Grève de l'impôt, appel à la convocation d'Etats généraux et à l'instauration d'une nouvelle République, pillage de perceptions et attentat contre des bâtiments publics : dans les années 1950, un homme, Pierre Poujade, a réussi de manière fracassante à faire la une de l'actualité en cristallisant autour de lui un vaste mouvement de colère contre la IVe République. Comment ce simple papetier du Lot a-t-il pu dresser une partie de la France contre le pouvoir central parisien ? Comment son mouvement, à l'origine local et antifiscal, est-il devenu une formation politique nationale raflant plus de 50 sièges aux élections législatives de 1956 ? Année de Production :
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00:00Combien de temps faut-il pour qu'une colère se transforme en révolte ?
00:04Une révolte en mouvement social.
00:06Un mouvement social en force politique.
00:12Au milieu des années 50,
00:14un homme est en passe de dresser une partie de la France contre l'État.
00:20Il s'appelle Pierre Poujade
00:22et donna son nom à un mouvement.
00:24Le Poujadisme.
00:26Poujade.
00:28Poujade.
00:30Un illustre inconnu
00:32qui entre 1953 et 1958
00:34fit irruption comme par effraction
00:36sur la scène publique.
00:40Une comète qui déboula dans cette France de l'après-guerre,
00:43alors en plein bouleversement.
00:47Défenseur des artisans et des commerçants contre le fisc.
00:50Parti à l'assaut de la 4ème République.
00:54Poujade.
00:55Un tribun à la gueule sympathique
00:57mais un fort en gueule.
00:59Boxeur et agitateur.
01:01Populaire et populiste.
01:04Poujade.
01:06Le visage d'une certaine France
01:08au cœur des années 50.
01:27L'aventure Poujade commence en plein été
01:30dans le sud-ouest de la France.
01:32Département du Lot.
01:35Une aventure qui débute
01:37comme une chanson.
01:39Il était un petit homme
01:41qui s'appelait Poujade
01:43Mes amis, il s'en fut à la chasse
01:46à la chasse, aux impôts, les polititis
01:49les valententons, les polyvalents
01:51furent tous surpris.
01:53Les feras-tu ?
01:55Les feras-tu ?
01:57Les feras-tu mourir ?
02:09Le 21 juillet 1953,
02:11la paisible commune de Saint-Serré,
02:133000 habitants,
02:15est en effervescence.
02:18Averti de l'imminence d'un contrôle fiscal
02:20chez un de leurs collègues,
02:22un groupe de commerçants décide de s'y opposer.
02:24Mettant ainsi en échec les polyvalents,
02:27ces inspecteurs itinérants
02:29envoyés par l'Etat pour vérifier les comptabilités.
02:37A la tête de cette fronde qui va bientôt prendre une ampleur inattendue,
02:40un homme,
02:42Pierre Poujade,
02:4433 ans,
02:45libraire à Saint-Serré.
02:50Pierre Poujade, dit Pierrot,
02:52un enfant du village au fort tempérament.
02:54Orphelin de père à 6 ans,
02:56c'est un bagarreur,
02:58un amateur de rugby.
03:03Plongé dans la guerre de 1939 à l'âge de 20 ans,
03:06il est d'abord membre d'un mouvement de jeunesse sous Vichy,
03:10puis il rejoint la France libre à Alger
03:12et s'engage dans l'aviation.
03:17C'est là qu'il rencontre sa future femme,
03:19Yvette, infirmière,
03:21avec qui il aura 5 enfants.
03:25A la Libération, il rejoint Saint-Serré
03:27où il s'installe à son compte comme libraire papetier.
03:34Poujade,
03:36un français moyen,
03:37comme il aime à le dire.
03:39En réalité,
03:41une figure charismatique,
03:43au tempérament bouillonnant,
03:45qui va se révéler un véritable meneur.
03:47Fort de ce premier succès
03:49remporté contre les polyvalents,
03:51Poujade commence,
03:53dès l'été 53,
03:55à sillonner son département du Lot.
03:58De salles municipales en champs de foire,
04:00de places de villages en bistrots,
04:02il tente de rallier le plus grand nombre
04:04à sa lutte antifiscale.
04:10Le bouche-à-oreille fonctionne.
04:12Le mouvement qu'il fonde quelques mois plus tard,
04:14l'UDCA,
04:16une union de défense des commerçants et des artisans,
04:18se fait rapidement connaître.
04:20Elle devient un redoutable levier de mobilisation.
04:30La stratégie est simple mais efficace.
04:33Partout où des contrôles fiscaux sont annoncés,
04:35des attroupements se constituent
04:37afin d'empêcher l'intervention des polyvalents,
04:39quitte à utiliser l'intimidation
04:41pour les contraindre à plier bagage.
04:44En s'attaquant ainsi au fonctionnement des services fiscaux,
04:47c'est ni plus ni moins
04:49l'autorité de l'État qui est défiée.
04:53En l'espace d'un an,
04:55le mouvement Poujade organise plus de 200 oppositions
04:57à des contrôles.
05:00D'abord dans le Lot,
05:02puis dans les départements voisins
05:04où le mouvement commence à faire tâche d'huile.
05:08Le mouvement Poujade,
05:10où le mouvement commence à faire tâche d'huile.
05:40Tu as acheté ton rasoir et puis ton vlaireau,
05:42tes draps d'affiches et ton yo-yo.
05:44As-tu déclaré ta belle-mère,
05:46ta bassine noire et ton taillu ?
05:48As-tu déclaré ton salaire ?
05:50As-tu déclaré tes revenus ?
05:54On n'en peut plus !
05:56Les Français sont malades du fisc !
06:00En ce début des années 50,
06:02ce mouvement antifiscal cache un malaise plus profond
06:04au sein du monde des artisans et des commerçants.
06:06À la tête de structures modestes,
06:08ces travailleurs indépendants,
06:10ancrés dans des zones rurales
06:12ou des petites villes,
06:14craignent pour leur avenir.
06:18C'est que la France est en train de prendre
06:20le virage de la modernisation.
06:22Cette entrée dans les fameuses
06:24Trente Glorieuses ne fait que commencer.
06:26Mais elle va bouleverser le visage du pays,
06:28comme un passage brutal
06:30du noir et blanc à la couleur.
06:36Dans cette nouvelle société du progrès technique
06:38et de la consommation de masse,
06:40quelle place pour un certain nombre
06:42de métiers traditionnels ?
06:46La machine ne va-t-elle pas remplacer
06:48le travail manuel ?
06:52La grande distribution laminée à la boutique ?
06:56Le marché de l'artisanat,
06:58le marché de l'artisanat,
07:00le marché de l'artisanat,
07:02le marché de l'artisanat,
07:04le marché de la boutique ?
07:08La modernité fait peur
07:10et nourrit les rancœurs.
07:18Cette agitation fiscale a débuté
07:20dans des départements du centre
07:22qui sont des départements en état de déclin économique.
07:24La question essentielle en France,
07:26c'est que nous commençons à avoir
07:28des régions françaises qui vont devenir
07:30des régions déshéritées.
07:32Des régions dont le flux économique se retire.
07:34Je suis frappé du fait que ce mouvement
07:36de revendication soit arrivé
07:38dans la région la plus arriérée de France.
07:40C'est pas l'évolution économique
07:42qui condamne M. Poujade et les gens de Saint-Cerret.
07:44C'est l'absence d'évolution économique.
07:46C'est le retard économique.
07:56Que faire face à une révolte
07:58qui ne cesse de prendre de l'ampleur ?
08:00Comment réagir
08:02devant ce vent d'insurrection
08:04qui souffle contre l'État ?
08:08Après seulement 8 ans d'existence,
08:10le régime de la 4ème République
08:12est déjà à bout de souffle.
08:14Les gouvernements tombent
08:16les uns après les autres.
08:18Divisés,
08:20la classe politique est discréditée
08:22dans l'opinion.
08:24L'arrivée en juin 1954
08:26de Pierre Mendes France
08:28à la tête du gouvernement
08:30redonne espoir aux Français.
08:32Dynamique et compétent,
08:34Mendes apparaît alors
08:36comme l'homme de la situation
08:38pour réformer le pays.
08:42À ses côtés,
08:44François Mitterrand,
08:46promu ministre de l'Intérieur.
08:48C'est lui qui s'empare
08:50du dossier Poujade.
08:52Au préfet, il écrit
08:54« Un grand nombre d'entre vous
08:56m'ont fait rapport sur le mouvement Poujade
08:58et opposition des contribuables
09:00aux contrôles fiscaux.
09:02Un comité interministériel
09:04doit examiner très prochainement
09:06ce problème sous tous ses aspects.
09:08Vous serez avisés
09:10de ces conclusions. »
09:12Voté dans la foulée,
09:14une loi punie d'amende et de prison
09:16quiconque s'oppose
09:18à un contrôle fiscal.
09:20Malheureusement,
09:22cette loi ne fait qu'exacerber
09:24le ressentiment à l'encontre
09:26de la classe politique.
09:28Pour Poujade, c'est une déclaration
09:30de guerre contre son mouvement.
09:50« Nous représentons une masse
10:02qui maintenant
10:04doit faire trembler
10:06n'importe quel ministère. »
10:08À l'automne 1954,
10:10le climat se durcit.
10:12Des heures éclatent
10:14entre commerçants et forces de l'ordre
10:16lors de nouvelles oppositions
10:18à l'encontre du gouvernement fiscal.
10:20À la suite d'interpellations
10:22de manifestants,
10:24Poujade proteste
10:26contre ce qu'il appelle
10:28des « provocations policières ».
10:30De leur côté,
10:32les renseignements généraux
10:34qui ont infiltré le mouvement
10:36font état de propos injurieux
10:38et antisémites
10:40à l'encontre du gouvernement.
10:42Un rapport note
10:44« Poujade s'est livré
10:46à l'adresse de M. le Président du Conseil.
10:48Poujade a parlé
10:50des « main d'Est » de France,
10:52de Navarre et d'Égypte.
10:54« Nous avons chez nous
10:56des commerçants
10:58qui sont israélites.
11:00Nous les avons défendus au même titre
11:02que ceux qui sont musulmans
11:04ou que ceux qui sont athées.
11:06Maintenant, si nous avons un pourcentage
11:08de ministres israélites plus important
11:10que d'agriculteurs dans notre département
11:12du Canton, c'est quand même pas de notre faute. »
11:14Merci beaucoup.
11:16...
11:42Le 24 janvier 1955,
11:44malgré de très fortes
11:46inondations qui noient une partie du pays,
11:48des dizaines de milliers
11:50de Poujadistes déferlent sur la capitale.
11:52Poujade
11:54a décidé de franchir le Rubicon.
11:58Avec cette montée sur Paris,
12:00il entend montrer sa force
12:02et intimider les pouvoirs publics.
12:04Un an seulement
12:06après la création de son mouvement.
12:08...
12:12Les autorités ont tout fait pour empêcher
12:14ce rassemblement, prévu à l'origine
12:16dans quatre lieux différents de la capitale.
12:20Un seul meeting est finalement autorisé.
12:22Au parc des expositions
12:24de la Porte de Versailles.
12:30D'heure en heure, des délégations affluent
12:32de tous les départements.
12:3470 000 personnes, selon la police.
12:36200 000,
12:38selon les organisateurs.
12:40Réunir,
12:42envers et contre tous,
12:44200 000 personnes
12:46à Paris, dans les circonstances
12:48que vous connaissez, et bien cela
12:50prouve la force
12:52formidable de ce mouvement.
12:54Et bien c'est nous qui sommes
12:56les patrons, c'est nous nous opposons
12:58à quelque chose. Rien ni
13:00personne ne pourra nous mater
13:02parce que nous avons réalisé
13:04la puissance de notre union.
13:06On nous avait dit
13:08que les commerçants,
13:10les artisans individualistes
13:12fourchelés ne pouvaient
13:14pas s'unir.
13:16Et bien c'est cela,
13:18ce que vous devez au mouvement
13:20s'installer. Il vous a prouvé
13:22que l'union était possible.
13:26Brandissant une liasse de billets
13:28pour tourner en dérision le fisc,
13:30Boujade se fait menaçant,
13:32en appelant ses troupes à la grève générale
13:34de l'impôt. Un nouveau
13:36pas vers l'illégalité.
13:38Il y a une armée de photographes
13:40décrits partout, des gens absolument
13:42exaltés, et le silence ne peut se faire
13:44qu'au moment même où Pierre Boujade va prononcer la deuxième
13:46partie de son allocution.
13:48Nous avons attendu cette journée
13:50pour savoir si nous
13:52devions déclencher
13:54l'offensive.
14:03Boujade, d'apparence,
14:05est le type même du français moyen.
14:07Brun, avec des yeux clairs, il a
14:0934 ans, une famille et quatre enfants.
14:11Il parle d'abondance, avec de la
14:13bonne volonté et de la maladresse.
14:15Il fait son apprentissage de démagogue.
14:17Et les gens rassemblés sous sa bannière
14:19l'écoutent comme un sauveur.
14:23Dans Paris, la préfecture de police
14:25est sur les dents, et craint des débordements.
14:29Les principaux lieux du pouvoir ont été placés
14:31sous haute protection.
14:33Des barrages ont été érigés pour empêcher
14:35qu'à l'issue du meeting, les
14:37boujadistes convergent vers le cœur de la capitale.
14:41Tout le monde a en mémoire les événements du 6 février
14:431934, vingt ans plus tôt.
14:47À l'appel de ligues de droite
14:49et d'extrême droite, des milliers
14:51de Parisiens en colère avaient envahi la rue
14:53pour protester contre la Troisième République.
14:57Face au palais Bourbon,
14:59la police débordée avait tiré
15:01sur la foule.
15:03Près de vingt morts, et des centaines
15:05de blessés.
15:09Le 24 janvier 1955,
15:11la manifestation se
15:13disperse dans le calme.
15:15Mais Poujade a réussi son coup.
15:17Cette journée est un succès.
15:19Elle a donné à son mouvement
15:21une large visibilité.
15:29...
15:41Dans les semaines qui suivent,
15:43le chef de l'UDCA se sent pousser
15:45des ailes.
15:49En mars, il lance
15:51une journée de grève des commerçants à travers tout le pays.
15:53...
15:59Et fait pression sur les députés,
16:01en occupant physiquement les tribunes à l'Assemblée
16:03pour exiger une réforme de la fiscalité.
16:05...
16:15Spectaculaire.
16:17Ce coup d'éclat lui vaut de faire la une des médias.
16:19L'homme qui déchaîne
16:21les passions, Poujade le rebelle.
16:23Pour et contre Poujade.
16:25Qui n'hésite pas à se mettre en scène
16:27en déchirant un billet de banque pour dénoncer
16:29l'État voleur.
16:33Il paraît que ce Poujade était dans les tribunes,
16:35qu'il y avait une centaine de Poujadistes dans les tribunes,
16:37et que les parlementaires
16:39sont assez impressionnés
16:41par ses présences.
16:43Je crois que l'affaire Poujade dépasse
16:45le cadre d'un parti et d'une corporation.
16:47D'après ce que nous avons pu en juger
16:49ces derniers jours à l'Assemblée,
16:51aussi bien dans les couloirs que dans les débats de séance,
16:53tous les partis sont touchés dans cette affaire.
16:55Le gouvernement est incapable
16:57de faire respecter l'arbitrage
16:59qui devrait être le sien,
17:01et les partis politiques ne semblent
17:03absolument paralysés
17:05devant cette situation.
17:07Il n'y a pas d'exemple, du moins
17:09dans les récentes années,
17:11d'un débat aussi passionné,
17:13de menaces aussi terribles,
17:15suspendues au-dessus de la tête d'un gouvernement.
17:17Bonjour Madame,
17:19je suis chargée de faire un reportage
17:21pour l'Institut français d'opinion publique.
17:23Ce sera très court d'ailleurs,
17:25mais auparavant, j'aimerais vous poser
17:27quelques questions sur votre situation.
17:29Vous êtes tenancière de café,
17:31je vois.
17:33Vous avez entre 50 et 64 ans ?
17:35Oui.
17:37Vous n'avez pas de radio, pas de domestique,
17:39pas d'automobile, pas de propriété ?
17:41Selon un sondage de l'IFOP,
17:4335% des Français
17:45éprouvent de la sympathie
17:47pour le mouvement Poujade.
17:49Ratissant de plus en plus large,
17:51bien au-delà du cercle des artisans et des commerçants,
17:53le mouvement agrège autour de lui
17:55de nombreux Français,
17:57inquiets de l'avenir,
17:59hostiles à la classe politique.
18:01Les renseignements généraux
18:03sont en alarme.
18:05Le mouvement déborde nettement
18:07le cadre d'une simple protestation
18:09contre les excès de la fiscalité.
18:11Il prétend rassembler tous les mécontents
18:13et tous les parlementaires.
18:17Poujade peut mesurer sa popularité
18:19à l'occasion d'un grand tour de France,
18:21réalisé au printemps
18:23et à l'été 1955.
18:25De Marseille à Grenoble,
18:27de Toulon au Havre,
18:29des foules se pressent à ses meetings.
18:37Nouvelle note DRG.
18:39Poujade fait preuve d'une activité extraordinaire.
18:41Tenant jusqu'à trois réunions par jour,
18:43certains sont allés
18:45jusqu'à parler de don d'ubiquité du leader.
18:53Le magicien Poujade fait mouche
18:55avec sa goye et son franc-parler.
18:57Il déclare
18:59« Les Français découvrent en moi un tribun
19:01en qui, pour la première fois depuis longtemps,
19:03ils se reconnaissent
19:05et qui leur parlent de leurs vrais problèmes. »
19:11Pierre Poujade est le seul homme
19:13qui peut attirer des foules enthousiastes
19:15dans les endroits les plus variés,
19:17les plus vastes.
19:19La foule vient pour le voir,
19:21pour l'entendre, pour reprendre confiance
19:23alors que tout semble perturbé.
19:27Sous la bannière de l'UDCA,
19:29il attire cette masse de braves gens de France
19:31qui n'en peuvent plus à force de subir,
19:33qui sont là de toujours payer,
19:35cette masse de braves types
19:37qui veulent que cela change.
19:39Toute une propagande se met au service de Poujade
19:41qui joue à fond la carte de l'incarnation.
19:45Un de ses fidèles déclare
19:47« De même qu'il n'y avait pas de christianisme
19:49sans Jésus-Christ,
19:51il ne peut y avoir d'UDCA sans Poujade. »
19:55Poujade,
19:57un visage et un nom.
20:03Autre figure dans cette France
20:05du milieu des années 50,
20:07Charles de Gaulle,
20:09qui s'y honnait lui aussi le pays
20:11il y a encore peu de temps.
20:13De Gaulle,
20:15un opposant irréductible
20:17à la Quatrième République,
20:19condamné à ses yeux car faibles
20:21et sans chef à sa tête.
20:25S'il attend son heure pour revenir au pouvoir,
20:27De Gaulle se trouve alors
20:29au creux de la vague.
20:31Son parti politique vient d'être mis en sommeil.
20:33Pour beaucoup,
20:35il apparaît comme un homme du passé.
21:03Porté par une dynamique,
21:17Poujade incarne quelque chose de neuf.
21:23Avec près d'un demi-million d'adhérents,
21:25son mouvement est en train de s'imposer
21:27comme une force politique.
21:29Mais quelles sont ses réelles intentions ?
21:33Croit-il à un destin national ?
21:41Comme au carnaval,
21:43ce rite de transgression au cours duquel
21:45on s'affranchit de toutes les règles,
21:47Poujade porte désormais
21:49un projet radicalement alternatif,
21:51appelant à un grand nettoyage,
21:55pour renverser le système.
21:59Le système,
22:01un concept fourre-tout
22:03qui désigne ce monde des élites,
22:05accusée de comploter
22:07et de conduire le pays à la faillite.
22:11Pour venir à bout du système,
22:13Poujade a la solution,
22:15la convocation des états généraux.
22:19Seul moyen à ses yeux de rendre la parole
22:21et le pouvoir au peuple.
22:23Poujade, au 1789.
22:29Le gouvernement ne cherche pas
22:31à faire du sensationnel.
22:33La vie n'est pas le théâtre.
22:35Nous ne sommes pas des vedettes
22:37attachées à quitter la scène
22:39dans un certain tonnerre d'applaudissements.
22:41Ce qui compte, c'est le résultat.
22:43Au sommet de l'État,
22:45cette rhétorique révolutionnaire et populiste
22:47est prise très au sérieux.
22:49Edgar Ford,
22:51le nouveau chef du gouvernement
22:53qui a succédé à Pierre Mendès-France,
22:55mène la riposte.
22:57Il se lance dans un véritable match
22:59contre Poujade.
23:01Les revendications sociales sont normales.
23:03Mais la révolution,
23:05c'est une révolution.
23:07C'est une révolution
23:09qui ne s'arrête pas
23:11quand les révolutions sociales sont normales
23:13dans un pays libre.
23:15Ce qui est regrettable,
23:17c'est qu'ils puissent s'entourer,
23:19s'illustrer de troubles,
23:21de violences, de désordres
23:23comme nous en avons connu, en effet.
23:25Lorsqu'on prétend grouper
23:27les commerçants, les artisans,
23:29les ouvriers, les paysans,
23:31si c'est contre l'État républicain lui-même,
23:33mieux vaut le dire,
23:35car nous l'avons déjà défendu
23:37et nous le défendrons encore.
23:39Nous ferons, nous tiendrons
23:41les états généraux,
23:43les états généraux de la renaissance française.
23:47Dans les efforts que nous avons faits
23:49pour rétablir la balance des comptes,
23:51un certain nombre de ces gens
23:53véhéments
23:55qui font des cortèges pour aller
23:57agacer les percepteurs et les contrôleurs
23:59n'auraient pas assez d'essence
24:01pour mettre dans leur automobile.
24:03Et maintenant,
24:05je puis vous le dire,
24:07ils peuvent trembler dans leurs culottes
24:09car l'heure des règlements de comptes approche.
24:15Comme s'il suffisait d'être élu
24:17pour être mauvais
24:19ou d'être choisi pour être incapable.
24:21Comment expliqueriez-vous
24:23que parmi les Français
24:25qui seraient tous très bien,
24:27il n'y ait que les députés qui soient médiocres
24:29et les ministres qui soient incorrigibles
24:31et inadaptables.
24:33L'incitation à la violence et au désordre
24:35d'où qu'il vienne,
24:37le refus de l'impôt
24:39ne sont pas des modes d'expression
24:41d'une revendication.
24:43Ce sont tout simplement des délus.
24:49Aujourd'hui, Fort,
24:51tu t'inscris dans l'histoire
24:53comme l'un des hommes les plus néfastes à la patrie.
24:55Je te dis fou le camp,
24:57car demain,
24:59il sera peut-être trop tard.
25:03Pour être l'auteur de ses propos haineux
25:05à l'encontre du chef du gouvernement,
25:07Pouget déconvoquait fin 1955
25:09devant la justice.
25:13Au même moment,
25:15une annonce de l'État bouleverse
25:17le destin de son mouvement.
25:23Le 2 décembre 1955,
25:25Edgar Fort crée la surprise
25:27en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale.
25:29Son objectif ?
25:31Provoquer de nouvelles élections
25:33afin de s'assurer une plus large majorité
25:35dans la future chambre.
25:41Une manœuvre politicienne, selon Pouget.
25:43En réalité,
25:45une aubaine.
25:47Le gouvernement, pour devancer
25:49cette lame de fond populaire
25:51qui était en train de se créer,
25:53a lui-même précipité
25:55la convocation électorale.
25:57C'est la raison pour laquelle
25:59nous avons pensé qu'il était de notre devoir
26:01d'abandonner
26:03momentanément, je dis bien
26:05momentanément, le plan strictement professionnel
26:07qui était le nôtre
26:09pour nous engager dans la bataille électorale
26:11parlementaire.
26:13Après avoir attaqué le système de l'extérieur,
26:15Pouget d'entend-il
26:17le détruire de l'intérieur ?
26:19Il se lance en tout cas
26:21avec fougue dans ses législatives.
26:23En un mois, durée de la campagne,
26:25il doit improviser un programme
26:27et trouver des candidats.
26:31Nos représentants
26:33à l'Assemblée, je dis bien nos représentants,
26:35car ils n'iront pas siéger
26:37pour défendre
26:39leurs opinions ou leurs intérêts,
26:41mais uniquement défendre les opinions
26:43et les intérêts de ceux qui les ont
26:45mandatés, et en particulier
26:47faire en sorte que
26:49le gouvernement soit obligé
26:51de convoquer les états généraux.
26:53Après, ils donneront leur démission.
26:55S'ils refusent de démissionner,
26:57c'est-à-dire s'ils escroquent,
26:59s'ils trahissent leurs engagements,
27:01ils seront pendus.
27:03Oui, pendus.
27:05Le ton est donné.
27:07Jamais une campagne électorale n'aurait été aussi violente
27:09et surréaliste.
27:11Au cri de
27:21« Sortez les sortants ! »,
27:23des commandos poujadistes font irruption
27:25dans les meetings des candidats adverses
27:27pour jouer du coup de poing.
27:31Comme le notent les RG,
27:33les poujadistes étant généralement
27:35de mauvais orateurs,
27:37il leur a paru plus simple de saboter les réunions
27:39afin d'empêcher toute discussion sérieuse.
27:47Poujad a fait le choix de ne pas se porter
27:49lui-même candidat aux élections.
27:51Mais il mène la bataille
27:53en enchaînant tambour battant les meetings
27:55à travers tout le pays.
27:57C'est environ 40 000 personnes par jour,
27:595000, noir sur blanc,
28:01sur France le soir de cette semaine,
28:0340 000 personnes par jour
28:05qui se sont pressées, qui se sont bousculées
28:07dans nos manifestations,
28:09tout le long de la route,
28:11dans les moindres petites villes.
28:13C'était des barrages.
28:15Non seulement maintenant,
28:17les commerçants et les artisans,
28:19mais les ouvriers, mais les paysans,
28:21on nous met sur le dos.
28:23Chaque fois qu'il y a un pourri
28:25qui est en train de se faire sortir,
28:27on dit que c'est les poujadistes.
28:29Mais alors, si tous les mécontents sont poujadistes,
28:31j'ai l'impression qu'il va y en avoir un sacré paquet
28:33le 2 janvier.
28:37Dans la Nièvre,
28:39au cours d'une réunion houleuse à Château-Chinon,
28:41Poujade s'en prend directement
28:43à François Mitterrand, alors candidat.
28:45Choqué,
28:47l'ancien ministre de Pierre Mendès-France
28:49déclara
28:51« Poujade n'est qu'un épisode.
28:53Il ne compte pas.
28:55Il sera vite balayé par son propre état-major.
28:57Alors, surgira peut-être
28:59un véritable chef,
29:01intelligent et au vaste dessin.
29:03Alors,
29:05la République tremblera. »
29:11A Paris,
29:13Poujade vient soutenir un certain Le Pen,
29:15son candidat dans la première circonscription de la Seine.
29:19De retour d'Indochine,
29:21où il a servi comme para,
29:23ce licencié en droit est entré
29:25depuis peu dans le mouvement Poujade,
29:27comme responsable de sa branche jeunesse.
29:35Une fiche DRG indique
29:37« Le Pen est considéré
29:39dans son entourage comme un homme violent
29:41lorsqu'il est sous l'emprise de la boisson.
29:43Sur le plan politique,
29:45il est connu pour
29:47professer des idées d'extrême droite. »
29:49« Le mouvement Poujade a voulu précisément
29:51que je prenne à 27 ans
29:53la tête de sa liste dans le premier secteur
29:55de la Seine. Et par ma bouche, il vous dit
29:57« Par l'union, nous pouvons chasser
29:59tous les dirigeants corrompus et incapables.
30:01Dans la fraternité,
30:03nous reconstruirons ensemble
30:05une France libre, forte et jeune.
30:07Votez tous, Français,
30:09le 2 janvier pour les listes présentées
30:11par le mouvement Poujade. »
30:25Français, mon ami,
30:27c'est donc en français moyen
30:29que je te parle.
30:31Parmi ces millions qui travaillent
30:33chaque jour et qui, au soir d'une rude journée,
30:35mettent la main sur l'épaule
30:37de leur femme pour regarder
30:39des enfants qui grandissent
30:41en s'interrogeant anxieusement
30:43sur leur avenir. Ce que je sais,
30:45ce que je sens, c'est que le peuple
30:47s'éveille et qu'il prend conscience
30:49du péril. Les candidats
30:51que je te présente sont des inconnus
30:53du grand public. Quelle que soit
30:55leur classe sociale, ce sont des
30:57travailleurs comme toi. Et en votant
30:59pour eux, c'est un peu de toi
31:01que tu mandateras.
31:15Avec plus de 80% de participation,
31:17ces élections législatives
31:19du 2 janvier 1956
31:21sont un succès.
31:25Malgré le froid polaire, les Français
31:27se déplacent massivement.
31:29Et pour la première fois,
31:31la télévision consacre une soirée
31:33spéciale aux résultats.
31:35Des résultats marqués
31:37par une spectaculaire percée
31:39Poujadiste.
31:41Plus de 2,5 millions de
31:43votants jettent en effet leur dévolu
31:45sur les listes Poujade.
31:47Des petits patrons, des
31:49travailleurs indépendants, des agriculteurs,
31:51des hommes plus que
31:53des femmes. Et surtout,
31:55beaucoup de mécontents.
31:59Un électeur confesse,
32:01dans le désespoir,
32:03il faut bien essayer quelque chose.
32:05On va essayer du balai Poujade.
32:11Rebaptisé pour l'occasion
32:13le canard empoujadé,
32:15l'hebdomadaire satirique le canard enchaîné titre
32:17Le succès de Poujade,
32:19une lame de fond,
32:21de commerce.
32:23Avec 52 députés
32:25élus à l'Assemblée nationale,
32:27Poujade peut célébrer sa victoire
32:29au cours d'un grand meeting
32:31au Veldiv.
32:33Les manifestations
32:35comme celle-ci
32:37vont marquer dans les annales
32:39du redressement de la France.
32:41C'est une page d'histoire qu'on est en train
32:43de tourner.
32:47En l'espace de deux ans,
32:49son mouvement est devenu
32:51l'une des forces politiques
32:53les plus importantes du pays.
32:57Il déclare
32:59« Les pauvres petits pétzouilles de commerçants,
33:01les voilà qui entrent au Parlement,
33:03non sur la pointe des pieds,
33:05mais en faisant claquer les portes.
33:07Nous y entrons comme nos ancêtres,
33:09par la volonté du peuple. »
33:21En réalité,
33:23ces résultats sont une immense surprise
33:25pour le mouvement lui-même,
33:27qui n'était pas préparé à un tel succès.
33:29Quel projet politique
33:31crédible présenter ?
33:33Comment passer de la protestation
33:35à la proposition ?
33:39En l'absence de leur leader,
33:41ces petits pétzouilles qui entrent à l'Assemblée,
33:43totalement étrangers aux usages parlementaires,
33:45se retrouvent très vite
33:47marginalisés.
33:51Élu à Paris,
33:53Jean-Marie Le Pen devient le porte-parole
33:55de son groupe parlementaire.
33:57Il dénonce le placement
33:59des Poujadistes à l'extrême droite de l'hémicycle
34:01et mène l'offensive
34:03face aux attaques des socialistes
34:05et des communistes.
34:07Il lance
34:09« La chasse aux Poujadistes est ouverte,
34:11voilà qui éclaire.
34:13Le Poujadisme est aujourd'hui combattu partout,
34:15notamment dans la rue. »
34:17Voici les affiches que l'on colle
34:19dans les boutiques des commerçants.
34:21Elles appellent à les boycotter.
34:23Crèvent les petits commerçants,
34:25crèvent ces gens-là.
34:29« Vis-à-vis du mouvement Poujad,
34:31notre position dépendra essentiellement
34:33de celle du mouvement Poujad lui-même,
34:35ou bien il aura
34:37une conduite vraiment républicaine,
34:39ou bien il se constituera
34:41en parti fasciste. »
34:49« Eh bien, je pense,
34:51et tous les braves gens de France
34:53pensent que ce n'est pas sérieux.
34:59Le fascisme, c'est la dictature
35:01d'une minorité sur
35:03l'ensemble de la nation.
35:05Lorsque donc un gouvernement
35:07emploie la force publique
35:09pour brimer
35:11l'expression et les désirs
35:13des ouvriers, des paysans,
35:15des commerçants et des artisans,
35:17le fascisme est du côté du gouvernement. »
35:27« Les commerçants et artisans communistes
35:29doivent appeler tous leurs collègues
35:31à dénoncer et à engager
35:33la lutte aux côtés de la classe ouvrière
35:35contre le mouvement factieux
35:37de Poujad.
35:39Dans ce mouvement, il y a
35:41tout un ramassis de traîtres d'Oriotis
35:43de Vichy.
35:45Nous mettrons à nu sa démagogie
35:47envers les classes moyennes,
35:49son anti-parlementarisme, son chauvinisme,
35:51sa position colonialiste,
35:53notamment sur l'Algérie,
35:55et enfin le racisme et l'antisémitisme
35:57qu'il développe. »
35:59« Mais non, mais non, il ne faut pas confondre
36:01fascisme, racisme,
36:03antisémitisme et patriotisme.
36:05Nous ne sommes pas le reste,
36:07mais nous sommes des patriotes et nous le sommes
36:09seulement, mais nous le sommes entièrement. »
36:15Dans ce grand manège
36:17qu'est l'Assemblée,
36:19les Poujadistes sont incapables
36:21de définir une ligne politique claire.
36:23Poujad est pris
36:25à son propre piège.
36:27Les critiques se font de plus en plus acerbes.
36:31Un journaliste écrit
36:33« Poujad a derrière lui
36:35deux ou trois millions de Français.
36:37Il les a derrière lui,
36:39mais il serait bien embarrassé
36:41de dire où il les mène.
36:43Il les rassemble,
36:45il les exalte
36:47par une opération oratoire
36:49qui a ce caractère de mettre la pensée
36:51hors du jeu.
36:53Monsieur Poujad existe,
36:55mais il est vide.
36:57Le Poujadisme
36:59est le mal politique absolu
37:01en ce qui l'est
37:03la traite du néant. »
37:13« Le 14 juillet
37:15restera le 14 juillet de l'Algérie.
37:17Non seulement parce que les drapeaux
37:19des régiments engagés en Afrique du Nord
37:21y participaient,
37:23mais surtout parce que dans le filigrane
37:25de ces images débinales,
37:27tous les assistants
37:29pouvaient lire le nom d'une terre inséparable
37:31de la grandeur française. »
37:33À partir de 1956,
37:35les Poujadistes
37:37sont en train d'envoyer
37:39un message à l'Assemblée.
37:41À partir de 1956,
37:43la guerre d'Algérie,
37:45qui ne dit pas encore son nom,
37:47devient le dossier brûlant
37:49de la Quatrième République.
37:53Alors que sur place,
37:55la situation militaire ne cesse de s'aggraver,
37:57Poujad prend fait et cause
37:59pour l'Algérie française.
38:01L'Algérie.
38:03C'est là que,
38:05deux ans plus tôt,
38:07son mouvement a organisé son premier congrès.
38:09C'est là que sa femme pied-noir est née.
38:11C'est là qu'ils se sont rencontrés, puis mariés.
38:17Une nouvelle fois,
38:19Poujad s'en prend violemment
38:21à la classe politique accusée
38:23de vouloir brader l'Empire.
38:25La classe politique.
38:27Des traîtres
38:29qui vendent le territoire national en pièces détachées.
38:31Des liquidateurs
38:33de la grandeur de la France.
38:35Quand on parle de politique de la France
38:37en Afrique du Nord,
38:39c'est à mon avis impropre,
38:41car l'Afrique du Nord est aussi française
38:43que pas mal
38:45de départements métropolitains.
38:47C'est tout simplement une politique de la France.
38:49Il y a là, plus que partout ailleurs,
38:51il y a là un problème humain.
38:53On a voulu en faire un problème politique
38:55ou un problème militaire.
38:57Or, le problème nord-africain
38:59actuellement est précisément
39:01que nous ne sommes plus respectés
39:03parce que nous avons des représentants
39:05qui ne sont plus respectables.
39:07Merci beaucoup.
39:09Lors de son premier déplacement
39:11à Alger,
39:13le 6 février 1956,
39:15le nouveau président du conseil,
39:17Guy Mollet, un socialiste,
39:19est accueilli à coups de tomate par des manifestants.
39:21Insulté,
39:23il échappe de peu à un véritable lâchage.
39:27Bien implanté à Alger,
39:29les commerçants poujadistes
39:31s'installent dans les boutiques
39:33pour participer à cette journée dite
39:35des tomates.
40:01À Paris,
40:03les poujadistes occupent également la rue.
40:05Après l'Indochine,
40:07perdue deux ans plus tôt,
40:09la crainte de l'abandon de l'Algérie
40:11réveille et fédère
40:13toutes les forces nationalistes,
40:15de la droite à l'extrême droite.
40:19Les événements d'Algérie
40:21étant attribués à l'impuissance du régime,
40:23le maintien de l'Algérie française
40:25passe donc
40:27par la mise à mort de la 4e République.
40:29CQFD
40:35C'est d'ailleurs en Algérie
40:37que fin 1956,
40:39Jean-Marie Le Pen part s'engager,
40:41quittant ainsi pour quelques mois les bancs de l'Assemblée.
40:45Ce départ consomme sa rupture
40:47avec Poujade.
40:49Entre des accords politiques et querelles d'égo,
40:51rien ne va plus entre les deux hommes.
40:55L'ERG note,
40:57que Jean-Marie Le Pen va très loin
40:59dans son hostilité envers le chef de l'UDCA,
41:01mettant en cause son incapacité politique
41:03et son incohérence.
41:13Contestée au sein de son propre mouvement,
41:15Poujade doit également faire face
41:17à une démobilisation des adhérents,
41:19dont le nombre passe de 400 000
41:21à 250 000 en l'espace d'un an.
41:23Déboussolé par le positionnement
41:25de plus en plus à droite de leurs leaders,
41:27de nombreux militants
41:29souhaitent un retour à une action
41:31purement professionnelle.
41:37En perte de vitesse,
41:39Poujade tente de reprendre l'initiative
41:41en organisant une journée de blocage
41:43contre l'instauration par le gouvernement
41:45d'une vignette automobile.
41:47Un impôt de plus.
41:49Mais cette journée est un échec.
41:51Les militants ne sont pas au rendez-vous.
41:59Quelques mois plus tard,
42:01Poujade est victime
42:03d'un grave accident de voiture.
42:05Tout semble déraillé pour lui.
42:11La France est en train de vivre
42:13sa 24e crise ministérielle
42:15depuis la Libération,
42:17et jamais la quête
42:19d'un président du Conseil ne s'est avérée
42:21aussi difficile.
42:23Personne ne souhaite le pouvoir,
42:25et il est significatif de voir les pressentis
42:27mettre comme première condition à leur tentative héroïque
42:29l'octroi des pleins pouvoirs.
42:31Les yeux des Français,
42:33un peu éblouis par le satellite,
42:35doivent regarder la vérité en face.
42:37La Constitution de notre 4e République
42:39est en train de faire faillite.
42:41Depuis 12 ans, les ministères tombent
42:43comme château de cartes.
42:45Comprenant que le vent est en train de tourner
42:47et que De Gaulle apparaît désormais
42:49comme un possible recours face à la crise du régime,
42:53Poujade sollicite un entretien avec lui
42:55à Paris, en août 1957.
43:01Que se disent-ils ?
43:03Dans ses mémoires,
43:05Poujade tente de tirer la couverture à lui.
43:09J'entre dans le vif du sujet.
43:11Cette 4e République,
43:13plus pourrie que n'était la 3e.
43:15Je ne me vois pas rentrer chez moi,
43:17expliquant à mes enfants,
43:19nous sommes foutus. Mais soyez rassurés,
43:21vos enfants reverront une France grande
43:23et glorieuse.
43:25Avant de baisser les bras, battons-nous.
43:27De Gaulle me raccompagna
43:29jusqu'à la porte et me dit,
43:31si un jour je reprends des responsabilités,
43:33je serai heureux de travailler
43:35avec un homme comme vous.
43:37Selon l'entourage de De Gaulle,
43:39l'entretien fut
43:41quelque peu différent.
43:43Le général aurait tenté d'expliquer à Poujade
43:45les grands enjeux du monde,
43:47avant de clore leur conversation par ses mots.
43:49Réussissez Poujade,
43:51je ne suis pas jaloux.
43:55Trois mois après cette étonnante rencontre,
43:57Poujade crée la surprise.
43:59Il prend publiquement position
44:01en faveur de De Gaulle
44:05et appelle à l'avènement d'une 5e République.
44:11Le général De Gaulle a pu dire
44:13que la France avait perdu une bataille
44:15mais qu'elle n'avait pas perdu la guerre.
44:17Aujourd'hui,
44:19ce n'est pas une bataille
44:21qui peut se gagner ou se perdre,
44:23c'est la France
44:25qui peut se sauver
44:27ou qui peut plonger dans le néant.
44:29Et vous avec !
44:41Les événements se préparent.
44:43Les événements
44:45dans lesquels nous serons automatiquement
44:47mêlés car nous sommes
44:49une organisation nationale.
44:51Nous représentons, nous portons un espoir national,
44:53même de ceux qui nous critiquent.
44:55Car demain, lorsque
44:57le toit s'effondrera,
44:59c'est quand même vers nous que tous ces galas se tourneront.
45:11L'épreuve de force,
45:13tant attendue par Poujade,
45:15éclate le 13 mai 1958
45:17à Alger.
45:19C'est là que s'enclenche l'engrenage
45:21qui va emporter la 4e République,
45:23à l'issue d'une manifestation
45:25pour l'Algérie française
45:27qui vire à l'insurrection.
45:29Dans un climat de fièvre,
45:31la foule prend d'assaut
45:33et met à sac le gouvernement général,
45:35c'est-à-dire le siège
45:37du représentant de la République.
45:39C'est-à-dire le siège
45:41du représentant de l'État en Algérie.
45:47Encadrés par l'armée,
45:49les émeutiers, parmi lesquels
45:51un certain nombre de Poujadistes,
45:53instaurent un comité de salut public
45:55et exigent le retour de De Gaulle au pouvoir.
46:01À Paris, cette sécession en Algérie
46:03provoque un véritable séisme.
46:05On craint le pire,
46:07une guerre civile,
46:09un coup d'État de l'armée.
46:13L'état d'urgence est proclamé,
46:15mais en l'espace de quelques jours,
46:17tout se précipite.
46:21De sa retraite, de Colombelle et de Zéglise,
46:23De Gaulle déclare se tenir prêt
46:25à assumer les pouvoirs de la République.
46:29Il apparaît alors comme le seul homme politique
46:31disposant de la légitimité suffisante
46:33pour faire face à la situation.
46:37C'est le recours auquel le chef de l'État,
46:39René Coty, fait appel
46:41pour former un nouveau gouvernement.
46:43Ce sera le dernier
46:45de la Quatrième République.
46:49Ici Pascal Rossigny qui vous parle d'Angers.
46:51Pierre Poujade ouvrait ce matin
46:53le congrès extraordinaire du mouvement
46:55convoqué brusquement sur son initiative.
46:57Le président de l'UDCA
46:59est vexé, horriblement vexé.
47:01Il décrit par le menu l'humiliation
47:03que fut pour lui l'interminable attente,
47:05dit-il, de ces journées
47:07pendant lesquelles le général De Gaulle
47:09se présentait à l'Assemblée et constituait son gouvernement.
47:11Et il se décrit, lui, Pierre Poujade,
47:13attendant avec son état-major
47:15qu'on l'appelle, lui aussi, en consultation.
47:17Je me disais, avec notre dynamisme,
47:19notre force,
47:21on se le fera notre trou dans le ministère.
47:23Poujade s'est-il vu
47:25à la tête d'un grand ministère du Commerce
47:27et de l'Artisanat ? C'est fort possible.
47:31Toujours est-il que le gouvernement
47:33d'union nationale formé par De Gaulle
47:35rassemble tous les partis,
47:37à l'exception des communistes et des Poujadistes.
47:41Bernay,
47:43Poujade fait volte-face
47:45et bascule dans un antigaullisme
47:47acharné.
47:49Il appelle à voter non
47:51au référendum sur le projet d'une nouvelle constitution
47:53voulue par De Gaulle.
47:57Car si l'immense majorité du peuple français
47:59était dégoûtée de la 4ème République,
48:01elle n'en est pas pour autant
48:03acquise à celle qu'on nous propose.
48:05Je ne crois pas que les événements répondent
48:07à leur espoir, ni que le général De Gaulle,
48:09en qui ils mettent leur confiance,
48:11soit tellement bien placé pour être
48:13demain le chef de cette République.
48:15En vérité, tout cela n'est qu'une immense comédie
48:17destinée à détourner la colère
48:19légitime du peuple.
48:21Français, mon ami,
48:23de ce référendum, il ne sortira rien.
48:27Erreur.
48:29500 des Français votent en faveur du texte
48:31de la constitution instaurant la 5ème République.
48:37Français, mes amis, prenez vos responsabilités
48:39comme j'ai pris les miennes.
48:45Discrédité et marginalisée
48:47par ses choix politiques,
48:49Poujade est sonné comme un boxeur
48:51qui aurait perdu son match.
48:55Son aventure fait long feu.
48:59C'est que né en 1953,
49:01d'une flambée de colère,
49:03l'aventure Poujade fut d'abord une dynamique
49:05que le jeune libraire de Saint-Cyré
49:07sut à la fois saisir, porter et incarner.
49:13Cinq ans plus tard,
49:15avec le retour du général De Gaulle au pouvoir,
49:17le ressort s'est cassé.
49:21Poujade garde la présidence
49:23de son pays,
49:25mais il n'a pas le droit
49:27Poujade garde la présidence
49:29de son mouvement jusqu'en 1983.
49:33Mais le temps des grands meetings
49:35et du bras de fer avec l'État
49:37est bel et bien évolu.
49:39Reste un mot,
49:41le Poujadisme,
49:43qui depuis a fait fortune.
49:51Le Poujadisme,
49:53un mot magique,
49:55un mot d'énergie.
50:15Le Poujadisme,
50:17un mot repoussoir et fourre-tout,
50:19repris régulièrement par les médias,
50:21dès que la France s'embrase.
50:25C'est presque un climat de Poujadisme
50:27que vous nous décrivez.
50:29Certains parlent de Poujadisme,
50:31de Jacquerie,
50:33c'est surtout le signal d'un ras-le-bol.
50:35Alors révolte, Jacquerie,
50:376 février 1934, le retour du Poujadisme,
50:39on pourrait s'y perdre,
50:41à trouver des comparaisons.
50:43Là où l'histoire avec un grand H ne varie pas,
50:45c'est que le pouvoir, qu'il soit monarchique
50:47ou républicain, est accusé de mépris,
50:49d'arrogance, envers une partie du peuple
50:51qui se sent abandonnée
50:53et devient vindicatif.