisque,
11:16c'est même à partir de là qu'il s'est construit,
11:18un discours anti-système,
11:20un discours antisémite
11:22et parfois, effectivement,
11:24un langage extrêmement violent.
11:26Cette archive est très marquante de ce point de vue.
11:28Nos représentants à l'Assemblée,
11:30je dis bien nos représentants,
11:32car ils n'iront pas siéger
11:34pour défendre leurs opinions
11:36ou leurs intérêts,
11:38mais spécifiquement défendre les opinions
11:40et les intérêts de ceux qui les ont mandatés
11:42et en particulier,
11:44faire en sorte que le gouvernement
11:46soit obligé de convoquer
11:48les États généraux. Aussitôt après,
11:50ils donneront leur démission.
11:52S'ils refusent de démissionner,
11:54c'est-à-dire s'ils escroquent,
11:56s'ils trahissent leurs engagements,
11:58ils seront pendus.
12:00C'est la violence du langage
12:02dont vous parliez. Ils seront pendus
12:04à Nicolas Weld. C'est caractéristique
12:06du poujadisme, ça ?
12:08Du poujadisme et de l'époque.
12:10C'était une époque où la lutte politique
12:12était quand même assez violente.
12:14Oui, c'est caractéristique du poujadisme,
12:16en tous les cas de Pierre Poujade.
12:18Quand on regarde les élus,
12:20j'ai plutôt travaillé sur les élus,
12:22ils ne sont pas du tout
12:24à l'image de Pierre Poujade.
12:26Ils essayent de bien travailler à l'Assemblée.
12:28Ils ne sont pas dans ces diatribes
12:30antiparlementaires, violentes, etc.
12:32Au contraire,
12:34on s'opposait à Pierre Poujade
12:36qui ne réussit pas
12:38à imposer ses vues sur eux.
12:40Le poujadisme, c'est particulier.
12:42C'est une étiquette,
12:44un label qui a été inventé
12:46par des adversaires.
12:48C'est le propre de tous les isms.
12:50C'est une étiquette
12:52très injurieuse,
12:54méprisante. Reportez-vous
12:56au dictionnaire, par exemple.
12:58C'est un mouvement à courte vue,
13:00anti-intellectuel.
13:02Pourtant, il l'a revendiqué de son vivant.
13:04Il était heureux qu'on ait parlé du poujadisme.
13:06Non, pas du tout.
13:08Sur le moment,
13:10il attaque,
13:12comme Le Pen,
13:14à un certain moment,
13:16sur l'extrême droite,
13:18le taxe du poujadisme.
13:20C'est plus tard,
13:22quand il va être marginalisé,
13:24qu'il va se référer au poujadisme
13:26en disant que c'est le seul
13:28qui ait laissé son nom à un mouvement.
13:30C'est une forme de dignité.
13:32Mais sur le moment, il n'en était pas heureux.
13:34Il y a un député
13:36poujadiste, Le Pen,
13:38qui lui fait des discours
13:40qui sont aussi violents, voire encore plus violents
13:42que Poujad. Quand Le Pen
13:44est élu le 2 janvier, il y a une campagne
13:46électorale, et dans les meetings
13:48à Paris, puisque c'est à Paris que Le Pen se fait élire,
13:50il y a en général Le Pen qui parle
13:52et Poujad après. Et en fait, ils rivalisent
13:54de violences. C'est-à-dire que c'est aussi
13:56violent l'un que l'autre. C'est pendeler,
13:58fusiller les, tuer tous les pédérastes,
14:00tuer les tous, c'est
14:02incroyablement violent. Et
14:04dans une espèce de surenchère de violences, d'ailleurs,
14:06et Le Pen est élu.
14:08– Oui, on voit d'ailleurs dans le documentaire
14:10l'opposition de Poujad, Edgar Ford
14:12qui dissout l'Assemblée nationale
14:14et on voit effectivement la violence.
14:16C'est intéressant ce que vous dites, qui est
14:18peu connu, parce que les deux incarnations
14:20du mouvement Poujad, bien sûr,
14:22et Le Pen sont dans le discours
14:24violent, sont dans le discours extrêmement
14:26tribunicien, mais pas le
14:28pouvoir tribunicien du Parti communiste,
14:30tribunicien sur vraiment
14:32l'élu est mauvais, sortez
14:34les sortants pendelés, comme ça a été dit.
14:36Et il y a ces députés de base qui ont essayé
14:38de se fondre dans l'Assemblée, alors que le
14:40ton du documentaire, c'est
14:42quasiment fini à partir du
14:442 janvier 56, les brouilles
14:46de plus en plus fortes entre Le Pen et
14:48Poujad. Et c'est vrai qu'on retrouve
14:50ce qu'on se disait au début de notre échange,
14:52au début, vraiment l'opposition entre
14:54les gros et les petits, nous sommes le représentant
14:56pur du peuple. C'est intéressant quand il dit
14:58ils devront démissionner très rapidement,
15:00ça rappelle peut-être la
15:02constituante que veut instaurer Jean-Luc Mélenchon
15:04avec la 6ème République,
15:06ou la manière dont il parle de
15:08ses troupes quand il dit pendelés. Donc ça,
15:10on dit non sur une pratique politique et
15:12un langage qui a plutôt,
15:14on va dire, disparu, même si on n'est pas dans
15:16une période de
15:18grande harmonie, de grande bienveillance
15:20en ce moment dans les deux assemblées. Jean-Marc Bessoussefort,
15:22c'est vrai que vous parlez beaucoup de Le Pen puisque
15:24effectivement il l'a lancé, il a lancé Jean-Marie Le Pen
15:26et de ce fait il y a eu un rapprochement
15:28entre le Poujadisme et le FN puis
15:30l'ERN, est-ce que c'est toujours pertinent ?
15:32Au départ, c'est
15:34d'abord un mouvement populiste, donc on s'oppose
15:36aux élites, à ceux qui paraissent loin,
15:38on remet en cause
15:40le consentement à l'impôt,
15:42et c'est ça qui fait qu'il y a
15:44une adhésion. Puis ensuite, lorsqu'il
15:46commence à côtoyer Le Pen, lorsqu'il a
15:48ce discours colonialiste,
15:50lorsqu'il multiplie
15:52les propos antisémites,
15:54on voit bien que
15:56beaucoup s'éloignent
16:00de Poujad, et puis
16:02surtout la question c'est ce qu'il propose,
16:04c'est-à-dire quand on rentre ensuite
16:06dans la politique, il faut être en capacité
16:08de proposer un programme, de proposer
16:10une vision, et là on s'aperçoit forcément
16:12que ça devient beaucoup plus compliqué,
16:14il devient même d'ailleurs
16:16un peu opportuniste,
16:18puisqu'il se positionne
16:20pour De Gaulle, parce qu'il sent
16:22que peut-être il peut récupérer derrière un ministère,
16:24et puis lorsque De Gaulle ne le prend pas,
16:26derrière il s'oppose au référendum.
16:28Plus tard, c'est d'ailleurs
16:30assez curieux de voir que finalement
16:32après s'être opposé
16:34à Mitterrand, lorsqu'il déministre de l'Intérieur,
16:36qui veut des lois beaucoup plus répressives
16:38contre ceux qui s'opposent au contrôle fiscaux,
16:40il va appeler à voter pour lui,
16:42et il va se retrouver nommé
16:44au Conseil économique et social.
16:46C'est assez caractéristique
16:48d'un mouvement populiste,
16:50qui se crée autour d'une personne,
16:52mais il y a une difficulté derrière de pouvoir
16:54aller plus loin.
16:56En écoutant le début de votre propos, je trouve une petite
16:58filiation entre le Poujadis,
17:00c'est-à-dire le non-consentement à l'impôt
17:02et l'attaque des contrôles fiscaux,
17:04et le discours du FN au moment de la percée,
17:06Paris XXe, au municipal,
17:08DRE et la percée des Européennes,
17:10c'est un Jean-Marie Le Pen
17:12qui est contre l'État,
17:14qui est contre la trop forte présence de l'État.
17:16Donc un rapprochement pertinent, une filiation ?
17:18Oui, contre les impôts,
17:20et son modèle, je parle sous votre contrôle Christophe,
17:22c'est Ronald Reagan,
17:24le gouverneur de Californie,
17:26avant son accession à la Maison Blanche,
17:28qui disait
17:30qu'il jouait le geste à la parole en se serrant la ceinture,
17:32l'État qui pompe notre argent
17:34doit serrer la ceinture.
17:36Et là, il fait lui-même le geste dans une émission
17:38sur Antenne 2, l'ordre de vérité, je crois.
17:40Encore une autre filiation, alors ?
17:42Il faut savoir que Jean-Marie Le Pen s'est inspiré,
17:44vraiment, ça a été comme un laboratoire
17:46pour lui, ce mouvement poujadiste,
17:48s'est inspiré de ce style poujadiste
17:50pour les expériences suivantes,
17:52notamment en 1965,
17:54quand il a soutenu la candidature de Tixier Vignon
17:56au cours aux élections, et puis après,
17:58avec le Front national, qui, pour moi,
18:00est l'héritier direct du poujadisme
18:02dans la dimension populiste,
18:04slogan réducteur, facile,
18:06enfin, tout ce qu'il va lancer à cette époque-là,
18:08on est dans l'héritage absolu.
18:10Je dirais peut-être beaucoup plus que les Gilets jaunes,
18:12dans la mesure où le mouvement des Gilets jaunes
18:14est un mouvement très complexe, avec qui tirait
18:16Ahu et Hadia, qui n'a pas développé de leader,
18:18qui n'a pas su se structurer,
18:20qui n'est pas donc devenu un parti,
18:22alors que le Front national, puis l'ERN, sont en fait
18:24des héritiers de toute une filière populiste
18:26dont le poujadisme est un jalon essentiel.
18:28Mais on emploie plein de mots, là,
18:30poujadisme, populisme, le pénisme,
18:32est-ce que tout ça est lié,
18:34tout ça est bien défini, Anne Nicoloval ?
18:36C'est un peu compliqué,
18:38parce que ce sont des ismes
18:40qui, généralement,
18:42ne renvoient pas à une réalité très très précise.
18:44Par exemple, si on revient
18:46sur Jean-Marie Le Pen et sa première élection
18:48avec les poujadistes,
18:50il reste trois mois chez les poujadistes,
18:52il ne peut rien en faire.
18:54Mais il reste député.
18:56Il se brouille avec les poujadistes,
18:58mais il ne reste plus avec eux.
19:00Il part, et quand on fait un entretien
19:02avec lui, j'en ai fait un,
19:04ça remonta loin,
19:06quand il n'était pas encore Jean-Marie Le Pen
19:08telle qu'il est connue.
19:10Il est axe d'abrutis, etc.
19:12Il n'a rien pu en faire.
19:14C'est-à-dire qu'il espérait,
19:16c'était le propre
19:18de l'extrême droite, essayer de trouver
19:20une troupe avec ce mouvement-là.
19:22Il espérait, en fait,
19:24les manipuler, et il ne réussit pas
19:26à les manipuler, encore une fois.
19:28Les députés UFF
19:30ne suivent absolument pas
19:32le discours de Poujane
19:34et sûrement pas l'extrême droite.
19:36Quand on fait des entretiens
19:38avec eux, c'est des petits
19:40notables radicaux,
19:44petits élus locaux
19:46qui veulent bien faire et qui sont
19:48ni droite ni gauche, ils ne savent pas trop.
19:50Quand on regarde les débats
19:52à l'Assemblée pour qui ils votent, par exemple,
19:54ils votent aussi bien avec le Parti communiste
19:56qu'avec la droite et l'extrême droite
19:58au grand dame
20:00de Jean-Marie Le Pen,
20:02on ne peut plus.
20:04Faire une filiation, là,
20:06je ne vois pas trop.
20:08En plus, le populisme
20:10a changé de définition dans le cours
20:12du temps, donc on ne sait pas trop
20:14exactement ce que ça veut dire.
20:16On peut définir le populisme comme un style politique
20:18qu'on peut adopter, quelle que soit sa couleur politique,
20:20qui se résume à quelques traits, comme un leader charismatique,
20:22des slogans démagogiques,
20:24et la mise en avant du peuple contre les élites.
20:26En gros, c'est ça.
20:28De ce point de vue-là, c'est vrai que les populistes sont des gens
20:30qui, souvent, n'ont pas vraiment d'idée
20:32dans la mesure où ce qui leur fait peur, c'est le monde nouveau,
20:34comme les petits commerçants qui avaient peur des supermarchés,
20:36d'un monde qui changeait plus vite qu'eux, etc.
20:38Une forme d'errance politique, en fait.
20:40Une forme d'errance politique avec des gens qui sont plus des doctrinaires,
20:42comme Le Pen, effectivement, qui ont plus, lui,
20:44des idées de droite affirmées,
20:46et qui veulent utiliser ce mouvement
20:48pour faire avancer leurs idées, effectivement.
20:50C'est pour ça que Le Pen, en fait,
20:52si vous voyez, il est avec Poujade pendant quelques mois,
20:54effectivement, il est propulsé par Poujade
20:56à l'Assemblée, et puis ensuite,
20:58il y a une querelle d'égo, et puis surtout,
21:00Le Pen va aller combattre en Algérie,
21:02va aller torturer, etc., en Algérie.
21:04Et à partir de là, en fait, Poujade,
21:06il n'est pas chaud pour défendre l'Algérie française.
21:08Contrairement à ce que dit le documentaire,
21:10il y a un petit moment où il défend l'Algérie, mais enfin,
21:12en gros, Poujade, ça l'embête, parce que lui,
21:14il veut se concentrer sur les petits commerçants, les artisans.
21:16Et Le Pen trouve ça odieux, parce que lui,
21:18il est le grand type de l'Algérie française,
21:20il part trois mois, quand il revient, il se fâche
21:22avec Poujade, et à ce moment-là, il devient,
21:24avec quelques amis à lui, son 5-6 députés non inscrits,
21:28qui vont faire un tapage à l'Assemblée,
21:30un rafut absolument invraisemblable,
21:32prenant d'assaut la tribune, enfin bon, etc.,
21:34pendant un certain temps,
21:36puis après, évidemment, il va être balayé,
21:38parce qu'il n'aura plus, justement,
21:40de formation politique pour le soutenir.
21:42– Et aujourd'hui, on voit un héritier à Poujade,
21:44puisque vous avez parlé de Jean-Marie Le Pen,
21:46mais en l'occurrence, maintenant, c'est Marine Le Pen
21:48qui est à la tête du rassemblement.
21:50– Oui, je pense qu'on n'est plus du tout dans une filiation
21:52avec Marine Le Pen, déjà, ne serait-ce que ce qu'est
21:54l'ERN aujourd'hui, qui est, il faut le dire,
21:56un parti de masse, si je prends le premier tour
21:58des législatives, ou les élections européennes,
22:00la séquence électorale la plus récente,
22:02quand ce parti arrive en tête
22:04chez les retraités, comme c'est arrivé
22:06aux élections européennes, quand son moins bon score,
22:08c'est 18-20% chez les cadres supérieurs,
22:10c'est un parti attrape-tout,
22:12c'est le parti de la France du Travail,
22:14maintenant, les 35-49 ans,
22:16les salariés,
22:18les catégories aussi,
22:20les catégories charnières qui voient l'avenir
22:22avec inquiétude, les 50-64 ans
22:24qui aident leurs enfants, qui sont aidants
22:26pour leurs parents, qui voient la réforme des retraites
22:28s'appliquer à eux, c'est-à-dire les petits mais…
22:30– Mais ça reste un vote anti-système,
22:32ça reste un vote quand même
22:34de protestation, de gens qui disent
22:36on va voter en dehors du système.
22:38– Le Jean-Marie, c'est vraiment…
22:40– Le marinisme aussi, je crois, d'une certaine façon.
22:42– Au-delà des idées, quand on voit
22:44la composition, ça brasse tellement
22:46le monde qu'on ne peut plus, à mon avis…
22:48Mais il y a, bien sûr,
22:50il y a des éléments, et puis il y a aussi,
22:52on n'a pas dit, mais le FN du Sud
22:54très branché fiscalité
22:56et le RN du Nord,
22:58du Nord-Est, qui est plus social.
23:00– Jean-Marc Mésosoir ?
23:02– Mais c'est un mouvement populiste
23:04et c'est d'abord un mouvement contre les élites
23:06et c'est intéressant de voir
23:08quelles en sont les racines, d'abord effectivement
23:10la crainte à l'avenir,
23:12le consentement à l'impôt, c'est-à-dire qu'on est
23:14dans un moment où on consente
23:16à l'impôt, mais on a l'impression
23:18d'abord qu'il n'est pas
23:20bien utilisé,
23:22et puis on a l'impression qu'il n'est pas juste.
23:24Et c'est vrai qu'on est dans un moment aussi,
23:26quand on regarde
23:28les diverses études qui montrent l'évolution
23:30de la fiscalité, on a parfois
23:32l'impression que ce sont
23:34les personnes les plus défavorisées aujourd'hui
23:36qui sont les plus soumises à l'impôt en proportion
23:38et qu'il y aurait
23:40une partie de la population, surtout les plus aisées,
23:42qui y échapperait. C'est ce sentiment-là
23:44qui crée cette défiance.
23:46Et puis l'échec aussi, c'est la 4ème République,
23:48l'échec des politiques, cette défiance,
23:50l'impression de ne pas être compris,
23:52moi je vois Edgar Ford quand même
23:54qui dit dans un propos, ces gens-là,
23:56donc il y a quand même une forme aussi de mépris,
23:58ces gens-là ne se sont pas rencontrés,
24:00il n'y a pas d'échange, et donc il y a une défense
24:02qui fait que ce mouvement anti-système,
24:04sortez le sortant,
24:06progresse, et parfois on a l'impression
24:08de le retrouver à d'autres époques, et c'est pas
24:10toujours ce populisme identitaire
24:12qu'on peut retrouver parfois.
24:14Vous avez évoqué d'un mot, Jean-Luc Mélenchon,
24:16mais est-ce que ce rapprochement-là,
24:18avec le peu jadisme, il est très pertinent ?
24:20Dans le phénomène des gilets jaunes, qui est différent,
24:22parce qu'il n'est pas identitaire pour le coup,
24:24mais il est là aussi pour
24:26avoir la parole
24:28au peuple,
24:30à travers le RIC, qui propose justement
24:32sur la fiscalité, de remettre
24:34l'impôt sur la fortune.
24:36Une 6ème République ?
24:38Il propose une 6ème République,
24:40et il a un petit peu
24:42la même chose que les États généraux,
24:44donc ces mouvements populistes
24:46se répètent, et il y a un terreau
24:48qui les favorise, et on peut s'inquiéter
24:50aujourd'hui de la situation telle qu'elle est,
24:52qui peut
24:54permettre de faire progresser les populistes,
24:56et on le voit dans de nombreux pays, y compris
24:58dans des pays démocratiques pas très loin de nous.
25:00On va pousser un petit peu cette question,
25:02parce que ce qui frappe dans ce film, c'est effectivement,
25:04c'est pas seulement Poujade et son mouvement,
25:06c'est aussi l'époque dans laquelle il émerge,
25:08un moment de doute, de crise,
25:10dans une société qui voit déferler
25:12la consommation de masse, l'industrialisation,
25:14l'instabilité gouvernementale
25:16et l'hostilité vis-à-vis du monde politique.
25:18Là aussi, comment ne pas faire des parallèles
25:20avec aujourd'hui ? Regardez.
25:24Le 2 décembre 1955,
25:26Edgar Ford crée la surprise
25:28en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale.
25:32Son objectif ?
25:34Provoquer de nouvelles élections
25:36afin de s'assurer une plus large majorité
25:38dans la future Chambre.
25:42Une manœuvre politicienne,
25:44selon Poujade.
25:46En réalité, une aubaine.
25:48Le gouvernement, pour
25:50devancer cette lame
25:52de fond populaire qui était en train
25:54de se créer, a lui-même
25:56précipité la convocation électorale.
25:58C'est la raison pour laquelle
26:00nous avons pensé qu'il était de notre devoir
26:02d'abandonner
26:04momentanément, je dis bien
26:06momentanément, le plan strictement professionnel
26:08qui était le nôtre
26:10pour nous engager dans la bataille électorale
26:12parlementaire.
26:14Qu'est-ce que c'est troublant de voir ça aujourd'hui,
26:16Anne Nicolovald ?
26:18Instabilité gouvernementale, dissolution des partis
26:20pour lesquels c'est une aubaine,
26:22cette instabilité. C'est vrai que
26:24les rapprochements sont évidents.
26:26C'est très intéressant. C'est un documentaire
26:28qui est très intéressant sur les archives.
26:30Effectivement, comme vous l'avez dit,
26:32ça nous replonge dans une époque...
26:34Alors, crise,
26:36j'en suis pas
26:38vraiment certaine
26:40quand on regarde
26:42un peu ce qui se passe sur le moment.
26:44Bien sûr, il y a une instabilité,
26:46mais ce sont les mêmes qui reviennent au gouvernement.
26:48On a affaire à des professionnels
26:50de la politique.
26:52Edgar Ford en étant l'exemple
26:54le plus illustre.
26:56Il a été plusieurs reprises ministre.
26:58C'est la même chose avec Mitterrand, avec d'autres.
27:00Donc voilà, peut-être une instabilité,
27:02mais quand même dans la continuité,
27:04si l'on peut dire. Et quand on regarde
27:06la confiance, parce qu'on parle de ça
27:08quand on parle de crise, la confiance que peuvent
27:10avoir les gens envers leur gouvernement,
27:12l'abstention
27:14est très, très minoritaire,
27:16il n'y a pas une hostilité.
27:18Ils votent pour les partis politiques qui sont les leurs.
27:20Bon, il n'y a pas
27:22vraiment de crise. Mais par contre,
27:24ce qui est très intéressant là,
27:26c'est qu'on voit que ce sont en fait
27:28les acteurs centraux qui créent la crise.
27:30C'est Edgar Ford
27:32qui dissout, ça nous rappelle
27:34quelque chose là.
27:36Et qui crée
27:38en fait une aubaine inattendue
27:40pour des mouvements qui sont
27:42en fait aux portes. Donc c'est pas
27:44ces mouvements-là qui créent la crise.
27:46Ce sont les acteurs qui sont
27:48au centre du jeu politique
27:50qui, par leur stratégie, leur attitude,
27:52créent la crise.
27:54Ça, je trouve que c'est extrêmement intéressant.
27:56C'est incroyable !
27:58Je pense que plein de gens ont redécouvert
28:00cette époque politique, ça permet presque
28:02de relativiser ce qui se passe aujourd'hui.
28:04Oui, par certains aspects,
28:06ça y ressemble et je suis assez d'accord sur le fait
28:08que c'est les acteurs politiques
28:10qui créent la crise et qui favorisent
28:12l'apparition de ce mouvement. Donc il faut quand même qu'on s'interroge
28:14sur quels remèdes on pourrait utiliser,
28:16notamment sur une fiscalité plus
28:18juste. On va prochainement au Sénat
28:20discuter
28:22de la proposition Zucman
28:24pour savoir si on ne pourrait pas taxer un petit peu
28:26ceux qui paraissent aujourd'hui
28:28plus privilégiés, on va dire.
28:30Il faut s'interroger aussi sur le rapport
28:32qu'on peut avoir avec nos représentants.
28:34Moi, je suis,
28:36pour le coup, un grand défenseur
28:38de la démocratie locale,
28:40qui permet de conserver la démocratie représentative,
28:42mais d'avoir des interlocuteurs,
28:44surtout dans un monde qui va
28:46extrêmement vite, où vous avez besoin de réactivité.
28:48Et donc, il faut s'interroger sur notre
28:50système politique
28:52et on ne peut pas balayer d'un revers de main
28:54ce mouvement boujadiste en disant
28:56c'est scandaleux,
28:58c'est pas normal
29:00ce qui s'est passé.
29:02C'est vrai qu'on voit bien comment rapidement
29:04on essaie d'insister sur le fait,
29:06je me souviens de cette affiche
29:08où on
29:10le renvoie au nazisme,
29:12on le discrédite, le Poujadol,
29:14on le discrédite.
29:16Je pense qu'il faut aussi comprendre
29:18quelles en sont les ressources,
29:20le vote d'adhésion,
29:22pas d'ailleurs toujours sur les idées qui seront développées
29:24par Pierre Poujade,
29:26et il faut qu'on réfléchisse à ça
29:28si on ne veut pas justement que les populismes
29:30arrivent assez rapidement en responsabilité.
29:32Tirer des enseignements.
29:34C'est en ça qu'on est sur une période,
29:36même si une dissolution, ça rappelle ce qui s'est passé
29:38le 9 juin au soir, mais on n'est pas du tout
29:40sur la même époque, on est sur une époque, vous l'avez très bien dit,
29:42de confiance globale
29:44vis-à-vis du politique, parce que l'économie va bien.
29:46Probablement les 30
29:48sont grieuses, même si on voit très bien,
29:50à l'époque,
29:52même s'il y a des territoires
29:54qui sont moins touchés par cette modernité,
29:56il y a la peur de basculer dans
29:58un avenir incertain,
30:00mais il y avait à cette époque, et je suis anachronique
30:02parce que c'est un slogan du PS des années 70,
30:04mais à cette époque, vous croyez encore
30:06que le politique, malgré l'instabilité,
30:08pouvait encore changer la vie, était dans une logique
30:10d'amélioration. Le drame,
30:12maintenant, c'est que les Français n'y croient plus,
30:14ce qui explique une abstention souvent très forte,
30:16et un petit point commun
30:18entre peut-être les gilets jaunes et les électeurs
30:20UDCA,
30:22qui ont voté pour les candidats de Pierre Pouget,
30:24c'est le travail qui paye mal.
30:26L'idée qu'il n'y avait pas de chômage,
30:28à cette époque, il était très faible, mais on ne pouvait pas
30:30vivre de son travail, c'était la principale
30:32revendication qui a amené
30:34des gilets jaunes derrière des remports.
30:36Donc, si je vous entends bien, le rapprochement avec l'époque
30:38connaît des limites, finalement.
30:40Il y a certaines ressemblances, notamment par le fait
30:42que dans les deux cas, comme le RN,
30:44c'est quand même un parti de nature populiste,
30:46qui est fondamentalement tribunicien,
30:48même s'il essaie aujourd'hui de se structurer
30:50dans une dynamique gouvernementale,
30:52et qu'on s'aperçoit que le vote pour le RN,
30:54c'est en grande partie un vote protestataire
30:56de gens qui votent au premier tour,
30:58mais qui au deuxième tour
31:00hésitent à l'envoyer au pouvoir.
31:02Et finalement, le vote pour Pouget,
31:04c'était ça.
31:06C'était les pourris, tous pourris,
31:08envoyons des députés Pouget,
31:10ils disent bon,
31:12finalement, on ne va pas les voter pour eux
31:14la fois d'après, parce qu'ils ont fait le barouf
31:16à l'Assemblée, qu'ils étaient totalement,
31:18comme vous le disiez, chacun
31:20prêché pour sa propre petite paroisse,
31:22et que donc, ça n'avait pas beaucoup de sens.
31:24Donc, vous voyez, on est quand même dans un héritage
31:26assez troublant aujourd'hui, et la question
31:28et l'enjeu du RN aujourd'hui, c'est ça,
31:30c'est que ce parti arrivera
31:32à franchir cette barre, en quelque sorte,
31:34où ceux qui votent de façon protestataire
31:36finiront par passer à un vote d'adhésion.
31:38Ce n'est pas joué encore pour eux.
31:40– Et le fait qu'on soit en transition,
31:42en mutation, avec des inquiétudes,
31:44notamment, là aussi, sur l'arrivée de nouvelles technologies,
31:46on parle beaucoup de l'intelligence artificielle,
31:48là aussi, peut-être un parallèle à faire avec cette époque
31:50qui voyait arriver aussi l'industrialisation,
31:52et ce sera ma dernière question,
31:54est-ce que ce sont des périodes propices
31:56à l'émergence de populisme, pour conclure Annick Oroval ?
32:00– Encore une fois, je suis un peu,
32:02je suis un peu, comment dirais-je, un peu gênée
32:04par ce type de parallèle,
32:06parce que,
32:08dans les années 50,
32:10il n'y avait pas crise.
32:12– Mais il y avait inquiétude, le film le dit beaucoup.
32:14– Il y avait inquiétude,
32:16mais pas cette inquiétude par rapport
32:18à des nouvelles technologies, quand même,
32:20les grandes surfaces, etc,
32:22ça arrive un peu plus tard,
32:2458, 59, c'est pas en 53
32:26quand ces petits artisans
32:28et commerçants se mobilisent,
32:30là, ce qu'ils mobilisent, c'est moins le progrès,
32:32la technologie nouvelle, etc.
32:34– Que la fiscalité.
32:36– Et la manière dont elle est, en fait, exercée.
32:38Il faut se souvenir
32:40que les agents du fisc
32:42font des contrôles
32:44extrêmement violents, quand même.
32:46Ils rentrent chez les gens,
32:48dans la boutique,
32:50les taxes de fraudeurs, etc.
32:52C'est ça, en fait, qui va
32:54susciter l'indignation
32:56de ce petit peuple
32:58qui ne se sent absolument pas
33:00représenté, ni en politique,
33:02ni par le petit patronat.
33:04– Et là, il y a une ressemblance avec les bonnets rouges,
33:06puisque les bonnets rouges,
33:08au départ, en Bretagne,
33:10luttaient contre l'éco-taxe proposée par Ségolène Royal,
33:12et que les gilets jaunes, au départ,
33:14c'est la taxe carbone d'Edouard Philippe
33:16qui les mobilise. Donc, dans tous les cas,
33:18il y a quand même un départ, un démarrage antifiscal.
33:20– Oui, c'est vrai.
33:22Et surtout, c'est vrai, et c'est quelque chose
33:24qui a, comment dire, continué
33:26les deux grandes chutes
33:28de popularité à partir de 2012
33:30de François Hollande.
33:32Septembre 2012, c'est le choc fiscal.
33:34Les 10 milliards, 10 milliards, 10 milliards,
33:36quand on trouve des caisses en difficulté.
33:38Et en 2013, c'est le ras-le-bol fiscal.
33:40Donc, c'est quelque chose
33:42qui a bien survécu au pugilisme.
33:44– Donc, plus la fiscalité
33:46que l'inquiétude, il y a la modernité.
33:48– Oui, ce qui est vrai, c'est qu'on est
33:50dans le même moment de rupture, avec des technologies
33:52qui pourraient arriver demain
33:54et qui vont révolutionner l'emploi,
33:56la façon de vivre.
33:58Essayons de voir un message d'espoir,
34:00si ça peut paraître encore un petit peu naïf.
34:02Dans le Lot, Pierre Poujade,
34:04à l'époque, prédit le pire.
34:06Et finalement, on aura quand même
34:08un progrès avec les Trente Glorieuses.
34:10C'est intéressant d'analyser
34:12l'ouvrage Les Trente Glorieuses de Jean Fourastier
34:14qui part d'une commune du Lot,
34:16d'Ouel, en 1945
34:18et en 1975, et qui voit
34:20à quel point le revenu
34:22médian a augmenté,
34:24le SMIC a augmenté,
34:26qu'il y a une offre de santé qui a progressé.
34:28Aujourd'hui, quand on voit les difficultés,
34:30on peut s'interroger, mais il y a encore,
34:32me semble-t-il, si on est en capacité
34:34de travailler sur les ressorts du populisme,
34:36de rapprocher les citoyens de la population,
34:38de travailler sur le consentement
34:40à l'impôt, de pouvoir faire en sorte
34:42qu'on prenne le bon chemin
34:44et qu'on finisse pas avec
34:46un régime populiste qui n'apporte rien,
34:48on le voit bien. Partout où il a été mis en place,
34:50ça a été terrible derrière,
34:52mais d'essayer de trouver
34:54des solutions pour qu'on donne un espoir
34:56à ce pays, c'est ça
34:58sur lequel nous devons travailler
35:00aujourd'hui, me semble-t-il.
35:02Et c'est sur cette note d'espoir qu'on va s'arrêter.
35:04Merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
35:06Merci à vous deux de nous avoir suivis comme chaque semaine.
35:08Émissions et documentaires à retrouver
35:10en replay sur notre plateforme publicsenat.fr.
35:12À très vite sur Public Sénat. Merci.