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00:00...
00:00Louis Jouvet s'est présenté trois fois au concours d'entrée du conservatoire
00:13et trois fois il a échoué
00:16à cause de cette façon de parler qui lui est si particulière.
00:20Plus tard, pour amuser le public,
00:23il exagérera encore la cadence étrange de son élocution dans ses films
00:27et cette élocution le rendra célèbre
00:30en dépit des prédictions de ces messieurs du conservatoire.
00:34Mais elle enfermera également dans une image assez fausse.
00:52Pour la plupart d'entre nous,
00:54Jouvet s'est avant tout le parler saccadé du docteur Knoch
00:57d'Hôtel du Nord ou de drôles de drames.
01:00On oublie trop souvent qu'il fut l'un des plus prestigieux comédiens,
01:05metteurs en scène, directeurs de troupes et promoteurs du théâtre français.
01:09Oh, le canard ! L'admirable canard aux oranges !
01:16Et où est-elle exactement, cette chère Margaret ?
01:19Elle est à la campagne.
01:21Au loin ?
01:22Non, pas très loin d'ici.
01:23C'est des amis.
01:24Et des amis ?
01:27C'est des amis qui ont la rougeole.
01:28Oh !
01:30Oui.
01:32Certainement, oui.
01:37Et où demeurent-ils exactement,
01:39ces amis qui ont la rougeole ?
01:43Ah oui, où ils demeurent exactement.
01:47Vous me demandez, chers cousins, où ils demeurent exactement.
01:52Eh bien, c'est bien simple, ils demeurent exactement dans les environs de Bob Brighton, je crois.
02:00Vous croyez, chers cousins, bizarre, bizarre.
02:05Qu'est-ce qu'il a ?
02:07Qui ?
02:07Votre couteau.
02:08Comment ?
02:09Vous regardez votre couteau et vous dites bizarre, bizarre, alors je croyais que...
02:14Moi, j'ai dit bizarre, bizarre, comme c'est étrange.
02:18Pourquoi j'ai dit bizarre, bizarre ?
02:20Je vous assure, chers cousins, que vous avez dit bizarre, bizarre.
02:24Moi, j'ai dit bizarre, comme c'est bizarre.
02:28Lors de son troisième échec au conservatoire, Louis Jouvet n'a pas encore 22 ans.
02:52Il est né en 1887, la veille de Noël.
02:55Et il prépare très sérieusement un diplôme de pharmacien pour faire plaisir à ses oncles maternels,
03:02sans pour autant cesser de lire et d'annoter Molière.
03:05Il a toujours pensé au théâtre, tout jeune.
03:07Enfin, je crois qu'à l'âge de 12 ans, c'était déjà son idée.
03:11Lisa Jouvet, la fille de Louis Jouvet.
03:13Son père était entrepreneur, les travaux publics.
03:18Il est mort, mon père ne devait avoir que 15 ans.
03:21Alors, évidemment, ma grand-mère s'étant trouvée seule,
03:27ce sont ses frères qui l'ont aidée à subvenir.
03:31Et dans la famille de ma grand-mère, tout le monde était ou médecin ou pharmacien.
03:40Et alors, on a dit au petit Louis, bon, qu'est-ce que tu veux devenir ?
03:44Est-ce que tu veux être pharmacien ou médecin ?
03:47Alors, il s'est dit, bon, puisqu'il faut être ou l'un ou l'autre,
03:50j'aime encore mieux être pharmacien,
03:51parce que c'est quand même un petit peu plus court comme étude que de faire médecine.
03:55Avant même d'avoir terminé ses études de pharmacie,
04:10Louis Jouvet s'occupe de théâtre.
04:12À 20 ans, il est nommé directeur du théâtre d'action d'art,
04:16un groupe de jeunes amateurs passionnés
04:18qui n'eut qu'une existence éphémère.
04:20Par ailleurs, fin 1910, il joue à l'Alhambra de Bruxelles,
04:25dans le Juif-Héran et dans Montecristo.
04:28Il fait de la figuration au Châtelet
04:30et il monte ce qu'on appelle le théâtre du Château d'Eau.
04:34Le théâtre du Château d'Eau, où Jouvet donnait des représentations à prix réduits,
04:38lui coûtera en effet 2000 francs de l'époque,
04:41ce qui n'était pas une bagatelle.
04:43Mais peu importe, un grand événement survient dans la vie de Louis Jouvet.
04:47En juillet 1911, il ne tient qu'un petit rôle épisodique
04:51dans une pièce jouée au Théâtre des Arts,
04:54mais sa composition lui vaut d'être remarquée
04:57par l'un des plus grands noms du théâtre français, Jacques Coppeau.
05:01De son côté, Louis Jouvet remarque aussi la gouvernante des enfants de Coppeau.
05:06Elle est danoise, elle s'appelle Els Collin.
05:10Ils se marieront un an plus tard à Copenhague.
05:13Et Louis Jouvet trouvera en Els Collin la compagne idéale.
05:18Son refuge, c'était auprès de sa femme.
05:21Léo Lapara, secrétaire de Louis Jouvet après la guerre.
05:24Sa femme qu'il appelait Mont-Grand,
05:26et c'était une femme qui avait compris qu'elle devait s'effacer
05:29que le grand amour de Jouvet, c'était le théâtre,
05:31que de ce grand amour, il mourrait un jour, c'est ce qui est arrivé.
05:35Et donc, elle l'a admirablement compris,
05:37c'était une espèce de sainte.
05:40Chaque jour, Louis Jouvet passe des heures à corriger sa diction.
06:05Il passe également des heures à méditer sur une nouvelle conception
06:08de la mise en scène pour une pièce de Molière,
06:11l'école des femmes,
06:12qu'il ne jouera qu'après y avoir travaillé plus de 25 ans.
06:15Et le reste du temps, il prépare sa pharmacie.
06:18Il ne dort que 4 ou 5 heures par jour.
06:20Alors toujours pareil, vous voyez, avec mon père...
06:22Lisa Jouvet.
06:23On lui avait dit de choisir, il avait choisi,
06:25puis une fois que le choix a été fait,
06:26eh bien, on va jusqu'au bout.
06:28Puis, bon, il a été pharmacien,
06:30puis il a été pharmacien de première classe,
06:32on ne fait pas les choses à moitié.
06:34Mais ça ne l'empêchait pas,
06:36tout en faisant ses études de pharmacie,
06:38de continuer à travailler le théâtre.
06:41Louis Jouvet mène cette double activité
06:43jusqu'à la veille de la Grande Guerre.
06:45Et il commence à recueillir les fruits de son énorme travail.
06:48Il est rentré chez Coppon en 1913.
06:51Léo Lapara qui fut l'ami de Louis Jouvet.
06:53Il a été mobilisé en 1914
06:54comme médecin auxiliaire,
06:57puisque les pharmaciens avaient le titre de médecin auxiliaire.
07:00Et en 16, fin 16, début 17,
07:02le gouvernement français de la Troisième République de l'époque,
07:05le gouvernement de Clémenceau,
07:06a décidé d'envoyer aux Etats-Unis
07:09le théâtre du Vieux Colombier
07:10pour représenter la France.
07:11Beaucoup de jeunes écrivains
07:29fréquentent le théâtre du Vieux Colombier.
07:31Roger Martin Dugard,
07:32André Suarez,
07:34Charles Vildraque,
07:35Georges Duhamel.
07:36Assez souvent, on voit aussi Jules Farigoul,
07:39un auteur dramatique.
07:40Et quand ce monsieur Farigoul
07:42rencontre Louis Jouvet,
07:44il est frappé par son regard de magnétiseur,
07:47par son air un peu conquérant.
07:49Aussitôt, l'idée lui vient de bâtir un personnage
07:52sur le modèle de Jouvet.
07:54Un personnage de médecin, par exemple.
07:56Jouvet a bien été médecin pendant la guerre.
07:59Vous l'avez deviné,
08:00ce monsieur Farigoul
08:01est plus connu sous le pseudonyme
08:03de Jules Romain
08:04et la pièce s'appellera
08:06« Knock »
08:06ou « Le triomphe de la médecine ».
08:08Vous me donnez un canton peuplé
08:10de quelques milliers d'individus
08:12neutres, indéterminés.
08:14Mon rôle, c'est de les déterminer,
08:17de les amener à l'existence médicale.
08:21Je les mets au lit
08:22et je regarde ce qui va pouvoir en sortir.
08:25Un tuberculeux, un névropathe,
08:27un artérioscléreux,
08:28ce qu'on voudra.
08:28Mais quelqu'un, bon Dieu, quelqu'un.
08:30Rien ne m'agace
08:31comme cet être
08:32ni chair ni poisson
08:34que vous appelez
08:34un homme bien portant.
08:36Vous ne pouvez cependant
08:37pas mettre tout un canton au lit.
08:40Ça se discuterait.
08:42Car j'ai connu, moi,
08:43cinq personnes
08:44de la même famille,
08:45malades toutes à la fois,
08:46au lit toutes à la fois
08:47et qui se débrouillaient fort bien.
08:50Votre objection me fait penser
08:52à ces fameux économistes
08:54qui prétendaient
08:55qu'une grande guerre moderne
08:56ne pourrait pas durer
08:57plus de six semaines.
08:59La vérité,
09:00la vérité,
09:01c'est que nous manquons
09:02tous d'audace.
09:03Cette pièce de Jules Romain,
09:05Knoch,
09:06sera jouée pour la première fois
09:07le 14 décembre 1923
09:09par Louis Jouvet.
09:11Mais elle aura pour cadre
09:12un autre théâtre
09:13que le vieux Colombier,
09:14car entre-temps,
09:15le comédien a rompu ses amarres.
09:17Il est resté avec Copouche
09:18en 1922.
09:19Léo Lapara.
09:20Et puis, je vous dis,
09:21leur très forte personnalité
09:23à tous les deux se heurtaient.
09:25Puis il a décidé
09:25de s'en aller un beau jour
09:26fin 1922.
09:28Et c'est à ce moment-là
09:28qu'il est allé
09:29à la Comédie des Champs-Elysées.
09:31C'était Jacques Héberteau
09:33qui avait la direction
09:34de la Comédie des Champs-Elysées
09:36et qui a donné
09:37à Jouvet et à Pitoyev
09:39la direction alternée,
09:42six mois l'un,
09:42six mois l'autre.
09:43Et c'est comme ça
09:43que Jouvet a créé Knoch
09:45à la Comédie des Champs-Elysées.
09:47Très rapidement,
09:48Louis Jouvet prend seul
09:48la direction du théâtre
09:50en 1924.
09:51Et la même année,
09:53alors qu'il cherche
09:53des comédiens
09:54pour former sa propre compagnie,
09:56Jacques Coppeau
09:57licencie la troupe
09:58du Vieux Colombier.
09:59Tous les comédiens
10:00se retrouvent
10:01chez Louis Jouvet,
10:02leur ancien camarade.
10:03Knoch tiendra une place
10:24particulière dans le répertoire
10:26de Louis Jouvet.
10:27En effet,
10:27il monte des œuvres
10:28d'auteurs encore peu connues
10:30et les résultats financiers
10:31sont parfois catastrophiques.
10:34Comme Jouvet se plaît
10:35lui-même à le raconter,
10:36il y a souvent plus
10:37de huissiers dans les couloirs
10:38que de spectateurs
10:39dans la salle.
10:41Chaque fois que les caisses
10:41sont vides,
10:42on remet Knoch
10:43à l'affiche
10:44car la pièce de Jules Romain
10:46possède la vertu
10:47de faire monter les recettes.
10:49Jouvet la reprendra
10:50ainsi 25 fois
10:51au long de sa carrière.
10:53Et Jouvet détestait
10:54ce rôle.
10:54Georges Neveu.
10:55Il en avait assez.
10:56« Ce Knoch me sort
10:58par les porcs »
10:58me disait-il.
11:14C'est également
11:15avec la première version
11:16filmée de Knoch
11:17que Louis Jouvet
11:19se fait connaître
11:19auprès du grand public
11:20dès 1933.
11:22Et là,
11:23un phénomène singulier
11:24se produit.
11:25Les spectateurs
11:26sont à la fois
11:26intrigués
11:27et séduits
11:28par cette curieuse
11:29façon de parler.
11:30Knoch a été écrit
11:31pour Jouvet
11:32quand il était
11:33dans ses tout débuts
11:34au théâtre du Vieux Colombier.
11:36Georges Neveu,
11:37auteur de la première
11:38adaptation filmée
11:38de la pièce.
11:39Et Romain
11:40lui a fabriqué
11:41un rôle
11:43qui épouse
11:44dans son texte
11:45la diction de Jouvet.
11:47D'ailleurs,
11:47d'avoir été écrit
11:48pour un homme
11:49qui parle
11:49d'une voix saccadée
11:51et qui a eu
11:52le ton
11:53décidé
11:54de Jouvet.
11:55Cela plaît au public
11:56mais l'on peut se demander
11:57si Jouvet
11:58n'a pas volontairement
11:59exagéré
12:00cette diction.
12:00Histoire de stars
12:29Le 18 avril 1929,
12:56une corde
12:57de somptueuse limousine
12:58déverse le tout Paris
12:59devant la comédie
13:00des Champs-Elysées.
13:02On donne ce soir
13:03la première d'une pièce
13:04de Marcel Achard,
13:05Jean de la Lune.
13:07À l'affiche,
13:08deux noms déjà prestigieux,
13:10Valentin Tessier
13:11et Louis Jouvet.
13:12Lui,
13:13il est à la fois
13:13le metteur en scène
13:14et le premier rôle
13:15de la pièce.
13:16Sous son nom,
13:17s'étale un autre nom
13:18beaucoup moins connu
13:19du public,
13:20Michel Simon.
13:22Smoking et Boat
13:23discrètement parfumés
13:24remplissent la salle.
13:26Le rideau se lève
13:27et les rires fusent
13:28dès qu'apparaît
13:29Michel Simon.
13:30Mais c'est de très loin
13:31que Marcel Achard
13:32entendra ses rires.
13:34Comme il a gacé
13:35Louis Jouvet
13:35par ses continuelles
13:36manifestations d'anxiété,
13:38le comédien
13:39l'a tout simplement
13:40enfermé à double tour
13:41dans son bureau
13:41avant de descendre
13:43sur scène.
13:44Et le pauvre
13:45Marcel Achard
13:45tambourinera en vain
13:47contre la porte
13:48tout au long du premier acte.
13:49pour plus de précaution,
13:51Jouvet a gardé sur lui
13:52la clé du bureau.
13:53Jouvet a gardé sur lui.
14:23Jean de la Lune
14:28Jean de la Lune
14:28a été une des pièces
14:29qui a très bien marché.
14:30Georges Neveux
14:31Elle a eu une presse magnifique
14:33et Marcel Achard
14:34a en somme
14:35débuté
14:37auprès du grand public
14:38avec cette pièce.
14:39Mais
14:40le rôle était écrit
14:43pour Jouvet.
14:44Eh bien,
14:45il faut l'avouer,
14:46c'est Michel Simon
14:47dans un rôle épisodique
14:48qui a eu plus de succès
14:50que Jouvet.
14:50Michel Simon
14:52a été découvert
14:53par le public
14:53et cette découverte
14:55a fait qu'on a parlé plus
14:56de Michel Simon
14:58que de Louis Jouvet.
15:00Eh bien,
15:01je crois que
15:02ça a jeté un froid
15:04dans leur rapport.
15:05Au théâtre,
15:05c'est bien connu,
15:06il paraît que les mauvaises langues
15:07sont plus répandues
15:08qu'ailleurs.
15:09Et cette froideur
15:10que Louis Jouvet
15:10manifeste envers
15:11Michel Simon
15:12passera bientôt
15:13pour de la jalousie.
15:15Ce n'est pas la vie
15:15de tout le monde.
15:16Ah, pas jaloux du tout.
15:17Jacques Monod.
15:18Il disait
15:19Kelvin, il a
15:20il a qu'à apparaître.
15:23Moi, il faut que je travaille.
15:24Lui, il apparaît.
15:25C'est la différence,
15:26c'est vrai.
15:28C'est vrai,
15:28il y a des gens
15:29qui n'ont qu'à apparaître,
15:30parler
15:31et qui n'ont rien à faire.
15:33C'est une chance.
15:35Ceux-là ont beaucoup de chance.
15:39Il n'était pas jaloux du tout.
15:40En ce sens,
15:41il disait
15:41moi, il faut que je boulonne,
15:42c'est tout.
15:42Lors de cette fameuse première
15:54de Jean de la Lune,
15:56un comédien s'amuse beaucoup
15:57des déconvenus
15:58de Louis Jouvet
15:58avec Michel Simon.
16:00Il s'agit de Pierre Renoir,
16:02le fils du peintre
16:03Auguste Renoir
16:04et le frère
16:05du metteur en scène
16:06Jean Renoir.
16:08Louis Jouvet
16:08n'a fait sa connaissance
16:09qu'un an plus tôt,
16:10mais très vite,
16:11Pierre Renoir
16:12assurera les fonctions
16:13d'administrateur du théâtre
16:14et il témoigne à Jouvet
16:16une admiration
16:17presque pathétique.
16:18Et souvent,
16:19Renoir venait
16:19vers 5h30
16:20quand il avait fini
16:21la répétition
16:21et quand justement
16:22allait dans le bureau
16:22pour travailler autre chose.
16:23Michel Etchéveri.
16:24Alors il venait,
16:26il s'asseyait
16:27sur le divan
16:29sur lequel le patron
16:30faisait sa sieste
16:31après entre
16:317h30 et 8h
16:33et il était là,
16:35simplement,
16:36il était là.
16:36Il ne disait rien.
16:38Il venait passer là
16:39une demi-heure
16:40sans rien dire.
16:40et Pierre Partey.
16:43Je crois qu'il y a eu
16:44plus de 30 ans
16:45d'amitié.
16:45Jacques Monod.
16:46J'ai vu Pierre Renoir
16:47presque sur son lit de mort.
16:50Il était à la clinique,
16:51il venait d'être opéré.
16:53Jouvet était mort
16:54depuis 6 mois
16:54et je suis allé le voir.
16:55J'ai dit,
16:56M. Renoir,
16:57on va vous revoir bientôt.
16:59Vous êtes dans l'ambiance.
17:00Alors que M. Ali m'a fait,
17:01oh non,
17:03Louis est parti,
17:04je n'ai plus rien à faire maintenant.
17:05ça, c'était de l'amitié.
17:25Je pense parfois
17:26aux comédiens,
17:27aux troupes
17:28qui pendant de longues années
17:30avec zèle et dévouement
17:31ont servi le théâtre
17:32sans avoir le bonheur,
17:34la fortune
17:34de rencontrer
17:35un auteur dramatique véritable
17:37et je me réjouis
17:39d'appartenir
17:39à une époque favorisée.
17:42L'art dramatique français
17:42compte à cette heure
17:43plusieurs poètes authentiques
17:45et parmi ceux-là,
17:47j'ai eu le privilège
17:48de rencontrer
17:49et de me consacrer
17:50à Jean Giraudoux.
17:51Il est pour moi
17:52l'un des plus grands.
17:54Prononcer son nom,
17:56c'est parler du théâtre
17:57et parler du théâtre,
17:58pour moi,
18:00c'est parler de reconnaissance.
18:01Cet hommage
18:02fut rendu par Louis Jouvet
18:03à Jean Giraudoux
18:05peu d'années
18:06après la mort
18:06de l'écrivain
18:07survenu le 31 janvier
18:081944.
18:10De son côté,
18:11Jean Giraudoux
18:11avait écrit
18:12des pages émouvantes
18:13sur celui
18:14qu'il appelait
18:14le génial comédien.
18:16Mais laissons la parole
18:17à un autre comédien
18:18qui fut autrefois
18:19l'élève de Louis Jouvet,
18:21Bernard Blier.
18:22Il a tout de même
18:23amené au théâtre
18:24des auteurs.
18:26Jusqu'à la fin de ces jours,
18:27je me souviens très bien
18:28qu'une de ses principales
18:32préoccupations
18:34était de provoquer
18:35chez un écrivain
18:36le goût du théâtre.
18:41Et ce qu'il a fait
18:41avec Giraudoux,
18:43ce qu'il a fait
18:43avec Jules Romain,
18:45il continuait à le faire
18:46vers les dernières années.
18:48Moi, je me souviens
18:49de lui avoir présenté
18:51des jeunes écrivains.
18:53et la première chose
18:57qu'il leur demandait,
18:58c'est,
18:59il faut écrire
18:59pour le théâtre,
19:00mon gars.
19:01Je me souviens
19:02de lui avoir entendu
19:03lui dire ça
19:03à Roger Nimier,
19:05à Maurice Druon.
19:07Et il faisait
19:08travailler les auteurs.
19:10C'était un créateur
19:12total de théâtre.
19:13Pour Jouvet,
19:34le grand classique français
19:36représente le sommet
19:36de la perfection.
19:38Et il attendra 1936
19:40pour monter
19:41l'école des femmes
19:42à laquelle il réfléchit
19:43et travaille depuis
19:44près de 25 ans.
19:46C'est avec cette pièce
19:46qu'il obtient son plus
19:47grand triomphe
19:48de comédien et de metteur
19:49en scène.
19:50Il la jouera
19:51675 fois.
19:53Passe pour le rumour.
19:59Mais je voulais apprendre
20:01s'il ne vous a rien fait
20:02que vous baiser les bras.
20:04Comment ?
20:05Est-ce qu'on fait
20:05d'autres choses ?
20:06Non pas !
20:12Mais pour guérir
20:16du mal qu'il dit
20:17qu'il possède,
20:18n'a-t-il point exigé
20:19de vous d'autres remèdes ?
20:21Non.
20:22Vous pouvez juger
20:23s'il en lui demandait
20:24que pour le secourir,
20:25j'aurais tout accordé.
20:31Grâce au monté du ciel,
20:32j'en suis quitte à mon compte.
20:34Si j'y retombe plus,
20:35je veux bien
20:36qu'on m'affronte.
20:37De votre innocence,
20:43Agnès,
20:44c'est un effet.
20:45Je ne vous en dis mot.
20:46Ce qui s'est fait,
20:47est fait.
20:47Je sais qu'en vous flattant,
20:49le galant ne désire
20:50que de vous abuser
20:51et puis après,
20:52sans rire.
20:53Oh, quoi ?
20:54Il me l'a dit
20:54plus de 20 fois,
20:55Zabois.
20:56Ah, vous ne savez pas
20:57ce que c'est que sa foi.
20:58Mais enfin,
20:59apprenez qu'accepter
21:00des cassettes
21:01et de ces beaux blondins,
21:03écouter les sornettes
21:04que se laisser par eux
21:06à force de longueur,
21:08baiser ainsi les mains
21:09et chatouiller le cœur
21:12est un péché mortel
21:15des plus gros qu'ils se fassent.
21:18Un péché, dites-vous ?
21:19Mais la raison de grâce...
21:21La raison,
21:21la raison est la réprononcer
21:23que par ses actions,
21:25le ciel est courroucé.
21:29Courroucé ?
21:30Mais pourquoi faut-il
21:31qu'il s'en courrouce ?
21:33C'est une eau chancellasse
21:34si plaisante et si douce.
21:36J'admire qu'il jouait
21:37au bout de tout cela
21:38et je ne savais point
21:39encore ces choses-là.
21:41Oui, c'est un grand plaisir
21:42que tout s'étendresse,
21:44ses propos aussi gentils
21:45et ses douces caresses.
21:47Mais il faut le goûter
21:48en toute honnêteté
21:49et qu'en se mariant,
21:51le crime en soit prouté.
21:53N'est-ce plus un péché
21:54lorsqu'on se marie ?
21:55Non.
21:56Mariez-moi donc
21:57promptement,
21:57vous prie.
21:58Et si vous le souhaitez,
21:59je le souhaite aussi.
22:01Et pour vous marier,
22:02l'on me revoit ici.
22:03Est-il possible ?
22:05Oui.
22:05Comme on me ferait zèle.
22:07Oui, je ne doute pas
22:08que l'email ne vous plaise.
22:09Je pense que j'ai toujours vu
22:28papa en train de travailler.
22:29Lisa Jouvet.
22:30Ou de lire,
22:31ou d'apprendre quelque chose
22:32parce qu'il était
22:32d'une curiosité fabuleuse.
22:34Il y avait une soif
22:36de connaissances.
22:41Mais je n'imagine pas,
22:43quand je n'imagine papa,
22:44je n'imagine pas
22:45quelqu'un assis
22:46dans un fauteuil
22:47détendu
22:49en train de fumer
22:50une cigarette
22:50et de ne rien faire.
22:52Non, c'est pas...
22:54Si, à table, bien sûr,
22:55c'était le moment
22:57de répit,
22:58mais c'est tout.
22:59Cette activité exceptionnelle
23:14lui vaut après le triomphe
23:16de l'école des femmes
23:17d'être promue officielle
23:18à Légion d'honneur
23:19en août 1936.
23:21Le même mois,
23:22le ministre de l'Éducation nationale
23:24lui offre le poste
23:25d'administrateur général
23:27de la comédie française.
23:27Louis Jouvet
23:29décline la proposition.
23:31Il acceptera seulement
23:32d'y assurer la mise en scène
23:33aux côtés de Gaston Batty,
23:35Charles Dulin
23:36et Jacques Coppeau.
23:38Depuis août 1934,
23:40Louis Jouvet
23:41est professeur
23:41au conservatoire.
23:43Brillante revanche
23:44pour celui
23:45qui avait échoué
23:45trois fois
23:46au concours d'entrée.
23:47Histoire de star.
24:15En septembre 1935,
24:39la société du théâtre Louis Jouvet
24:40quitte la comédie des Champs-Élysées
24:42pour s'installer à l'Athénée.
24:45En novembre,
24:46le désormais célèbre metteur en scène
24:48est nommé professeur au conservatoire.
24:51Ce cours est pour lui l'occasion
24:52d'insuffler à ses élèves
24:54sa passion du théâtre
24:55par des moyens parfois un peu rudes.
24:58Je suis entré au conservatoire
24:59comme élève
25:00au moment précis
25:02où il y est entré
25:02comme professeur
25:03et j'ai assisté
25:04à sa première classe.
25:05Jean Meillet
25:05C'était un homme
25:06qui était dur,
25:08n'est-ce pas,
25:08qui nous faisait travailler
25:10admirablement,
25:11qui cherchait à nous humilier
25:13souvent, n'est-ce pas,
25:15et qui maniait
25:16la mauvaise foi
25:17volontairement.
25:18D'ailleurs,
25:18il me l'a dit après,
25:19je faisais ça
25:19pour vous rabaisser,
25:21n'est-ce pas.
25:21Pendant trois mois,
25:22il ne m'a laissé dire
25:22qu'une phrase
25:23et chaque fois que je la disais,
25:24ce n'était pas comme ça
25:25qu'il fallait la dire,
25:28admirable école.
25:43L'humilité fait partie
25:44de ce qu'enseigne Louis Jouvet
25:45dans son cours.
25:47Il ne se contente pas
25:48d'apprendre à ses élèves
25:49comment prendre sa respiration
25:51dans une tirade
25:51ni comment s'asseoir
25:53correctement en scène.
25:55Le comédien doit d'abord
25:56développer certaines qualités
25:57humaines.
25:58Et j'arrive pour répéter
25:59à la première répétition.
26:00Jacques Monod.
26:01Je passe devant la salle
26:02des machinistes,
26:02moi je ne les connaissais pas.
26:05Et j'entends une voix
26:06qui fait psssit derrière,
26:07c'était lui,
26:08je me retourne et me fais,
26:09tu leur dis pas bonjour,
26:11moi aussi,
26:11ils n'ont pas la gueule
26:12et ça fait partie
26:13de la même famille.
26:14Depuis,
26:15je vous jure
26:15que je rentre dans un thé,
26:16je dis bonjour aux pompiers
26:17et à la concierge
26:17et à tout le monde.
26:19Non, non,
26:19c'était la meilleure leçon,
26:20la première leçon d'humilité.
26:22Cette attitude
26:23Jouvet l'a également
26:23envers ses propres comédiens.
26:25D'ailleurs,
26:26certains élèves de son cours
26:27entrent dans sa compagnie
26:29pour y tenir de petits rôles.
26:31Et membre de sa troupe
26:32ou élève du conservatoire,
26:33Jouvet ne fait pas de différence.
26:35Il exige de tous
26:36le même travail en profondeur.
26:39Et parfois,
26:40il n'hésite pas
26:41à malmener un peu
26:41leur sensibilité.
26:42La première répétition
26:44où il me fait
26:44le métier de boucher,
26:47c'est pas déshonorant.
26:48Jacques Monod.
26:49Alors après la première répétition,
26:50je suis allé le voir,
26:50puis j'ai dit,
26:51vous croyez que maître,
26:52que je n'ai pas
26:53le talent nécessaire
26:55pour ce métier.
26:57Il m'a dit,
26:57mais si, mais si,
26:58on a tous du talent,
26:59tu as du talent,
27:00j'ai du talent,
27:01tout ça de le prouver.
27:01Le cours de Louis Jouvet
27:24au conservatoire
27:25sera fidèlement dépeint
27:26par Marc Allégret
27:27dans son film
27:28Entrée des artistes
27:30qu'il tourne en 1938
27:31et qui est devenu
27:33depuis l'un des classiques
27:34de notre cinéma.
27:35Je jouais mon rôle
27:36dans la vie,
27:38puisque je jouais
27:39un élève de la classe.
27:41Bernard Blier.
27:41Je me souviens très bien
27:42de Jansson
27:43venant à la classe
27:44pour écouter
27:46ce qui s'y passait.
27:48Dans le dialogue
27:48d'entre les artistes,
27:49on retrouve beaucoup
27:50de choses
27:51qu'il avait entendues
27:52à la classe.
27:53Jouvet jouait son rôle.
27:58Il y avait ce pauvre dauphin,
27:59il y avait tous les copains,
28:01mais moi,
28:02je jouais mon rôle.
28:03Le matin,
28:03Jouvet dirige son cours.
28:05L'après-midi,
28:06il joue dans le film
28:07que Marc Allégret
28:07réalise sur son cours,
28:09puis il répète
28:10une pièce en préparation
28:11et le soir,
28:12il joue à l'Athénée.
28:14Entre-temps,
28:14il écrit sur le théâtre,
28:15il donne des conférences.
28:17Dans la même année
28:18qu'entraient des artistes,
28:19il tourne six autres films.
28:20Il en a à tourner sept
28:22l'année précédente.
28:24Mais il trouve encore
28:24le temps de réfléchir
28:25aux moyens d'aider
28:26ses élèves
28:27ou ses comédiens
28:28à se perfectionner
28:29toujours davantage.
28:30Il m'a fait relire Balzac.
28:32Michel Etchéveri.
28:33Plutôt lire, d'ailleurs,
28:34soyons modestes.
28:35J'en avais lu trois ou quatre,
28:36mais il m'a dit
28:37tu vas lire Balzac.
28:38Tu as lu Balzac ?
28:39Oui, pas trop,
28:41on fait un peu.
28:41Bon, mais tu vas relire Balzac
28:43et tu prendras des notes.
28:44Quelles notes ?
28:45Tu marqueras chaque fois
28:46que Balzac fait de la mise en scène.
28:49C'est-à-dire chaque fois
28:50que Balzac indique un mouvement,
28:51une manière de prendre
28:52la tasse de thé,
28:53une manière de s'appuyer
28:53à une porte.
28:54Ce que désire Jouvet,
29:15c'est que les comédiens
29:16de sa troupe
29:17aient envers eux-mêmes
29:18cette exigence
29:19qu'ils montrent
29:20à son propre égard.
29:21J'ai écrit à Jouvet.
29:22J'ai écrit à Jouvet
29:23qui m'a répondu,
29:24qui m'a reçu.
29:25François Perrier.
29:26Et avant même
29:27que je dise quoi que ce soit,
29:28il m'a dit
29:29tu ne sais certainement
29:31pas ce que c'est que ce métier,
29:32il faut que tu le saches,
29:33c'est un métier
29:34très sérieux
29:35auquel il faut consacrer
29:37toute sa vie,
29:39il faut le faire passer
29:40avant tout,
29:41sinon ça ne présente
29:42aucun intérêt.
29:44Et encore,
29:44même en se donnant totalement,
29:46il n'est pas sûr
29:47qu'on y réussisse.
29:48Un comédien aime
29:49sortir de son ventre
29:51des personnages,
29:52créer des personnages.
29:53Georges Neveu.
29:54Et celui qui les aide
29:55à créer des personnages,
29:56il l'aime,
29:57même si l'opération est rude.
29:59Jouvet pousse ses élèves
30:00et ses comédiens
30:01à accoucher d'eux-mêmes
30:02pour ainsi dire
30:03et le soin extrême
30:04qui y porte
30:05sera parfois mal compris.
30:06Jouvet a la réputation
30:07d'avoir été
30:08avec ses comédiens
30:09un despot,
30:11un homme comme ça
30:13qui était améliore en scène
30:13très dur.
30:14Dominique Blanchard,
30:15Agnès,
30:16dans l'école des femmes.
30:16Ça me fait toujours rigoler
30:18parce que j'ai le souvenir
30:20de quelqu'un
30:20qui était d'une telle gentillesse,
30:22d'une telle patience
30:22et d'une telle,
30:25en même temps,
30:25qui voulait essayer
30:26une telle liberté
30:27que je suis toujours étonnée
30:30qu'on puisse dire ça de lui.
30:31Quand j'étais plus jeune,
30:37je l'appelais maître
30:38parce que c'était
30:38un usage au conservatoire
30:40mais il avait horreur de ça.
30:41Bernard Blier
30:42Il disait maître
30:43et vous me plie maître,
30:44pourquoi pas vieux con,
30:45hein ?
30:45C'était pas un fabricant
30:46de vedettes.
30:46Michel Etcheverry
30:47Ce qu'il nous a transmis
30:48était...
30:50Il fallait que nous-mêmes
30:51après la 6 millions,
30:52il y a des choses
30:53qu'on a compris
30:53beaucoup plus tard,
30:54mais ça a été quand même
30:58un accoucheur
30:59pour beaucoup d'entre nous.
31:00Il détestait
31:01tout ce qui n'était pas
31:03le respect du public.
31:05Jacques Monod
31:05Alors si par hasard
31:06on faisait une blague,
31:07ben...
31:09On se faisait vachement gueuler,
31:11hein ?
31:11Il n'y a pas un autre mot.
31:15Mais la faute involontaire
31:16comme une renteure,
31:18même rater une entrée en scène,
31:21il va regarder,
31:22il était vachement puni,
31:23ça ne recommencera pas, hein ?
31:24Nous sommes donc loin
31:25de la légende
31:25qui nous présente Jouvet
31:26sous les traits du docteur Knock,
31:28c'est-à-dire comme un être
31:29plutôt cynique,
31:31sec et froid,
31:32considéré comme un despote
31:33par certains
31:34de ses anciens comédiens.
31:36Mais pour autant,
31:36il ne faut pas non plus
31:37tomber dans l'excès inverse
31:38et s'imaginer
31:39qu'il était toujours
31:40toute douceur.
31:41Oh, attention, attention,
31:43attention, attention.
31:44Vous savez,
31:45pendant que je parle
31:45de Knock, par exemple...
31:46Jacques Monod
31:47Pendant que je jouais
31:47le tambour de ville,
31:49quand il me lisait l'annonce,
31:50que je regardais l'annonce,
31:51il me disait
31:51« T'es mauvais ce soir,
31:52fait attention,
31:54t'articules mal en scène. »
31:56C'est-à-dire qu'il était tendre,
31:58enfin, à d'autres moments,
31:59hein, mais...
32:00Dans le métier, jamais.
32:02Dans le métier,
32:02c'était très, très,
32:03très sévère,
32:04très dur, dur.
32:05Il était fait
32:06pour la préparation,
32:07la création d'une pièce
32:08sur une scène
32:09et le contact
32:10avec le public,
32:11c'était sa jouissance.
32:12Georges Neveu.
32:13Et travailler
32:15dans un studio
32:16sans public,
32:17ça ne l'intéressait pas.
32:18il partenaient à ces gens
32:20qui ont le système nerveux
32:21et construit pour le théâtre.
32:38En fait,
32:38Jouvet considère le cinéma
32:40un peu comme une activité alimentaire
32:42qui lui apporte
32:43l'argent nécessaire
32:43à la création
32:44de nouvelles pièces.
32:45car celles-ci,
32:46même s'elles sont bien accueillies
32:47par le public
32:48et la critique,
32:49ne suffisent pas
32:50à résoudre
32:51tous les problèmes matériels
32:52de sa compagnie.
32:53D'ailleurs,
32:54certaines d'entre elles
32:55seront parfois
32:55très mal reçues
32:56par le public.
32:57Ce sera le cas
32:58des Bonnes,
32:59de Jean Genet
32:59ou de Mandarine,
33:01une pièce de Jean Hanouille.
33:02Aussi,
33:03dès que cela devient
33:04financièrement nécessaire,
33:05Louis Jouvet
33:06se remet à tourner.
33:07Mais il affiche
33:08envers le cinéma
33:09une attitude déconcertante.
33:11Jamais il n'a vu
33:12un film où il a tourné.
33:13Georges Neveu.
33:13Le premier film
33:14qu'il est tourné,
33:15ou plutôt le second,
33:17c'est Knock
33:17dans mon adaptation.
33:19Là,
33:19il a été
33:20à la projection
33:21et il s'est trouvé
33:23affreux.
33:24Il me dit
33:24« C'est une sale gueule
33:25tout de même.
33:26C'est ma gueule ça ? »
33:28Et il a décidé
33:30de ne plus
33:30jamais aller
33:32à une projection
33:32ni jamais voir un film.
33:34Il n'a jamais vu
33:35un film
33:35qu'il ait tourné.
33:36Cela n'a pas empêché
33:52Louis Jouvet
33:53de nous laisser
33:53des films
33:54qui resteront
33:55de grands classiques
33:56du cinéma.
33:57Et c'est finalement
33:57par cet art
33:58qu'il méprisait un peu
34:00que Jouvet
34:01continuera de vivre
34:02parmi nous
34:02sous les multiples facettes
34:04qu'il a su adopter.
34:05Attention, attention,
34:05ne confondons pas.
34:06Est-ce que ça vous chatouille
34:07ou est-ce que ça vous gratouille ?
34:08Ça me gratouille.
34:10Mais ça me chatouille
34:11pas un peu aussi.
34:12Désignez-moi
34:13exactement l'endroit.
34:14Par ici.
34:15Par ici.
34:16Et où ça par ici ?
34:17
34:18ou peut-être là
34:19entre les deux.
34:21Juste entre les deux.
34:22Est-ce que
34:23ça ne serait pas plutôt
34:24un rien à gauche
34:25là où je mets mon doigt ?
34:26Il me semble bien.
34:29Ça vous fait mal
34:30quand j'enfonce mon doigt ?
34:31Oh, on dirait
34:32que ça me fait mal.
34:35Est-ce que ça ne vous gratouille
34:36pas davantage
34:36quand vous avez mangé
34:37de la tête de veau
34:38à la vinaigrette ?
34:38Je n'en mange jamais.
34:39Mais il me semble
34:40que si j'en mangeais
34:41effectivement,
34:42ça me gratouillerait plus.
34:44Ah, très important.
34:45Alors ?
34:46Alors rien,
34:47j'en ai assez.
34:48Tu saisis,
34:48je m'asphyxie.
34:49Tu saisis,
34:50je m'asphyxie.
34:51Pas tout long,
34:51il y a de l'air
34:52puisqu'il y a la mer.
34:53Tu respireras mieux.
34:54Partout où on ira,
34:55ça sentira le fourri.
34:57Allons à l'étranger,
34:58aux colonies.
34:59Avec quoi ?
35:00Cette idée.
35:01Alors ça sera partout pareil.
35:02J'ai besoin de changer
35:03l'atmosphère
35:04et moi l'atmosphère,
35:05c'est toi.
35:06C'est la première fois
35:06qu'on me prête d'atmosphère.
35:08Moi, j'ai dit bizarre, bizarre
35:09comme c'est étrange.
35:11Pourquoi j'ai dit bizarre, bizarre ?
35:14Je vous assure,
35:15cher cousin,
35:15que vous avez dit
35:16bizarre, bizarre.
35:18Moi, j'ai dit bizarre
35:19comme c'est bizarre.
35:22Il a tout joué finalement.
35:24Bernard Blié.
35:25Parce que les années venant,
35:28il est devenu
35:29de plus en plus beau.
35:30Il disait toujours d'ailleurs
35:34on a le physique qu'on mérite
35:36et on ressemble aux gens
35:39qu'on fréquente.
35:40Je vous cite les phrases
35:41qui me reviennent de lui.
35:44Mais il pouvait tout jouer finalement.
35:50Mais je pense qu'au cinéma,
35:53j'ai un souvenir précis
35:55parce que j'ai eu la chance
35:57de tourner avec lui.
35:57ce qui est, à mon avis,
35:59son meilleur film,
35:59c'est Quai des Orfèvres.
36:01Et donc Quai des Orfèvres
36:02jouait très, très comique
36:05par moments.
36:07Et il s'est très dramatique aussi.
36:10Mais il y a des moments
36:10de Quai des Orfèvres
36:11qui sont des moments
36:12de grands comiques.
36:13qu'à des orfèvres
36:15à lui.
36:15Et on…
36:17Sous-titrage Société Radio-Canada
36:47Sous-titrage Société Radio-Canada
37:17Sous-titrage Société Radio-Canada
37:47Sous-titrage Société Radio-Canada
37:49qui, du fait de ses succès au cinéma, a été presque obligé de jouer des rôles qu'il n'aurait pas aimé jouer normalement, je crois.
37:57« Quai des Orfèvres » est le 27e film de Louis Jouvet.
38:12Il en tournera encore sept autres, tout en continuant de monter des pièces comme « Tartuffe » à l'Athénée
38:17ou « Les Forberies de Scapin » au Théâtre Marigny.
38:20Il poursuit en même temps ses activités de conférencier, de professeur au conservatoire.
38:25Mais malgré certains accès de taquicardie, il n'acceptera jamais d'être doublé.
38:31Et s'il est une chose qu'il ne supporte pas, c'est quand ses comédiens se fassent remplacer lors d'une représentation
38:36sous prétexte qu'il est malade ou qu'il manque même une simple répétition pour aller consulter un médecin.
38:42D'ailleurs, ne connaît-il pas lui, Louis Jouvet, tous les remèdes nécessaires ?
38:46Il se mêlait toujours de soigner les comédiens.
38:48Jean Meillet.
38:49Et alors, il se trompait régulièrement, n'est-ce pas ?
38:52Il disait à un camarade qui éclatait de santé « Il faudrait te faire attention, toi tu ne vas pas très bien en ce moment, n'est-ce pas ? »
38:59Et je me souviens d'un camarade qui s'appelait Castel, Maurice Castel, qui avait un œil handicapé, dirons-nous, n'est-ce pas ?
39:06Et j'ai vu un soir, Maurice Castel, je n'étais pas le seul, nous étions, pendant la guerre de Troyes, remonter dans les loges où nous étions tous,
39:17et en disant « Le patron est fou, le patron est fou, il faut que je me fasse enlever un œil. »
39:22Ah, il avait un regard qui vous perçait littéralement.
39:25Jacques Monod.
39:25Il me disait « Tu vois, quand t'as affaire à un gars qui rentre dans ton bureau, tu le regardes, et tu te dis intérieurement avant de parler,
39:32quel con, quel con, quel con, il a une gueule de con. »
39:35Et au bout d'un moment, le gars se démonte littéralement, à ce moment-là, tu peux parler.
39:39Ça, c'est un timide qui pouvait dire ça.
39:42Je crois que c'était un grand timide, à mon avis, un grand timide qui se camouflait derrière des bons mots, un air sévère.
39:49C'était sa défense dans la vie, il s'est sa carapace.
39:52Georges Neveu.
39:53Je crois qu'il a construit un Jouvet numéro 2 à partir d'un Jouvet numéro 1.
39:59Un Jouvet numéro 1 extrêmement sensible, qu'il a dominé par l'effet d'une grande intelligence.
40:13L'homme s'est retranché derrière une carapace, mais c'est peut-être ce qu'on appelle la rançon du succès.
40:18Au théâtre ou au cinéma, Louis Jouvet occupe dorénavant une position prééminente.
40:25En 1948, lors de sa tournée en Europe, le public l'applaudit si longuement quand il entre en scène, à Cracovie,
40:31que son partenaire doit attendre cinq bonnes minutes avant de lancer sa première réplique.
40:36C'est la même chose à Varsovie, à Bratislava, à Prague, à Vienne.
40:40Louis Jouvet est un homme mondialement connu.
40:43Il est entouré de solliciteurs, d'admirateurs, dans ces conditions comment rester simplement soi-même.
40:49Seuls quelques intimes connaîtront son vrai visage.
40:51Le 14 janvier 1949, le président de la 4e République est au théâtre, à l'Athénée plus précisément.
41:11Après la 200e représentation de Don Juan, Louis Jouvet a décidé de donner Knoch pour fêter le 25e anniversaire de sa création.
41:19A l'issue de la représentation, Vincent Henriol ira sur le plateau pour féliciter Louis Jouvet et ses comédiens.
41:26En vérité, je l'ai d'abord connu comme artiste en 1935.
41:36C'était à ce moment-là les premières représentations de la guerre de Troyes, dans la Pallume.
41:42Vincent Henriol.
41:43Je me suis repris par ce talent généreux, humain, on sentait à lui toute l'humanité,
41:51et surtout lorsqu'un victoire fit un éloge des morts des héros de la guerre,
41:58dans ce discours au monument, au mort, qui m'a frappé.
42:03À ce moment-là, parlementaire, député de la Haute-Garonne, maire,
42:11j'ai inauguré, moi aussi, des monuments de mort.
42:13Je dois dire, quand je vous entends Jouvet, je me suis tellement bouleversé,
42:19que je n'ai plus accepté de parler devant les monuments de mort.
42:23On a toujours prétendu que je n'avais pas de cœur.
42:46Les médecins montent à surexime et à mauvais.
42:48Ce petit commentaire désabusé,
42:52Louis Jouvet l'adresse avec sa désavolture habituelle à ceux qui s'inquiètent de sa santé.
42:58Pendant le tournage de Une histoire d'amour,
43:00le comédien a eu de nouveau malaise.
43:02Du coup, il s'inquiète.
43:05Lui qui, par superstition, s'est toujours refusé à entendre parler de testament,
43:09le 9 juillet 1951,
43:10il communique à son fils ses dernières volontés.
43:15Au cas où.
43:16Et ici apparaît la face la plus cachée de Louis Jouvet, sa famille.
43:20Il avait trois enfants, il s'était marié.
43:22Georges Neveu.
43:23Avec une femme merveilleuse d'ailleurs.
43:26Et il a eu deux filles et un fils.
43:30Et puis le hasard a fait qu'il a eu une vie plus indépendante de sa femme.
43:38Ce n'est sans doute pas par le simple hasard qui a voulu que Louis Jouvet
43:41sépare si nettement sa vie professionnelle de sa vie familiale.
43:46Peut-être aussi le besoin de se préserver une sorte de refuge.
43:49Au fond, si tous les gens que vous avez rencontrés vous ont dit
43:52« Bon, Louis Jouvet, c'est le théâtre et puis c'est pas autre chose. »
43:55Lisa Jouvet.
43:56C'est parce que sa famille, c'était quelque chose d'à part,
44:01l'endroit où on lui fichait la paix.
44:03Même des amis très intimes, quelquefois, ne savaient même pas qu'il était marié,
44:09qu'il avait trois enfants.
44:11Parce qu'il voulait, c'était pour lui, un endroit fermé
44:17où il pouvait peut-être être davantage lui-même, se détendre.
44:22Bien sûr, le public retient uniquement de Louis Jouvet,
44:50sur le plan sentimental, ses aventures avec certaines comédiennes.
44:55Des aventures qui ne tournent d'ailleurs pas toujours à son avantage.
44:58Par exemple, quand il a rompu avec une maîtresse qu'il avait
45:02qui s'appelait Lisa Dincan, qui était danseuse.
45:04Georges Neveu.
45:05Il a été si plongé dans le malheur qu'il m'a supplié
45:08de ne pas le quitter pendant deux ou trois jours.
45:10Il errait dans les rues, il parlait tout seul,
45:12il monologuait son chagrin, etc.
45:14C'était épouvantable.
45:16Louis Jouvet est vulnérable, il le sait.
45:18Il veille donc à se ménager un abri un peu plus solide
45:21que ses amours plus ou moins capricieuses
45:24qu'il rencontre dans sa vie d'homme de théâtre.
45:27Même au temps de sa passion pour Madeleine Oseret,
45:29Agnès dans l'école des femmes,
45:31Ondine dans la pièce de Giraudoux,
45:33il reste très proche de sa femme et de ses enfants.
45:35On trouvait quelqu'un qui était entièrement et totalement disponible.
45:41Lisa Jouvet, la fille de Louis Jouvet.
45:42Mais c'est fabuleux de penser qu'un homme comme lui,
45:45avec le travail et tout ce qu'il pouvait faire,
45:48tout ce qu'il a pu entreprendre,
45:50que vous pouviez aller le voir à n'importe quel moment,
45:56lui poser n'importe quel problème,
45:58il était tout d'un coup entièrement disponible.
46:02Je peux vous dire que sa famille, c'était sa grande préoccupation.
46:05Léo Lapara.
46:05En définitive, bien qu'il ne vivait plus avec elle,
46:09bien qu'il était indépendant, il vivait seul,
46:12bon, en un certain temps, il a vécu avec une comédienne,
46:15puis avec une autre,
46:17mais sa grande préoccupation, c'était sa famille,
46:20c'était sa femme,
46:22qu'il appelait la reine-mère,
46:24ou Madame Bonaparte,
46:25parce qu'elle habitait dans le temps, rue Bonaparte,
46:28et ses enfants.
46:29Vraiment, c'était...
46:30Je crois qu'il avait deux grandes préoccupations dans sa vie.
46:34La première, c'était le théâtre,
46:35la seconde, c'était sa famille.
46:36Ce matin du 9 juillet 1951,
46:54Louis Jouvet procède avec son fils
46:55à l'inventaire de son appartement,
46:58qu'est Louis Blériot.
46:59En cas de pépin, précise-t-il,
47:02Madame Mère s'installe ici tout de suite.
47:03Jean-Paul Jouvet fronce les sourcils,
47:06son père n'a jamais aimé parler de ce genre de pépin.
47:10Se sent-il si mal pour qu'il aborde ce problème ?
47:13Et tandis que Louis Jouvet court déjà chez Pierre Boste
47:15pour voir où s'en trouve l'adaptation de la puissance et la gloire
47:19qu'il veut mettre en répétition dès le mois d'août,
47:21Jean-Paul ne peut empêcher certains souvenirs de remonter la surface.
47:25Des souvenirs où Louis Jouvet et Madame Mère
47:28tiennent côte à côte les premiers rôles
47:30et qu'évoquent pour nous Lisa Jouvet.
47:32Il ne faut pas croire que c'était le père papagato.
47:37Ça cinglait quelquefois.
47:39C'était dur à avaler, mais c'était toujours...
47:42Alors quelquefois, on allait se plaindre à maman.
47:44On disait, quand même, là, je trouve que papa, il va fort.
47:49Enfin, c'est vraiment pas juste.
47:51Alors maman nous laissait toujours dire.
47:53Et puis, quand on avait expliqué et puis jeté un petit peu notre rancœur,
48:01elle nous disait, bon, ben, maintenant, vous allez aller réfléchir dans un petit coin,
48:04dans votre chambre.
48:06Et puis vous verrez, au bout d'un certain temps, quand vous aurez bien réfléchi,
48:11vous verrez que votre père avait raison.
48:12Louis Jouvet s'éteint le 16 août 1951.
48:31Il est enterré le 21 août, après une cérémonie religieuse à Saint-Sulpice.
48:35Sur la place, habituellement si calme,
48:3920 000 personnes se pressent pour un dernier hommage aux disparus.
49:01Au-delà des multiples facettes qu'a su nous présenter le comédien,
49:04il est un point, au moins, sur lequel les témoignages concordent.
49:08C'était un don permanent, il donnait, il était généreux.
49:11Bernard Blier.
49:12Généreux, d'abord, c'était un homme de cœur généreux.
49:18Et il était certainement très généreux dans la vie,
49:21bien sûr, avec l'heure que je m'en rends compte,
49:25il s'occupait de nous beaucoup.
49:27Et c'est lui, ça, je trouve, c'est tout à fait lui.
49:29Michel Etseveri devant une photo de Louis Jouvet.
49:31On ne sait pas s'il sourit ou s'il ne sourit pas,
49:33on ne sait pas s'il vous regarde comme vraiment un minus terrible
49:38ou, j'ai dans eux, peu dans l'œil quand même,
49:42une certaine sympathie, mais...
49:44Non, c'est un homme très bon.
49:48Très, très bon.
49:48Bye-bye.
49:49Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires,
49:57un podcast issu des archives d'Europe 1.
50:01Réalisation, Julien Tarot.
50:03Production, Romy Azoulay.
50:06Patrimoine sonore, Sylvaine Denis,
50:08Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
50:10Destins Extraordinaires est disponible sur le site et l'appli Europe 1.
50:16Écoutez aussi l'épisode suivant en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute.
50:21Sous-titrage Société Radio-Canada

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