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Avant les autres elle a mis en scène des épouses rebelles, des pères prévenants avec des nouveaux nés, célébré le polyamour. Avant tout le monde, elle alerté dans ses films sur l'épuisement de la planète et la nécessité de prendre soin de notre environnement. Célébrée, moquée, mais toujours militante, elle n'a jamais vraiment participé au système du cinéma français dont elle dénonce les célébrations et les classements à coups de césars ou de palmes.

Comment ces sujets se sont-ils imposés dans son cinéma ? Comment vit-elle la montée en puissance du masculinisme et la remise en cause de la lutte contre le dérèglement climatique aux Etats-Unis ? Quelles sont les luttes qui l'inspirent aujourd'hui ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit la réalisatrice et comédienne Coline Serreau dans l'émission « Un monde, un regard ». Année de Production :

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Transcription
00:00Générique
00:22Avant d'être une actrice et une réalisatrice applaudie et reconnue,
00:26avant d'être une autrice et une scénariste hors pair,
00:29avant même d'être une musicienne et chef de chœur,
00:32notre invitée est une visionnaire.
00:34C'est au XXe siècle qu'elle a écrit et décrit les mots du XXIe siècle.
00:38Bien avant la libération de la parole des femmes,
00:41bien avant la montée en puissance des courants écolos,
00:43bien avant que les questions de genre, d'identité et de communauté
00:47ne s'imposent dans le débat public,
00:49notre invitée a écrit et tourné des films qui disaient déjà tout.
00:54Tout de la charge mentale des femmes,
00:56tout de l'envie des hommes de sortir du carcan d'un certain virilisme,
00:59tout des travers de nos pratiques qui détruisent la planète.
01:03Cela a donné des films cultes à côté desquels il ne faut pas passer,
01:07surtout si on a 20 ans aujourd'hui.
01:09« Trois hommes et un couffin », « La crise », « La belle verte »
01:11et je passe sur toutes les autres œuvres
01:13qui lui ont permis de créer un lien unique avec le public.
01:16Un public avec lequel elle communique par l'humour,
01:18avec toujours beaucoup d'affection.
01:21Parce que même ses personnages un peu idiots et caricaturaux,
01:23elle les aime.
01:25Quel regard porte-t-elle alors sur l'époque
01:27dont elle avait pressenti les anomalies et les révoltes naissantes ?
01:31Se laisse-t-elle encore surprendre par des mouvements
01:33qu'elle n'avait pas anticipés ?
01:35Posons-lui toutes ces questions.
01:36Bienvenue dans un monde à regard et bienvenue à vous.
01:38Coline Serrault, merci d'avoir accepté notre invitation au Sénat.
01:42Vos œuvres ont un côté visionnaire, je ne suis pas la première à vous le dire.
01:45On a l'impression que vous aviez tout pressenti et on va y venir.
01:48Mais est-ce que quand même l'époque arrive à vous surprendre ?
01:51Est-ce qu'il y a des choses que vous n'aviez pas anticipées ?
01:53Oui, bien sûr, parce que la vie est toujours autrement que ce qu'on pense.
01:59Elle vit, quoi.
02:02Mais la plupart des choses, quand même,
02:05je sentais bien que ça allait arriver comme ça.
02:07C'est incroyable.
02:09On a l'impression que vos films ont dix ans d'avance.
02:11On va parler de la crise et de Trois hommes et un couffin,
02:13mais prenons votre tout premier film, c'est Pourquoi pas ?
02:15C'est ça, en 1977 ?
02:17Le premier, c'est Mais qu'est-ce qu'elles veulent ?
02:18Mais qu'est-ce qu'elles veulent ?
02:20Et alors il y a eu Pourquoi pas ? en 1977,
02:22et ça parlait d'un trio amoureux, ce qu'on appellerait aujourd'hui un trouble,
02:26un trouble qui a tant fait parler au moment de la cérémonie d'ouverture
02:28des JO de Paris 2024, où les gens ont semblé découvrir cette sexualité,
02:33les mots trouble, les mots polyamour, tout ce vocabulaire des années 2020.
02:37Alors il ne vous surprend pas ? Il ne vous déstabilise pas ?
02:39– Non, non, parce que là, dans l'histoire de Pourquoi pas,
02:45je ne dis pas forcément qu'il faut vivre comme ça,
02:47je dis vivez comme ça, c'est bon pour vous.
02:52Et aimer les gens pour leur âme et pas pour leur situation sociale
02:57ou leur sexe ou leur ceci ou leur cela ou leur apparence,
03:01et là, c'est trois personnes qui étaient assez cabossées
03:03qui se retrouvent et qui vivent bien ensemble,
03:06et qui vivent sexuellement bien ensemble aussi.
03:08– Autre film complètement avant-gardiste, La belle verte,
03:10où vous pointez les aberrations écologiques que provoquent nos modes de vie,
03:15film sévèrement moqué à sa sortie mais plébiscité par le public
03:18et qui vit une seconde vie, je crois, sur Internet,
03:20qui est mis en avant par les internautes.
03:22Il y a un petit goût de revanche avec ce film ?
03:25– Oui, la revanche, je m'en fiche un peu, mais ça fait du bien,
03:29parce que sur le moment, j'étais tellement insultée,
03:33que ça m'avait un peu choquée, je me suis dit,
03:36est-ce que vraiment je suis si nulle que ça ?
03:39Ça m'avait fait me poser des questions, ce qui est toujours bien,
03:42c'est toujours bien de se poser des questions,
03:44mais le public, lui, c'était un succès, oui, oui, et non,
03:48quand même, ce n'était pas non plus un triomphe,
03:50je crois qu'on a fait un million d'entrées,
03:52ce qui, à l'époque, n'était pas énorme.
03:53– Beaucoup en rêveraient, quand même, du million d'entrées.
03:56Qu'est-ce qu'on vous disait ?
03:57– Depuis ça, c'est devenu un truc énorme, international, un truc culte.
04:03– Les insultes de l'époque, c'était quoi ?
04:04– Que j'étais New Wave, que j'étais New Age,
04:09que c'était bêta, que c'était ceci, cela…
04:14Enfin, les critiques étaient assez bêtes,
04:19je ne dis pas que le film était…
04:21mais il n'y avait pas de réflexion derrière ces critiques,
04:24il y avait un, comme ça, un bêtement,
04:27et surtout ne pas essayer de voir ce que ça racontait sur nous-mêmes,
04:32sur nous, sur cette société,
04:34et que la question était, comme le candidat de Voltaire,
04:41regardons-nous comment on est d'un point de vue extérieur,
04:45et là, on découvre des tas de choses.
04:47Ça a été… et c'est ça que j'ai voulu faire,
04:50je n'ai pas voulu dire simplement,
04:51il faut vivre comme dans cette planète-là de la Belle-Verte,
04:54mais il faut regarder d'un œil neuf,
04:58ce qui est l'œil du révolutionnaire en fait, l'œil neuf,
05:01c'est-à-dire, non, il y a une très belle phrase qui dit,
05:04quand le révolutionnaire se met à table,
05:07tout d'un coup, tout le monde comprend que la bouffe n'était pas bonne.
05:10– Mais qu'est-ce qui fait que vous avez pu, à ce point,
05:14anticiper des choses comme celles-là ?
05:15La Belle-Verte, évidemment, c'est un regard sur nos pratiques
05:18pas du tout écologiques, sur les pratiques de notre planète,
05:22comment vous pouvez sentir ça ?
05:23C'est un sens de l'observation, c'est un sens de l'écoute ?
05:26– C'est beaucoup de travail, j'ai toujours été passionné
05:30par la politique, par la géopolitique, par l'économie,
05:33je lis tout ce que… la philosophie,
05:36évidemment, tous les grands auteurs qui ont pensé à ça,
05:40qui ont réfléchi ça, c'est beaucoup de boulot.
05:43Alors quand on me parle d'intuition, oui, j'entends derrière
05:47intuition féminine, ça m'agace.
05:48– Ah oui, on vous dit ça ?
05:49– Non mais, visionnaire peut-être, mais en tout cas, bosseuse surtout,
05:53c'est-à-dire qu'étudier dans le concret comment se passe l'économie,
05:57qu'est-ce que c'est que les rapports de classe, les rapports politiques,
06:01comment fonctionne l'État, comment fonctionnent les démocraties,
06:05ou dysfonctionnent, et ce vers quoi on va sur le plan…
06:11on va dans le mur là, parce qu'on consomme plus que ce qu'on a en fait,
06:15et quelles altères croissance on pourrait envisager,
06:19qu'est-ce que c'est que le boycott ?
06:21Le boycott, c'est super, le boycott, parce que…
06:24– C'est l'arme du consommateur.
06:25– Oui, mais comme il n'y a que le consommateur qui fait l'or,
06:28on fait gagner des sous, si on fait le boycott, alors…
06:32parce que maintenant, si vous dites des choses sur Internet,
06:36on peut vous coincer, en cas d'État fasciste,
06:39si vous êtes dans la rue, ils vous crèvent les yeux et vous arrachent les mains,
06:42si vous faites des grèves, ils vous enlèvent de l'argent,
06:46et tout le monde est comme ça,
06:48mais si vous n'achetez pas une Tesla ou du Coca,
06:52ils ne peuvent pas venir chez vous dire,
06:53eh dites donc, vous n'avez pas acheté de Tesla ?
06:55Ben non, donc c'est l'arme suprême,
06:57ils commencent à le comprendre les gens,
06:59en Allemagne ça devient assez massif.
07:00– Oui, ça commence.
07:01– Et ça, ça fait déjà longtemps que j'en parle,
07:03j'en parle déjà dans la Belle-Verte, mais aussi dans Solutions locales.
07:06– Il y a autre chose que vous avez, vous avez dit un jour,
07:08j'aime l'humanité, je la comprends,
07:11je crois que je comprends ses souffrances et ses joies,
07:13est-ce que ce n'est pas aussi ça votre clé ?
07:16– Je suis passionnée par la politique, je fais des films politiques,
07:21mais je ne suis pas dans un parti politique, je ne suis pas une politicienne,
07:24c'est-à-dire que la politique pour moi, c'est simplement l'organisation de la cité,
07:27qui est la typologie du mot, et donc ce qui m'intéresse,
07:34c'est comment… donc les gens m'intéressent,
07:37l'humain c'est ce qu'il fait aussi,
07:40si vous comprenez que des gens ont tellement marre
07:44d'être roulés dans la farine depuis si longtemps,
07:46et que tout d'un coup ils votent à l'extrême droite,
07:48vous n'êtes pas pour l'extrême droite, mais vous comprenez ces gens-là,
07:50voilà, je ne suis pas dans le jugement, j'essaie de comprendre,
07:53de comprendre les gens, de voir leurs souffrances, leurs difficultés,
07:56et les contradictions, vivre avec ces contradictions,
08:00pas de jugement, parce qu'on est tous plein de contradictions.
08:06– Mais bien de bien petites choses.
08:07Parlons de Trois Hommes et un Couffin, plus de 12 millions d'entrées à l'époque,
08:11Trois Césars, lors d'une saison où il y avait quand même des films
08:13comme L'Effronté et Se Bouer, vous le ressortez au cinéma
08:17en version restaurée le 21 mai prochain dans les salles,
08:20est-ce que vous le ressortez justement parce qu'il correspond à l'époque,
08:24parce qu'il dit quelque chose aux pères, aux hommes du XXIe siècle ?
08:28– Je pense que de toute façon, ce qui est posé dans Trois Hommes et un Couffin,
08:32c'est la question du patriarcat, comment le patriarcat démolit,
08:35évidemment les femmes, mais démolit les mecs aussi,
08:37et comment là, on voit trois crétins occidentaux,
08:42pas plus méchants que d'autres, mais enfin bon,
08:44qui tout d'un coup, par la question de l'amour,
08:47par la question de faire vivre quelque chose,
08:49découvrent que leur monde, c'est de la souffrance,
08:54il leur manque quelque chose,
08:56et c'est ça à mon avis qui a fait le succès du film,
08:58c'est que ça a à voir sans jugement aussi
09:01avec la transformation du monde des hommes,
09:04parce qu'il n'y aura pas de transformation du monde des femmes
09:07si les hommes ne comprennent pas tout ce qu'ils ont à gagner avec ça,
09:10et c'est ça qui, même si ça n'a pas été dit,
09:12je m'en fiche que ça ait été dit, là je le verbalise,
09:14mais ce n'est pas important, c'est ressenti comme ça,
09:18et c'est tout d'un coup quelque chose qui était latent,
09:20qui était là dans la société, et qui est devenu manifeste,
09:24c'est-à-dire que la force d'un film,
09:26ça peut prendre du temps pour que ça devienne manifeste,
09:29La Belle-Verse, ça a mis 10 ans, 15 ans,
09:32là j'étais pile dans la vague.
09:34– Oui, parce que Trois Hommes et un Couffin, le succès a été immédiat,
09:36la réception du public a été…
09:38– Par contre, pas tellement, les distributeurs et les producteurs,
09:42ils n'ont pas vraiment compris ce qu'il se passait,
09:45on est sortis dans, je ne sais pas, 30 salles,
09:47c'était un enterrement de première classe,
09:49et puis comme à chaque, c'était l'histoire du damier,
09:54vous savez les damiers de Pythagore,
09:56à chaque séance, dans chaque salle, ça doublait,
10:00et là ça devient un truc…
10:02– Parce que là, le bouche-à-oreille se remplace.
10:04– Je ne sais pas, les gens sortaient, ils disaient, il faut aller le voir.
10:06– Mais c'est quand même l'histoire aussi de Trois Hommes
10:07qui laisse libre cours à une part de féminin, j'ai envie de dire en eux,
10:12une sorte d'amour maternel qu'ils semblaient mettre de côté jusqu'ici,
10:16et ça n'a pas été évident, je crois, de trouver des acteurs pour ces rôles-là.
10:19– Après ça, on n'avait personne.
10:21Il n'y a personne qui a voulu jouer ça, non,
10:22parce que s'occuper d'un bébé, quand même, franchement,
10:24pour leur virilité, tout ça, leur sex-appeal,
10:26la liste des gens qui ont refusé,
10:29elle laissait tous les acteurs vivants à cette époque-là.
10:32– C'est vrai ?
10:32– Y compris le gros, un peu vulgaire, vous voyez ce que je veux dire ?
10:35– D'accord.
10:37– Il y en a trois qui ont accepté d'être dans le film,
10:39et bien ils sont dans le film, et ils sont merveilleux parce qu'ils ont compris.
10:43Ils n'étaient pas dans le film seulement pour avoir leur nom ou le fric ou quoi,
10:47ils ont compris ce que ça portait, il y avait peu de gens qui comprenaient ça.
10:50Un acteur ne peut pas, il ne veut pas, ce n'est pas assez pour lui,
10:52c'est de c'est quoi, on passe au suivant.
10:54Parce que ce qui compte, c'est quelqu'un qui a envie de le faire.
10:58C'est avec ça que vous pouvez travailler,
10:59s'il y a vraiment une envie, un échange, là on est heureux,
11:03mais moi, attraper une vedette à la mort moineux qui va me faire suer pendant…
11:07Non, moi je l'ai fait les vedettes.
11:10– C'est vrai, l'histoire l'a prouvé,
11:13notamment Marion Cotillard qui jouait dans La Belle Verte,
11:15c'est son premier film.
11:17J'ai une archive à vous proposer, Colline Serrault,
11:19évidemment je vais la lire pour les gens qui nous écoutent,
11:21je vous invite à la regarder, il s'agit d'un article du journal La Vie,
11:24il date de 1952, c'est un appel, un cri du cœur des femmes
11:29qui demandent à leur mari d'en faire plus à la maison,
11:32avec des limites tout de même, vous allez entendre,
11:34je cite quelques mots,
11:36« Nous ne demandons pas, nous les femmes,
11:37que nos maris fassent la cuisine ou nettoient la maison,
11:39à chacun son travail,
11:41mais nous demandons qu'ils s'occupent avec nous des enfants.
11:44Le père de famille n'est pas quitte de ses obligations
11:47quand il a gagné l'argent nécessaire pour faire vivre la maisonnée.
11:50Pourquoi ne lancerait-on pas une campagne pour le père au foyer ?
11:54» Voilà d'où l'on vient, incroyable de lire ça aujourd'hui, 1952,
11:57on part de loin.
11:58– Oui, alors ce qui est intéressant aussi, c'est que socialement,
12:02en fait, l'évolution de la société a fait que plus personne
12:06ne peut vivre avec un seul salaire s'il y a deux gosses,
12:08donc les femmes sont toutes mises au boulot,
12:10et donc quand les femmes travaillent, tout change,
12:16et c'est aussi l'histoire des cerveaux,
12:19c'est-à-dire que si dans une société,
12:22c'est quoi la grande richesse d'une société ?
12:24C'est le cerveau, c'est les cerveaux des gens,
12:26c'est leur éducation, c'est leur implication dans la société,
12:29c'est leur envie de faire partie de cette société,
12:32de l'enrichir, de l'améliorer.
12:34Et si vous avez 50% de vos cerveaux qui sont des esclaves à la maison
12:38et qui font des tâches d'ahurie,
12:41et tout ça en même temps, s'il y a des gens qui aiment faire ça,
12:46donc c'est la passion et la vocation, c'est super,
12:51mais quand on laisse le choix,
12:53on voit que c'est pas quand même majoritairement ce qui se passe.
12:56Eh bien si, toutes les sociétés qui font ça au cerveau de leurs femmes,
13:02oui, parce que nous, les sociétés occidentales,
13:07avec tous leurs défauts et toutes leurs tards,
13:10elles commencent à occuper à peu près 100% ou 80% de leur cerveau,
13:15donc elles ont des richesses en plus, et c'est ça la vraie richesse.
13:18– Mais vous observez ?
13:19– Dans les sociétés, je ne dirais pas de noms,
13:22où on met les femmes en prison, dans une prison mentale, physique,
13:28– Ils sont là, à l'Afghanistan, on en parle souvent ici, bien sûr.
13:32– Eh bien, c'est pas une question religieuse, c'est une question…
13:35là, ils ont la moitié de leur cerveau qui leur manque,
13:39parce que c'est tous les gens, les femmes qui veulent apprendre,
13:42travailler, faire des choses, ils sont voués à l'échec,
13:46ils sont voués à la…
13:48– À la destruction.
13:49– Oui, à la chute.
13:50– Mais attention que l'intérim, on observe aussi dans nos mondes occidentaux,
13:53une montée des discours masculinistes,
13:55qui voudraient revenir à des rôles très traditionnels de l'homme et de la femme,
13:59comment vous observez ça ?
14:01– Mais ça, ça s'appelle le reflux,
14:02c'est-à-dire que dès que vous avez une révolution qui est vraiment inéluctable,
14:05qui est en marche, qui de toute façon ne sera jamais arrêtée,
14:09vous avez les forces de réaction qui ont peur de perdre le pouvoir
14:14et qui se mettent en ordre de marche et en ordre de bagarre.
14:17– Donc ça ne vous inquiète pas ?
14:18– Ah ben du tout, sauf que ces changements-là sont longs,
14:22ces changements-là, on ne peut pas les mesurer à l'aune d'une vie
14:25ou d'une seule génération, donc il se peut qu'il y ait,
14:29comme il y a eu le fascisme, il se peut qu'il y ait des retours de bâtons
14:33qui soient extrêmement douloureux, longs et même guerriers,
14:36mais ils ne pourront rien faire contre ça,
14:40contre la force, la puissance du besoin de transformation de cette société
14:45et de revoir le problème du patriarcat,
14:48qui est aussi le meurtre de la terre, la terre qui nous donne à manger.
14:52Si on ne revoit pas ça, on disparaîtra,
14:56et si on disparaît, ce n'est pas non plus…
14:59– Une catastrophe ? – Non.
15:00– Pour la planète ? – Pas pour la planète,
15:02et certainement pas pour les plantes et les animaux qui feront ouf.
15:05– Du féminisme et de l'émancipation aussi dans vos immenses succès,
15:09je pense à la crise, à des scènes cultes comme celle de Maria Paco
15:13que vous avez écrites.
15:14Vous nous en dites quelques mots, vous savez le faire,
15:16cette tirade, s'il vous plaît ?
15:18– Oui, je la connais. – Pas en entier, quelques mots.
15:23– Tes problèmes avec ta femme, tes problèmes de ton boulot,
15:28tes problèmes de fric, tes problèmes en général et en particulier.
15:31Moi, ta mère, je m'en fous comme de l'an 40.
15:35Pendant 30 ans, je vous ai torchées, lavées,
15:37je me suis occupée de vos problèmes, j'ai lavé vos slips,
15:41j'ai écouté vos problèmes et tout, sans jamais vous parler des miens.
15:44Alors maintenant, je prends ma retraite et je m'occupe de mes affaires.
15:49– Magnifique, et avec le sourire.
15:50– Là, c'est pas exactement le texte, mais elle le fait.
15:52C'est-à-dire que c'est une femme qui est absolument sûre d'elle,
15:58sans arrogance et qui dit non.
16:00C'est le moment où les femmes doivent dire non quand c'est non,
16:05et oui quand c'est oui.
16:06Et aussi, les hommes doivent dire non
16:09quand on les oblige à faire des trucs qui sont inhumains.
16:14– Les gens aiment tellement cette scène qu'ils vous demandent de la rejouer.
16:17Quand vous, vous êtes sur scène dans ce one-man show
16:19intitulé La belle histoire de Colline Serrault,
16:22cette scène, ces mots, c'est une explosion de féminisme.
16:26Tout ce film est une explosion d'ailleurs de plein de choses.
16:30– Non, mais c'est beau parce que c'est l'histoire d'un mâle occidental blanc
16:34avec tout cet art qui finalement fait un chemin,
16:38qui finalement se transforme.
16:39C'est beau, c'est l'histoire d'un éveil en fait.
16:42Et Maria Paco, ce que j'ai remarqué dans les réactions des gens,
16:46c'est que les hommes ne sont pas contre cette tyranne.
16:49Au contraire, souvent ils sont…
16:51comme s'ils étaient un peu libérés de la culpabilité vis-à-vis de leur mère
16:55qui devait toujours porter cette mère et tout.
16:57Non, là, elle ne souhaitait pas tout, elle est toute seule, ça va bien.
17:00Et il y a aussi la force de cette scène,
17:03c'est pas seulement le féminisme, c'est quelqu'un qui, enfin,
17:07et avec énormément de calme et de sourire, dit non.
17:12– La force de toutes ces scènes, c'est leur apparent naturel.
17:16Et pourtant, qu'est-ce qu'elles sont travaillées,
17:18qu'est-ce qu'elles sont travaillées.
17:19Vous dites d'ailleurs quelque chose de très beau,
17:20sur l'écriture en général, vous dites, il faut que ça ait l'air improvisé.
17:24Un dialogue qui marche, c'est comme une chanson,
17:26il faut qu'il y ait un rythme, il faut qu'il y ait des rimes,
17:28c'est de la dentelle, c'est de la musique.
17:31Et là, on reconnaît la musicienne que vous êtes.
17:32– Oui, j'ai pris modèle sur Flaubert,
17:37qui disait qu'il passait toutes ses phrases pendant des heures au gueuloir.
17:41Et moi, les scènes que j'écris, je les passe au gueuloir aussi,
17:45je les dis à haute voix, je les dis pour savoir si tout est bon,
17:53s'il faut enlever un E, s'il faut en rajouter,
17:56parce qu'il y a évidemment un rythme,
17:58mais il y a un rythme quand on parle aussi,
18:00qui vient comme ça, naturellement.
18:02Et c'est tout un travail de reconstruction de ce naturel,
18:06cette liberté que d'écrire des dialogues.
18:08– Mais tous les acteurs et les actrices ont cette musicalité,
18:12où parfois vous butez sur quelqu'un
18:13qui ne va pas réussir à sentir la musicalité de votre phrase.
18:17– Ça a pu m'arriver, oui.
18:19– Oui, c'est compliqué dans ce cas-là,
18:20il y a une telle musicalité dans vos dialogues.
18:24– Oui, dans ce cas-là, il y a beaucoup de prises.
18:27– Beaucoup de prises pour Maria Pacom ?
18:29– Alors Maria Pacom, c'était un autre problème,
18:30elle était géniale, elle était absolument géniale,
18:32elle comprend tout, c'est une immense, immense comique aussi.
18:37Le truc c'est qu'à cette époque-là, les comédiens de théâtre
18:43ne pensaient pas que le cinéma c'était important,
18:47donc elle n'avait pas vraiment appris son rôle.
18:49Donc c'était… – C'était laborieux ?
18:52– Oui, c'était laborieux, mais chaque chose qu'elle faisait était magnifique.
18:56Donc au montage, on a beaucoup, beaucoup bossé,
18:58il y avait 18 prises quoi, et toutes ont été utilisées,
19:02mais comme tout ce qu'elle fait est bien,
19:06quand on a recollé les morceaux, ça marchait bien.
19:08Non, c'est un génie cette femme.
19:10– Incroyable.
19:12Le monde de l'art, vous y êtes née,
19:14vous êtes tombée dedans à la naissance même, comme on dit,
19:17une mère romancière et femme de théâtre,
19:19un père comédien, metteur en scène,
19:20une enfance sur les planches et les plateaux,
19:23vous l'avez beaucoup dit, c'était impossible d'y échapper.
19:26Vous auriez pu faire autre chose ?
19:28– Oui, j'ai fait de la musique. – C'est de l'art aussi ?
19:30– Oui, c'était de l'art, mais j'étais quand même assez loin dans la musique,
19:34j'étais organiste, j'étais au CNES,
19:37enfin à l'époque c'était le conservatoire national,
19:40c'était à la rue de Madrid,
19:41j'ai fait de la musicologie, de l'histoire de la musique,
19:44mais j'étais ré-attirée comme par un élastique par le monde du théâtre,
19:49donc je suis rentrée, je suis passée le concours de la rue blanche,
19:52totalement, clandestinement, sans le dire à mes parents.
19:55– Ah oui ?
19:56– J'ai été prise un peu au dernier moment,
19:59parce que j'étais pas normale, enfin j'étais pas…
20:03– C'est-à-dire ?
20:04– Si, c'est parce que j'étais drôle. – T'étais atypique ?
20:06– Non, parce que j'avais un physique de jeune première,
20:07mais j'étais drôle, donc ça marchait pas ensemble.
20:10– C'est-à-dire ?
20:13– C'est-à-dire, une jeune première, il faut qu'elle soit un peu toujours comme ça,
20:17qu'elle va pleurer bientôt, tout ça, elle vire,
20:20et moi je parlais droit, il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée,
20:25c'est la scène que je passais, je disais, sortez ou asseyez-vous,
20:29je ne sais pas, mais faites quelque chose,
20:30alors qu'il faudrait dire, sortez ou restez-vous,
20:33je ne sais pas, mais faites quelque chose, moi je ne pouvais pas faire ça.
20:35– Une jeune femme devait avoir l'air…
20:37– Il fallait jamais se retourner vers la chaise quand on s'asseyait,
20:40parce que ça faisait pas bien, alors on tombait à côté,
20:43enfin c'était n'importe quoi.
20:44– Ça aussi, ça a changé, l'époque a changé aussi, non ?
20:47– Oui, ça dépend des théâtres, suivez mon regard.
20:50– Une enfance aussi marquée par une scolarité,
20:54atypique et très originale pour l'époque, l'école de Beauvalon,
20:57c'est ça, vous êtes passée par cette école,
20:59première école mixte et à pédagogie active de France,
21:02et vous appreniez en pleine nature, ça aussi, ça vous a construit,
21:05ça a fait votre côté différent peut-être ?
21:07– Oui, ça c'est la base, parce qu'elles étaient écologistes,
21:11elles étaient médecine naturiste, homéopathie,
21:15tous les grands trucs, le jeûne, tout ça, dans les années 30,
21:19je veux dire, c'était pas du tout à la mode,
21:21mais c'était extraordinaire,
21:23parce que d'abord les gosses étaient en pleine santé,
21:26et puis on vivait pieds nus six mois de l'année,
21:28il n'y avait pas de limites, c'était grand ouvert,
21:32et beaucoup d'activités de toutes sortes,
21:35il y avait des activités intellectuelles ou manuelles,
21:39toutes les possibilités étaient offertes pour qu'un gosse puisse…
21:44– S'épanouir.
21:45– Oui, développer son propre talent,
21:48parce que chaque enfant a un talent, tout le monde a un talent,
21:51et c'est pas forcément d'être assis à un banc huit heures par jour,
21:55et à écouter, il y a des gosses qui sont des actifs, des manuels,
21:59et cette école permettait à tous les noms de se développer,
22:03et puis c'était une école de la démocratie,
22:05il y avait une réunion tous les jours où tous les gosses,
22:09on avait la même voix que les adultes pour s'exprimer,
22:12c'était la démocratie, c'est bien la démocratie,
22:15quand elle est vraiment bien, quand elle est là,
22:18et puis il y avait la culture, 5 minutes de culture par jour, 5,
22:21dans cette… – École.
22:24– Oui, mais dans l'assemblée, on nous faisait écouter soit un poème,
22:27soit une musique, soit on regardait un tableau, 5 minutes, c'est tout,
22:33et alors il y avait ceux qui dormaient, il y avait ceux qui adoraient ça,
22:36mais tout rentrait, tout ça rentrait,
22:39et en fait les gens, des années après, quand on se retrouve, les anciens,
22:44c'est ces minutes-là qui ont compté.
22:46– Ah, c'est ce qui nous a réunis, c'est ce qui nous a ouverts au monde.
22:50– Et à la lueur de celle que vous êtes aujourd'hui,
22:52quel conseil donneriez-vous à la petite fille que vous étiez ?
22:55Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'elle ne se lance dans la vie ?
22:58– Quand tu sens non, dis non. – Très bon conseil.
23:03J'ai des photos à vous proposer, Colline Serrault,
23:08ça fait partie des rituels de cette émission,
23:10la première photo, la voici, c'est l'affiche d'Un petit truc en plus,
23:12une comédie signée Artus, immense succès populaire,
23:16un peu boudée par la critique,
23:17nommée dans la catégorie meilleur premier film au César, mais pas de César,
23:22la comédie a toujours du mal à s'implanter dans le monde du cinéma.
23:27– Oui, moi je l'ai vue, j'ai adoré le film.
23:30Bon, il y a deux, trois petits trucs bulgares.
23:32Non, mais c'est un beau film, c'est très émouvant,
23:34et puis ça parle du peuple, ça parle des petites gens,
23:38ça parle des gens qui sont un peu tarés, soi-disant,
23:40mais qui ont tellement de richesses ailleurs.
23:44Ah non, moi j'ai beaucoup aimé,
23:45non mais de toute façon les César, les machins, les tout ça,
23:48déjà, calme tout ça, c'est pas votre chasse d'eau.
23:52Non, déjà, le fait de faire des compétitions,
23:56moi je dis tous les films, passés, présents, futurs, sont géniaux,
24:00parce que je sais ce que c'est que de faire un film.
24:03Et donc, respectons celui qui a réussi à faire un film déjà,
24:07et ensuite, ne fabriquons pas des perdants.
24:09Qu'est-ce que c'est que ces concours à l'amour moelle nulle ?
24:12Concours de quoi ?
24:13Il y a ça, puis il y a eu d'autres films qui étaient vachement bien cette année,
24:17puis pas celui, seulement qu'il y a eu le César,
24:19moi j'en ai marre de ces caméras braquées sur le public,
24:23où on voit les gens qui se disent, je vais pas la voir,
24:26et qui sont là, je l'ai pas eu.
24:28Qu'est-ce que c'est, ce sadisme-là ?
24:31Non, célébrons le cinéma, la créativité,
24:34la France produit un cinéma extrêmement varié, extrêmement riche,
24:37encore, je sais pas pour combien de temps,
24:39célébrons ça, mais ne faisons pas une fabrique de perdants,
24:42c'est comme la palme de mes deux, qu'est-ce que c'est que ça ?
24:45Je crois que le message est très clair.
24:47On passe à la deuxième photo ?
24:49Peut-être qu'elle va vous inspirer des sentiments plus positifs.
24:52Pierre Rabhi, romancier, agriculteur, écologiste,
24:55l'un des héros de votre film,
24:57Solution locale pour un désordre global.
24:59C'est pas le héros principal.
25:00C'est pas le héros principal.
25:02Il appelait à penser de l'agriculture autrement,
25:04il défendait la sobriété.
25:06Il est décédé en 2021, qui pour le remplacer aujourd'hui ?
25:09Oh, plein de gens.
25:11Oui.
25:13Il y a plein de gens.
25:14Les premiers à qui je pense, c'est Claude et Lydia Bourguignon.
25:17Lydia et Claude Bourguignon qui sont des génies, vraiment des génies.
25:20Il y a longtemps qu'ils auraient dû avoir le prix Nobel.
25:23C'est des gens qui s'occupent de la microbiologie des sols,
25:26c'est-à-dire de la terre, c'est-à-dire de ce qu'on mange,
25:28et de ce qui fait notre santé ou pas.
25:30Parce que là, on est quand même un pays
25:33avec une santé extrêmement déficiente et de plus en plus jeune.
25:36Vous avez vu l'étude qui est parue.
25:38Maintenant, c'est 15, 25, 30 ans, les cancers.
25:41La première chose, c'est le sol.
25:42C'est le sol, c'est la microbiologie des sols.
25:44Arrêtez.
25:45La bosse et l'abri sont des déserts.
25:47Ce sont des déserts absolus.
25:49Vous enlevez la chimie, vous enlevez le pétrole,
25:51c'est-à-dire la chimie, c'est entièrement le pétrole.
25:53Ils ont fait la guerre à la terre depuis 70 ans.
25:56Vous enlevez ça, c'est des déserts.
25:57Ça va se racler, c'est presque de la roche, maintenant.
26:00Et c'est 15, 20 ans, 30 ans pour réparer ça.
26:03Colline, j'ai une dernière question
26:05qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes.
26:07Nous sommes entourés de quatre statuts
26:09qui représentent chacune une vertu.
26:11Il y a la statut représentant la sagesse,
26:13il y a la prudence, il y a la justice et il y a l'éloquence.
26:17Est-ce qu'il y a une de ces vertus que vous avez envie de défendre
26:20aujourd'hui, qui vous parle le plus, qui vous caractérise, peut-être ?
26:25Êtes-vous sage ?
26:26Je ne caractérise pas jusque-là.
26:28Je n'ai pas cette outrecuidance, mais qui me plaise.
26:32Il y aurait la sagesse et la justice.
26:34La sagesse et la justice.
26:36C'est celle-ci qui vous parle. Ce seront vos vertus à vous.
26:38Je ne sais pas.
26:41Je suis comme tout le monde.
26:43J'ai mes contradictions.
26:44Humaines, donc.
26:46Merci beaucoup, Colline Serrault, d'avoir été avec nous
26:48dans ce beau rendez-vous.
26:49Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
26:51Émission à retrouver en replay sur notre plateforme publicsena.fr
26:55et bien sûr au podcast.
26:57À très vite. Merci.

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