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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Une fois n'est pas tout à fait coutume, avant de vous faire connaître ce dossier,
00:15permettez-moi de l'ouvrir à l'avant-dernière page. Oh, je sais que ce n'est pas bien,
00:21il ne faut jamais regarder les dernières pages d'un livre que l'on veut livre,
00:25il ne faut jamais entrer dans une salle de cinéma permanent à la fin du film que l'on veut voir,
00:29il ne faut pas, mais c'est tentant. Alors faisons-le, une fois n'est pas coutume.
00:39Un homme dort sur un canapé. Ce canapé est américain, l'homme aussi. D'ailleurs l'histoire
00:46est américaine. Nous sommes le dimanche 30 août 1970. L'homme qui dort sur le canapé est jeune,
00:5326 ans, plutôt beau garçon. Il ne dort que d'un œil, guettant les bruits de la maison,
01:01sursautant au moindre craquement. Nerveux. Le canapé est inconfortable. Il sert rarement de
01:10lit. De plus, l'homme n'est pas chez lui, mais dans une maison appartenant à un couple de ses
01:15amis. La jeune femme lui a installé, tant bien que mal, des coussins multicolores sous la tête,
01:20pas de draps ni de couverture. L'homme dort tout habillé, en visite. Pour lui permettre de dormir,
01:27ses amis ont décroché le téléphone et fermé la porte du living room. Mais le silence et le repos
01:36sont longs à venir. L'homme s'agit de plus en plus. Il est environ 4 heures du matin à Rochester,
01:44dans l'état de New York. Finalement, l'homme se lève en silence et dans le noir. Il cherche
01:51à tâton une lampe, ne la trouve pas et tire les rideaux pour avoir un peu de clarté. On peut se
02:00demander ce qui se passe dans la tête de cet homme qui regarde la rue d'une fenêtre du 12e étage
02:06d'un immeuble de Rochester, dans l'état de New York. On peut se le demander en effet sans grand
02:12espoir de deviner. De toute façon, ce qui lui passe par la tête est bien au-delà de toute
02:17imagination. Ce qu'il va faire aussi dépasse l'imagination. Si quelqu'un de votre entourage a
02:24déjà essayé de faire ça, demandez-lui vite pourquoi. Il serait intéressant de le savoir.
02:30L'homme retourne près du canapé. Il hôte sa chemise. Il s'assoit sur le canapé, hôte ses
02:40chaussures, puis ses chaussettes, qu'il les jette en travers de la pièce. À nouveau debout, il hôte
02:46son pantalon. Il hôte son slip. Sans aucun doute possible, l'homme est maintenant entièrement nu.
02:54Que va-t-il faire ? Là encore, on peut se le demander pourquoi cet homme, qui était couché
03:01tout habillé sur un canapé dans un appartement de Rochester, état de New York, pourquoi cet homme
03:06s'est-il relevé pour se déshabiller ? Il n'a pas trop chaud ? Il n'a pas l'intention de commettre un
03:12acte licencieux ou libidineux ? Non. S'il est planté là tout nu dans ce living room, c'est qu'il a une
03:18raison bien sûr. Il marche à travers la pièce jusqu'à la porte de la cuisine, silencieusement.
03:26Il ouvre la porte de la cuisine et se dirige vers le réfrigérateur.
03:35Ce dimanche soir, 30 août 1970, à Rochester, dans l'état de New York, un homme nu ouvre la
03:42porte d'un réfrigérateur. Il est grand et il est plein, ce réfrigérateur, de choses diverses réparties
03:51sur quatre étagères. L'homme les prend une à une et les transporte sur la table de la cuisine. Il
03:59fait tout ça soigneusement. Les conserves sont empilées les unes sur les autres, les bouteilles
04:04alignées. Maintenant le réfrigérateur est vide. L'homme éteint la lumière dans la cuisine et
04:12considère un moment la faible lueur bleue à l'intérieur du meuble. Une légère vapeur de
04:18froid s'en échappe. Puis il s'assied sur le fond du réfrigérateur, replie ses jambes,
04:27pivote sur lui-même et se cale tant bien que mal à l'intérieur. Sa tête touche le
04:35compartiment à glaçons. Il ne reste plus qu'à tendre le bras pour attraper la porte et la faire
04:43claquer d'un seul coup. Ce n'est pas facile. À la troisième tentative, enfin la porte claque avec
04:55un bruit mat. Il est aux environs de 4h30 du matin. A Rochester, dans un appartement au
05:05douzième étage d'un immeuble, un homme nu, de sa propre initiative, vient de s'enfermer lui-même
05:15dans un réfrigérateur en marche. Cela demande évidemment quelques explications.
05:36Nous allons maintenant reprendre les choses par leur début et remonter quelques heures
05:46plus tôt, dans ce dimanche 30 août 1970, à Rochester. Plus exactement à une cinquantaine
05:52de kilomètres de Rochester, au bord du lac Canandega. C'est un endroit de vacances et de
05:58week-ends. Quelques maisons très belles, dispersées sur les bords du lac, y accueillent les habitants
06:04des petites villes environnantes, venus respirer le bon air. La maison de Gary et Connie Stone est
06:12une des plus belles. Le couple est jeune, les dollars ne manquent pas. Gary a 26 ans, il est
06:18industriel, fils d'industriel, américain bon teint, en apparence sans problème. Sa femme Connie en a
06:2525. Elle est très belle, brune, grande, des cheveux coupés à la Jeanne d'Arc, des yeux brillants qui
06:32s'attardent volontiers sur les amis de son mari. Mais c'est une jeune femme étrange, qui donne
06:37toujours le sentiment de vivre avec trop d'intensité, comme si la vie était trop courte, comme si elle
06:43devait s'arrêter du jour au lendemain. Cette sorte d'avidité permanente se traduit superficiellement
06:49par des excès jugés amusants par les amis du couple, qui apprécient toujours les week-ends
06:55organisés au bord du lac. Lorsqu'on est invité chez les Stone, on est sûr de participer à une fête.
07:01Le whisky est dans, l'eau du lac paraît moins froide pour les baignades nocturnes.
07:07Ce dernier week-end d'août, la bande habituelle de joyeux drilles a envahi la maison. Gary Stone est
07:14seul pour les accueillir. « Ben oui, Connie. » Gary désigne le lac du doigt. « Oh, elle a dû prendre le bateau
07:22ce matin pour faire un tour. Elle s'est réveillée avant moi, j'ai dormi comme un loir, je ne l'ai pas
07:27entendu se lever. » Sur le lac Canandega, ce matin-là, une bonne vingtaine de voiliers se
07:33profilent à l'horizon. Connie doit être dans l'un d'eux. La matinée du samedi s'étire dans le chaud
07:39soleil du mois d'août, mais on se baigne peu. L'eau du lac est si glacée que plusieurs des invités
07:45n'y trempent guère que les doigts. À l'heure du lunch, Connie n'est pas rentrée. Gary s'inquiète un peu.
07:54Il confie rapidement ses invités à son meilleur ami Fred et annonce qu'il va faire le tour du lac
07:59pour interroger les riverains. À son retour, il est très inquiet. Aucun des plaisanciers qu'il a
08:05rencontrés n'a aperçu sa femme. Son ami Fred et sa femme tentent de le rassurer. Connie est peut-être
08:11repartie à Rochester sur un coup de tête. Gary hoche la tête. « Peut-être. C'est possible. » Fred se
08:21décide à poser une question plus directe. « Écoute, mon vieux, si vous vous êtes disputé, tu peux nous le dire.
08:29Veux-tu qu'on lui téléphone ? Mais on ne s'est pas disputé. Il ne s'est rien passé. Rien du tout. Je ne
08:37comprends pas. » La seule solution est d'aller voir à l'appartement de Rochester à 50 km car la
08:43maison de week-end n'a pas le téléphone. Gary y entraîne son ami Fred dans l'après-midi. Part de
08:50Connie. La journée de dimanche s'écoule. La nuit passe. Sans nouvelles, les invités regardent Rochester.
09:00Gary Stone reste seul avec son ami Fred. C'est là que commence réellement ce dossier extraordinaire.
09:11Gary Stone est bizarre. Si bizarre que son ami Fred hésite à le laisser seul. « Viens avec
09:21moi si tu veux. Tu goucheras à la maison. Elle téléphonera sûrement. » C'est comme ça que
09:28Gary Stone s'est retrouvé dans la nuit du dimanche 30 août sur le canapé de l'appartement de ses
09:34amis. C'est comme ça qu'il s'est levé à 4 heures du matin. Il a ôté son pantalon, sa chemise et tout
09:39le reste, vidé le réfrigérateur pour y entrer tout entier et refermé la porte sur lui.
09:47Étrange conduite de la part d'un homme qui apparemment n'a pas de problème. Le
09:54réfrigérateur va garder son secret le restant de la nuit. Et le lendemain matin, Fred et sa
10:01femme quittent sans bruit l'appartement pour aller travailler. Ils referment doucement la porte
10:05d'entrée pour ne pas réveiller Gary. Gary qui est censé dormir sur le canapé depuis la veille.
10:09Alors les heures passent. Le réfrigérateur ronronne sur son rythme habituel dans l'appartement,
10:17désert. Aucun autre bruit. Le lundi après-midi, à 17h30, les amis de Gary Stone rentrent chez eux.
10:28Les vêtements de Gary sont toujours là, éparpillés dans le salon. Et c'est en découvrant
10:35sur la table de la cuisine le contenu du réfrigérateur que Fred, l'ami de Gary,
10:38se doute de quelque chose. Il se précipite vers l'appareil, ouvre la porte en grand.
10:43Gary est là, tout nu, recroquevillé, bleu, lamentable, mais vivant.
10:54Ah, vous pouvez facilement vous mettre à la place de Fred. Découvrir quelqu'un qui,
11:00la veille encore, paraissait normal bien qu'un peu inquiet. Découvrir ce quelqu'un
11:04dans son propre réfrigérateur. Il y a de quoi s'asseoir une minute, le temps d'avaler sa
11:09surprise. Ensuite de ça, bien sûr, on secoue l'individu en question, on le frictionne,
11:13on lui donne des claques, on l'habille, on lui apporte quelque chose de chaud à boire.
11:17Et on lui pose la question suivante. Mais qu'est-ce que tu foutais là, nom de Dieu?
11:22Ce qu'il faisait là, Gary Stone l'explique à son ami d'une voix tremblotante.
11:27J'ai eu une vision. Écoute, c'est vrai ce que je dis, j'ai toujours eu un sixième sens.
11:36Rappelle-toi, j'ai prédit avec exactitude le jour de la mort de mon grand-père. J'ai
11:41su plusieurs semaines à l'avance la date de l'assassinat du président Kennedy à Dallas.
11:45Je sens ces choses-là, je les ai toujours senties. C'est horrible, ça me rend malade.
11:50Cette nuit, j'ai eu une vision épouvantable. J'ai vu un corps dans l'eau qui nageait,
12:00qui nageait loin. J'ai vu arriver l'étrave d'un bateau qui a heurté le corps. Et avant qu'il
12:07coule, j'ai eu le temps de voir un visage plein de sang. C'était ma femme. C'est déconné,
12:16j'en suis sûr. Je l'ai vu, tu comprends ? Je l'ai vu. Je suis sûr qu'elle est morte. Elle
12:22s'est noyée. Fred ! Fred, elle s'est noyée. Je ne pourrais pas le supporter.
12:27Gary a vraiment l'air lamentable. Il tremble de tout son corps. Fred a du mal à le calmer,
12:36à le raisonner. Enfin, tu es complètement dingue. Mais c'est pour ça que tu t'es mis dans le
12:40réfrigérateur, mais pour te suicider ! Tu voulais te suicider dans un réfrigérateur !
12:45Je voulais me tuer. Mais je n'avais rien sous la main. Je ne savais pas comment faire. Puis
12:54j'ai pensé à Connie, toute seule dans l'eau glacée du lac. Alors je me suis dit que ce serait
13:01bien de mourir comme elle, dans le froid. Vous pensez peut-être que je ne vous ai pas tout dit
13:09sur Gary Stone, que je vous ai caché ses antécédents paranoïaques ou quelque chose de ce
13:14genre. Pas du tout. Je ne vous ai rien caché de ce genre. Rien. Maintenant, si vous pensez que
13:21c'est Gary Stone qui nous cache quelque chose, vous avez peut-être raison. En tout cas, son
13:26ami Fred et sa femme semblent prendre pour argent comptant les déclarations de Gary. Ne l'ont-ils
13:31pas trouvé dans leur réfrigérateur, eux-mêmes ? Pourquoi auraient-ils fait cela s'ils n'avaient
13:36pas voulu réellement se suicider ? Si bien que lorsque Gary demande « Ne parlez pas de tout ça
13:42à personne, je vous en supplie », eh bien tous deux vont se taire. Ils ne vont rien dire à personne.
13:50D'autant plus qu'une telle révélation ferait rapidement le tour de la ville de Rochester où
13:54les Stones sont bien connus et, il faut le dire, influents. Reste que Connie n'a toujours pas
14:01donné de ces nouvelles et que sa disparition demeure mystérieuse.
14:12Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
14:16Le mardi, toujours sans nouvelles de sa femme, officiellement, Gary demande à son ami Fred de
14:21l'accompagner chez les parents de sa femme. Il pense que, peut-être, elle s'est réfugiée là-bas sur
14:26un coup de tête et qu'elle ne veut pas donner de ces nouvelles pour l'inquiéter un peu. Il semble,
14:32redevenu calme, être débarrassé de ses idées de suicide et de ses visions de cauchemar. Fred
14:40l'accompagne et, sur la route du retour, n'ayant toujours pas de nouvelles de Connie, qui n'a pas
14:44paru chez ses parents depuis longtemps, Fred se décide quand même à demander. « Bien entendu,
14:49tu as prévenu la police. » « Non. » « Mais tu aurais dû commencer par là au lieu de te faire
14:54des idées stupides et de t'enfermer dans mon réfrigérateur. » « Je ne veux pas qu'on jase.
14:58Tout le monde nous connaît et puis je les connais les policiers. Ils mettent leur nez partout. »
15:03« Tu vas le faire quand même. Mais si Connie a eu un accident, faudra bien y passer un jour
15:09ou l'autre. » Gary Stone se laisse entraîner de mauvaise grâce jusqu'au bureau du chef de la
15:15police locale, M. John Simbari. John Simbari est le type même du policier qui aime mettre son nez
15:21partout, justement. Il connaît bien la famille Stone. Il connaît bien Connie. Il trouve tout
15:28ça bizarre. « Alors comme ça, vous avez nagé tous les deux, dans la nuit de samedi à dimanche,
15:33à quatre heures du matin ? Eh bien, dites-donc. Vous n'avez pas peur du froid, vous ? » S'il
15:41savait. Mais il ne sait pas. Il ne saura pas, d'ailleurs, car Fred, qui assiste à l'entretien,
15:47ne raconte pas l'histoire du suicide manqué dans le réfrigérateur. Il a promis.
15:52Le chef de la police poursuit donc son interrogatoire sans savoir qu'il vient de faire
15:58une réflexion incongrue. « Vous êtes allé jusqu'où comme ça, en nageant ? » « Jusqu'au
16:06ponton du yacht club, à cinq cents mètres environ. » « Et puis ? » « Je dis à ma femme que j'étais
16:12fatiguée et que je préférais rentrer tout de suite. Elle m'a répondu qu'elle me rejoindrait
16:17plus tard. Alors je suis rentré, je me suis couché et j'ai dormi. » « Quand les invités sont arrivés
16:24le lendemain matin, elle n'était pas là. » « Ça ne vous a pas inquiété ? » « Pas vraiment,
16:29non. J'ai pensé qu'elle était rentrée dans la nuit, que je n'avais pas entendu se coucher ni se
16:34lever. Vous savez, ma femme est un peu bizarre. Elle fait parfois des choses assez déroutantes. »
16:42Pour un premier interrogatoire, le chef de la police ne peut guère demander plus. D'ailleurs,
16:49il est trop tôt. Il ne s'agit pour l'instant que d'une demande de recherche.
16:53La police entame la procédure de routine. On drague le lac, on interroge, on convoque le mari,
17:01on le reconvoque. Une chose intrigue le chef de la police. Garriston a déclaré que sa femme
17:07était bizarre, qu'elle faisait toujours des choses déconcertantes. Donc, il semblait admettre la
17:11possibilité d'une fugue. Or, toutes les amies féminines de Connie interrogées se sont toutes
17:16accordées à déclarer « Connie est incapable de faire une fugue ». Et puis, et puis, il y a aussi
17:24la police d'assurance vie. 300 000 dollars. Évidemment, les Stones, en général, ne courent
17:30pas derrière les dollars. Mais qui sait ? Ou alors une histoire de jalousie. John Simbary,
17:37le policier, décidément, va mettre son nez partout. Sur la pointe des pieds, car il ne peut
17:41pas traiter Garriston comme le clochard du coin. Mais il fouine, il fouine inlassablement autour
17:46du lac. Et c'est en fouinant qu'il apprend un jour que le bateau à voile de Garriston n'a pas
17:53bougé du quai depuis de longs jours. Et en tout cas qu'il n'a pas bougé de tout le week-end de fin
17:58août. C'est très important ce que dit ce vieux pêcheur qui connaît tous les bateaux du lac.
18:04C'est très important parce qu'au cours de l'une de ses déclarations, Garriston a dit « le matin,
18:09lorsque les invités sont arrivés, Connie n'était pas là ». Seulement aux invités, justement, ce matin-là,
18:15il a dit « elle doit être en train de faire du bateau ». Alors de deux choses l'une. Où Garriston
18:23n'a pas vérifié la présence à quai de son bateau. Où il savait que Connie ne faisait pas de bateau
18:29et il a inventé ce prétexte. Mais de toute façon, il a menti. C'est l'occasion. Avec le témoignage du
18:35vieux pêcheur, c'est l'occasion de pousser un peu plus loin l'interrogatoire de ce mari curieux qui
18:40ne sait pas où est passée sa femme, ne s'en inquiète pas avant 24 heures. Il ne plaît pas
18:45beaucoup, il faut bien le dire, au policier John Simbarry. Il ne lui plaît pas parce qu'il n'a pas
18:52dit une seule fois depuis des jours et des jours qu'on recherche sa femme. Non, il n'a pas dit une
18:58seule fois « j'ai peur qu'elle se soit noyée ». Et pourtant c'est logique. Puisqu'ils en nageaient
19:05ensemble tous les deux la nuit dans l'eau glacée, qu'il rentrait parce qu'il était fatigué, qu'elle
19:08est restée toute seule. Enfin, c'est logique de penser à la noyade. C'est Fred, l'ami de Gary,
19:15que le policier interroge tout d'abord. « Dites-moi, vous ne trouvez pas étrange que Gary Stone ne parle
19:21jamais de noyade possible ? Eh si, bien sûr, Fred trouve cela étrange, surtout sachant ce qu'il sait. »
19:29Alors il va dire une partie de la vérité. Il va dire ce que lui a confié Gary à propos de
19:37ses visions, ce corps noyé qu'il a vu, ce visage ensanglanté qui était celui de Connie. Mais il ne
19:43parle pas encore de la tentative de suicide si extraordinaire de Gary. Peut-il protéger quand
19:48même son ami ? C'est possible. Mais cela n'aide pas le travail du policier qui va passer encore
19:54de longs jours à cuisiner Gary Stone. Un grand pas est fait cependant. Grâce au témoignage du vieux
20:01pêcheur et à celui de Fred, que Gary Stone réfute d'ailleurs avec force, il est inculpé sous
20:06présomption de meurtre sur la personne de sa femme. Bien sûr, il y a la caution. Elle est versée sans
20:11délai et Gary, à peine inculpé, se retrouve dehors en liberté provisoire. Bien que ce ne soit pas légal
20:17du tout et sans valeur devant un tribunal, on soumet Gary Stone au détecteur de mensonges. Cette
20:22machine, vous savez, qui enregistre les moindres réactions de l'organisme et perçoit les accélérations
20:27des pulsations cardiaques qui indiquent que l'on ment. En principe, cela marche, même chez les
20:32mythomanes les plus endurcis. Eh bien, ça ne marche pas sur Gary Stone. Gary Stone est innocent, les
20:39journaux l'affirment, son père l'affirment, sa mère, ses cousins, ses amis, tout le monde, y compris
20:44lui bien entendu. C'est simple, il a quitté sa femme dans la nuit sur le ponton du lac. Il ne
20:50l'a pas revu depuis. Qu'on lui prouve le contraire. On va lui prouver le contraire. Le chef de la police
20:59décide d'employer les grands moyens. Or, pour lui aussi, c'est simple. Si Gary a tué sa femme et l'a
21:05noyée dans le lac, il a dû y aller en barque, c'était plus facile. Donc, il faut chercher une barque
21:11abandonnée sur le lac et fouiller dans un rayon suffisant autour de cette barque. On en trouve une,
21:18mais pas sur le lac Canadega, mais sur un lac voisin, le lac Canadis. Le chef de la police y envoie ses
21:27plongeurs équipés d'un système de repérage sonar ultra perfectionné. À 50 mètres de la rive, par
21:3316 mètres de fond, presque au-dessous de la barque, les plongeurs découvrent un fût métallique
21:40complètement scellé. À l'intérieur, une femme presque nue, un fil de fer serré autour de la gorge,
21:52le crâne fracturé, c'est Connie Stone. Cette fois, Gary s'effondre, il avoue tout.
22:05C'est une bien étrange confession. Écoutez, Connie voulait mourir et elle voulait qu'il meure
22:16aussi. Connie avait peur de la mort, terriblement peur. Elle ne supportait pas de vivre en sachant
22:23qu'un jour elle mourrait, qu'il n'y avait rien à faire contre cela, qu'on n'y pouvait rien. Rien,
22:27sauf décider soi-même de mourir pour en finir plus vite, pour ne plus attendre peut-être jusqu'à 100
22:33ans de mourir enfin. Elle n'avait pas le courage de se suicider elle-même, alors elle a demandé à
22:40son mari de le faire en lui faisant promettre de mourir lui aussi, après, et de la même manière.
22:46Gary était d'accord, il fit un pacte avec sa femme, un pacte sacré. Ce jour-là, veille du
22:53week-end, Connie lui a demandé de tenir son serment. Voilà ce que Gary raconte et il ajoute,
23:00« Nous avons fait l'amour avant, car nous nous aimions, puis je lui ai mis des menottes. Je ne
23:09voulais pas la faire souffrir, alors je l'ai arrosée des terres pour l'endormir. Ensuite,
23:15j'avais prévu de la mettre dans le fût et de l'étrangler avant de le refermer. C'est ce que
23:20j'ai fait. Elle dormait, elle n'a rien senti. Cette fracture du crâne qu'elle a, c'est parce que je
23:26l'ai fait tomber à un moment donné. C'était trop lourd, mais je ne l'ai pas frappé. Dans l'usine
23:31que je possède à Rochester, il y a des machines spéciales et des chariots élévateurs. J'ai
23:35soudé le fût et je l'ai soulevé ensuite jusqu'à mon coffre de voiture. Quand je suis arrivé au bord
23:41du lac, j'ai eu beaucoup de mal à le sortir et à le mettre dans la barque. Je n'ai pas pu aller
23:46bien loin. C'est pour ça que vous l'avez retrouvée. Je ne voulais pas qu'on la retrouve, du moins,
23:53avant que je sois mort moi-même. » Seulement voilà, Gary Stone qui avait su si bien faire
24:03disparaître sa femme, a été moins habile pour lui-même. S'enfermer dans un réfrigérateur pour
24:10mourir, cela peut se concevoir à la rigueur, car si l'idée est étrange, on est sûr par contre de
24:17réussir. Normalement, et il y a eu malheureusement quelques accidents de ce genre avec des enfants,
24:23personne ne peut résister plusieurs heures dans quelques mètres cubes d'air à 5 degrés. Alors
24:29comment se fait-il que Gary Stone ait résisté de 4 heures du matin à 17h30 de l'après-midi,
24:36soit 13h30 sans air ? Difficile à croire, n'est-ce pas ? Au cours du procès, l'attendé
24:44général le dira clairement. « Cette affaire est bizarre, mais je ne suis pas là pour déterminer à
24:50quel point elle est bizarre. » Non, ce fut au juré de le dire, au bout de neuf heures de délibération.
24:58Ce sera la prison à vie pour Gary Stone à la maison d'arrêt d'Attica, tristement célèbre pour
25:04les émeutes qui s'y sont déroulées récemment. Voyez-vous, fou ou pas, selon l'un ou l'autre
25:10psychiatre qui l'ont examiné, oui, fou ou pas, Gary Stone, à notre avis, était malin. Il était
25:17sûrement très malin. Essayez donc de trouver une astuce pour fermer une porte de réfrigérateur
25:24de l'intérieur et pouvoir la réouvrir de temps en temps, juste pour voir si quelqu'un vient et va
25:32enfin vous découvrir, juste pour respirer aussi de temps en temps. Essayez d'y penser seulement,
25:40vous verrez que ce n'est pas si simple.
25:54Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
26:10d'Europe 1. Réalisation et composition musicale, Julien Tarot. Production, Estelle Laffont.
26:17Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne
26:25Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
26:30Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.

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