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00:00Il est 7h11 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le magistrat honoraire Dominique-Henri Matagrin.
00:06Bonjour Dominique-Henri Matagrin.
00:08Bonjour.
00:09Bienvenue sur Europe 1, vous êtes l'ancien président de l'association professionnelle des magistrats.
00:13La justice française est-elle trop laxiste ?
00:16L'institut CSA pour Europe 1, CNews et le journal du dimanche a posé la question à un panel de français.
00:2180% répondent oui.
00:24Alors qu'est-ce qui leur fait dire cela ?
00:25A quoi peut-on mesurer le laxisme judiciaire ?
00:29Vous avez récemment publié pour l'institut pour la justice une étude qui nous fournit un critère d'évaluation, Dominique-Henri Matagrin,
00:37les peines d'emprisonnement prononcées par nos juges.
00:40Vous avez épluché les chiffres du casier judiciaire national.
00:45Qu'est-ce que vous avez découvert ?
00:47Eh bien, découvert, quelque chose en fait que l'on savait et dont on se doutait.
00:53Mais là, on peut le documenter de façon tout à fait rigoureuse et scientifique.
01:00On découvre qu'il y a un écart formidable entre les peines telles qu'elles sont prévues par la loi et les peines telles qu'elles sont prononcées par les juges.
01:12En ajoutant qu'il y a le même écart formidable entre les peines prononcées par les juges et les peines qui sont effectivement exécutées.
01:22C'est-à-dire qu'à chaque étape, il y a un véritable effondrement de la répression pénale.
01:28Et c'est ça qui peut donner le sentiment du laxisme car, bon, je ne suis pas sûr que les gens qui répondent aient une vision très précise des choses.
01:38Elle est sans doute purement intuitive, pointilliste, mais en fait, elle est fondée, même s'ils ne savent pas pourquoi elle est fondée.
01:47Mais à travers des études comme celle-ci, on peut le mesurer concrètement.
01:51Alors, vous donnez d'ailleurs des exemples.
01:53On va en citer quelques-uns parce que, vous avez raison, c'est extrêmement parlant.
01:56Le vol avec effraction, donc c'est le cambrioleur qui entre en fracturant votre porte.
02:02C'est quand même une infraction grave.
02:04Ça coûte combien normalement dans le code pénal, ça ?
02:08Eh bien, la loi prévoit 7 ans.
02:12Or, la peine moyenne qui est prononcée, quand une peine d'emprisonnement est prononcée, peine ferme,
02:18et ce n'est pas toujours le cas, quand elle est prononcée, la peine ferme est à peine supérieure à 9 mois.
02:25Et même dans 72% des cas, elle est inférieure à 1 an.
02:30Or, ce seuil de 1 an est essentiel parce que jusque-là, la peine est aménageable selon la pudique expression que l'on emploie.
02:39C'est-à-dire, en réalité, que l'individu, très souvent, dans une grande majorité de cas,
02:46ne fera pas, effectivement, un seul jour d'emprisonnement.
02:50La peine sera transformée, par exemple, en bracelet électronique ou autre chose.
02:56Donc, voilà, on peut mesurer, là, cet écart.
02:597 ans de prison, en réalité, à peine 9 mois, et parfois, il n'y a pas de prison du tout parce qu'il y a des aménagements.
03:04Mais alors, qui va réellement en prison, Dominique-Henri Matagrin ?
03:08Il faut y aller fort, quand même, pour, finalement, se retrouver derrière les barreaux.
03:13Oui, parce que par rapport au nombre d'infractions qui sont commises,
03:18et par rapport à celles qui sont poursuivies,
03:21ça n'est qu'une petite partie de celles qui sont commises,
03:23et par rapport à celles qui sont effectivement condamnées,
03:26et ça n'est qu'une partie de celles qui sont poursuivies,
03:30il faut effectivement, soit avoir commis des faits particulièrement graves,
03:35soit être un récidiviste, et bien souvent un multirécidiviste,
03:40ou présenter un profil personnel inquiétant,
03:45permettant un pronostic très défavorable sur la suite.
03:49Mais si je vous ai bien compris, il y a pourtant tout dans la loi.
03:53On a l'arsenal répressif.
03:55Le problème, c'est finalement le juge qui dévalue la sanction,
04:00Dominique-Henri Matagrin ?
04:02Ben voilà, le problème, c'est que la loi prévoit des peines
04:06qui sont, la plupart du temps, très élevées,
04:11mais elles offrent au juge une palette de moyens
04:15pour ne pas les appliquer, ou pour ne les appliquer que partiellement.
04:19Mais pourquoi ?
04:20C'est-à-dire qu'on a un système extraordinaire de peines fondantes,
04:24de peines déliquescentes.
04:26Le législateur fait des grands moulinets,
04:30met dans le vide,
04:31en prévoyant des peines maximum très élevées,
04:34mais en même temps, il donne la possibilité
04:36de descendre jusqu'à un minimum,
04:38et d'appliquer d'autres peines
04:40que la peine maximum d'emprisonnement
04:42qui peut être prévue.
04:44Il y a une espèce de dissolution de la sanction.
04:46Mais est-ce qu'il y a un fondement idéologique derrière tout ça ?
04:49Parce que vous employez ce mot,
04:51vous dites qu'il y a une carcérophobie chez les juges,
04:54autrement dit, ils ont une sainte peur,
04:56ou plutôt, ils n'aiment pas incarcérer,
04:58et pour eux, c'est peut-être la dernière chose à faire.
05:01C'est ça le fond du problème, selon vous ?
05:04Oui, ce n'est pas pour les juges,
05:05peut-être que c'est la dernière chose à faire,
05:07mais c'est pour la loi.
05:08Et les juges sont là pour appliquer la loi.
05:11Il est écrit en toutes lettres dans le Code
05:14qu'effectivement, la peine d'emprisonnement,
05:16même quand elle est prévue,
05:18ça doit un peu être la dernière extrémité.
05:22Bon, les juges, ce n'est pas eux qui font la loi,
05:24ce sont les gouvernants.
05:26Or, ce système de peine fondante,
05:28de peine évanescente, de peine virtuelle,
05:31c'est bien le législateur,
05:32sous l'effet d'une idéologie
05:35de l'individualisation de la sanction,
05:38qui ruine en fait toute la crédibilité de la sanction,
05:43aussi bien vis-à-vis des victimes que de l'opinion.
05:46Et vous, comme magistrat,
05:47vous pensez que la prison est nécessaire,
05:50Dominique-Henri Matagrin ?
05:52Bien sûr qu'elle est nécessaire,
05:53à la fois pour neutraliser une puissance de nuire,
05:57ça c'est l'effet pratique,
05:58mais bien au-delà,
05:59il y a ce qu'on appelle en criminologie
06:01la prévention générale,
06:03c'est-à-dire de faire la preuve,
06:06aux yeux de tout le monde,
06:08et d'abord des délinquants en puissance,
06:10que la loi, ce n'est pas uniquement pour faire joli,
06:14ce n'est pas uniquement des mots sur du papier,
06:16c'est une réalité concrète
06:18qui est là pour s'appliquer.
06:19La loi est là pour exprimer des valeurs,
06:23elle est là pour exprimer la réprobation
06:25de la société à l'égard de certains comportements antisociaux.
06:29Si la répression de ces comportements antisociaux
06:32n'apparaît pas à la hauteur,
06:35à ce moment-là, pourquoi se gêner ?
06:37Pourquoi ne pas sombrer soi-même dans la délinquance ?
06:40Merci Dominique-Henri Matagrin.
06:42On pourra lire votre étude sur le site internet
06:44de l'Institut pour la Justice.
06:45Merci d'être venu nous en parler ce matin
06:47sur l'Antenne d'Europe.
06:48Bonne journée.
06:49Merci à vous.