Les clefs d'une vie Gérard Rancinan
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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2025-05-15##
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PersonnesTranscription
00:00Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:06D'innombrables photos vous ont permis de construire une image,
00:09celle d'un observateur du monde qui, en un clic, est capable de raconter une histoire
00:15n'ayant rien d'un cliché. Des moments uniques devenus des œuvres d'art.
00:19Bonjour Gérard Rancinan. Bonjour.
00:21Alors, on connaît votre nom, on connaît mal votre parcours.
00:23Vous êtes l'un des plus grands photographes du monde.
00:25Vous avez aussi des photos qui sont devenues des œuvres d'art.
00:29On va parler de ça à l'occasion, dans quelques jours,
00:33d'une vente aux enchères un peu particulière.
00:35Et le principe des clés d'une vie, c'est de raconter votre parcours à travers des dates clés.
00:40Donc la première que j'ai trouvée, c'est le 18 novembre 1983,
00:44votre première télévision archivée sur générique.
00:53L'émission Flash 3 qui est présentée par Jean Bardin.
00:57Et vous êtes dans cette émission, le magazine de la photo,
01:00où il y a un concours de photos. Vous en souvenez ?
01:03Vous êtes tout jeune avec des cheveux.
01:05Oui, avec des cheveux.
01:06Vous êtes membre du jury et vous évoquez un reportage
01:09sur le sport en Chine que vous venez d'effectuer.
01:12Absolument. Oui, je m'en souviens très bien.
01:14Je me souviens très bien de ce reportage.
01:16Assez unique, en effet.
01:18C'était un travail assez étonnant,
01:21puisque j'avais fait pendant trois ans des demandes pour aller en Chine
01:25faire des photos de sportifs.
01:27Et aidé par Paris Match en France
01:30et aussi le Life Magazine aux Etats-Unis,
01:34les derniers moments du Life Magazine,
01:35j'ai pu aller en Chine, passer un mois,
01:38suivre les athlètes qui allaient se présenter aux Jeux Olympiques.
01:40Et c'était le retour des Chinois aux Jeux Olympiques, en fait.
01:45Et vous évoquez aussi un portfolio que vous préparez pour les enfants.
01:49Je ne sais pas si vous l'avez fait, mais en tout cas, vous l'évoquez dans cette émission.
01:52Oui, c'est possible. Je ne m'en souviens plus vraiment.
01:54Ça remonte quand même.
01:55Et à côté de vous, il y a Roger Corbeau,
01:57qui était un des plus grands photographes de cinéma.
01:59C'est Marcel Pagnol qui l'a découvert.
02:01Et ensuite, il a fait des photos pour Chabrol, pour Orson Welles et autres.
02:04Pour tout le monde.
02:05Et il m'a remis un prix à Cannes,
02:09quelques années plus tard,
02:11de photographe de...
02:13Alors non, pas de plateau, parce que je n'ai jamais fait de photos de plateau,
02:16mais avec Sigma, pour laquelle je travaillais pour cette magnifique agence.
02:22On suivait des films les plus importants.
02:25Alors j'ai suivi ainsi Kurosawa, Bertolucci.
02:30Je faisais quelques films comme ça, entre deux grands reportages,
02:33où je faisais des...
02:34On appelait ça des spéciaux.
02:36Et on faisait des photos comme ça.
02:37Et Corbeau m'avait remis un prix à Cannes
02:40pour ses photos du film de Kurosawa, je crois,
02:43qui s'appelait Ran.
02:45Et il m'avait expliqué que lui-même,
02:48ses astuces pour photographier de belles actrices, tout ça.
02:54C'était un personnage merveilleux,
02:55un très grand photographe et un homme charmant.
02:57Exactement. Alors vous êtes né à Talens, près de Bordeaux.
03:00D'ailleurs, le prince Henrik, qui a été le prince consort du Danemark,
03:04José Bové, Barbara Schultz et Olivia Marshall sont nés aussi à Talens.
03:07Mais c'est une ville méconnue,
03:10qui a en effet des célébrités.
03:12Je ne sais pas si j'en fais partie,
03:13mais les personnes que vous avez citées, en effet, sont des célébrités.
03:17Oui, c'est la banlieue de Bordeaux, je crois.
03:19Oui, c'est ça. C'est à trois kilomètres.
03:21Il y a les universités,
03:22il y a les vignes du Haut-Brion, entre Pessac et Bordeaux.
03:25Enfin, on est bien entouré.
03:27Université, ce n'est pas votre truc,
03:28parce que je crois que l'école, à part dessiner des motos,
03:31en signant, vous ne faisiez pas grand-chose.
03:34Oui, peut-être parce que l'université était trop près de moi.
03:38Elle m'a rejeté.
03:38Mais en tout cas, je dessinais des petites motos
03:41et même les prêtres jésuites de Sarla,
03:45de l'école où j'étais, m'ont dit
03:47« Écoute, ce n'est pas la peine de rester, on n'y arrivera jamais. »
03:49Oui, je crois qu'il y avait la géographie et l'histoire qui vous intéressaient.
03:52J'étais passionné par l'histoire.
03:53J'étais passionné par toutes ces histoires,
03:55l'histoire avec un petit H, l'histoire avec un grand H.
03:58Et voilà.
03:58Et donc, c'est peut-être ça, c'est cette curiosité de la géographie,
04:03des pays éloignés et des gens étrangers qui m'a toujours motivé.
04:08Alors, vous avez eu une chance inouïe et rare, Gérard Racineau,
04:12c'est que votre père a bien compris le problème
04:14et il vous a trouvé du travail très vite.
04:16Mais vous savez, la vie n'est faite que de rencontres,
04:19de moments, de saisir des chances, n'est-ce pas ?
04:22Et mon père a bien vu qu'il pouvait tout faire.
04:26Lui, ouvrier typographe à Sud-Ouest,
04:29ne pouvait pas assumer comme ça des études en payant et en payant.
04:32Donc, il a été voir le chef du service photo.
04:35Il cherchait un métier créatif pour son fils qui ne faisait rien à l'école.
04:41Et il m'a demandé s'il ne cherchait pas un apprenti photographe.
04:44Dans un journal, c'était plutôt rare, c'était plutôt quelque chose qui n'existait pas.
04:48Et donc, le chef du service photo, lui-même ayant été apprenti
04:51d'un très grand photographe qui s'appelait Georges Berniat à Sud-Ouest,
04:54qui avait travaillé avec Cartier-Bresson, avec Hemingway,
04:57qui avait fait la guerre d'Espagne, a accepté.
04:59Et c'est ainsi que je suis rentré à 15 ans et demi comme photographe à Sud-Ouest.
05:03Alors que vous ne connaissiez rien à la photo, Gérard Racineau.
05:06Ça a été une des épreuves de ma vie les plus compliquées
05:08parce qu'en fait, quand je suis rentré, on m'avait d'abord mis un costume 3 pièces avec un petit gilet.
05:12On m'a dit, ici, on travaille comme ça.
05:14Et puis, on m'a donné un appareil photo. On m'a dit, tu veux faire photographe, fais des photos.
05:18Et là, évidemment, ça a été la pire des catastrophes.
05:20Je n'y suis pas arrivé. Tout le monde s'est regardé et m'a dit,
05:23c'est pas grave, Gérard, on va y arriver.
05:25Voilà. Et vous avez commencé.
05:26Et c'est vrai que les photographes, à l'époque, n'avaient rien à voir avec ceux d'aujourd'hui.
05:30D'abord, il y avait un gros matériel.
05:31Et puis ensuite, il y avait les paparazzis de Paris Match qui étaient à Cannes, dans les grands hôtels.
05:37Et il y avait les photographes de région qui étaient souvent des photographes exceptionnels.
05:43En fait, on faisait tout.
05:45Ça veut dire qu'il y avait, oui, l'aristocratie de la photographie.
05:49On parlait de Paris Match, des grandes agences.
05:51On rêvait de photographes comme ça, des quartiers Bresson, des choses comme ça.
05:53Mais nous, on faisait tout.
05:55On faisait les remises de médailles, les gâteaux,
06:00la célébration des rois dans les Ehpad.
06:04Enfin, à l'époque, ça n'était plus pas comme ça.
06:05On suivait les maires de chaque ville.
06:07On faisait les accidents de la route.
06:09On faisait les faits divers.
06:10On faisait trois matchs de rugby par dimanche.
06:12Enfin, on apprenait le métier sur le tas.
06:15Et en même temps, il fallait être toujours à l'heure.
06:17Donc, on gagnait une force de rapidité, de réflexion, de curiosité qui devait être immédiate.
06:26Et c'était une école absolument formidable.
06:29En même temps, Gérard Rancinan, vous êtes entré dans un monde où il y a une fraternité.
06:33Car les autres photographes vous ont aidé au départ, ce qui n'est pas si fréquent.
06:37Alors, j'allais dire, j'ai eu peut-être beaucoup de chance.
06:40Je suis tombé dans une équipe où ce chef de service photo, Vincent Olivard, qui m'a pris.
06:46Je suis entouré par Georges Berniard, l'ancien chef du service qui venait tous les jours.
06:49Et puis, tous les mois, il a mené un nouveau foulard Hermès à une de ses compagnes.
06:55Il y a sûrement qui travaillait encore à Sud-Ouest, qui avait que quelques années de moins que lui.
06:59C'était un grand seigneur de la photographie, en effet.
07:01Et puis, il y avait aussi Michel André.
07:03Il y avait aussi des photographes, M. Lacroix, Carlessen, qui m'ont tous aidé, tous.
07:09Ils m'ont porté. Ce sont eux qui m'ont porté sur leurs épaules.
07:13Ce sont eux qui m'ont dit, Gérard, regarde comment on fait, regarde comment il faut faire.
07:17Et ces photographes-là étaient d'extraordinaires photographes.
07:20Michel André, pour le citer que lui, a été sollicité par Macnum à l'époque pour rentrer à Macnum.
07:26C'est un très grand photographe.
07:28Alors, ils m'ont appris le métier.
07:30Et puis, je me suis armé comme un porte-avions de guerre.
07:35Et j'avais de très beaux appareils photos. Et voilà.
07:37Vous avez cassé votre tirelire pour tout acheter.
07:39Oui, bien sûr, évidemment.
07:41Mais je devais ressembler à un photographe, donc il fallait la panoplie complète.
07:45Et puis, vous lisiez les journaux spécialisés comme Life, par exemple.
07:48Life était le grand journal du photojournalisme.
07:51Alors, c'était Life, bien sûr. C'était un journal absolument...
07:54C'était la Bible pour nous. C'est-à-dire, c'était des grands reportages.
07:58C'était Eugene Smith, c'était Nye Leifer.
08:01C'était des grands photographes comme ça qui racontaient sur 20 pages des histoires photographiques.
08:06Et moi, j'ai rêvé de ça.
08:07Je me suis dit, un jour, peut-être, si j'y arrive, peut-être que je pourrais travailler pour Life magazine.
08:13Oui, et on oublie que Life magazine, au départ, c'était un journal humoristique au 19e siècle.
08:18Et le propriétaire de Time l'a racheté pour en faire un journal de photojournalisme.
08:22Eh bien, vous me l'apprenez parce que je ne le savais pas. Et ça, c'est extraordinaire.
08:25C'est extraordinaire.
08:25Extraordinaire.
08:26Alors, il se trouve que vous deviez passer le CAP de photographe.
08:30Et vous l'avez brillamment raté deux fois, Gérard Rancin.
08:32Écoutez, non, mais ce n'est pas ma faute.
08:34C'est parce qu'en fait, c'est ce que j'ai dit à mon chef de service qui a mis ses lunettes noires.
08:37C'est pour ça que j'en porte aujourd'hui.
08:39Il a mis ses lunettes noires. Il était navré.
08:41Il avait tout préparé pour que je réussisse, évidemment, mon brevet, mon certificat d'études.
08:48J'avais acheté une nouvelle moto. J'avais 16 ans et demi et je gagnais un peu d'argent.
08:52Donc, j'avais acheté une motocyclette.
08:53Et puis, entre minuit et deux heures, pour la pause déjeuner du CAP,
08:59à Hortès, à l'école de photographie qu'il y avait à Hortès, on passait ça.
09:03Il y avait une jeune fille absolument merveilleuse, une blonde à traverser la route.
09:08On aurait dit un éclair.
09:10Et j'ai voulu lui montrer l'accélération de ma moto, ce qui a été catastrophique.
09:14Je suis rentré en ambulance.
09:15Et la deuxième fois, vous êtes tombé sur un examinateur qui n'était pas très sympa.
09:19Non, parce qu'il m'a dit, vous pensez que vous arriverez à être photographe avec ce que vous me présentez là ?
09:25Je lui ai dit, monsieur, oui, bien sûr. Et même en plus, vous aurez de mes nouvelles.
09:29Et je l'ai revu quelques années après, l'examinateur,
09:31parce que j'ai été invité à l'école d'Hortès une dizaine d'années après.
09:35Et il était là et il m'a reçu, il m'a dit, vous avez tenu votre parole.
09:39Exactement.
09:40Alors, il se trouve, vous êtes quand même devenu photographe à 18 ans.
09:43Et puis, un jour, il y a une partie de carte dans le bureau des photographes.
09:48Et puis, il y a un reportage urgent à faire.
09:50Extraordinaire. Vous savez, les journaux en province, c'est fait de...
09:55Il y a des jeunes photographes et des plus vieux.
09:57Et les plus vieux, ils jouent aux cartes. Enfin, si on avait le temps.
09:59Ce n'était pas un monde pressé. Ce n'était pas un monde énervé dans lequel on travaillait.
10:03On avait un quotidien à faire. On le faisait. On le faisait bien.
10:06Un sud-ouest, c'était un très, très bon journal, comme La Dépêche du Midi,
10:09comme tous ces journaux de province merveilleux.
10:11Et on reçoit un coup de téléphone où personne ne parle anglais.
10:15Donc, on reçoit un coup de téléphone en anglais. Le chef est un peu perdu.
10:19Un des photographes, un peu plus âgé, parlait un peu anglais trois mots.
10:22Il dit, c'est un gars de Newsweek qui cherche un photographe
10:26parce que les Basques ont fait sauter Carrero Blanco.
10:29Et il se passe quelque chose.
10:32Et tout le monde a un peu sursauté.
10:34Et puis, en se disant, on va envoyer le petit.
10:38Et le petit, je me suis rendu témoin. C'est la chance de ma vie.
10:41Et je me suis armé de tous les appareils que j'avais achetés quelques mois auparavant.
10:46Et je vois un monsieur très élégant qui arrivait de New York
10:50et qui me dit, un jeune homme, on va y aller.
10:54Alors, je bafouillais un peu anglais. On nous voilà partis dans un taxi.
10:58On avait rendez-vous à la gare de Bordeaux.
11:01On nous a mis des bandeaux sur les yeux.
11:03On nous a fait monter dans une voiture.
11:05Et on s'est dirigé dans un endroit inconnu.
11:08Et puis là, j'ai fait des photos des gars qui avaient fait sauter,
11:14avec une bombe, des terroristes basques,
11:16qui avaient fait sauter Carrero Blanco,
11:18qui était le chef de l'armée, un amiral de la marine espagnole,
11:24descendant de Christophe Colomb, ce qui était un événement énorme.
11:27Et j'ai témoigné dans le monde entier avec ces photos.
11:30Et c'est ainsi que Sigma m'a appelé.
11:32Et ça a commencé. Et puis, il y a eu d'autres choses importantes.
11:34Il y a une autre date qui est importante dans votre carrière.
11:37C'est le 19 juillet 1996.
11:40A tout de suite sur Sud Radio avec Gérard Rancinan.
11:43Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
11:46Sud Radio, les clés d'une vie. Mon invité Gérard Rancinan, photographe.
11:50Mes photographes particuliers, vos photos sont devenues des œuvres d'art.
11:54On va en parler.
11:56Et il y a une exposition, une vente aux enchères dans quelques jours,
11:59à Chartres. On va aussi en parler.
12:01Donc on a votre parcours de photographe qui a commencé timidement et discrètement.
12:05Et puis, le 19 juillet 1996, il y a les Jeux Olympiques d'Atlanta
12:10avec cette personnalité, ce grand sportif.
12:13C'est gagné pour l'Éthiopien.
12:15Guy Bresset-Lassier, champion olympique du 10 000 mètres devant Paul Tergato.
12:19Champion olympique du 10 000 mètres.
12:21Et vous avez photographié en avant-première en allant le voir en Éthiopie.
12:25Oui, alors, bien sûr, j'ai toujours été passionné par ces personnages
12:30qui dépassaient les limites de les limites, simplement.
12:33Encore, ça vient peut-être de cette curiosité de rencontrer ces gens,
12:37d'en faire leur portrait.
12:39Et j'ai toujours, comme ça, tout au long de ma carrière, fait des personnages.
12:42Et je rêvais de faire ce personnage qui...
12:45Haïlé Gébré-Lassier.
12:47Qui était un grand coureur.
12:49Qui était un petit bonhomme, tout mince,
12:51avait des grandes jambes, très longues.
12:53C'est ce qui lui permettait de courir rapidement.
12:55Parce que les Éthopiens ont des particularités.
12:57Je vous donne peut-être un détail, comme ça.
12:59C'est pour ça qu'ils sont champions.
13:01C'est qu'ils sont, en marathon, ils ont des grandes jambes
13:03par rapport aux petits bustes qu'ils ont.
13:05Alors, ils galopent.
13:06Il a établi 27 records du monde, quand même.
13:08Oui, c'était incroyable.
13:09Et il me dit, moi, il n'y a pas de problème.
13:11Je suis souvent en Europe.
13:12Je lui dis, moi, je ne veux pas aller en Europe.
13:13Je veux aller te photographier chez toi.
13:15Et puis, nous avons été en Éthiopie.
13:17Il est venu, il est arrivé.
13:19Je lui ai amené son maillot, tout seul, parce qu'il n'avait rien.
13:22Et puis, on s'est baladé autour d'un site d'Isabeba.
13:26Il y avait, bien sûr, une campagne.
13:28Et puis, je vois une dame.
13:29Il y avait un rocher, comme un podium, en pleine brousse.
13:32Et puis, il y avait une dame qui prenait de l'eau.
13:34Et puis, je dis à Aïlé, j'ai brassé l'acier.
13:36Je lui dis, monte sur le podium, tu es habillé comme ça,
13:38et la dame va te tendre de l'eau.
13:40Après le succès, après la gloire, voilà.
13:42Et il me dit, oui, oui.
13:44Et puis, je vois la dame qui s'en va.
13:46Alors, je suis inquiet.
13:47Et je lui dis, mais elle est en train de partir.
13:49Rappelle-la.
13:50Il me dit, non, non, elle est allée se changer.
13:53Alors, mais ce n'était pas du tout prévu.
13:55Et elle revient, bien habillée, dans sa tenue,
13:57une nouvelle cruche, comme ça.
13:59Et elle lui tend, mais avec une élégance.
14:01Elle lui tend cette cruche, comme ça.
14:03Et elle lui donne à boire.
14:06Et je fais, à ce moment-là, la photo
14:08de ce champion aux pieds nus, en fait,
14:10qui m'a expliqué que c'était tout le chemin
14:12qu'il faisait pour aller à l'école quand il était enfant.
14:14Il faisait dix kilomètres à l'aller,
14:16dix kilomètres en retour.
14:17Il passait par ce chemin-là.
14:19Et vous savez ce que veut dire son nom ?
14:20Aïlé, j'ai brassé l'acier.
14:22C'est l'homme qui marche sur le chemin de Dieu.
14:24C'est fou, hein ?
14:26Alors, ce qui est extraordinaire, Gérard Rancinant,
14:28et on ne le sait pas assez,
14:30c'est qu'une photo de ce genre, ça demande du travail,
14:32des contacts, mais aussi beaucoup d'imagination.
14:34C'est presque un scénario à chaque fois.
14:36Oui, alors, c'est une réflexion,
14:38c'est une pensée,
14:40mais il n'y a pas de photo sans pensée.
14:42Il n'y a pas d'histoire racontée sans pensée,
14:44sans scénario, en effet,
14:46qui peut être un scénario totalement oral,
14:48enfin, je veux dire,
14:50mais c'est un mouvement de la pensée.
14:52Pour moi, j'ai toujours basé mon travail
14:54sur une réflexion, sur une pensée,
14:56par rapport aux gens que je photographiais.
14:58Je ne m'intéresse
15:00pas tellement
15:02à la structure
15:04du personnage.
15:06Ça m'est un peu égal que ça soit
15:08Philel Castro, le pape, tout ça.
15:10Ce qui m'intéresse, c'est la représentation,
15:12l'imaginaire que les gens
15:14et que moi-même, je m'en fais.
15:16Il se trouve aussi que tout a commencé grâce
15:18à un écrivain, journaliste,
15:20qui est devenu plus tard académicien,
15:22Henri Amouroux, qui était le directeur de Sud-Ouest
15:24et qui vous a repéré, Gérard Rancinant.
15:26Oui, parce qu'Henri Amouroux,
15:28ça a été... D'abord, mon père était
15:30très...
15:32C'était quand même un grand directeur de journaux.
15:34Mon père était à Sud-Ouest
15:36et mon père était typographe
15:38dans ce même journal. Et puis, il avait
15:40beaucoup de respect pour ce monsieur.
15:42Henri Amouroux est un personnage érudit,
15:44historien,
15:46académicien.
15:48Et puis, il m'a repéré
15:50parce qu'en fait, quand j'ai
15:52été lâché dans la nature par mes copains
15:54photographes... Enfin, mes copains, mes maîtres
15:56photographes, n'est-ce pas ? Un peu de respect quand même.
15:58On va essayer de retrouver les bonnes manières.
16:00Et par mes maîtres photographes,
16:02ça a été un accident
16:04d'autobus
16:06ou d'un camion qui s'est renversé
16:08par mauvais temps sur le grand pont de Bordeaux.
16:10Et là, j'avais tout appris.
16:12Je prends, je vais, on me dit
16:14va faire cet accident, qui était
16:16d'une banalité étonnante.
16:18Et il faisait un temps gris, noir,
16:20les ciels étaient noirs. Et puis, on m'envoie
16:22au garage prendre un chauffeur, parce qu'à l'époque,
16:24on avait des chauffeurs dans les zones de province.
16:26Et je monte derrière, comme les photographes. Ils me disent
16:28non, toi, tu montes devant. Bon, d'accord, déjà,
16:30je me suis calmé. Et puis, la voiture
16:32m'a mené au pont, au grand pont.
16:34Et là, j'ai vu ce camion.
16:36C'était apocalyptique. Je me suis baissé.
16:38J'ai fait une photo qui ressemblait à,
16:40on aurait dit, une catastrophe,
16:42un cataclysme terrifiant.
16:44Je suis revenu au journal. J'en ai fait un grand,
16:46grand tirage. Déjà, je faisais des grands tirages.
16:48Et je l'ai montré à M. Amouroux.
16:50Et M. Amouroux a dit, pas mal
16:52pour une première photo. Et on a fait 5
16:54colonnes à la une. C'était ma première photo.
16:56Et vous avez passé la nuit au rotative
16:58et suivi la vente du journal le lendemain
17:00dans la rue. Ce qui vous a donné une leçon,
17:02Gérard Rancidon. Oui, parce que j'ai passé
17:04ma nuit... Alors, j'étais un peu l'enfant de là-bas.
17:06J'ai commencé à 15 ans au journal.
17:08Mon père connaissait tout le monde.
17:10Et les rotativistes m'ont vu à 3 heures du matin
17:12assis sur une des machines,
17:14en train de regarder le journal tomber.
17:16J'étais le roi du monde. Je voyais ma photo
17:18défiler, défiler, défiler.
17:20Et puis, le lendemain matin, je n'avais pas dormi.
17:22Je prends mon petit
17:24deux-roues. Et puis, je rentrais
17:26chez moi. Et je vois des gens en train de lire
17:28le journal. Je vois ma photo. Je dis, je suis le plus
17:30grand photographe du monde. Et puis, j'ai vu
17:32un personnage prendre le journal,
17:34le plier, le froisser, le jeter
17:36à la poubelle. Et là, je me dis,
17:38zut, il faut tout recommencer.
17:40Et vous avez recommencé tous les jours.
17:42Et à chaque fois, avec des inouvelles, en prenant des risques.
17:44Je crois qu'il y a une photo,
17:46notamment dans une église, où vous ouvrez
17:48une chorale, qui est assez surréaliste.
17:50Vous avez pris le risque de monter sur l'autel, je crois.
17:52Oui, parce que, en fait,
17:54j'étais un peu
17:56une tête de Turc. J'étais un peu... Je savais
17:58ce que je voulais. J'avais beaucoup d'ambition.
18:00Et puis, ça a un peu fatigué
18:02mon chef,
18:04M. Olivard, qui m'avait fait rentrer au journal,
18:06et qui a dit, lui, on va calmer le petit.
18:08Alors, on m'avait envoyé
18:10à l'église de Pau.
18:12On m'avait envoyé à Pau, un peu, j'allais dire,
18:14comme une punition, il faut le dire.
18:16Mais bon, je l'ai mérité, sûrement.
18:18Et je suis arrivé là,
18:20et je vois un jeune photographe, Pierre Perrin,
18:22qui a fait une très belle carrière de photographe,
18:24à Gama.
18:26Et je vois ce jeune garçon qui me voit arriver
18:28de Bordeaux, comme ça.
18:30Et il me salue, il me dit, ah, c'est toi,
18:32Rancinan, tu t'arrives de Bordeaux.
18:34Alors, je lui parle à peine.
18:36J'étais un photographe de troisième zone
18:38d'une province.
18:40J'avais cette prétention ridicule.
18:42Et là, j'ai foncé, j'étais tellement énervé
18:44d'être là, au bout d'un monde
18:46qui était un peu restreint pour moi.
18:48J'avais d'autres ambitions.
18:50J'ai grimpé sur l'hôtel et j'ai fait des photos.
18:52Bon, évidemment, je ne suis pas resté longtemps.
18:54J'ai énervé un peu tout le monde, voilà.
18:56Mais j'ai appris à me calmer, quand même.
18:58– Remarquez, vous ne vous ferez jamais mieux
19:00que lorsque Johnny et Cilice sont mariées
19:02à Loconville, il y avait dans l'église
19:04tellement de monde qu'on leur prit Dieu
19:06et dans la confessionnale, on leur trouvait
19:08des photographes. – Ah, mais ça ne m'étonne pas.
19:10Les photographes sont prêts à tout.
19:12Je ne sais pas si c'est encore comme ça maintenant,
19:14mais à l'époque, on les trouvait partout.
19:16– Et vous avez aussi une particularité.
19:18Lorsqu'on entre dans une agence de photos,
19:20on fait 50 photos qu'on montre, il y en a une qui est choisie.
19:22Et vous arrivez, vous, chez Sigma
19:24avec une seule photo que vous remettez
19:26au directeur Hubert Enrodt, ce qui a le don
19:28de l'exaspérer. – Alors, j'ai fait
19:30un travail et j'étais un peu
19:32le chouchou, enfin un des chouchous
19:34d'Hubert Enrodt. Hubert Enrodt,
19:36c'est quand même un homme formidable,
19:38qui fait partie des personnages qui m'ont porté.
19:40– Il avait créé Gamma et Sigma.
19:42– Alors, il avait créé Gamma, il avait créé Sigma
19:44et donc les deux plus grandes agences
19:46françaises au monde, et les deux plus grandes
19:48agences du monde quand même,
19:50avec des personnages quand même, il y avait eu
19:52des De Pardon, il y avait eu des grands
19:54photographes.
19:56Et je lui dis,
19:58j'ai envie d'aller
20:00photographier les grands d'Espagne.
20:02Il me dit, je ne comprends pas, c'est quoi ?
20:04Je lui dis, Hubert, monsieur Enrodt,
20:06ce sont des portraits,
20:08une seule photo,
20:10du roi d'Espagne, de la reine d'Espagne,
20:12de Montalban, de Cella,
20:14de Cordobès,
20:16de Rulli Euglesia,
20:18de tous ces gens qui ont fait
20:20dix ans après,
20:22qui ont fait la Noviada,
20:24dix ans après Franco, dix ans après,
20:26voilà, cette nouvelle
20:28Espagne qui pousse sa
20:30corne, qui va plus loin.
20:32Il me dit, bon, si vous voulez. Et me voilà parti
20:34pendant un mois, et puis je reviens
20:36avec des tas de photos, des tas de portraits.
20:38Mais le roi d'Espagne, mais la reine d'Espagne,
20:40mais tous les grands personnages dont je l'avais parlé.
20:42Il était comblé. Et puis il me voit
20:44en train d'éditer les photos, ça veut dire
20:46d'éditer, ça veut dire de les choisir,
20:48et il voit que je sors une seule photo
20:50de chaque personnage. Le roi, il y avait une photo,
20:52la reine, il y avait une photo. Alors il se prend et
20:54il me dit, bon, et pour les autres photos, vous faites quoi ?
20:56Alors Gérard, vous les donnez à qui, là ?
20:58Je lui dis, non, il n'y en aura qu'une.
21:00Il me dit, mais vous n'y pensez pas ?
21:02Je lui dis, si, j'y pense. C'est pour ça que je vous le dis, M. Roth.
21:04Mais il me dit, mais c'est les journaux qui choisissent
21:06les photos. C'est Paris Match qui va choisir
21:08la photo. C'est M. Sola de Paris Match
21:10ou M. Théron.
21:12Je lui dis, non, c'est pas M. Théron ou M. Sola,
21:14c'est moi qui choisis les photos. Mais Gérard,
21:16vous vous prenez pour qui ? On n'a jamais
21:18vendu autant de photos qu'avec ce reportage-là.
21:20Bon, après, il m'avait dit, je vous aurais bien
21:22fait de choisir une seule photo.
21:24Mais c'est vrai qu'une photo, c'est une histoire.
21:26Bien sûr. Bien sûr.
21:28Et ça, on ne le sait pas beaucoup.
21:30Parce que ceux qui voient les photos
21:32n'imaginent pas que vous choisissez
21:34une photo parce qu'elle raconte une histoire,
21:36Gérard Rancinon. Mais oui, parce qu'une
21:38photographie, c'est d'abord ce qu'il y a dans la
21:40photographie, c'est ce qu'il y a sur le bord
21:42de la photographie, et si
21:44on doit ressentir, à travers
21:46une photographie aussi, ce qu'il peut y avoir
21:48au-delà du cadre. Ça, c'est important.
21:50C'est une ambiance. C'est pas simplement...
21:52C'est aussi...
21:54C'est un instant précis.
21:56C'est un... Cartier-Bresson
21:58avait dit...
22:00C'est un baiser chaud ou un coup de feu.
22:02C'est ça, une photographie.
22:04Et on apprend, quand on travaille
22:06dans les agences de presse, on apprend, quand on apprend...
22:08Quand on est dans les journaux,
22:10les grands hebdomadaires, comme
22:12Paris Match, comme Live, comme Time, tout ça...
22:14On apprend, en une seule photo,
22:16à raconter un morceau du monde.
22:18Un éclat du monde. Il faut faire
22:20waouh !
22:22Et justement, il y a des photos qu'on fait waouh,
22:24et on va en parler à travers la date du 18 mai
22:262014. A tout de suite sur Sud Radio
22:28avec Gérard Rancinant.
22:30Sud Radio, les clés d'une vie.
22:32Jacques Pessis. Sud Radio, les clés d'une vie.
22:34Mon invité Gérard Rancinant,
22:36photographe. On a expliqué vos débuts
22:38dans la photographie, vos reportages
22:40exceptionnels, notamment aux Jeux
22:42Olympiques d'Atlanta. Mais vous n'êtes pas
22:44seulement un photographe, comme les autres,
22:46car vos photos sont devenues des oeuvres d'art.
22:48Et le 18 mai 2014,
22:50à Versailles, le festin
22:52des barbares, l'original
22:54est vendu, et fait de vous le photographe
22:56français le plus vivant, le plus
22:58cher vendu aux enchères.
23:00Vous vous souvenez de ce jour-là ?
23:02Oui, parce que j'ai reçu un coup de téléphone,
23:04et on me dit
23:06« Ah Gérard,
23:08tu vas pouvoir t'acheter une belle voiture. »
23:10Je dis « Bon, ça ne m'intéresse pas tellement, mais enfin bon,
23:12pourquoi pas, je sentais la plaisanterie. »
23:14Et puis,
23:16on me dit « Parce qu'il y a une de tes photos,
23:18c'est toi qui l'as présentée ? »
23:20Je dis « Non, non, je n'ai rien présenté du tout.
23:22C'est un des collectionneurs
23:24qui l'a mise en vente.
23:26Et en effet, on a obtenu un record
23:28pour mon travail. Alors c'est une photo
23:30qui est un exemplaire,
23:32qui est très très grande,
23:34qui est un monument,
23:36qui représentait le festin des barbares,
23:38c'est-à-dire une photo
23:40qui parlait de notre époque, du walkisme,
23:42tout ça déjà en 2014.
23:44Il se trouve que la première vente aux enchères
23:46de photos, c'était le 21 avril 1860.
23:48C'était un
23:50grand photographe de l'époque
23:52qui s'appelait Gustave Legray.
23:54Et Gustave Legray, il avait des créances
23:56et pour payer ses créances, les banquiers
23:58ont fait vendre aux enchères ses photos qui sont devenues des pièces de collection.
24:00Extraordinaire.
24:02Ça date de 1860.
24:04Je ne savais pas.
24:06Et pour vous, Gérard Rancinant, tout a commencé
24:08avec un commissaire priseur très célèbre
24:10d'ailleurs qui était le mari de Marie Laforêt
24:12et c'est grâce à lui
24:14qu'elle a fait ensuite des ventes aux enchères.
24:16C'était Pierre Cornet de Saint-Cyr.
24:18Un homme
24:20formidable, un homme qui
24:22fait partie de ces gens
24:24qui ont balisé ma vie.
24:26Je vous parlais du Bérenraude, je vous parlais de Vincent Olivard,
24:28de Michel André, des gens
24:30qui m'ont porté. Vraiment,
24:32bien sûr mes parents, mais ça c'est autre chose, c'est la famille.
24:34Mais Pierre est quelqu'un
24:36qui m'a donné
24:38le courage, la force
24:40de quelque chose.
24:42Peut-être que je ne serais pas vraiment allé
24:44du côté du monde de l'art
24:46même si j'ai toujours fait des expositions.
24:48C'était des expositions
24:50de reporters, tout ça.
24:52Mais il avait vu mes photos passer
24:54des portraits. On parlait d'Aïlé Gébressé-Lassier,
24:56on parlait de Castro,
24:58on peut parler du pape, de François Mitterrand,
25:00de toutes ces grandes personnalités que j'avais faites.
25:02Et un jour j'habitais, j'avais un petit appartement
25:04dans le 15ème.
25:06Le téléphone sonne, et puis il me dit
25:08« Bonjour, je m'appelle Pierre Cornet-Lassier, je vous connais monsieur,
25:10vous êtes célèbre. » Il me dit « Voilà, je voudrais vous voir. »
25:12Alors il est venu me voir,
25:14et j'ai tout rangé dans l'appartement.
25:16Et puis il est arrivé tout en couleur, comme ça,
25:18merveilleux, tellement bel homme,
25:20tout ça. Il me dit « Rancinant, vous n'êtes pas
25:22qu'un reporter-photographe, vous êtes aussi
25:24un artiste. » J'ai dit « Bon,
25:26si les autres ont envie de le dire, c'est bien,
25:28mais en fait ça m'a fait beaucoup plaisir, j'attendais que ça. »
25:30Et Pierre me dit
25:32« On va mettre vos photos
25:34aux enchères, si vous le voulez, vos portraits
25:36de Castro, tout ça, etc. »
25:38Et je lui dis « Oui,
25:40pourquoi pas. » Et puis, ça commençait
25:42comme ça, et puis il était aussi
25:44le président honoraire
25:46du Palais de Tokyo.
25:48Et un jour, il vient me voir,
25:50il me dit « Gérard, qu'est-ce que tu fais en ce moment ? » Ça m'avait donné
25:52des ailes, ces ventes aux enchères. Et j'avais préparé
25:54un travail beaucoup plus parallèle.
25:56J'ai fait un livre qui s'appelait « Urban Jungle »,
25:58c'est un énorme livre chez Hervé de Lamartinière,
26:00où je racontais
26:02toute une histoire de notre époque.
26:04Et Pierre m'a dit
26:06« On va faire une exposition
26:08chez Pierre Cardin. »
26:10On a fait une immense exposition chez Pierre Cardin,
26:12avec des photos déjà gigantesques, j'avais déjà eu une envie de faire
26:14des choses comme ça. Pierre m'a soutenu,
26:16Pierre m'a amené au Palais de Tokyo,
26:18on a fait le Palais de Tokyo, et là on a eu
26:20beaucoup de succès, et tout a démarré là.
26:22Et l'espace Cardin, en plus, était un lieu
26:24où il y avait un théâtre, il y avait la salle d'exposition,
26:26il y avait un restaurant où toutes les stars
26:28du tout Paris étaient là, chaque soir.
26:30On croisait des chanteurs, des imitateurs,
26:32c'était étonnant, c'était un lieu
26:34vivant, près de la place de la Concorde.
26:36C'était extraordinaire, et ça parlait,
26:38alors c'était tout un travail
26:40sur... J'avais demandé à des
26:42DJ, parce que les photos étaient tirées grandeur nature,
26:44la taille des hommes,
26:46c'est tiré comme ça, et j'avais demandé à un
26:48DJ qui s'appelle Laurent Garnier,
26:50qui est une star,
26:52je lui avais dit « Laurent, est-ce que tu veux pas
26:54me faire un arrangement pour que ça soit un peu...
26:56que ça soit pertinent,
26:58plus que ça, t'es allé dans 5 pays dans le monde
27:00pour le faire, je vais te faire venir 5 DJ du monde entier,
27:02c'est-à-dire des japonais, un américain,
27:04et on a fini au Queen à 7h du matin,
27:06tout le monde a remonté
27:08les Champs-Elysées après le vernissage,
27:10il y avait des drag queens,
27:12enfin un monde très moderne
27:14et très en avance,
27:16aujourd'hui ça serait beaucoup plus banal,
27:18mais en tout cas à l'époque c'était formidable,
27:20et tout ça s'est mélangé,
27:22et ça a créé un mouvement, et ce mouvement
27:24il ne s'est pas encore arrêté.
27:26L'art, l'artographie, l'oeuvre d'art,
27:28c'est quand même quelque chose de nouveau.
27:30Complètement, parce qu'en fait j'avais
27:32franchement j'avais
27:34peut-être pas fait tout le tour,
27:36mais commençant à 15 ans et demi,
27:38et en 1997
27:40ou 18, c'était à peu près,
27:42j'avais déjà fait
27:44beaucoup de choses,
27:46j'avais fait des couvertures de live,
27:48j'avais travaillé beaucoup pour live, pour Time,
27:50j'avais fait beaucoup beaucoup de choses,
27:52et je me suis dit, il faut que je...
27:54que ce monde de la presse,
27:56qui changeait pour moi, qui se rétrécissait,
27:58les journaux avaient moins de moyens
28:00de payer aux photographes
28:02des grands projets magazine,
28:04les garçons qui partaient faire du news,
28:06ils risquaient leur vie pour pas grand chose,
28:08enfin c'était compliqué,
28:10et donc je me suis dit, il faut que je raconte le monde autrement.
28:12Ce que j'avais envie de,
28:14ce que j'avais fait, ce que j'avais appris
28:16en tant que reporter, que ça soit la guerre du Liban,
28:18sur les Jeux Olympiques, ou avec des stars,
28:20ou avec des... ça, je le connaissais.
28:22Maintenant, je devais plus devenir,
28:24entre guillemets, bien sûr,
28:26un éditorialiste, c'est-à-dire regarder
28:28en large, comme on dit à l'américain.
28:30Alors, en même temps, ce qui est extraordinaire,
28:32c'est que vos photos sont parties dans les grands musées
28:34à Milan, à Shanghai,
28:36et même à Marrakech.
28:38Marrakech, mais aussi Rabat,
28:40on est soutenus
28:42par un collectionneur célèbre là-bas,
28:44mais je peux pas dire son nom.
28:46Les collections de photos d'art,
28:48c'est aussi un phénomène nouveau,
28:50en pleine expansion.
28:52Alors, bien sûr, pourquoi ? Parce que c'est un médium,
28:54c'est un média, je veux dire,
28:56important, et c'est ça que
28:58soutenait Pierre Cornet de Saint-Cyr.
29:00C'est, à part entière, une écriture.
29:02C'est, à part entière,
29:04une mémoire.
29:06Donc, c'est pas moins que de la peinture,
29:08c'est pas plus, c'est pas moins que de la sculpture,
29:10c'est, sur le même niveau,
29:12c'est de l'art plastique.
29:14Alors, Gérard Rancinant, il y a aussi un événement,
29:16je crois que c'était en 2017, à Venise,
29:18le Radeau des Illusions.
29:20Il y avait des masques, mais pas des masques de carnaval.
29:22Non, absolument.
29:24En fait, c'était à la Biennale de 2017,
29:26j'avais été invité en off
29:28par une galerie qui m'avait
29:30invité là-bas
29:32dans un très bel espace.
29:34Et puis je me suis dit, ça suffit pas.
29:36Donc, on va faire une performance
29:38pour un peu remuer tout ça.
29:40J'avais fait tous les stands,
29:42et puis j'avais vu beaucoup de petits hommes gris
29:44avec des petites serviettes, c'était les représentants
29:46de chaque pays du monde qui étaient là,
29:48donc ils étaient absolument charmants,
29:50n'est-ce pas ?
29:52Et à 8h30 du matin,
29:54j'ai organisé une performance
29:56avec une immense photo qui était tirée sur une toile,
29:58une vingtaine de gars
30:00dans des tenues toutes noires avec des masques
30:02un peu, mais des masques simples
30:04qui les rendaient
30:06anonymes, un peu comme les Anonymous,
30:08comme ça, et ils ont
30:10déployé en courant cette vague
30:12sur cette place, cette vague de cette photo
30:14de ce radeau des illusions
30:16qui parlait de l'immigration, qui parlait de tout ça.
30:18La raille UNO était là,
30:20puisque je les avais invités,
30:22et en fait, le soir à 8h,
30:24quand j'écoutais le journal, ils ont présenté l'ouverture
30:26sur la raille UNO
30:28pendant cinq minutes
30:30de la biennale 2017.
30:32Et ils ont commencé en disant
30:34il y a un photographe français, on ne l'échangera pas
30:36les français qui ont mis le bazar dans la ville,
30:38ils ont fait ça, ça a duré
30:40trois minutes et demie sur notre travail
30:42et deux minutes sur le reste de la biennale.
30:44Ce qui était tout à fait normal.
30:46Alors il se trouve aussi que pour que ces photos existent,
30:48il faut un grand atelier,
30:50et vous avez au départ installé
30:52un atelier à Ivry-sur-Seine,
30:54et puis ensuite vous avez repéré un lieu incroyable
30:56à Chartres, Gérard, sinon.
30:58Oui, alors j'aime beaucoup les ateliers
31:00et les espaces qui ont une histoire.
31:02Donc à Ivry-sur-Seine, nous sommes
31:04dans l'ancienne usine Yoplait, de briquettes,
31:06qui a vu les grèves
31:08de Transis, qui a vu tout ça.
31:10C'est un monde, alors on a un atelier
31:12qui n'est pas petit non plus,
31:14qui est très bien, mais ça ne suffisait pas
31:16pour mettre ces très grandes photos de collection
31:18qui sont en effet distribuées dans le monde entier,
31:20qui partent
31:22d'un point précis pour aller aux Etats-Unis,
31:24en Amérique du Sud ou en Chine,
31:26pas tout le temps mais souvent,
31:28hier j'étais à Bratislava
31:30en Slovaquie, dans un très
31:32très beau musée, le Danubiana,
31:34qui est un musée d'art contemporain
31:36qui est construit sur une
31:38presqu'île comme un bateau
31:40au milieu du Danube.
31:42C'est un des plus beaux et un des plus romantiques
31:44musées au monde. Donc j'en reviens,
31:46on a fait
31:48une exposition avec Caroline
31:50Godrieau, qui est écrivain avec qui je travaille
31:52depuis 20 ans et qui s'appelle
31:54L'Esprit du Temps.
31:56On est toujours dans ce regard sur l'époque.
31:58Et puis donc il me fallait un endroit
32:00pour
32:02entreposer
32:04et en même temps pour
32:06faire la logistique de tout ce travail,
32:08parce qu'il y a plus de 450 photos
32:10qui font 3m50, 4m,
32:122 sur 2m, qui sont
32:14toutes rangées, etc.
32:16Et donc j'ai cherché à Paris, mais c'était tellement
32:18cher. J'ai cherché à Ivry, c'était déjà très
32:20cher. J'ai cherché un peu plus loin,
32:22c'était encore plus cher. Je vais à Chartres.
32:24Et à Chartres, je vois une ancienne
32:26base militaire avec des toits ronds,
32:28avec des briquettes, et je dis, mais c'est extraordinaire.
32:30Elle me dit, oui, mais ça c'est à la mairie,
32:32je ne sais pas s'ils vendent. Je dis, appelez le maire.
32:34Alors la fille qui est à côté de moi
32:36appelle le maire de Chartres, qui dit, mais
32:38renseignons. Enfin, moi je connais pas bien,
32:40mais ma femme adore ses photos. Alors
32:42je lui dis, c'est gagné. Il vaut mieux que ce soit
32:44sa femme que lui, parce qu'au moins
32:46sa femme va l'influencer.
32:48Et ça a marché, puisqu'en fait,
32:50on a pu acheter un des bâtiments
32:52et nous sommes très bien installés.
32:54Il vient souvent avec son épouse, c'est un homme
32:56formidable. Le maire de Chartres est
32:58un personnage que j'adore, parce que c'est
33:00un homme dynamique, c'est un bâtisseur
33:02et construit.
33:04Et en même temps, ça veut dire une grosse équipe, parce que des photos
33:06de ce genre, ça demande des mois de travail,
33:08Gérard Rancineau. Alors ça demande des mois de travail
33:10et la dernière photo que nous avons réalisée,
33:12puisque nous sommes toujours en lien
33:14avec une actualité, quand même, ça parle du
33:16monde. C'est pas des photos pour faire joli,
33:18c'est des photos qui, bien sûr, présentent
33:20un effet, qui se présentent
33:22un certain esthétisme,
33:24mais ce sont des photos qui parlent de notre
33:26époque. Moi, je suis toujours,
33:28depuis le premier jour où j'ai fait ce métier,
33:30je veux être un témoin éveillé
33:32des métamorphoses de notre société.
33:34Donc toutes les photos
33:36qui sont dans les musées ou qui sont chez les collectionneurs
33:38sont un détail de l'époque que
33:40nous traversons. Je veux rester dans ce
33:42mouvement artistique.
33:44Des Delacroix, des Géricault,
33:46des
33:48Velázquez et compagnie.
33:50C'est-à-dire des témoins d'une certaine époque.
33:52Ou Picasso quand il fait Guernica.
33:54Voilà. Sans prétention, aucune,
33:56chacun à sa place, bien sûr.
33:58Mais vous avez un record en plus.
34:00Vous avez été lauré à six reprises
34:02du World Press Photo
34:04qui est le concours du photojournalisme
34:06annuel le plus important au monde, qui vient
34:08des Pays-Bas, je crois. Voilà, absolument.
34:10Je l'ai eu six fois et puis
34:12il y a longtemps,
34:14c'est quand j'étais reporter-photographe.
34:16J'étais encore à Sigma, je l'ai eu six fois,
34:18ce qui était assez remarquable.
34:20Mais je me suis un peu
34:22attrapé avec eux, alors qu'ils
34:24félicitent des photographes, c'est formidable.
34:26Mais je trouve que ça mérite
34:28aussi de féliciter
34:30souvent des photographes qui font
34:32des photos
34:34où il se passe un moment de joie.
34:36Et je trouve que c'est trop axé sur
34:38un peu la guerre, tout ça.
34:40Tous les prix que j'ai eus,
34:42c'était des photos tristes.
34:44Vous avez pris des risques pour faire ces photos ?
34:46Oui, comme pas plus
34:48que les autres photographes de guerre, peut-être un peu moins
34:50parce que quand on voyait des photographes comme
34:52Patrick Chauvel, comme
34:54d'autres photographes de guerre
34:56merveilleux, enfin merveilleux,
34:58ou Jim Natchway américain,
35:00ce sont des personnages
35:02qui, eux, sont devant,
35:04en première ligne.
35:06Là, j'étais avec eux
35:08sur plusieurs guerres,
35:10je peux vous dire que j'en menais pas l'arge.
35:12Oui, mais en même temps, vous avez fait des photos
35:14qui sont rentrées dans l'histoire.
35:16Oui,
35:18voilà, mais
35:20vous savez, le monde a changé aussi.
35:22On partait, on était en T-shirt,
35:24on n'avait pas de casque
35:26sur la tête, il n'y avait pas de parquet presse, en gros.
35:28On a passé, moi je suis allé sept fois au Liban
35:30pendant la guerre,
35:32on était comme dans la ville.
35:34Aujourd'hui,
35:36et puis je me suis vite aperçu, quand même,
35:38que les services de presse, des armées,
35:40nous dirigeaient, nous emmenaient, nous guidaient.
35:42On avait plus de liberté d'aller
35:44où on voulait. Le dernier qui a fait vraiment
35:46ce qu'il a voulu, c'était
35:48Maculine,
35:50quand il a,
35:52l'un des très grands photographes
35:54du Sunday Times Magazine,
35:56quand il a été
35:58passer trois jours sous les bombes
36:00à Beyrouth, dans un hôpital psychiatrique.
36:02Alors ça, c'est vos
36:04reportages, mais il y a aussi les souvenirs,
36:06et on va évoquer justement
36:08cet événement du 18 mai 2025.
36:10A tout de suite sur Sud Radio,
36:12avec Gérard Rancinan.
36:14Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
36:16Sud Radio, les clés d'une vie,
36:18l'invité Gérard Rancinan.
36:20On a évoqué votre parcours de photographe,
36:22ces photos qui sont devenues des oeuvres d'art
36:24dans le monde entier. Et puis, il y a
36:26un événement dans quelques jours, le 18 mai 2025,
36:28une vente aux enchères
36:30de votre carnet de voyage de l'Amérique
36:32des années 80, l'Amérique
36:34qui a été évoquée par Joe Dassin.
36:36L'Amérique,
36:38je veux la voir, et je m'en vais.
36:40L'Amérique.
36:42Cette chanson est archiconnue.
36:44En fait, c'est une adaptation de Yellow River
36:46de 1920. On ne connaît pas l'interprète.
36:48Et c'est un hommage de Joe Dassin à son
36:50grand-père, justement, qui a été
36:52un émigré américain. Et c'est vrai que l'Amérique,
36:54ça vous a toujours fasciné.
36:56Qui n'a pas rêvé de l'Amérique
36:58quand on est photographe,
37:00quand on rêvait,
37:02en feuilletant les pages de Life Magazine,
37:04de se confronter
37:06à ce métier là-bas
37:08en Amérique, avec ces immenses
37:10journaux, ces immenses photographes.
37:12Et donc,
37:14je suis allé travailler
37:16à l'agence Sigma New York,
37:18avec Eliane Laffont,
37:20la directrice, qui m'a tout de suite
37:22donné ma chance, et j'ai passé comme ça
37:24à peu près une dizaine d'années
37:26à New York, en même temps
37:28que j'allais à Paris, je faisais des reportages
37:30dans le monde entier, tout ça, bien sûr.
37:32Mais je faisais beaucoup d'allers-retours,
37:34j'étais beaucoup à New York, tout ça.
37:36Il se trouve que le 18 mai, à Chartres,
37:38il y a une vente aux enchères exceptionnelle
37:40des documents qu'on ne connaissait pas.
37:42J'ai jamais...
37:44J'ai toujours regardé devant,
37:46et un peu, c'est une course
37:48un peu effrénée, depuis toujours,
37:50où j'ai toujours très bien
37:52archivé tout, mais je n'ai jamais rien ressorti.
37:54Et puis, Caroline Odrio,
37:56qui est écrivain, qui travaille avec moi
37:58depuis 25 ans, qui m'accompagne
38:00avec qui on partage beaucoup d'idées,
38:02me dit, mais Gérard, tu sais, regarde ce qui se passe,
38:04l'Amérique, ce bouleversement actuel,
38:06tout ce qui se passe là, ton voyage
38:08en Amérique, c'était quoi exactement ?
38:10Je lui dis que c'est ça qui m'a formaté,
38:12c'est ça qui m'a donné l'envie
38:14de découvrir le monde.
38:16Moi, je suis né à Bordeaux,
38:18j'allais sur les dunes
38:20du bassin d'Arcachon
38:22voir cette ligne d'horizon
38:24et je rêvais de passer de l'autre côté un jour
38:26voir ce qu'il s'y passait.
38:28Donc, j'étais à New York
38:30et je dis à Eliane, la directrice du bureau
38:32de New York Sigma, je lui dis, Eliane,
38:34demain, ou ce soir,
38:36je pars pour Los Angeles.
38:38Elle me dit, mais t'as un avion ? Je dis, non, pas du tout,
38:40je pars en bus. Elle me dit, mais comment tu pars en bus ?
38:42Pourquoi tu pars en bus ? C'est fou,
38:44il n'y a que des clodos et des
38:46méchants qui prennent le bus. Et je suis allé
38:48à la 38ème rue, je suis monté dans un
38:50ground bus et là, je suis monté
38:52avec les gens. Et j'ai passé trois nuits,
38:54trois jours, trois nuits
38:56et un matin, et je suis arrivé à Santa Monica
38:58et j'ai croisé des centaines de gens
39:00qui montaient, qui descendaient, ceux certains qui faisaient
39:02le parcours
39:04entier, mais très peu,
39:06et je parlais aux chauffeurs
39:08qui changeaient toutes les...
39:10Mais c'était toujours le même bus, avec nos affaires,
39:12je me baladais dans le bus, je faisais des photos,
39:14à un moment donné, je suis descendu à une station et j'ai fait
39:16tous les personnages du bus, et puis là, j'ai vu
39:18de tout. J'ai vu des clodos,
39:20j'ai vu des reprises de justice,
39:22j'ai vu des jeunes mariés, j'ai vu des divorcés,
39:24j'ai vu des gens ruinés, j'ai vu
39:26un monde entier qui défilait dans ce bus.
39:28J'ai vu l'Amérique, mais pas l'Amérique
39:30du rêve américain, celui de l'autre
39:32côté du rêve américain.
39:34L'Amérique qui aujourd'hui s'exprime
39:36en votant tel qu'on le voit aujourd'hui.
39:38Et je me suis dit,
39:40mais cette Amérique-là,
39:42c'est aussi une autre Amérique, c'est une Amérique
39:44dont je veux parler.
39:46Et j'ai été tenté,
39:48en effet, par ressortir ces photos,
39:50les présenter,
39:52et pourquoi pas en faire profiter
39:54des gens.
39:56D'une manière précise,
39:58j'ai créé, depuis 15 ans,
40:00pour des gens
40:02plus modestes,
40:04un label qui s'appelle
40:06l'Art pour tous.
40:08Et avec l'Art pour tous,
40:10ça permet de faire des ventes,
40:12ça permet de montrer notre travail
40:14et que les gens puissent l'acquérir
40:16pour pas cher,
40:18et donc ça fait partie de ce projet-là.
40:20Il se trouve en plus que ces bus,
40:22les Grounds, on les connaît tous
40:24aux Etats-Unis, mais ça vient en fait
40:26d'un lévrier, c'est le nom d'un lévrier
40:28en anglais, et ce lévrier,
40:30c'est le plus rapide dans les courses de chien
40:32et le bus est le plus lent, donc c'est le paradoxe.
40:34Alors c'est vrai que vous avez vu
40:36une Amérique, effectivement,
40:38qui est toujours celle d'aujourd'hui,
40:40qui correspond à des gens qui n'ont pas
40:42forcément de smartphone, qui lisent un livre
40:44dans un bus.
40:46Mais bien sûr, c'est cette Amérique-là
40:48qui existe aussi. Bien sûr que nous,
40:50de loin, comme ça, quand on habite en France,
40:52en Europe, tout ça, bien sûr,
40:54on a ce rêve américain,
40:56des voitures roses, des Hollywoods partout,
40:58des stars de cinéma,
41:00et je les ai fréquentées,
41:02des grands sportifs, j'en ai fait
41:04des photos. Mais il y a aussi
41:06une autre Amérique, et cette Amérique,
41:08elle est profonde,
41:10elle est cachée, elle est masquée,
41:12elle est...
41:16Elle n'est pas souriante, en fait.
41:18Et à la fois, j'avais envie
41:20d'aller encore plus loin.
41:22Alors je suis allé, j'avais fait
41:24déjà New York,
41:26dans les bas-fonds de New York, après j'ai fait
41:28cette traversée en bus,
41:30et puis je suis allé, j'ai fini
41:32ce voyage chez
41:34Jeff and Frosty Crane,
41:36ces deux personnages qui sont des vrais cow-boys,
41:38qui habitent à Mansinbo,
41:40360 habitants, Wyoming,
41:42et j'ai passé trois mois avec eux,
41:44où j'ai fait... Je monte à cheval avec les appareils
41:46photo, c'est pas pratique parce qu'au galop,
41:48on prend un peu de... Mais je sais pas très bien
41:50faire du cheval non plus. Voilà, et j'ai vécu
41:52la vie des cow-boys, ce qu'on voit aujourd'hui à la télévision,
41:54dans des grandes séries télévisées,
41:56mais ils travaillent
41:58comme en 1860,
42:00et c'est assez étonnant,
42:02et c'est des gens qui vivent de peu
42:04de choses, et les Américains dans ce bus
42:06vivent de peu de choses,
42:08voilà, et ils ont des moments heureux, des moments
42:10malheureux, c'est l'Amérique, et cette
42:12Amérique-là que je voulais montrer, alors que
42:14on parle de surpuissance,
42:16on parle du rêve américain,
42:18on parle de tout ça aujourd'hui, on a des
42:20gens un peu bizarres qui mènent
42:22tous ces pays-là, donc on se demandait
42:24pourquoi ces galas arrivent, pourquoi ces gens
42:26sont élus, et bien il faut simplement prendre
42:28le bus. Mais effectivement,
42:30et ces cow-boys d'ailleurs, les photos
42:32sont étonnantes, ce qu'ils intéressent c'est
42:34la fête foraine, c'est la musique country,
42:36et ça s'arrête là. Mais c'est incroyable,
42:38c'est des gens incroyables, ils vivent dans...
42:40Ils ne savent même pas bien sûr, ils vivent
42:42avec leurs chevaux, ils vivent avec leurs bœufs,
42:44ils vivent avec leurs familles, dans des
42:46ranches, je parle pas des ranches
42:48très riches, des ranches du Texas,
42:50je parle du Wyoming, et bien
42:52un soir, c'était en 85,
42:5483 ou 85, et puis
42:56il avait acheté un magnétoscope,
42:58le gars, et avec son frère,
43:00et sa femme, et puis il me dit
43:02Gérard, ce soir on va regarder un film.
43:04Alors je lui dis ok,
43:06très bien, et il met un film,
43:08et c'était les Blues Brothers,
43:10qui venaient de sortir, il le met,
43:12avec les chapeaux de cow-boys et tout, il regardait ça comme ça,
43:14il avait mangé un bœuf à l'étouffée, fait par maman,
43:16et puis on regarde ça,
43:18et puis à la fin il me dit,
43:20c'est bien le blues.
43:22Alors je lui dis oui, c'est bien le blues,
43:24il me dit tu vois, je connaissais pas, je connaissais le country,
43:26mais le blues je le connaissais pas.
43:28Je me suis dit mais c'est incroyable,
43:30le blues, il est même jamais allé à New York,
43:32il est pas allé
43:34dans n'importe quelle grande ville.
43:36Mais les cow-boys fascinent encore, il y a un village
43:38dans le Gers, je sais pas si vous le savez,
43:40avec des bénévoles,
43:42qui ont reconstruit un village de cow-boys,
43:44et qui assurent des animations comme autant
43:46des films de Sarah Jo Leon.
43:48Oui, oui, mais c'est incroyable,
43:50et moi j'ai vécu dans un film, j'ai vécu vraiment
43:52tout ce voyage-là, ça a été très
43:54révélateur pour moi,
43:56ça a pas été simplement un voyage pour faire des photos
43:58de personnages, ça a été un
44:00voyage qui m'a initié, qui m'a
44:02montré le monde, il y en a qui vont en Inde,
44:04je suis allé en Inde faire des grands
44:06reportages sur les Marajas, je suis allé
44:08dans plein de pays en Amérique du Sud,
44:10je suis allé au Pôle Nord, je suis allé partout
44:12faire mon travail de photographe
44:14avec SICMA, avec l'agence SICMA,
44:16mais les gens de cette
44:18art de... c'est des anonymes,
44:20donc qui s'intéresse aux anonymes ?
44:22Personne ! Donc je voulais
44:24moins m'intéresser à ça, c'est ce que je
44:26propose aujourd'hui, et je peux vous dire
44:28que les photos, je les ai revues, je les ai ressorties,
44:30j'ai passé trois mois à les rechoisir,
44:32à les choisir de nouveau, et je peux
44:34vous dire que j'ai eu une immense émotion,
44:36je pense que c'est une chance formidable,
44:38elles sont pas chères, et c'est une...
44:40je fais pas de la pub, parce que je...
44:42franchement, on fait ça
44:44par plaisir, par bonheur, et parce
44:46qu'il faut aussi montrer un travail passé.
44:48Oui, c'est dans une galerie de Chartres,
44:50et il y a combien de photos ? Vous avez fait un choix très drastique,
44:52Gérard Rosset. Ben pas tellement... Oui, oui,
44:54drastique, parce qu'il y a quand même 120 photos.
44:56C'est pas n'importe quoi.
44:58Mais j'en ai sorti
45:00beaucoup, voilà,
45:02c'est en trois volets, il y a New York,
45:04il y a le voyage en bus, et il y a la...
45:06on finit avec les cow-boys, on finit
45:08la fête foraine avec les cow-boys,
45:10voilà, c'est l'Amérique de Rancinan,
45:12c'est mon Amérique, c'est celle que j'ai vue,
45:14mais c'est l'Amérique de ses anonymes,
45:16et il y a quelques jours de ça, j'ai reçu
45:18ma casteuse, vous savez, une casteuse, c'est les gens qui choisissent
45:20les personnages pour vous de Los Angeles,
45:22qui est venue chez moi, parce qu'elle
45:24connaissait pas Paris, donc elle est venue,
45:26et puis je lui ai montré les photos, elle me dit
45:28« Mais c'est incroyable, t'es plus américain que les américains. »
45:30En même temps, il y a Las Vegas aussi,
45:32parce qu'il y a des photos... Vous évoquez
45:34Las Vegas, qui est connue en Las Vegas,
45:36en particulier, et qui n'est pas celui qu'on connaît ?
45:38Bien sûr que non, puisque moi j'ai suivi les gens ruinés,
45:40alors on connaît que les gens qui ont
45:42du pognon, et qui gagnent à Las Vegas,
45:44moi j'ai suivi ceux
45:46qui prenaient le bus, parce que vous savez que les gens
45:48arrivent, partent de Montréal,
45:50partent de New York, partent
45:52de certains endroits dans des avions,
45:54avec des valises pleines
45:56de pognon, ils arrivent à Las Vegas,
45:58ils jouent, ils perdent, ils rentrent en bus.
46:00Alors ces photos,
46:02Gérard Rancinan, ce sont des oeuvres
46:04d'art qui sont signées, qui sont
46:06numérotées. Là aussi,
46:08c'est un marché en plein développement
46:10pour le grand public, c'est tout à fait nouveau ça.
46:12Exactement, alors c'est pour ça,
46:14je suis tombé sur
46:16une personne formidable
46:18qui s'appelle Elsa, et qui
46:20est la patronne
46:22des
46:24ventes aux enchères de Chartres.
46:26Et elle a joué le jeu, elle me dit, mais Gérard,
46:28on va les vendre, c'est formidable,
46:30etc. Et c'est vrai que moi
46:32ça m'intéressait, parce que je travaillais
46:34beaucoup avec des galeries d'art,
46:36qui me vendent, que ce soit en France,
46:38mais aussi à Dubaï, à Miami,
46:40et ailleurs.
46:42Mais on rentre dans
46:44un carcan artistique qui ne
46:46donne pas la possibilité à des gens
46:50avec des moyens un peu plus réduits
46:52de pouvoir
46:54acquérir des photos
46:56signées, numérotées, de collection,
46:58et qui peuvent, je l'espère pour eux,
47:00mais pour moi aussi, un jour
47:02valoir un peu plus.
47:04C'est ça qu'on propose.
47:06Et j'ai un peu copié un artiste
47:08qui s'appelle Keith Searing, qui est très connu en Américain,
47:10qui avait créé des boutiques à New York,
47:12comme ça, à l'époque, où il vendait
47:14pour pas cher des œuvres. Et ça avait
47:16un peu bousculé tout le monde, en disant, mais qu'est-ce que c'est ?
47:18Les galeristes avaient râlé, en disant,
47:20mais tu nous casses le marché. Pas du tout, c'est pas
47:22la même clientèle, vous voyez ce que je veux dire. Et donc,
47:24on s'est mis à faire ça, mais il fallait quelqu'un
47:26suivre. Elsa
47:28nous a suivis de cette
47:30société de vente aux enchères
47:32à Chartres, et
47:34va proposer ça pour des prix absolument
47:36raisonnables, et ça, ça me plaît.
47:38En même temps, les collectionneurs de photos
47:40au grand public sont de plus en plus nombreux.
47:42C'est quelque chose en plein développement.
47:44Mais bien sûr, parce que la photo,
47:46ça parle à tout le monde. Tout le monde est photographe.
47:48On a des appareils photo, on a tous
47:50un appareil photo dans la poche. Les enfants...
47:52Moi, je vais beaucoup dans les écoles
47:54invités,
47:56pour rencontrer les enfants, et puis
47:58je leur dis, mais vous faites des photos, vous faites des selfies ?
48:00Alors un ami me dit, non, pas que des selfies,
48:02on fait aussi des photos. Ah, je lui ai dit, vous faites des photos ?
48:04Mais est-ce que vous les gardez, les photos ?
48:06Est-ce que vous savez que quand vous faites une photo, vous arrêtez
48:08le temps ? Vous êtes...
48:10Est-ce que vous savez que
48:12quand vous photographiez votre maman en photo,
48:14t'as 15 ans, tu fais ta mère en photo,
48:16mais quand tu vas la voir dans 25 ans,
48:18t'as cette même photo, si tu la conserves,
48:20il faut la conserver. Tu vas
48:22voir comme elle était belle, tu verras comme elle était jeune.
48:24Tu t'en rends pas compte, aujourd'hui. C'est ça,
48:26la magie de la photographie.
48:28Mais la technologie a évolué aussi. Vous avez commencé avec des gros
48:30appareils, aujourd'hui, on a des petits smartphones.
48:32Oui, alors c'est vrai.
48:34Mais je travaille toujours avec
48:36un très bel appareil, qui est un appareil danois,
48:38qui est extraordinaire, et qui me permet de faire
48:40des tirages immenses, d'une qualité
48:42remarquable, qui est très...
48:44Ça marche comme un iPhone, sauf que
48:46c'est un peu plus sophistiqué. Voilà, mais en même temps,
48:48ces appareils comme l'iPhone ont
48:50permis à des jeunes de découvrir la photographie.
48:52Mais c'est extraordinaire.
48:54Et c'est pour ça qu'on parle de cette
48:56vulgarisation, j'allais dire, entre guillemets,
48:58mais de la photographie, bien sûr,
49:00parce que ça parle à tout le monde. Nous, quand on fait une exposition,
49:02on fait actuellement
49:04une exposition à Nice,
49:06à Reims, où on a eu
49:08énormément de succès, où on développe
49:10les mêmes photos que dans les grands musées,
49:12les mêmes histoires, les mêmes
49:14textes, écrits par Caroline.
49:16Et là, on vient de Bratislava.
49:18Mais le soir du vernissage à Bratislava,
49:20il y avait des centaines de personnes,
49:22et je peux vous dire qu'il y avait des gens
49:24qui avaient 80 ans qui arrivaient avec des vieux Leica,
49:26en me disant, moi aussi, je fais de la photo,
49:28et puis il y avait des gamins qui me photographiaient avec des iPhones
49:30et qui me disaient, monsieur, je peux faire des photos
49:32de vos photos, parce que c'est formidable. Est-ce que je peux faire ça
49:34avec mon iPhone ? Bien sûr que tu peux faire ça
49:36avec ton iPhone.
49:38Et en fait, faire une photo,
49:40c'est quoi d'autre que
49:42d'emprunter un peu
49:44comme ça, de piquer un peu
49:46des détails d'une société, d'une vie,
49:48d'un instant. C'est ça, la photographie.
49:50Il n'y a pas de prétention dans la photographie.
49:52Non, mais il y a de belles photos, et ces photos,
49:54elles seront aux enchères publiques, le 18 mai,
49:56à Chartres, à 14h,
49:58en attendant, bien sûr, d'autres expositions,
50:00parce que vous n'allez pas en rester là, Gérard Rancinant.
50:02Ben non, je continue.
50:04J'étais avec quelqu'un dans le couloir tout à l'heure.
50:06Il s'appelle Jacques, aussi.
50:08Il m'a dit, on n'arrête pas, en fait.
50:10Je lui ai dit, pourquoi s'arrêter ? Si on s'arrête, ça s'arrête ?
50:12Voilà. Il y a juste l'émission qui va s'arrêter maintenant.
50:14D'accord.
50:16On vous verra, parce que vous avez plein de choses à raconter.
50:18Merci, Gérard Rancinant.
50:20Merci beaucoup.
50:22On se retrouve bientôt.
50:24Restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.