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00:0015 mai 1920, naissance de Michel Audiard à Paris, dans le 14e arrondissement.
00:24Je suis né près des fortifications de pères inconnus jusqu'à mes 50 ans et d'une mère qui,
00:31après plus de 20 ans de silence, m'a écrit pour me dire qu'elle m'avait vu à la télé
00:36et que je ne devais pas porter des cols roulés, que ça faisait trop vulgaire.
00:40Voilà comment Michel Audiard parlait de son enfance sans origine.
00:45En général, on n'en savait pas plus long, sauf sur le 14e arrondissement,
00:50qui avait accueilli sa jeunesse et qui l'avait marqué à jamais de la gouaille du titi parisien.
00:56Juste avant la guerre, j'étais amateur lui aussi, et comme il ne montait pas les côtes,
01:03il faisait de la piste, il aimait bien la piste, parce qu'il n'y a pas de côtes sur la piste.
01:08Et on s'est connus, on a eu le livre, puis moi je suis passé professionnel et lui il est devenu porteur de journaux.
01:13Le vélo, c'est sa passion. Michel rêve de devenir un champion cycliste.
01:19Et je l'ai connu jeune, très jeune.
01:21Gilles Grangier.
01:22Si Audiard avait pu monter la côte d'Evreux à la même allure qu'un Bernard Rinault,
01:28on n'aurait jamais eu de dialoguiste.
01:30Au départ, il préférait le vélo et l'écriture, et on a eu la veine qu'il ne soit pas dans le peloton de tête.
01:38Parce que Michel, il voulait être dans le peloton de tête.
01:40Le cyclisme n'apporte pas à Michel la gloire qu'il espère.
01:43Il rentre dans le peloton, il abandonne la compétition pour devenir porteur de journaux.
01:48Mais cette fois, dans son nouveau métier, ce n'est pas le vélo qui l'intéresse, ce sont les journaux.
01:54Et ce n'est pas ses qualités de rouleur qui lui font mettre le nez à la fenêtre, c'est son coup de plume.
02:00Il devient journaliste.
02:02Et je me souviens qu'il était correspondant particulier à Pékin, Michel Audiard.
02:06André Pousse.
02:07Il n'a jamais foutu les pieds à Pékin, bien entendu, ni même à la frontière, ni même à la frontière de la Chine.
02:14En plus, il n'avait pas trop quitté Paris.
02:16Il habitait, à l'époque, Faubourg-Saint-Jacques.
02:21Il faisait ses papiers de l'ADN correspondant particulier à Pékin.
02:24Ça m'a toujours fait marrer.
02:25L'intention de l'amiral serait que nous perçions un canal souterrain qui relierait le Huango-Haut au Yangtzekiang.
02:34Et Yangtzekiang ?
02:36Bon, je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que Huango veut dire fleuve jaune et Yangtzekiang fleuve bleue.
02:44Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'aspect grandiose du mélange.
02:48Un fleuve vert.
02:50Vert comme les forêts, comme l'espérance.
02:53Matelot et nous.
02:55Nous allons repeindre l'asile, lui donner une couleur tendre.
02:59Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde.
03:03Bon, je vois que vous êtes raisonnable, je vous laisse.
03:06J'ai des clients, elles servent bien moins.
03:08Hé, dites-donc l'indigène un peu de teuf, hein !
03:11En parlant d'autre chose, parce qu'on les connaît, vos clients.
03:14La ferme Marc-Polisson, elle fait le babel escaladeur, hein !
03:18Et puis merde, je ne vous raconterai plus rien, là.
03:20Chut, Nariber, vous fâchez pas.
03:23Vous fâchez pas, vous fâchez pas, mes longueux dieux de bordel.
03:25Je vous offre des rivières tricolores, des montagnes de fleurs et des temples sacrés,
03:29et vous me transformez tout ça en maison de panse.
03:31Vous plantez votre Babylone normande dans la mer de Chine.
03:34Alors, Matelot et nous.
03:35Oui, chef.
03:36On va brûler le village.
03:37Où sont les grenades que je les dégoupille ?
03:41Avec Gilles Grangier, Michel Audiard passe ses vacances à une cinquantaine de kilomètres de Paris,
04:02dans une petite ville de la Beauce, Dourdan.
04:05Dourdan va devenir son port d'attache.
04:08Une fois riche et célèbre, il y achètera une belle maison bourgeoise où il aimera recevoir ses amis.
04:15Quand je passais des week-ends à Dourdan, chez lui...
04:19Jean Carmé.
04:20Et on ne se couchait pas.
04:22Quand tout le monde se couchait, tout le monde allait...
04:24Quelquefois, il y avait tous les copains, là.
04:26Il y avait des bandes de copains.
04:27Personne ne se couchait.
04:28Mais quelquefois, on était tous les deux.
04:30À ce moment-là, on refaisait le monde d'une façon dangereuse.
04:34Les amis, les copains, prennent une place importante dans la vie de Michel Audiard.
04:39J'avais une espèce d'intimité de téléphone avec lui.
04:43Tous les matins, on se téléphonait.
04:45Pour rien se dire.
04:46Pour dire, il fait beau, il ne fait pas beau, qu'est-ce que tu vas...
04:49Ah, tiens, il y a une espèce de petite brume.
04:52Ah, il y a un beau rayon de soleil.
04:53Il y a un oiseau qui vient de passer ou n'importe quoi.
04:55Qu'est-ce que tu fais ?
04:56Ah, ça m'emmerde.
04:58Il y a tes trucs, il y a tout le truc.
05:00On dessinait la journée.
05:01Et puis, tout d'un coup, on partait d'un éclat de rire.
05:03Parce qu'il y avait une idée qui nous amusait autour de l'ennui de l'autre.
05:07Il y avait ça.
05:08Et ça durait avec des silences.
05:11Tu as raccroché ? Non, je n'ai pas raccroché.
05:14Et puis, il habitait souvent Paris pour travailler.
05:18Il s'installait dans un hôtel à Paris.
05:20Et là, j'avais pris l'habitude de rentrer sans frapper dans sa chambre.
05:25Et je le surprenais quelquefois au milieu de son noisiveté.
05:29Il y avait un discours entre nous.
05:32Une espèce de dérision, de mensonge perpétuel.
05:37En vérité, on se racontait des histoires l'un à l'autre, toujours.
05:40Quand il parlait de moi, il enjolivait totalement mes défauts.
05:44C'est-à-dire, il les enjolivait.
05:46Il les exagérait d'une certaine façon.
05:49C'est-à-dire qu'il créait une espèce de légende par rapport à moi.
05:54Et quand ça me revenait, c'était merveilleux.
05:56Au diar, il avait quelque chose qui inquiétait, qui faisait beaucoup peur.
06:01C'était son cynisme.
06:04Moi-même, il y a eu toute une période qui a duré des années
06:07où j'avais un peu peur de lui parce qu'il était apparemment impitoyable.
06:11Je dis apparemment.
06:12Et il sacrifiait tout à un bon mot, à une réplique.
06:15Il n'y avait pas de quartier avec lui.
06:19Quand il y avait quelque chose à sortir, il cinglait tel coup de fouet.
06:23Et puis, on s'apercevait au fil des ans, quand on le fréquentait un peu et qu'on insistait,
06:28on s'apercevait que c'était une espèce d'auto-défense.
06:32Que ce type-là, il maniait son esprit comme un bouclier.
06:37Il se protégeait comme il pouvait derrière cette espèce d'esprit phénoménal qu'il avait.
06:42Mais il ne connaît pas Raoul, ce mec.
06:44Il va avoir un réveil pénible.
06:46Je voulais être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule.
06:48Mais maintenant, c'est fini.
06:49Je vais le travailler en férocité.
06:51Je vais le faire marcher à coups de lattes.
06:53A ma pogne, je vais le voir.
06:54Et je vous promets qu'il demandera pardon.
06:56Et on garde à vous.
07:02Je l'avais oublié.
07:04Il dispose de son amende.
07:05Et je me suis toujours dit qu'en poussant, c'est une façon de parler,
07:10mais il tuerait père et mère pour un mot.
07:12Henri Verneuil.
07:13Et un soir, nous étions à un dîner.
07:16On venait de signer un film.
07:18Il y avait Jean Gabin, qui était la vedette du film.
07:20Enfin, on était une dizaine.
07:22J'étais très, très fatigué.
07:25Vers minuit, on était encore à table.
07:29Et je tombais de sommeil.
07:32Et Michel me dit, écoute, tu devrais aller te coucher,
07:35puisque tu es si fatigué.
07:38J'ai dit, jamais, Michel.
07:40Je ne partirai jamais tant que tu es là, à table.
07:43Je partirai toujours après toi.
07:45Parce qu'une fois que j'étais parti, il ne savait pas ce qu'il allait dire de moi.
07:51Le film
07:54Par S Twin
08:16A dix ans, j'étais le ricaneur imbécile.
08:19sournoisement tapis dans le fond de la classe, entre le poêle et la porte, l'idiot qui securait
08:25les narines en gloussant, celui qui apprivoisait les hannetons dans son plumier. Tout à fait fermé
08:31au savoir, je n'écoutais pas les leçons du maître. Cette attitude de lui-même, que Michel Audiard
08:37décrit une fois adulte, elle ne l'a jamais quitté. Et puis il avait des clichés qui le faisaient rire,
08:42qui faisaient rire ses potes, les très proches. André Pousse. Moi j'ai fait beaucoup d'idées,
08:50en ville ou au restaurant, enfin, il est en ville c'est ce qu'on appelle, avec des gens invités,
08:56qui nous invitaient, et quand le maître de maison disait, Monsieur Audiard voulait vous asseoir à
09:07côté de ma famille, il dit, bien sûr, est-ce que je pourrais la tripoter ? Vraiment, pour être vulgaire
09:14volontairement, parce qu'il savait que ça me faisait marrer, alors qu'il l'était pas vulgaire.
09:18Il était quelquefois grossier, jamais vulgaire. Pour être sûr que tu viennes, j'ai des envies de
09:23voyage. L'Océanie, Bora Bora, l'Évainé, tu connais ? Pourquoi ? Tu veux m'emmener ?
09:28N'emmène pas des saucisses quand on va à Francfort. Tu pourrais dire une rose quand on va sur la Loire,
09:33question de terme. Je me suis toujours demandé, s'il ne se fabriquait pas, même dans son accoutrement,
09:51s'il ne se fabriquait pas un personnage. Henri Verneuil. Qui collait bien avec lui, en tout cas,
09:56ça faisait un tout. Il était très coquet, il achetait des costumes très très chers,
10:02et beaucoup, et beaucoup. Et le négligé qu'il avait était très étudié.
10:07N'en méfiez-vous, parce que si je vous revois, moi je vous écrase. Et puis j'ai pas de temps à perdre,
10:11faut que j'aille jusqu'à Isenay. Si vous y allez aussi vite que je vous emmerde,
10:14pour une fois, vous serez en avance sur l'oreille.
11:02Le naturel populaire du comportement de Michel Audiard correspond un peu à son itinéraire.
11:07Menacé de travail obligatoire par les Allemands, il entre en apprentissage. Il apprend deux métiers,
11:14celui de soudeur et celui d'opticien. Il aime le travail manuel, mais l'idée d'entrer un jour
11:21à l'usine devient sa terreur. La discipline lui va mal. Le travail avec Michel, d'abord il
11:29arrivait toujours un petit peu en retard, un petit peu beaucoup en retard, sur l'heure dite
11:34Henri Verneuil. Ensuite on commençait par faire le tour de tout ce qui se passait à ce moment-là,
11:43c'est-à-dire sur les journaux, sur ce qu'on disait, ce qui était très très agréable. Et puis il
11:48arrivait un moment, au milieu de l'après-midi, où je disais si on commençait quand même. Et
11:54puis ça se passait toujours très agréablement parce qu'il était aussi drôle dans la vie que
12:00dans ses films quand il écrivait le dialogue. D'ailleurs quand on écoute ses dialogues,
12:06il parlait comme ça aussi dans la vie. Il était drôle dans ses dialogues, il était drôle dans
12:11la vie. Il a eu une drôlerie même avec un humour noir. Happy birthday to you, happy birthday...
12:20Il est parti. T'as déjà vu ça ? En pleine paix, il chante et puis il craque un bourre-pif. Il est
12:34complètement fou, ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance et
12:45une sceller. Je vais lui montrer qui c'est Raoul, aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver
12:49éparpillé par petits bouts façon puzzle. Moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus.
12:54Je dynamite, je disperse et je ventile.
13:04C'est encore l'écriture qui va lui donner rendez-vous. Le scénariste de la production artistique que dirige
13:18André Unebel tombe malade. Audiard le remplace sans penser à devenir pour cela scénariste. Il
13:25continue ce qui ne devrait rester qu'une expérience dans sa vie en écrivant sept autres films. Commence
13:32alors une longue histoire qui se terminera 100 films plus tard. Il a fait 100 films, en gros,
13:37Audiard. Ou 80, j'en sais rien, je n'ai pas compté. André Pouce. Mais c'est fabuleux,
13:43quoi. Et toujours, bom, à chaque fois. Et puis, dites-moi, quel est le dialogue ici dont on
13:48affiche le nom, le contrat ? Il y a écrit sur le contrat, le nom de Monsieur Audiard sera affiché
13:55dans les mêmes caractères que la vedette la plus favorisée. C'est-à-dire qu'il était,
14:00que ce soit X, Y ou Z, il était affiché de la même grosseur. Pourquoi ? Parce qu'il faisait venir
14:05des gens. Entre nous, d'Aube, une supposition, je dis bien une supposition, que j'ai un graveur
14:11du papier et que j'imprime pour un milliard de bifetons, en admettant, c'est toujours une
14:16supposition, en admettant qu'on soye cinq sur l'affaire, ça rapporterait net combien à chacun ?
14:22Vingt ans de placard, les bénéfices, ça se divise, la réclusion, ça s'additionne.
14:29Sa grande qualité d'artiste, c'était son trait. Jean Carmé. Sa façon, justement,
14:34de s'accommoder avec le mot, de trouver le jus du mot et puis d'envoyer la couleur avec le jus du
14:42mot. Ça, il le savait, ça. Il le faisait. Mais bon, ça pouvait être redoutable dans la vie aussi.
14:51Ça pouvait être redoutable. Il a des répliques qui sont absolument immortelles, on dirait.
14:56Frédéric Dard. Si vous voulez, je peux vous en citer. Mais alors, de mémoire, quelques-unes.
15:02Quand dans les grandes familles, Pierre Brasseur dit à Gabin, qui est le chef de famille,
15:08austère et Brasseur étant le vaux-rien distingué de la famille. Brasseur lui dit,
15:14quand on a des boutons sur la gueule, toi et moi, toi, c'est le homard et moi, c'est la vérole.
15:21Michel se défend de parler argot. Il utilise le langage populaire qu'il remet en forme. Cela
15:37m'agace quand des journalistes font leur papier en l'émaillant d'argot, croyant m'imiter,
15:42dit-il. Je ne parle pas argot et je ne suis pas un titi. Mais chaque fois qu'un homme du peuple
15:47a le sens de la répartie, on dit que c'est un titi. Quand c'est un homme du monde,
15:52on dit qu'il a de l'humour. Frédéric Dard.
16:17Bienvenue, Albert. Je me disais toujours, ça ne peut pas durer. On le reverra un jour. Et
16:39t'en voilà, comme au bon vieux temps. Tiens, je me sens 20 ans de moins. Que qui? Toi, tu ferais
16:45mieux de t'en tenir là avant que tes Espagnols te reprennent. M. Hainaut, si la connerie n'est
16:51pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la pareille. Dis donc, petit
16:56malpoli, tu veux que je t'apprenne? M. Hainaut, je vous interdis de tutoyer mon homme de bar. Je
17:01vous ai déjà dit que vous n'étiez pas de la même famille. Alors, toi, je te préviens, si t'es
17:05venu pour me donner des ordres, je vous virerai tous les deux un coup de pompe dans le train.
17:08Et ce n'est qu'un coup de semence. On ne peut pas, quand un homme a le talent qu'il a, on ne peut
17:21pas savoir si c'est ce qu'il pense ou s'il est en train de faire une bonne réplique. Henri
17:27Verneuil. Ça, c'est impossible. Il n'y a que lui qui le sait. Et encore, et encore, car en l'écrivant,
17:36il est même persuadé qu'il le pense. Tout à fait, c'est un renard, Michel, c'est un renard. André
17:42Pousse. Il était toujours prêt à la dérision, à déconner, à raconter des bêtises. Je t'envoie
17:55un mec cette semaine. À quoi je le reconnaîtrais? Un beau brun, avec des petites bâcantes, grands,
18:00l'air con. Ça court les rues, les grands cons. Oui, mais celui-là, c'est un gabarit exceptionnel.
18:05Si la connerie se mesurait, il servirait à une maître-étalon. Il serait à sèvres. Oh, super
18:10malin. Gilles Grangier. Si le mot n'existait pas, il faudrait l'inventer pour lui. C'est exact. Un
18:17malin, un malin de charme. Autant la réplique pouvait être féroce, autant le trait pouvait
18:42parfois être généreux. Jean Carmé, son ami, s'en souvient. On se connaissait depuis longtemps.
18:48Et puis après, j'étais rentré dans son atmosphère professionnelle. À un moment, ça, c'est très,
18:55très curieux. Ça, c'est une chose qui m'a beaucoup touché. Je suis rentré un petit peu dans son
19:00atmosphère professionnelle, à une période où ça ne collait pas du tout pour moi. Ça marchait très,
19:05très mal pour moi. Et j'ai senti qu'il m'aimait bien par une phrase qu'il avait dit sur moi dans
19:14un journal. On lui avait posé la question, vous voulez vous voir dans quel rôle aimeriez-vous
19:22voir Gabin, aimeriez-vous voir Delon, aimeriez-vous voir Ventura, aimeriez-vous voir Belmondo. Il les
19:29définissait à travers un rôle. Et puis, il avait conclu, j'aimerais voir Jean Carmé dans
19:35le temps. Et ça, ça m'avait, tout d'un coup, à une période où on ne savait pas du tout. Tout d'un
19:40coup, se ressentir un petit peu dans la cour de ceux qui sont au top, tout ça, ça fait quelque
19:49chose. Et je ne sais pas si c'est rendu compte de l'optimisme que ça avait pu me donner à une
19:57période, une période difficile de ma vie. Une période difficile de la vie de Michel Audiard,
20:03celle de la mort de l'un de ses fils. En 1978, sa douleur s'exprime dans un roman magnifique,
20:11La nuit, le jour et toutes les autres nuits. J'ai lu ce livre un jour, j'allais passer quelques jours
20:17à Venise avec ma femme. Frédéric Dard. Et j'avais emporté son livre et une nuit, dans un hôtel qui
20:24donnait sur le Grand Canal, j'ai lu, j'ai lu ce bouquin et je me suis retrouvé à trois heures du
20:31matin en larmes, mais en larmes parce que c'était comme une bouteille à la mer. C'était, je ne peux
20:38pas vous dire, un appel. Il faut lire ce livre, il faut conseiller la lecture de ce livre. C'est
20:44un bouquin sublime, c'est le bouquin du déchirement, c'est le bouquin du type qui cripousse, c'est le
20:50bouquin du clown qui en a marre et qui pleure sur son maquillage, vous comprenez, c'est superbe.
20:57On avait fait un pacte avec Dieu, tous les trois, Dieu, Michel et moi, qu'on ne mourrait pas. André Pouce.
21:04Et puis, il y a eu une couille dans l'ordinateur puisque lui, il est parti. Mais je crois que pour
21:11parler sérieusement, qu'il était croyant, il croyait en Dieu. L'église, tout ça, c'était du bison pour lui,
21:20mais il croyait en Dieu. Je pense qu'il a cru en Dieu jusqu'au jour où François s'est tué, son fils,
21:26où il s'est enrôlé autour d'un arbre en rentrant à Dordogne, à Bièvre, dans le bain de Bièvre. Il a raté un virage et là,
21:34alors ça... Mais je l'ai connu, il croyait en Dieu. C'est ça la vie éternelle, quelque part. Jean Carmé.
21:42Je ne suis pas du tout, je ne suis pas un homme de religion, mais c'est ça, c'est la permanence dans
21:50l'esprit. C'est beaucoup plus présent qu'une photographie ou qu'un souvenir pittoresque.
21:58C'est le flou des choses. C'est une caresse de vie. Ça souffle de temps en temps. Bon, je respire un
22:06petit coup d'air, puis je dis, tiens, c'est un coup d'air qu'Audiard a déjà respiré.
22:10Quelques temps après la sortie de son bouquin, il m'est arrivé, personnellement, enfin il nous est
22:16arrivé dans ma famille une chose très grave. On a kidnappé ma fille, comme vous avez entendu
22:21parler. Frédéric Dard. Et alors, Michel ne m'attendait pas du tout à recevoir un mot de lui,
22:27parce que ce n'était pas le genre de type à se manifester dans ces circonstances. Ce n'était pas
22:33le gars qui vous envoyait un mot de condoléance quand vous aviez perdu papa, maman, vous comprenez,
22:39c'était ailleurs, son âme, sa compassion. Et il m'a envoyé un mot, un mot de quelques lignes qui
22:48est absolument superbe. Il m'écrit simplement, je suis malade comme un chien et il a fallu ça
22:54pour savoir que je t'aimais.
23:09Michel Audiard met le langage poétique de la rue dans la bouche des stars du cinéma français.
23:40Des hommes en général. D'un homme en particulier, Jean Gabin. La rencontre entre le comédien et le
23:47dialoguiste est due à un ami commun, Gilles Grangier. J'ai eu la chance, moi, de rencontrer
23:52Jean Gabin, qui m'a fait confiance et ma vie professionnelle a un peu changé. C'est-à-dire
23:58que je suis sorti de films que je ne renie pas du tout d'ailleurs. Je faisais des films musicaux,
24:05Guitari, Mariano. Et puis un jour, la confiance de Gabin m'a fait passer dans un autre style de
24:11film. Et j'ai eu l'énorme chance dans le premier film de pouvoir amener Audiard. Alors, ils sont
24:20devenus une paire d'amis, de complices. Tout juste, ils m'ont pas fait les enfants dans le dos,
24:25mais ça, c'est la vie. Mais j'ai été, je suis très fier d'avoir fait ce mariage parce que c'est
24:32vraiment moi qui l'ai fait. À quoi tu penses ? Je pense que quand on mettra les cons sur orbite,
24:37t'as pas fini de tourner. Et bien, la rencontre au début, Jean était un peu
25:02méfiant. Il était, très Gabin, il avait une générosité extraordinaire. Et il m'avait dit,
25:10dis donc, on va essayer de rebecter un peu Prévert. C'est moi, lui, ça. Rebecter un peu
25:15Prévert. Je lui dis, mais Prévert n'a pas besoin d'être rebecté. Il s'occupe, il fait des films et
25:22des émissions pour les Maumes. Il est dans le Midi, il est pour nous. Moi, je veux bien,
25:26je ne demande pas mieux. Je serais ravi. J'aurais été très heureux de faire quelque chose avec
25:30Prévert. Mais je dois dire que j'avais l'intuition qu'Audière amènerait un sang un peu neuf dans
25:38cette aventure. Et puis, je ne me suis pas trompé parce que pour finir, ils se sont superbement
25:43entendus. Dis donc, Ernest, entendons-nous bien. T'as besoin de moi, j'ai besoin de toi,
25:48on traite. Mais un casseur doublé d'une donneuse, tu voudrais tout de même pas que je t'embrasse.
25:54Dans Le drapeau noir flotte sur la marmite. André Pouce. Il doit dire quelque chose,
26:01je ne sais plus si c'est ça, du reste, mais ça n'a pas d'importance. C'est le même esprit. Il
26:07doit dire, je prends le cap Sud-Sud-Est, la paille au vent. On m'attend pour Sidney Hobart,
26:12parce que dans le film, il fait croire à son neveu qu'il est un grand baron. En réalité,
26:16les cuissons à bord d'un navire de la marine nationale. Alors, il se plante, il dit Sud-Sud-Est,
26:23ou un truc comme ça. Coupé, on la retourne. Sud-Sud-Est. Coupé, on la retourne. Sud-Sud-Est.
26:29Il se tourne vers l'envers, il dit, t'écris que des conneries qu'on ne peut pas dire. Alors,
26:33Michel lui dit, t'as qu'à dire Nord-Nord-Ouest, je m'en fous, ou Nord-Nord-Ouest. Enfin, il le
26:38dit, on a su. En premier, il fait, tu vois, quand t'écris des choses normales, je ne suis pas plus
26:41qu'aucun autre. C'est vrai que dans tous les films que j'ai fait, j'ai jamais entendu Gabin
26:46parler faux. Jamais. Henri Verneuil. Mais il avait un secret, c'est qu'il commençait d'abord par
26:52mettre le dialogue dans sa bouche, c'est à dire à sa façon, comment il disait les choses. Et ça,
26:57le premier serviteur de ça, c'était Michel. Et quand il l'avait bien dans sa bouche, alors là,
27:03il partait, il partait sur. Là où il m'a étonné, Jean, et ça, on s'était bien regardé avec
27:11Audiard pendant tout le film, on s'était demandé, pendant l'écriture, on s'était demandé comment
27:16on allait en sortir. C'est quand, tout d'un coup, on enlève Jean de son milieu, de son vocabulaire
27:22habituel, des mots qu'il emploie dans la vie, et on le catapulte dans le rôle d'un orateur comme
27:29dans le Président, où il va parler à l'Assemblée Nationale. Le discours qu'a écrit Michel pour
27:35Jean Gabin, ce ne sont pas des mots qu'il emploie tous les jours. La preuve, c'est qu'il y a une
27:40prise avec la caméra qui fait tout le tour de Gabin pendant qu'il parle devant les 575 députés,
27:48avec le décor reconstruit à Joinville, il y avait trois pages de dialogue. Et d'un seul trait de
27:58caméra, il m'avait accepté, il m'avait dit oui, c'est comme ça qu'ils vont le faire, tu as raison,
28:01nous avons refait 57 fois la prise, et toutes les deux prises, il changeait de chemise. Mais quand
28:10il a eu la bonne, à la fin, quand ça s'est terminé, et j'ai hurlé le coupé parce que j'étais plus
28:16malade que lui, évidemment, quand on suit jusqu'au bout le mouvement de l'appareil, le beau dialogue
28:23d'Odiard, quand j'ai dit le coupé, on s'est regardé tous les deux avec Jean, et c'est vrai,
28:29on a compris que c'était la meilleure, c'était la bonne, c'était formidable. Et le lendemain,
28:36on vient nous dire qu'il y avait eu un plan d'accidenté, c'était ce plan-là, et il a fallu le refaire.
28:53Odiard Gabin devient très vite le doublé gagnant du cinéma français, un cinéma populaire, parfois
29:12contesté par la critique. Pour Odiard, il y avait toute une intelligentsia qui tordait un peu le
29:18nez sur ses dialogues, sur ses films. Frédéric Dard. Et puis quand il n'a plus été là, c'est un
29:23peu comme Coluche dans un autre style, quand il n'a plus été là, on s'est rendu compte qu'il était
29:28irremplaçable, disons le mot. Et je pense que cette position devrait être davantage marquée
29:35d'une façon plus officielle. Cela dit, il suffit de faire des honneurs, il n'est pas question d'honneur,
29:39il est question simplement de, je ne sais pas, de préparer les gars nouveaux qui ne savent pas
29:45qu'il est Odiard à faire sa connaissance, parce que c'est un monsieur qui a marqué le cinéma.
29:50Alors là, M. Quentin, je te rétorque que, primo, je l'ai viré. Deux yeux, des ivrognes, il y en a assez dans le
29:55pays, sans que tu les fasses venir de Paris. Un ivrogne? Oh ben, un peu, oui. Même que le père Bardasse qui
30:00boit 15 pastilles par jour, il n'en venait pas. Ah, parce que tu mélanges tout ça, toi. Mon espagnol,
30:05comme tu dis, est le père Bardasse. Les grands ducs et les bois sans soif. Les grands ducs? Oui,
30:11monsieur. Les princes de la cuite, les seigneurs. Ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps, mais
30:17qui ont toujours fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients et toi, ils vous laissent à vos putasseries,
30:21les seigneurs. Ils sont à 100 000 verres de vous. Eux, ils tutoient les anges. Excuse-moi, mais nous autres,
30:27on est encore capables de tenir le lit sans se prendre pour Dieu le père. Mais, c'est bien ce que je vous reproche.
30:32Vous avez le vin petit et la cuite mesquine dans le fond. Vous méritez pas de boire. Tu te demandes pourquoi
30:37tu parles espagnol? Et pour essayer d'oublier des pignoufs comme vous. Comment tu fais ton lot de rouget, là?
30:42300 francs le kilo. Je te préviens que j'en ai retenu la moitié. Eh ben, moi, je prends le tout. Allez, emballe-le, moi, je vais venir le prendre.
30:47Décidément, on peut plus causer de rien avec toi, tiens. T'es trop con. Jamais Michel n'a écrit autrement que ce qu'il avait envie d'écrire.
30:55Henri Verneuil. Il a jamais habillé les uns et les autres. Il faisait du haut-diar. Et il fallait dire du haut-diar.
31:03Et c'était très bien comme ça, parce que c'était ça, Michel. Alors, quand on a quelqu'un qui est fait pour dire du haut-diar, comme Gabin,
31:12alors là, la rencontre est parfaite. C'est comme ça que les deux personnages se rencontrent bien.
31:17Oui, on se réunissait beaucoup, soit ici, à la maison. Gilles Grangier. En plus, ma femme Lucille était très copine avec la femme d'Haut-diar.
31:27Enfin, tout ça allait très bien. Et puis, de temps en temps, on a réussi à amener le père Gabin à Zourdan, ce qui était un vrai problème,
31:34parce que pour lui faire faire 50 km dans une voiture qu'il ne conduisait pas, c'était quelque chose. Il avait peur de tout.
31:41Mais on se réunissait beaucoup chez lui, chez le père Gabin, qui, à ce moment-là, habitait rue François 1er. Alors, c'était très simple, très facile.
31:49Et on a fait... Enfin, la moitié de nos scénarios ont été fabriqués dans ces trois maisons.
31:55Avant d'être dans les bureaux, on bavardait entre nous, ce qui, peut-être, a donné cette espèce de familiarité qu'il y avait dans nos rapports et, je crois, dans notre travail et dans nos résultats.
32:19Il parle comme moi, Haut-diar, avec l'imagination en plus, dit souvent Gabin.
32:37Entre les deux hommes existent aussi de nombreux points communs. Une certaine façon de vivre, bien française. Par exemple, il n'aime pas voyager.
32:46Pour Gabin, passer la Loire, c'est déjà la grande aventure.
32:50Gabin appelait Haut-diar le petit cycliste.
32:52Gilles Grandier.
32:53Il l'appelait Haut-diar. Il disait « Où il est le petit cycliste ? ». Tu vois, ça donnait un espèce de ton.
33:00Et quand Michel me disait « Où il est Haut-diar ? », « Où est Gabin ? », il me disait « Où il est le vieux ? ».
33:06Il nous emmerde un peu, mais enfin, on va voir.
33:08C'était ça, un peu, les rapports.
33:10C'est très courtois, mais ils étaient très amoureux l'un de l'autre.
33:16Il y a une grosse estime.
33:17Ils étaient quand même un peu machos aussi.
33:19Puis ils font cul et d'une mauvaise foi redoutable.
33:23Qu'est-ce que j'ai à rire avec ça ?
33:25Comme moi, je le suis aussi un peu.
33:27André Pousse.
33:28J'ai vu des trucs avec Gabin qu'il l'était aussi, comme c'est pas possible.
33:34C'est drôle.
33:35Un jour, on quitte Saint-Maurice où on tournait.
33:40Le Pacha, je crois.
33:44On devait dîner ensemble, Gabin, Odiard et moi, au Bistrot 121, rue de la Convention.
33:49En rentrant dans Paris, il y avait le chauffeur de la production, Gabin à côté,
33:55Odiard derrière le chauffeur et moi derrière Gabin.
33:57On est tous les quatre avec le chauffeur.
34:00On roule, on arrive dans Paris, le chauffeur fait « Je sais pas où je passe pour la rue de la Convention. »
34:05Et Odiard lui fait « Quand on arrive au pont de Tolbiac, tu prends le pont de Tolbiac,
34:12tu roules tout droit, tu prends la rue de Tolbiac, la rue d'Alésia,
34:17tu tombes dans la rue de la Convention et tu t'arrêtes au 121. »
34:21Et Gabin qui est devant, il fait « Tu vas tout droit jusqu'au pont Mirabeau,
34:24tu tournes à gauche et tu prends la rue de la Convention, tu t'arrêtes au 121. »
34:27C'est beaucoup plus simple.
34:28Et on roule.
34:30On arrive au pont de Tolbiac, le mec, il oublie la deuxième version.
34:33Il tourne à gauche pour le pont de Tolbiac.
34:35Bon, on roule, on arrive.
34:38On va quitter le pont de Tolbiac.
34:40Et il y a un Smirmork qui veut tourner à droite devant nous.
34:45Et puis il se plante un peu, le mec a mal manœuvré.
34:48Le feu passe au rouge, il attend, les autres voitures passent.
34:50Il recommence sa manœuvre, le feu passe au rouge à nouveau.
34:54Et là, finalement, au vert et ça va.
34:56Et nous, on a donc fait deux feux verts pour rien, quoi.
34:58C'est-à-dire deux minutes peut-être, deux minutes et demie.
35:01Et à ce moment-là, Gabin se tourne vers Odiard et lui fait « Avec tes conneries.
35:07Et si le pont s'était écroulé, on aurait eu bonne mine. »
35:10Ben, quoi, vous, bien que la jeunesse s'amuse.
35:12Ben, voyons, on va mieux là qu'au bistrot, près de l'air.
35:16Si je te disais, mon bâti, c'est que l'année dernière,
35:18rien qu'en comptant les avancées, les intères,
35:21les gardiens de bus, qu'ils appellent ça,
35:23eh ben, on a eu un tibia, une rotuleuse cassée et une fusion de poitrine.
35:26Tant pour me dire qu'on avait ces rendements-là avec le piquant citron.
36:09Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.
36:15Elles ne boivent pas, elles ne fument pas, elles ne draguent pas, mais elles causent.
36:19Le cri du cormorant le soir au-dessus des joncs.
36:22Le drapeau noir flotte sur la marmite.
36:24Elles ne causent plus, elles flinguent.
36:26Comment réussir quand on est con et pleurnichard ?
36:29Les titres des films écrits et mis en scène par Michel Odiard
36:33semblent échapper de répliques de dialogue.
36:37De 1968 à 1974, Michel Odiard réalisa un film par an.
36:42Souvent contesté comme metteur en scène et comme scénariste,
36:45il finit par retourner à sa matière préférée,
36:48là où aucun autre ne peut rivaliser avec lui, le dialogue.
36:52Et c'est vrai que, je ne parle pas de moi là,
36:55mais c'est vrai que Michel avait besoin d'un metteur en scène.
36:58Henri Verneuil.
36:59Quelqu'un qui peut lui tenir tête,
37:04pour certaines longueurs, pour certaines pu-pu-pu,
37:06certaines façons de raconter les choses,
37:09devant un talent immense.
37:11Personne ne discute que le talent immense qu'il a, qu'il a eu.
37:15Mais il avait, je crois qu'il avait besoin d'un metteur en scène.
37:18Et chacun à sa place.
37:20Il y avait un pitch, le Mexicain, tout le monde l'aurait donné à 100 contre 1,
37:22un flingue à la surprise.
37:24Mais cet homme-là, ce qu'il a sauvé, c'est sa psychologie.
37:27Tout le monde n'est pas forcément aussi doué.
37:30La psychologie y en a qu'une.
37:33Il a eu le temps de fourailler le premier.
37:35Le Mexicain, ça a été une épée, un cadeau.
37:38Moi, je suis objectif, on parlera encore de lui dans 100 ans.
37:41Ça m'en faut bien reconnaître qu'il avait décliné,
37:43surtout de la tête.
37:45Enfin, toi qui l'a causé en dernier, t'as sûrement remarqué.
37:47Remarqué quoi?
37:49T'as quand même pas pris au sérieux cette histoire de succession.
37:52J'ai eu tort.
37:53On ne te connaît pas.
37:55Mais laisse-nous te dire que tu te prépares des nuits blanches,
37:58des migraines,
38:00comme on dit de nos jours.
38:02Dis donc, ça ne te gêne pas qu'on y aille ensemble?
38:04Je ne sais pas que vous gênez, monsieur Fernand,
38:05mais je ne sais pas si ça va bien vous plaire.
38:07Eh bien, ça, je te le dirai.
38:08Des types comme Audiard, des types comme Boudard,
38:12des types comme Cavana même, vous voyez?
38:15Et des types comme moi.
38:16Frédéric Dard.
38:17Nous sommes profondément les enfants de Céline.
38:21Et le rameau mère, c'est Céline.
38:26Nous autres, nous sommes des rejets, je pense.
38:28Enfin, plus ou moins vivaces, plus ou moins réussis,
38:32plus ou moins intéressants.
38:33Mais nous sommes tous des rejets de Céline.
38:36Eux, quand ils démarraient un bouquin,
38:39les quatre ou cinq premières pages, c'était du Céline.
38:43Toujours, y compris Michel.
38:45Quand ils démarraient, quand ils avaient décidé,
38:47quand il avait décidé, Michel, d'écrire de la prose,
38:50ils démarraient, c'était Célinien.
38:53Et puis, leur personnalité reprend très vite le dessus.
38:56Et ils en ont plus besoin.
38:58Moi, je l'ai vu écrire, j'étais assis devant lui.
39:00André Pousse.
39:02Ça m'est arrivé de dire, ben monte, il était,
39:04monte, alors je montais dans le bureau.
39:05Parce que je dis, je monte, parce que c'est au premier étage
39:07de la maison d'Ordon.
39:09Et il était assis, je le voyais écrire, il écrivait.
39:12Et puis d'un coup, hop, il tire un trait,
39:14il met un mot dessus, puis il continuait, quoi.
39:15Il avait une dextérité.
39:17En plus de ça, il écrivait plusieurs films à la fois, souvent.
39:22Des fois, il écrivait la fin d'un film, le début d'un autre.
39:26Et puis, des rectifications sur un autre film.
39:31Il touchait un peu d'oseille.
39:34Sous la table, quoi.
39:36Bougez pas.
39:37Les mains sur la table.
39:39Je vous préviens qu'on a la puissance de feu d'un croiseur
39:41et des flingues de concours.
39:56Le travail avec Michel se faisait de la façon suivante.
39:58J'amenais l'image, mais la réplique, lui, venait tout de suite.
40:02Nous avions une situation dans l'hémorphale où c'est la guerre,
40:06il y a des trous d'obus partout, les trois quarts des immeubles sont démolis.
40:12La place centrale est rafraîchie.
40:18C'est-à-dire qu'il n'y a plus de place.
40:20La place centrale est ravagée par les bombes.
40:26Il y a des cratères partout.
40:28Et il y a le banquier qui va partir avec sa femme sur le toit de la voiture.
40:32Ils ont entassé tout ce qu'ils ont pu.
40:34Ils vont s'échapper, ils vont partir.
40:36Et je disais à Michel, c'est le moment de supprimer le mari.
40:40Je vais tuer ce banquier.
40:42Mais attends, il me dit, comment tu vas le tuer ?
40:44J'ai dit, attends, je vais le tuer.
40:46Je vais le tuer.
40:48Il va avoir une envie de pisser, ce qui est une chose en besoin tout à fait.
40:54Et au milieu de tout ce paysage lunaire, avec toute la guerre qui est passée par là,
41:02il va aller au bord de ce cratère et il va faire pipi.
41:06Or, au fond de ce cratère, de ce trou, il y a un tuyau à haute tension qui est déchiqueté.
41:12Et je dis, il va pisser sur cette ligne de haute tension et il va être électrocuté sur...
41:18Ah, il me dit, ça c'est chouette.
41:20Et sa femme qui arrive, elle me dit, voit l'homme complètement foudroyé
41:26et tu sais ce qu'elle va dire ?
41:28Je dis, non.
41:30Eh bien, elle va dire, c'est bien la première fois qu'il fait des étincelles avec sa bite.
41:34Je dis, tu ne peux pas dire ça, ce n'est pas possible.
41:36Eh bien, j'avais amené l'image, mais la réplique était là.
41:40C'était là.
41:42Bon ben, en route ?
41:44Bon, je vous demande juste un instant.
41:56Mon dieu.
41:58Mais qu'est-ce qui s'est passé ?
42:00Ben, il a dû pisser sur la ligne à haute tension.
42:02Point final.
42:04Vous savez, ça s'est passé tellement vite, il n'a pas dû souffrir du tout, du tout.
42:09C'est bien la première fois qu'il fait des étincelles avec sa bite.
42:11Superstar du dialogue, Michel Audillard donne à son métier une image d'homme qui n'a rien à voir avec l'homme.
42:19Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:21Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:23Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:25Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:27Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:29Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:31Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:33Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:35Il n'a rien à voir avec l'homme.
42:37Superstar du dialogue, Michel Audillard donne à son métier une image et une notoriété que le public et les professionnels ne lui reconnaissaient pas.
42:45Il est aussi le premier dialoguiste à recevoir des cachets de stars.
42:50Je ne l'ai jamais vu aimant l'argent.
42:54Non, non, Michel, alors, au milieu de ça.
42:57Henri Verneuil.
42:59Mais il en dépensait beaucoup.
43:02Il y a eu l'année de ses deux Ferrari.
43:05Et puis, tout était un peu à l'avenant.
43:08Et puis, il recevait beaucoup chez lui.
43:10C'était un grand seigneur, Michel.
43:12Il y avait table ouverte chez lui.
43:15Le week-end, toutes les chambres étaient prises.
43:19C'est donc, l'argent ne servait qu'à mener la vie qu'il avait envie de mener.
43:27Ce n'était pas pour thésauriser.
43:28Ce n'était pas pour mettre de l'argent de côté.
43:31Et il en a toujours manqué.
43:33Il a toujours eu des dettes envers le fisc.
43:39En se disant toujours, grave erreur, un jour, ils seront bien obligés d'éponger tout ça.
43:47Et vous voyez, je fais toujours un rapprochement avec Jeanson,
43:53qui, lui aussi, ne savait pas du tout ce que c'était l'argent.
43:57Mais il avait décidé une fois pour toutes, Jeanson,
43:59et c'est là où nous rejoignons Rodiard,
44:01il avait une fois pour toutes décidé que payer des impôts, c'était immoral.
44:06Et il avait dit à sa femme, j'étais là, je travaillais sur la vache et le prisonnier avec lui,
44:10il avait dit, je ne veux pas que tu payes des impôts, c'est clair.
44:13Tu vas voir le contrôleur et tu dis, mon mari a dit que nous ne paierons pas des impôts.
44:18Et Claude Janson, qui était là, me fait un clin d'œil
44:22et lui dit, Henri, absolument, dès demain matin, je vais lui dire ça.
44:26Et puis elle est revenue après avoir fait des courses et elle lui a dit, ça y est, il accepte.
44:30Et Henri est mort, des années après, en étant absolument persuadé qu'il ne payait pas d'impôts.
44:38Et il m'a dit, tu devrais demander à Claude comment elle a fait,
44:41parce que c'est idiot de payer ses impôts, c'est ridicule et injuste de payer des impôts.
44:46Alors, il dort le gros con.
44:49Il dormira encore mieux quand il aura pris ça dans la gueule.
44:52Il entendra chanter les anges, le gugusse de Montauban.
44:56Je vais le renvoyer tout droit à la maison mère, au terminus des prétentieux.
45:00Souvent, Michel Odiard travaille à l'hôtel.
45:26Il s'installe dans un établissement tranquille du quartier des Champs-Elysées
45:30ou dans des repères différents pour brouiller les pistes.
45:33Finalement, c'était un lâche.
45:35Il le disait, il lui disait, je suis un lâche.
45:37André Pousse.
45:38Vous l'invitez à dîner, il dit oui.
45:41Il y a d'autres mecs qui l'invitent à dîner, il dit oui aussi,
45:43parce qu'il ne veut pas dire non, il ne veut pas refuser.
45:45Ça l'emmerde de refuser quelque chose.
45:47Parce que c'est un brave homme, ce qui ne correspond pas à son caractère.
45:56C'est un brave homme, mais il était gentil.
45:58Et ça l'emmerdait de refuser.
46:00Alors il disait oui tout le temps.
46:01Des fois, il avait trop d'idées.
46:02Il avait une espèce de gourmandise dans laquelle il retrouvait l'enfance.
46:05Quelquefois, il adorait les choses comme ça.
46:07Les coquilles Saint-Jacques et les sols.
46:09Jean Carbet.
46:10Il adorait ça et je le voyais.
46:11Il se mettait à table comme un bébé qui va nouer sa serviette
46:19et qui cogne sur la table avec sa fourchette.
46:23On vient tout de suite, tout de suite, tout de suite.
46:26C'était extraordinaire.
46:27Il y avait ça et les potages aussi.
46:30À table, Michel Audiard garde la dent dure du dialoguiste.
46:34La conversation est souvent épicée.
46:37On parlait des confrères.
46:39Il avait la dent tellement dure que c'est un bonheur
46:42que de balancer des noms sur le tapis de la conversation, si j'ose dire.
46:46Frédéric Dard.
46:48Rien que pour les lui jeter en peinture.
46:51Voir ce qu'il faisait.
46:53Il était craint.
46:54Il était craint, ça, sûrement.
46:57Mais il n'était pas détesté.
46:58Parce qu'il n'était pas détestable.
47:01On sentait trop.
47:05Il y avait quelque chose de tellement flamboyant en lui.
47:11Il y avait une telle chaleur.
47:15Même dans ses pires ironies, dans ses pires impertinences,
47:19il y avait ce frémissement humain qui fait tout pardonner,
47:25qui fait tout passer.
47:26Il faisait tout passer, ce type-là.
47:28Mais tout.
47:32Qu'est-ce que tu vois ?
47:33Je ne sais pas.
47:34Tu ne le connais pas ?
47:36Quand on revenait de l'école,
47:38on voyait des loups derrière les arbres.
47:42C'est pas vrai.
47:43Tu es un menteur.
47:44Tu es un péteux.
47:45Un péteux qui a été au 42e de ligne.
47:48C'est pour ça que les Prussiens l'ont repris.
47:50On t'emmêle.
48:04Michel Audiard est mort des suites d'une longue maladie à 65 ans,
48:08le 27 juillet 1985.
48:11Il y a un festival Michel Audiard à Lourdes.
48:14André Pousse.
48:15Alors, il y a un gars qui me téléphone.
48:17J'ai cru que c'était un canular,
48:18parce qu'il a écrit un bouquin dans lequel il dit
48:21qu'il ne faut pas aller à Lourdes, que c'est épouvantable,
48:23qu'on risque l'accident de voiture,
48:25qu'on pourrait être blessé,
48:26qu'il y ait un accident d'autobus,
48:28qu'il y ait un accident d'autobus.
48:31Tout ça pour rigoler.
48:32Il n'a rien contre Lourdes.
48:33Il s'en foutait.
48:34Et quand on m'a dit ça,
48:36j'ai dit que c'était la vérité.
48:37Et comme c'était vraiment mon ami,
48:41je vais y aller, quoi.
48:42Tu te souviens d'où tu es venu de là ?
48:44Vilain cocu !
48:45Sale ventre à choux !
48:46Comment tu m'as appelé ?
48:47J'ai dit que ton adèle,
48:48il n'y a que le train qui n'y était pas passé dessus.
48:50Tu m'as appelé,
48:51tu m'as appelé,
48:52tu m'as appelé,
48:53tu m'as appelé,
48:54tu m'as appelé,
48:55tu m'as appelé,
48:56tu m'as appelé,
48:57tu m'as appelé,
48:58ton adèle,
48:59il n'y a que le train qui n'y était pas passé dessus.
49:00Retire ça tout de suite
49:01ou bat ton cimetière
49:02que tu vas le visiter en clir.
49:03Tu n'as pas un roulette, non ?
49:04Ta Marie soit y allée un peu vite dans le trou,
49:06c'était peut-être une affaire entre le blé et le diable.
49:07Quoi ?
49:08J'ai dit peut-être.
49:09Mais ça ne nous empêche pas d'aller y porter des fleurs.
49:11Et puis dans le même temps,
49:12on ira dire au revoir à nos vieux copains,
49:13l'Émile, l'Antoine et puis le Thomas Lapoille.
49:15Cré bon Dieu,
49:16ce cimetière-là,
49:17c'est nos 20 ans, quoi.
49:18Bye bye.
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49:24Destins Extraordinaires,
49:26un podcast issu des archives d'Europe 1.
49:30Réalisation,
49:31Julien Tharaud.
49:32Production,
49:33Romy Azoulay.
49:35Patrimoine sonore,
49:36Sylvain Denis,
49:37Laetitia Casanova,
49:38Antoine Reclus.
49:41Destins Extraordinaires est disponible sur le site
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