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Mai 68, la guerre scolaire, la grève de décembre 1995, le retrait de la loi Devaquet, du CIP et du CPE, les manifestations contre les réformes des retraites de 2003 et 2010, le mouvement contre le mariage pour tous et la loi El Khomri, les gilets jaunes... Régulièrement, la société française s'enflamme et se mobilise. De la révolte de 68 à celle des gilets jaunes, ce film raconte et analyse les réactions souvent massives, parfois violentes . À l'heure où une partie des français se rebelle contre la réforme des retraites proposée par Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, Michèle Cotta, Patrice Duhamel et la réalisatrice Pauline Pallier racontent l'histoire de ces face-à-face tendus entre les présidents de la Vème république et la rue.

Comment réagir face à ces mouvements lorsqu'on dirige le pays ? Faut-il choisir le dialogue ou la fermeté ? Tenir ou reculer ? Des acteurs et témoins exceptionnels Nicolas Sarkozy, François Hollande, Edith Cresson, Edouard Balladur, Roselyne Bachelot, ou encore Alain Juppé, Elisabeth Guigou , Laurent Fabius , Jean-Louis Debré ou encore Jean-Pierre Raffarin commentent ces grands moments revisités par des archives , ces jours où tout peut basculer.
Ce film est le premier d'une collection de documentaires consacrés aux Présidents de la Vème république face aux grands événements de l'histoire du pays . A suivre : Volet 2 :« Les présidents et la société » , Volet 3 : « Les présidents face au terrorisme »
Année de Production : 2023

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Transcription
00:00Pour être élu, il faut une énergie folle, il faut une confiance folle, il faut foncer
00:15droit devant, il faut partir à fond et accélérer.
00:19Tout président, au moment où il accède à cette responsabilité, est enfermé.
00:27Il faut du calme, il faut beaucoup de sang-froid, beaucoup d'outil pour éviter de se prendre
00:38à mur.
00:39Mais il y a une très grande contradiction dans la société française, nous voulons
00:43un président qui puisse être au sommet, décider de notre destin commun et nous le
00:51voulons accessible.
00:52Comment réussir cette conjugaison ? C'est la cinquième république.
00:57Mettez président, faites partie de la famille des gens qui vous aiment ou qui vous aiment
01:02pas.
01:03Et donc, il faut être prêt à payer le prix.
01:13La question importante, c'est de comprendre à chaque instant jusqu'où on peut aller.
01:42La violence, c'est le produit finalement de ce que vous n'arrivez plus à communiquer,
01:46de ce que vous n'avez plus à exprimer.
01:48C'est un peu comme le dentifrice, quand il sort du tube, vous le faites pas rentrer.
01:51Une nouvelle manifestation organisée pour protester contre la fermeture de la Sorbonne,
02:043000 CRS et gardes mobiles avaient pris place au quartier latin.
02:07L'escalade était engagée, une semaine intitoyable commençait.
02:10J'avais donc 13 ans, j'habitais Rouen, une ville plutôt calme, bourgeoise.
02:18Et en avril, tout paraissait tranquille.
02:23Et en mai, je voyais mes propres enseignants défiler dans la rue et dire que 10 ans, ça
02:31suffisait pour le général de Gaulle.
02:34Comment une société peut basculer aussi rapidement ? C'était ça.
02:40Mon interrogation de pré-adolescents.
02:46Alors, pourquoi ce désordre ?
02:49Parce que le gouvernement était affaibli par les élections préalables, que les syndicats
02:53étaient affaiblis par leur manque d'autorité et parce que les jeunes n'acceptaient plus
03:02aucune sorte d'autorité et entendaient avoir des satisfactions qu'ils revendiquaient.
03:08Quelles sont les raisons de cette émeute ?
03:11Elle n'aurait pas de mobile politique, bien que les leaders de la Fédération des étudiants
03:16révolutionnaires se réclament volontiers de Che Guevara.
03:18On avait l'impression qu'il n'y avait que des Che Guevara.
03:20D'ailleurs, c'était l'époque où les jeunes bourgeois achetaient des portraits
03:27de Mao Tse-Tung et punisaient ça dans leur chambre.
03:32C'est une période de grande régression intellectuelle, il faut dire les choses comme
03:35elles sont.
03:36Dans cette période-là, il y avait une passion intellectuelle, c'était une période très
03:41très créative, irritante, dangereuse et donc on avait besoin aussi de parler et de
03:48s'exprimer.
03:49Et donc, au début, c'est une incompréhension totale, c'est deux mondes qui s'affrontent.
03:56Libérez Che Guevara ! Libérez Che Guevara !
04:00À 18h30, il y a 30 000 manifestants en place d'Enfer Rochefort, les étudiants se sont
04:04joints des lycéens.
04:06Avec cette caractéristique que de Gaulle et Pompidou ont toujours été absents à
04:15un moment ou à l'autre, au début, pendant les dix premiers jours, Pompidou était en
04:19Afghanistan.
04:20Quand il est rentré le 11 mai, il a trouvé un pays qui était à moitié paralysé par
04:28la révolte étudiante, il faut appeler ça une révolte, il a décidé qu'il fallait
04:32réouvrir la Sorbonne.
04:33Je me souviens que je l'avais accompagné à la télévision pour qu'il l'annonce.
04:37J'ai décidé que la Sorbonne serait librement rouverte à partir de lundi.
04:44L'attitude de Pompidou était la suivante.
04:47Pour l'instant, ce mouvement, c'est sympathique parce que les gens trouvent que tous ces jeunes,
04:56il faut bien les laisser un peu vivre et qu'après tout, c'est les voitures qui brûlent,
05:03ça peut être amusant.
05:04Quand on s'est mis à brûler leurs propres voitures, ça les a beaucoup moins fait rire.
05:09Et puis quelques jours après, c'est De Gaulle qui est parti en Roumanie pour un certain
05:15nombre de jours et qui est rentré et qui a trouvé que le désordre s'était accru.
05:21Et pour parler clair, les communistes, redoutant d'être dépassés par les gauchistes dont
05:29ils soupçonnaient qu'ils inspiraient le mouvement étudiant, ont décidé d'entrer
05:33dans la grève.
05:34Que ce soit passé de l'université à ce qu'on appelait encore la classe ouvrière
05:51et qui étaient les masses, elles, les travailleurs, ça c'était la surprise.
05:58Et dès le mardi, la France entière était en grève et elle est restée en grève jusqu'à
06:05la fin du mois et c'était 10 millions de grévistes et c'était une grève très particulière
06:12car personne n'avait plus d'autorité sur personne.
06:15Monsieur le Premier ministre, le Président de la République s'adressera-t-il aujourd'hui
06:18à la nation ?
06:19Je ne pense pas, n'est-ce pas, mais si je puis vous résumer l'opinion du Président
06:23de la République, c'est la réforme oui, la chienlit non.
06:27Donc c'était un peu l'État tout entier qui s'effondrait.
06:30Et pour un homme qui avait tellement fait pour la France, tellement porté la France,
06:35se retrouver contesté par les jeunes bourgeois qui manifestaient et qui ne le comprenaient
06:40plus, ça devait être un choc moral très fort.
06:43La tête de l'État, et s'agissant d'un homme qui avait véritablement fait l'histoire,
06:51c'était plus révélateur qu'aucun autre sur le fait qu'une génération politique
06:57s'effaçait et qu'une nouvelle génération réclamait autre chose.
07:03Il y a eu une grande manifestation à Paris le 24 mai.
07:06Il y a eu des violences très grandes à ce moment-là.
07:20C'est la première fois probablement qu'ils n'ont pas le sentiment de posséder la maîtrise
07:27des événements.
07:28Française, Français, tout le monde comprend évidemment quelle est la portée des actuels
07:42événements.
07:43Et très vite, il s'est rendu compte que l'important, c'était de redonner la parole
07:49au peuple français.
07:50Oui, j'ai besoin que le peuple français dise qu'il le veut.
07:57Il avait annoncé un référendum, c'était, c'était un drame du point de vue de son image
08:04et de l'efficacité politique.
08:06Le 24 mai, c'était complètement à côté de la plaque.
08:09Que pensez-vous de l'allocution du président de la République ?
08:10Moi, je n'ai pas été déçu parce que je n'entendais pas grand-chose.
08:13Le discours n'a rien donné d'extraordinaire.
08:16On le savait même à l'avance, il en parlait même une minute ou deux trop.
08:19C'était plutôt décevant, j'estime qu'il n'a absolument rien dit de sensationnel.
08:22C'est surtout un discours pour temporiser l'opinion.
08:25Qu'on attendait tout de même qu'il nous donne des éclaircissements sur la situation.
08:29Il doit être pas mal embêté avec tous les événements qui se produisent à l'heure
08:33actuelle.
08:34Le général a été très déçu évidemment de tout ça et le conseil des ministres devait
08:40se réunir le mercredi.
08:42Et le mercredi matin, le général a téléphoné au premier ministre et il lui a dit « je
08:50me sens fatigué, j'ai besoin de me reposer, je vais partir pour Colombais et on reporte
08:57le conseil des ministres à demain ». Et puis il lui a dit « je vous embrasse ».
09:03Bon, le pilot a été un petit peu surpris.
09:08Il a attribué, j'imagine, à l'émotion cette, je veux dire, congratulation qui n'était
09:19pas ordinaire.
09:20Et puis, bon, on a continué à travailler.
09:24Et puis aux environs de midi à demi-une heure, il y a eu un bruit qui est arrivé et sont
09:31venus les collaborateurs du général et puis le ministre des armées pour dire « on
09:35a perdu la trace de l'hélicoptère du général ».
09:39Mon père est alors ministre des finances.
09:43On apprend que de Gaulle a disparu et je vais au ministère des finances, je rentre
09:52dans son bureau.
09:53Il était très nerveux.
09:54Et je lui dis « mais est-ce que tu es au courant ? ». Et à ce moment-là, il était
09:58au téléphone avec Pompidou et il me dit « on ne sait pas où il est ».
10:03Voilà.
10:04Ça pouvait être un accident, ça pouvait être un attentat, on ne savait pas.
10:09Et la rumeur s'est répandue.
10:11Je me souviens d'ailleurs de ce moment-là très précisément, j'étais avec ma mère
10:15et c'était le sentiment « David, qu'est-ce qui va se passer ? Le général de Gaulle
10:20est parti, mais qu'est-ce que va devenir le pays ? ».
10:23C'était l'incompréhension, la stupéfaction et d'ailleurs l'inquiétude.
10:28Le général de Gaulle disparaissait, c'était le chef de famille qui disparaissait.
10:32Mon père racontait ça, il y avait des gars qui brûlaient des papiers dans des poêles
10:36et qui s'apprêtaient à fuir.
10:38Il dit « qu'est-ce que vous faites ? ».
10:39« Mais non, c'est foutu, le général est parti, on ne sait plus, les manifestants vont
10:44prendre le pouvoir, il y a un coup d'État. »
10:47C'est une ambiance révolutionnaire, on ne sait pas ce qu'il va se passer.
10:51Pendant deux heures, on n'a pas su où il était.
10:54Pour avoir une influence, pour être écouté, il faut se remettre au milieu de la scène.
11:00On a fini par dire qu'on l'avait retrouvé, que l'hélicoptère avait atterri à Baden.
11:06De là à dire qu'il a préparé son coup, je ne sais pas.
11:21J'arrive au terrain de l'hélicoptère, à peu près au moment où deux hélicoptères
11:24se posent.
11:25Alors, d'un des hélicoptères sort le général et Mme de Gaulle.
11:30Je me regarde à bouche, « salut », il s'avance et me dit « monsieur, tout est foutu, les
11:39communistes ont tout bloqué, j'ai fait son siège pour qu'il s'en aille ».
11:44Je lui ai dit des choses assez dures, entre autres qu'il n'avait pas le droit de laisser
11:50tomber.
11:51J'ai senti que ce que je lui disais lui faisait du bien, parce qu'il m'a dit « continuez,
11:55continuez ». Alors, j'en ai un peu rajouté, il m'a dit « bon, ben allez chercher ma femme,
12:04je repars ».
12:05Le général est ensuite arrivé à Colombay, a téléphoné au premier ministre et lui a
12:12dit « ben voilà, je suis allé voir les militaires et je serai demain matin à l'Élysée,
12:18on tiendra le conseil des ministres l'après-midi ».
12:20Et le général de Gaulle a cette intuition absolument géniale qu'il ne va pas parler
12:27à la télévision.
12:28Mme de Gaulle est un communicant, il sait quand il faut parler avec son uniforme, il
12:34sait quand il faut parler en civil, à la radio, il sait créer l'événement.
12:40Il a choisi de parler à la radio comme quand il parlait depuis Londres.
12:44Et alors, on a mis la radio.
12:47Française, français, étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine,
12:57j'ai examiné depuis 24 heures toutes les solutions, sans exception, dans les circonstances
13:05présentes, je ne me retirerai pas.
13:08J'ai un mandat du peuple, je le remplirai.
13:13De Gaulle, c'est un orateur qui a compris que pour se faire comprendre, ce n'est pas
13:18la peine de faire de longs discours.
13:19Il fallait quelques formules, quelques phrases.
13:21La Chantilly, un carteron de généraux en retraite, il avait ce génie de ces phrases.
13:29Eh bien non, la République n'appliquera pas.
13:33Le peuple se ressaisira.
13:37Vive la République, vive la France.
13:40Le discours a duré, j'ai vérifié, moins de 4 minutes 30.
13:46Il est arrivé au bout du discours et la révolution était finie.
13:52Ce coup de partir et de revenir est un magnifique coup politique.
13:58Il donnait le sentiment d'être prêt à tout.
14:02Et c'est ça qui a fait basculer l'opinion au public, qui a dit, c'est un chef, il est
14:09allé voir si l'armée le soutenait, l'armée le soutiendra, et donc maintenant, calmons-nous.
14:15C'était une telle évidence que je n'ai plus jamais oublié ce qu'était l'autorité
14:19politique, ce qu'était la capacité de quelqu'un, en quelques phrases, de changer le destin
14:28d'un pays.
14:29Et le lendemain, c'était l'immense manifestation.
14:33Un peu d'anarchie, un peu d'anarchie, un peu d'anarchie, un peu d'anarchie, un peu
14:40d'anarchie.
14:41De ce point de vue-là, la dramaturgie du général de Gaulle a été assez efficace.
14:44Alors c'était une dramaturgie ou c'était un coup de mou ?
14:48Et même si c'était un coup de mou, ce qui était sans doute la réalité, le produit
14:53a été celui de la dramaturgie.
14:55Mais vous, vous ne vous êtes jamais, bien entendu, je crois, posé la question pendant
14:59votre mandat.
15:00C'est donc.
15:06J'avais demandé à ma mère l'autorisation d'aller manifester aux Champs-Élysées pour
15:12le général de Gaulle quand il y a eu la grande manifestation.
15:14Et j'ai tout de suite, intuitivement, été porté vers l'affaire Migoliste parce que
15:24je trouvais qu'il y avait une affaire épique.
15:27C'était pour moi comme quand je lisais Dumas ou Jules Verne, on voyait les choses
15:36en grand.
15:37Et il y avait un lien avec l'histoire, c'était l'histoire vivante.
15:41Et ça me plaisait.
15:43C'est ça qui a fait que je me suis engagé.
15:501968 démontre, c'est pour ça que c'est un échec malgré tout, démontre que quand
15:55il n'y a pas de débouché politique, finalement, une révolution tourne court.
16:01Donc j'en ai gardé finalement une certaine leçon, moi-même.
16:05Et il faut à tout prix éviter qu'un mouvement ou dégénère ou se produise et se développe.
16:12Et il vaut mieux donc le dialogue, autant qu'il est possible, la négociation plutôt
16:19que la violence et à un moment la rupture.
16:26La civilisation de consommation prenait sa revanche, mais les Français et leur gouvernement
16:31savent maintenant avec quelle violence l'orage peut éclater dans un ciel d'été.
16:36Démocratie, gouvernement, du peuple, par le peuple, pour le peuple.
16:44Si le peuple se rebelle à part dans les pièces de Bertolt Brecht, on ne peut pas dissoudre
16:51le peuple.
16:52C'est une des belles choses de la civilisation.
16:54C'est qu'un peuple civilisé, ça ne se manipule pas avec le court terme.
17:12Fin 83, début 84, la gauche au pouvoir veut créer un grand service public de l'éducation nationale.
17:22Bon, c'est dans le programme.
17:24Chacun pouvait choisir son projet, c'était donc la fin du service public de l'éducation nationale.
17:31Et les gens de gauche, que je connaissais assez bien, n'étaient pas très contents
17:36de l'issue qu'avait trouvée Savary.
17:38C'est pas parce qu'il y a une majorité qui arrive en 81 que vous pouvez balayer
17:44cette tradition profonde qui est l'enseignement entre guillemets religieux.
17:50La religion 1905, la laïcité, tout ça, dès que vous touchez un peu trop en profondeur,
17:56vous avez des mouvements que vous ne maîtrisez plus.
18:00L'affaire était très mal embarquée.
18:02Dans le Maine-et-Loire, 40% des enfants fréquentent l'école privée
18:06et les organisations de parents d'élèves avaient appelé à protester
18:09contre le projet de loi Savary.
18:11L'État doit remplir son rôle.
18:15Il tient compte des réalités.
18:17Il reste sage dans l'aménagement qu'il fait des lois antérieures
18:23qui n'étaient pas des lois de paix scolaire.
18:26On n'a pas aperçu, probablement, le caractère extrêmement choquant
18:30pour les gens qui avaient leurs enfants dans les écoles,
18:33y compris des hiérarques socialistes.
18:37Quand les objectifs ne sont pas clairs, évidemment, toutes les oppositions se coalisent.
18:44Moi, je vais participer à une première manifestation à Poitiers,
18:48une deuxième manifestation énorme à Bordeaux
18:52et une troisième manifestation à Paris,
18:55où nous sommes venus par milliers.
18:58On avait des trains de Poitiers, de Bordeaux.
19:01De la musique, des chants, des slogans,
19:03en faveur de la défense de l'enseignement privé.
19:10Je ne sais pas si on fera quelque chose, mais on est tous là.
19:13En tête, les organisateurs, l'enseignement catholique,
19:16derrière des personnalités de l'opposition,
19:18Mme Veil, Jean Lecanueche, Abandelmas, Michel Debré,
19:21tous les élus parisiens de l'opposition.
19:25Évidemment, c'était une de ses qualités.
19:28Il sentait tout ça.
19:30Même si on ne sent pas les choses, on les voyait.
19:33À un moment, il y a un million de gens dans la rue.
19:36Deux millions de manifestants selon les organisateurs,
19:39160 000 selon un chiffre non définitif
19:42du ministère de l'Intérieur.
19:45Le ministère Rand est un habile.
19:47Il a tout de suite compris.
19:49Il a compris qu'il n'irait pas jusqu'au bout.
19:52Il faut trouver une façon de déplacer l'enjeu.
19:57Ce projet de référendum,
20:00parce qu'il ouvre à notre peuple un vaste espace de liberté,
20:04renforcera, je le souhaite,
20:08l'unité nationale.
20:12La perspective d'un référendum sur le référendum,
20:15il s'agissait d'étendre la possibilité
20:18de faire le référendum aux questions d'éducation.
20:21François Mitterrand s'est pris les pieds dans le tapis.
20:24L'annonce, lui aussi, d'un référendum sur le référendum,
20:27c'était...
20:32On voyait bien qu'ils étaient perdus.
20:35Ça noyait les choses
20:38et ça a permis
20:41de gagner un peu de temps.
20:44Mais, je vous le dis, c'était des arguments.
20:47J'étais donc un jeune conseiller.
20:51Je n'ai pas compris pourquoi François Mitterrand
20:54n'avait pas arrêté le processus plus tôt.
20:57Ça fait longtemps qu'il pense que ça serait une impasse,
21:00à l'arrivée.
21:03Début 82, il y a un dîner
21:06Mitterrand à scène 2.
21:09Il ne s'y aimait pas énormément.
21:12Mais il se respectait énormément en tant qu'homme d'État.
21:15Et à scène 2, il connaissait par cœur la France,
21:18le fonctionnement de la politique française depuis toujours.
21:21Il dit à François Mitterrand,
21:24M. le Président, je ne veux pas me bêler de ce qui ne me regarde pas,
21:27mais je suis quand même étonné de cette histoire de projet sur l'école.
21:30Ça ne ressemble pas du tout à la France que je connais.
21:33Mais je ne veux pas vous choquer, vous n'êtes pas obligé de répondre.
21:36Mais tant qu'éditier, je veux bien vous répondre.
21:39Figurez-vous que moi aussi.
21:42Mais je ne pense pas que la France puisse accepter
21:45la France telle qu'elle est, telle que je la connais,
21:48son histoire, tout ça.
21:51Je ne crois pas que ce soit acceptable, finalement.
21:54Mais je n'ai pas réussi à en convaincre mes amis socialistes.
21:57Si ils sont tout à fait sincères, tout à fait convaincus,
22:00c'est important pour eux, je les laisse persévérer.
22:03Et je crois que ça ne marchera pas à la fin des fins.
22:06Et quand ça sera bloqué, je ne sais pas dans quelles conditions,
22:09mais à un moment donné, ça ne passera pas,
22:12je reprendrai la main.
22:15Oui, ce n'était pas une dimension généreuse de François Mitterrand,
22:18c'était une dimension sans doute éducatrice, pédagogique.
22:21François Mitterrand voulait administrer une leçon aux socialistes.
22:24Vous voulez cette réforme ? Allez-y.
22:27Vous voulez ne pas concéder ? Allez-y et vous verrez
22:30ce qui va se passer.
22:33Alain Savary est sans doute aujourd'hui très amer.
22:36Deux ans et demi de négociations pour un texte retiré.
22:39Le tempérament du personnage l'incite à ne plus vouloir
22:42rester au gouvernement, malgré l'hommage du président
22:45de la République samedi dernier.
22:48Moi, je pense que c'est une bonne loi.
22:51Je pense qu'elle est jugée de façon très injuste.
22:54Pour Alain Savary, qui était quelqu'un
22:57qui l'appréciait et que tout le monde appréciait à gauche,
23:00évidemment, quelque chose d'épouvantable
23:03parce qu'il avait défendu cette réforme
23:06et puis qui a fait partir Pierre Moroy.
23:09Le Premier ministre, M. Pierre Moroy,
23:12a présenté au président de la République
23:15la démission de son gouvernement.
23:18Le président de la République a accepté cette démission.
23:29François Mitterrand, j'estimais ne pas pouvoir,
23:32même lui, Premier secrétaire devenu candidat,
23:35devenu président, ne pas pouvoir convaincre
23:38les socialistes, les amis socialistes,
23:41d'arrêter ce projet.
23:44Mais c'était un coût très élevé,
23:48se séparer de Pierre Moroy,
23:51un coût élevé sur le plan politique,
23:54céder face à la pression d'une rue bourgeoise,
23:57sans doute, mais d'une rue.
24:00Donc voilà, j'ai trouvé que c'était payé cher, le retrait.
24:03Le fond du sujet, c'était une réforme
24:06qui avait été mal définie, mal préparée
24:09et qui, comme disait notre président,
24:12a fait pchit.
24:15Il y a des projets de réforme
24:18qui échouent parce qu'ils sont
24:21intrinsiquement faux
24:24par rapport à ce qu'est
24:27la matrice politique de la France.
24:30Juppé, c'est différent.
24:40Monsieur le Président,
24:43Mesdames et Messieurs les députés,
24:46je vous ai dit quelle était l'ambition du gouvernement.
24:49Sauver notre système de protection sociale
24:52parce qu'il est notre meilleure arme
24:55pour lutter contre l'exclusion
24:58et réduire la fracture sociale.
25:01Ce projet de réforme de la sécurité sociale ou des régimes spéciaux,
25:04il y avait des raisons, on ne peut pas dire que c'était une erreur.
25:07Là, il se trompe sur la manière.
25:10Jacques Chirac se fait élire sur la position de Philippe Séguin,
25:13c'est-à-dire sur la fracture sociale
25:16et même, dit Séguin, le Munich social.
25:19Oui, il y a une fracture sociale forte
25:22et cette fracture sociale s'appelle l'exclusion en général,
25:25celle de certains quartiers, je n'aime pas le terme de banlieue,
25:28qui vont à la dérive.
25:31Une fois élu, il choisit l'autre orientation,
25:34l'orientation gestionnaire
25:37face à l'orientation sociale.
25:40Après, il y a toujours, et ça ne vaut pas simplement pour Jacques Chirac,
25:43il y a toujours un écart entre le discours de campagne et la réalité.
25:46Le socialisme était fatigant,
25:49nous avons beaucoup affaibli
25:52et donc il fallait créer un renouveau, créer une ambition.
25:55Donc Juppé a incarné tout ça.
26:01Quand je suis arrivé à Matignon en 1995,
26:04j'ai découvert une situation budgétaire catastrophique.
26:07Je me suis trouvé confronté à cette situation
26:10où il fallait un plan d'urgence
26:13pour arrêter cette détérioration des comptes sociaux.
26:16C'était une situation extrêmement difficile
26:19qui m'a amené à prendre toute une série de décisions impopulaires.
26:22Dès l'été, augmentation des impôts, réduction des dépenses
26:25et puis le trou de la Sécu.
26:28Puis, pris par un enthousiasme réformateur,
26:31je me suis dit qu'il allait falloir s'attaquer
26:34au régime spécial de retraite.
26:37Le secrétariat général de FO, Nicole Nota et quelques autres,
26:40Chirac, m'ont dit que ce n'était peut-être pas le moment.
26:43D'abord, cette réforme, vous ne l'avez pas vraiment étudiée,
26:46on n'a pas préparé des textes contrairement à ce qu'on avait fait
26:49sur l'assurance maladie, donc n'en parlez pas,
26:52vous allez mettre le feu aux poudres.
26:55Et le président reste un peu en retrait.
26:58Le président veille à garder une perspective
27:01et donc le Premier ministre est globalement assez seul.
27:04Et dans mon discours de novembre,
27:07dont j'étais très fier,
27:10qui m'a valu d'ailleurs une ovation debout,
27:13j'avais glissé cette phrase en disant
27:16qu'il allait bien falloir ouvrir un jour ou l'autre
27:19la question des régimes spéciaux.
27:22Au nom de la justice, nous engagerons la réforme
27:26des régimes spéciaux de retraite.
27:29Il s'agira de préciser les mesures nécessaires
27:32à l'équilibre de ces régimes et notamment
27:35les modalités d'allongement de 37 ans et demi à 40 ans
27:38de la durée de cotisation requise
27:41pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
27:44Ça a été la mèche,
27:47l'allumette qui a allumé la mèche.
27:50C'est trop, tout ensemble.
27:53Et en plus, non seulement il faut faire
27:56les régimes spéciaux et la sécurité sociale,
27:59mais en plus c'est tellement mieux, pas de débat.
28:02J'ai l'honneur d'engager devant vous
28:05la responsabilité du gouvernement
28:08au titre de l'article 49 première alinéa de la Constitution
28:11sur la déclaration que je viens de prononcer.
28:14Sans avoir, dès l'origine,
28:17dès la campagne et au-delà,
28:20partagé avec l'opinion
28:23les raisons impérieuses
28:26qui font qu'on est obligé de faire ce qu'on fait.
28:29Et quand une réforme de cette ampleur est proposée
28:32qu'elle n'est pas véritablement partagée, concertée,
28:35débattue et comprise,
28:38à ce moment-là la rue peut se former.
28:41C'était au Sterlitz en septembre
28:44et ça a été Waterloo en décembre.
28:47Du coup, les manifestants et les grévistes
28:50exigent davantage du Premier ministre.
28:53Pas simplement des discussions sur les retraites,
28:56mais le retrait pur et simple
28:59du plan de réforme de la sécurité sociale.
29:02Et c'est ça qui a provoqué la mobilisation
29:05qui a fait que les grèves ont été douloureuses,
29:08c'est-à-dire les transports, la SNCF, etc.
29:11C'était une activité progressivement de rentrer dans la grève.
29:14CGT, force ouvrière, même combat pour une même cause.
29:17Je préfère une fonction publique moins nombreuse,
29:20plus efficace.
29:23C'était surtout une certaine rigidité.
29:26Une fonction publique qui fait de la mauvaise graisse.
29:29Cette façon très rigide de ne pas vouloir entendre.
29:32La grève généralisée à tous les secteurs,
29:35des transports aux hôpitaux en passant par les impôts, etc.
29:38Mais il y avait une forme,
29:41peut-être qu'Alain Juppé lui-même traduisait,
29:44qui était, nous avons raison,
29:47nous avons la force légitime d'une Assemblée nationale écrasante,
29:50nous venons de sortir d'une élection présidentielle,
29:53eh bien allons-y.
29:56Eh bien non, il y a aussi d'autres règles
29:59dans une démocratie.
30:02C'est pas simplement la démocratie politique,
30:05c'est la démocratie sociale.
30:12Les syndicats maîtrisaient un processus,
30:15y compris pour bloquer le pays, mais aussi pour trouver une issue.
30:18Donc il y avait des forces,
30:21des corps intermédiaires qui pouvaient jouer.
30:31En 1995, il y avait un phénomène très important,
30:34qui est la sympathie de l'opinion publique pour la manifestation.
30:37C'est-à-dire que les gens qui vont prendre leur train,
30:40ou ce qu'il en reste, un autobus à pied,
30:43et qui font deux heures de marche, trois heures de marche,
30:46pour aller au travail, sont pour les rêves.
30:49C'est un train qui ne viendra probablement pas,
30:52mais qu'on attend quand même dans l'espoir de...
30:55Donc nous sommes obligés de tenir compte de ça.
30:58Et alors là, il a fallu que je pilote,
31:01si je puis dire, la marche arrière.
31:04C'est toujours un peu compliqué.
31:07On ne peut pas tout critiquer dans cette réforme Juppé.
31:10Notamment, la nécessité de maîtriser les dépenses sociales
31:13devrait être pour nous aussi un impératif.
31:16C'est exactement le vase rempli d'eau.
31:19Vous mettez 3 litres dedans, et ça ne déborde pas.
31:22Puis tout d'un coup, vous mettez une goutte,
31:25une, pas deux, une, et ça déborde.
31:29C'est exactement ça, le projet de réforme des retraites.
31:54En 1995, j'ai cédé sur une partie de ce que j'avais annoncé.
31:57C'est-à-dire la réforme des régimes spéciaux de retraite.
32:00Et pas sur la réforme de l'assurance maladie
32:03qui a été intégralement réalisée par les ordonnances de 1996.
32:06Donc vous voyez...
32:09On pourra dire tout ce qu'on veut dans vos sondages de M. Juppé.
32:12On ne peut pas contester qu'il soit courageux.
32:15La question n'est pas celle du courage.
32:18On dira, il était pas courageux ou il était très courageux.
32:21Absurde. C'est une question de connaissance de la France.
32:24Jusqu'où on peut aller sans casser ?
32:27Et d'ailleurs, les parents le savent avec leurs enfants.
32:30C'est pas une question d'autorité.
32:33C'est une question de maintien, le dialogue.
32:36Parce que votre autorité, si elle consiste à ce que votre fils ou votre fille
32:39refuse de vous parler, elle va où, l'autorité ?
32:42Elle va nulle part. Et c'est là où c'est très difficile.
32:45Il faut savoir reculer au bon moment.
32:48Là, il avait attendu le mois de décembre
32:51pour reculer Jacques Chirac. C'était coûteux.
32:54L'impression que le pays a été bloqué pendant une année, non.
32:57Ça a duré les 15 premiers jours de décembre.
33:00Donc voilà, j'ai réagi, peut-être pas dans l'instant,
33:03mais je n'allais pas tout de suite renoncer
33:06en cédant sans négocier.
33:13J'ai écrit quelque part que quand j'étais brûlé en effigie,
33:16notamment sur la place de la mairie de Bordeaux,
33:19chaque fois que j'allais dans ma ville,
33:22je ne ressentais aucune brûlure particulière.
33:25Mais enfin bon, c'est un peu de forfenterie.
33:28Bien sûr que ça bouscule, ça préoccupe,
33:31ça angoisse même parfois.
33:34Mais enfin bon, quand on exerce ses fonctions,
33:37il faut être droit dans ses bottes.
33:40L'émotion, il y en a, mais elle est au moment
33:43de prendre la décision, pas après.
33:46Vous êtes dans la situation de Magellan
33:49qui traverse l'Atlantique et après va traverser le Pacifique.
33:52Magellan a cette idée folle, il veut aller vers l'Est
33:55en partant vers l'Ouest.
33:58Mais une fois que vous avez fait l'Atlantique,
34:01vous n'allez pas faire demi-tour au moment de rentrer dans le Pacifique.
34:04Une fois que j'avais décidé de faire la réforme des retraites
34:07et que j'avais fixé le curseur à 62 ans,
34:10tout retour en arrière était impossible.
34:14Vous m'entendez ? Impossible.
34:17Le gouvernement dans la ligne de mire des manifestants
34:20pour la sixième fois en quelques semaines.
34:23Et la résignation ne semble pas atteindre les cortèges pour le moment.
34:26Neuf jours, neuf jours de blocage complet.
34:34Si vous commencez à trembler,
34:37mais à ce moment-là, ils vous marchent dessus.
34:40Ils sentent un peu, vous savez, que ça branle dans le manche
34:43et qu'en poussant, on le fait casser.
34:46Ce n'est pas une alternative possible.
34:49D'où la nécessité de débattre avant.
35:02Le Premier ministre souhaitait plus tôt 63 ans.
35:05La ministre des Finances avait même évoqué 65 ans.
35:09C'est moi qui devais rendre l'arbitrage.
35:12C'est le président qui doit rendre l'arbitrage.
35:15J'ai dit ça sera 62 ans, mais tout de suite.
35:18Parce que je sentais que ça passerait.
35:21Mais je ne peux pas vous l'expliquer autrement, Michel Cotta.
35:24Est-ce que j'avais un raisonnement
35:27avec petit 1, petit 2, petit 3 ?
35:30Non, Michel Cotta.
35:33Pourquoi les autres ont reculé ? Je ne porte pas de jugement.
35:36Je ne dis pas que c'était facile pour eux.
35:39Je vous dis que j'ai appris de cela.
35:42Que j'ai compris cela d'eux.
35:45Et que je ne voulais pas me trouver dans la même situation.
35:48Il y a une discussion entre M. Thibault et moi.
35:51Je lui ai dit, Thibault, il y a un truc que vous devez comprendre.
35:54Je ne cèderai pas.
35:57Pour la police, la mobilisation est en baisse.
36:00Les leaders syndicaux affichent leur unité
36:03et dénoncent la flexibilité du gouvernement.
36:06Il est quand même surprenant que dans un pays comme la France,
36:09après 6 manifestations, on n'ait toujours pas de réponse.
36:12Ce n'est pas le blocage total du pays qui est notre objectif en soi.
36:15Ça peut être la conséquence de l'intransigeance du gouvernement.
36:18Les syndicats le savaient.
36:21Et ils se sont dit quoi ?
36:24OK, il ne reculera pas, on le connaît.
36:27Donc ils n'ont pas appuyé sur l'accélérateur.
36:30On lui réglera son compte aux élections.
36:33131 pages de textes, 4 983 amendements déposés,
36:36des dizaines de milliers de manifestants dans les rues.
36:39Derrière les sourires, le bras de fer commence.
36:42Assouplir la durée du temps de travail,
36:45faciliter les licenciements économiques
36:48et plafonner les indemnités.
36:51Les mesures présentées brisent les totems traditionnels de la gauche.
36:54J'ai toujours voulu qu'il y ait un dialogue social
36:57et le partenaire qui s'était le mieux disposé
37:00à être dans le dialogue était la CFDT.
37:03Dans la première présentation de la loi El Khomri,
37:06il y avait une disposition qui heurtait la CFDT.
37:09J'ai donc très vite retiré cette disposition
37:12pour permettre que le dialogue puisse se reprendre
37:15avec la CFDT et les syndicats réformistes
37:18et je n'ai pas cédé sur le reste.
37:21À l'Assemblée nationale,
37:24c'est l'effervescence.
37:27Une nuée de journalistes à la poursuite de Laurent Baumel,
37:30le chef de file des Frondeurs.
37:33Nous avons tenu, grâce au 49.3
37:36et à une bonne entente entre le président de la République
37:39et moi-même et la ministre du Travail, Myriam El Khomri
37:42qui a été courageuse, et la CFDT.
37:45Et c'est fort de la conviction que notre économie
37:48a besoin d'être soutenue au moment où elle retrouve
37:52qu'il faut moderniser notre modèle social.
37:55Le 49.3 a été inévitable, mais il est apparu,
37:58et je pense que ça a marqué la suite,
38:01il est apparu comme un coup de revolver.
38:04Ça m'arrive encore, il y a des gens qui, dans la rue,
38:07me disent « Eh le 49.3 ! ».
38:10À ce moment-là, il a incarné une forme de violence,
38:13je mets des guillemets, antidémocratique,
38:16alors que c'est un outil constitutionnel.
38:20Sur le fondement de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution,
38:24j'engage la responsabilité de mon gouvernement...
38:34Je n'ai jamais voulu utiliser le 49.3.
38:37Jamais. Alors, c'était plus facile.
38:40Pour moi, j'avais la majorité absolue,
38:43mais je n'ai jamais voulu.
38:47Parce que si vous n'êtes pas capable d'assumer le débat
38:50à l'Assemblée nationale, au Parlement,
38:53vous l'avez dans la rue.
38:55Des incidents importants ont donc éclaté dans plusieurs villes de France
38:58en marge des manifestations contre la loi El Khomri.
39:01Ils jettent tout ce qui leur tombe sous la main,
39:04pavés, bouteilles, extincteurs.
39:07Avec des formes assez inattendues de mobilisation.
39:10C'est là qu'on a vu le rôle des réseaux sociaux,
39:13cette capacité à être présent
39:16partout où les ministres se déplaçaient.
39:19Moi-même, je pouvais aller agiter des drapeaux,
39:22créer des incidents.
39:25Des formes assez nouvelles de mobilisation et de contestation.
39:28Les casseurs ont choisi des symboles.
39:31Cette Porsche, d'abord, brûlée en marge du cortège.
39:34Et puis cette banque, aux vitrines éclatées.
39:37Toute mon attention, quand j'étais président,
39:40c'était d'éviter que les jeunes descendent dans la rue.
39:43C'est un souvenir de mai 68,
39:46sûrement, mais vraiment très enfoui à ce moment-là.
39:49C'est un souvenir de Malek Ousekine,
39:52un incident très grave,
39:55touchant un jeune qui meurt.
39:58Les foliciens motos surgissent.
40:01Selon le témoin, trois d'entre eux descendent et le poursuivent.
40:04Malek Ousekine n'avait rien à voir en plus.
40:07C'était un pur exemple de brutalité
40:10policière individuelle, d'ailleurs,
40:13qui n'avait aucun sens.
40:18Il y a forcément un basculement.
40:21Et reconnaissons-le,
40:24tous les ministres de l'Intérieur qui ont suivi
40:27ont été marqués par ce drame-là,
40:30par la mort de ce garçon, Malek Ousekine,
40:33et avec l'idée que cela ne se reproduise pas.
40:36C'était le souvenir aussi des mouvements du CPE
40:39et CIP avant, sous Balladur.
40:42C'est-à-dire que quand vous avez des lycéens
40:45et des étudiants qui descendent dans la rue,
40:48pour les faire revenir dans les établissements, ce n'est pas si simple.
40:51On peut arrêter un mouvement social en négociant
40:54avec des syndicats de salariés ou d'autres représentants.
40:57C'est beaucoup plus difficile avec un mouvement de jeunesse.
41:00Il n'y a pas d'avenir sans l'appui de la jeunesse.
41:03La jeunesse est un peu le socle de base
41:06de tout projet politique.
41:09Il n'y a pas de projet politique pour un candidat
41:12si il a la jeunesse contre lui.
41:15À partir du moment où des réformes mettent les jeunes dans la rue,
41:18chaque gouvernement devrait penser
41:21que ce sera un recul à la fin, si ça s'amplifie.
41:25J'ai décidé de retirer
41:28l'actuel projet de loi.
41:39Le Premier ministre a décidé de suspendre,
41:42à partir d'aujourd'hui,
41:45l'application du contrat d'insertion professionnelle.
41:55Pour l'application du contrat premier embauche,
41:58j'ai voulu proposer une solution forte.
42:01Cela n'a pas été compris par tous.
42:04Je le regrette.
42:07Les politiques disent toujours que ce n'est pas la rue qui gouverne,
42:10mais on a quand même l'impression que sous la pression de la rue,
42:13les exécutifs sont extrêmement fragiles.
42:16Oui, mais mon cher ami, négocier, ça veut dire reculer.
42:19Si vous ne reculez pas, vous ne négociez pas.
42:22Il faut savoir ce qu'on veut quand même.
42:25Négocier, ça consiste à admettre
42:28qu'on n'a pas nécessairement, automatiquement raison dans tout ce qu'on fait.
42:31Vous croyez le général, il n'a pas reculé sur l'Algérie
42:34avec le nouveau gouvernement algérien
42:37et puis il n'a pas reculé avec les mineurs.
42:40On recule parfois quand il le faut,
42:43quand on croit qu'il le faut.
42:46Mais enfin, il ne faut pas trop reculer quand même.
42:53Blocage au compte-gouttes.
43:00Pas de blocage, pas de blocage, pas de blocage.
43:03On ne demande pas grand-chose, on demande qu'on nous écoute
43:06et puis qu'on arrête de nous prendre à la gorge parce qu'on en a ras-le-bol.
43:09À travers toute la France, plus de 2300 rassemblements.
43:12Le coup de l'essence, c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le BAS.
43:15Le gilet jaune, c'est un des mouvements les plus significatifs
43:18qu'on ait connu depuis un demi-siècle.
43:21Ça se déclenche sur la question du prix des carburants
43:24et sur les limitations de vitesse sur les routes nationales.
43:28Puis très vite, ça prend d'autres formes.
43:31Sur les salaires ou sur les conditions de vie en général.
43:36Un ras-le-bol qui dépasse la hausse du prix du carburant.
43:40Macron, démission ! Rends-nous notre pognon !
43:43Si j'entendais votre ras-le-bol et que j'y répondais de manière démago,
43:46qu'est-ce que je ferais ? Je vous distribuerais de l'argent.
43:49Et je me souviens d'être allé dialoguer avec des gilets jaunes.
43:52On disait, mais quelle est votre revendication et quels sont vos représentants ?
43:56On répondait, nous n'avons ni délégué ni revendication.
43:59Ah, ça devient difficile à ce moment-là.
44:01Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'y avait pas de colère justifiée,
44:06quelquefois, par le sentiment d'abandon ou de mépris.
44:11Vous essayez de discuter avec eux et vous leur demandez,
44:13mais qu'est-ce que vous voulez ? Ils ne savent pas dire quoi.
44:15Parce que ce qu'ils veulent, c'est quelque chose qu'ils ont perdu, en quelque sorte.
44:20C'est revenir à une situation où se fédéraient autour des grandes entreprises
44:26tout un ensemble d'activités qui donnaient de la vie à la région.
44:29Je crois très profondément que nous pouvons transformer l'expression des oppositions
44:34en un élan pour construire l'avenir,
44:36que nous pouvons transformer les colères en solutions.
44:41Quand on est devant un mouvement qui est aussi désincarné,
44:45au sens où il n'est pas conduit, et aussi dépolitisé d'une certaine façon,
44:49puisqu'il n'y a pas de revendication, c'est là qu'il y a un danger de violence.
44:53La violence, c'est le produit, finalement, de ce que vous n'arrivez plus à communiquer,
44:57de ce que vous n'avez plus à exprimer.
44:59Moi, j'ai vu trois énergumènes, à la fin d'une manifestation,
45:03mettre le feu à une agence bancaire.
45:05Mais ce que je n'avais jamais vu, c'est 3 000 personnes dans la rue
45:09qui applaudissent quand les premières flammes de l'agence sortent.
45:13Dans une rue, puis une autre.
45:15D'un côté, des gilets jaunes déterminés qui multiplient les barricades de feu.
45:19De l'autre, des CRS qui avancent parfois à l'aveugle.
45:24Et des blessés, de part et d'autre.
45:27La violence fait partie de la vie.
45:30Surtout en France.
45:32Parce que vous pensez quoi ?
45:34La terreur, c'était pas violent ?
45:37À la Libération, il n'y a pas eu de violence ?
45:40La commune de Paris, c'était pas violent ?
45:44Nous sommes un pays où il y a de la violence.
45:47La rancœur, elle existe parce que les Français sont des dingues d'égalité.
45:55Et que toutes les têtes qui dépassent sont inacceptables et inacceptées.
46:06La violence, c'est la politique.
46:24Au fond, quand on regarde les gilets jaunes,
46:26quand on regarde un certain nombre de choses,
46:28on voit bien que la seule réponse à la violence, c'est la politique.
46:32Encore faut-il que la politique soit crédible.
46:34Encore faut-il que la politique soit reconnue et légitime.
46:37Et donc, on voit bien que les gilets jaunes sont légitimes
46:40parce que la politique n'est pas légitime.
46:42Évidemment, l'exercice est difficile pour rassembler et créer de l'unité.
46:55Ne pensez pas une seule seconde
46:57que si demain vous réussissez vos investissements ou votre start-up,
47:01la chose est faite.
47:04Non.
47:05Parce que vous aurez appris dans une gare.
47:08Et une gare, c'est un lieu où on croise.
47:12Les gens qui réussissent, c'est les gens qui ne sont rien.
47:15Alors après, on peut dire, bah oui, le Président de la République
47:17n'aurait pas dû s'exprimer ainsi.
47:19Soit. Mais que veut-on ?
47:21Un Président de la République qui fasse de la langue de bois ?
47:23Un Président de la République qui ne dise jamais ce qu'il ressent, ce qu'il pense ?
47:27Monsieur, c'est vous qui gérez le pays.
47:29Pourquoi toujours au plus riche ? Pourquoi pas au foyer modeste ?
47:32On était heureux en français.
47:33On devient malheureux, Monsieur le Président. On devient malheureux.
47:36Est-ce que vous voulez m'écouter ?
47:37Oui, j'ai envie de vous écouter, mais...
47:38Alors, là, pourquoi on a fait ça sur la CSG ? Pourquoi on l'a fait ?
47:41C'est l'engagement que j'avais pris en campagne.
47:43Là, enfermé dans ses certitudes, dans son côté donneur de leçons,
47:49il ne comprenait pas.
47:51Et donc, il ne mesurait pas l'incidence.
47:55Parce que parfois, vous êtes en colère sur des trucs qui ne sont pas vrais.
47:57Oui, en fait, tout est vrai.
47:59Vous ne sentez pas le malaise en France qui monte ?
48:01Si je veux apporter une vraie réponse, je suis obligé de changer les choses.
48:04Vous étiez trop jeune. Vous n'avez pas connu Monsieur le Président.
48:06Vous étiez trop jeune.
48:07La fracture majeure de la société française aujourd'hui,
48:11et donc l'affaiblissement principal de notre pays,
48:15c'est la rupture entre le haut et le bas de la pyramide sociale.
48:20Entre les gouvernants ou qui se prétendent tels,
48:26cette petite pointe de la pyramide,
48:29et puis la base qui ne reconnaît plus ni la légitimité,
48:34ni les raisons d'agir,
48:37et qui ne trouve plus de raison de vivre dans cette organisation-là.
48:41On l'a vu avec le président Sarkozy, puis le président Hollande,
48:43puis le président Macron,
48:45il y a eu une forme de détestation personnalisée.
48:49Et où soudain, c'est le président de la République
48:53qui devient Saint-Sébastien criblé de flèches.
48:56Et donc ça s'exprime avec plus ou moins de vigueur.
48:59C'est lié à l'époque de l'information continue permanente aux réseaux sociaux.
49:03Et je ne vois pas quelle personnalité géante de l'histoire de France
49:08serait intacte après trois mois de réseaux sociaux contemporains.
49:12Le Fouquet's, célèbre restaurant de l'avenue, n'a pas non plus été épargné.
49:18La journée avait pourtant débuté dans le calme ailleurs dans Paris.
49:22Ensuite, la réaction du président est très bien, d'aller au contact.
49:25Et le président nous explique qu'il va organiser le grand débat.
49:30Son idée était de dire, il faut que j'aille dans l'arène,
49:34dans les territoires, le plus souvent possible,
49:36expliquer ce qu'on fait, répondre aux questions, etc.
49:39Un peu comme s'il souhaitait aller à la recherche du temps perdu,
49:43de ne pas avoir peut-être suffisamment été alerté,
49:49ou de ne pas avoir suffisamment senti ce qui se produisait.
49:52La première façon d'agir en politique, c'est de parler.
49:56Il n'y a pas d'un côté l'édition que vous prenez,
49:59et d'autre les mots que vous prononcez.
50:02Les mots font partie de l'action.
50:14Le lien entre l'État que vous représentez et la nation que nous sommes aujourd'hui est rompu.
50:18On a des territoires où les patients décèdent par manque de soins.
50:22Arrêtez de changer les lois tout le temps.
50:24Quand est-ce qu'on arrête la machine à broyer la proximité ?
50:27Si vous faites un exercice comme celui qu'a fait le président de la République
50:31après les gilets jaunes, vous obtenez quoi ?
50:35Un cahier de doléances.
50:39Mais vous n'obtenez pas des solutions.
50:41Il ne faut pas raconter des craques.
50:42Ce n'est pas parce qu'on remettra l'ISF comme il était il y a un an et demi
50:45que la situation d'un seul gilet jaune s'améliorera.
50:47Ça, c'est de la pipe.
50:48Ce que je sais, c'est que si je le faisais demain,
50:51les quelques-uns qui étaient en train de revenir de créer de l'emploi,
50:54ils diraient, celui-là, on a compris, il est comme les autres.
50:56Il a ce talent de l'expression, de la communication,
51:00de la proximité, de la connaissance de ses dossiers.
51:03Et je pense que le Grand Débat était une bonne idée.
51:06Mais au fond, peu de gens sont capables de le faire.
51:08En ce 18e samedi de manifestation, avec la fin du Grand Débat national,
51:13les gilets jaunes ont baptisé cette journée l'ultimatum.
51:16Je pense que les gens sont à bout. Il arrive une espèce de paroxysme.
51:24Ça a marché parce que les gens ont vu que c'était vrai.
51:28C'est lui tout seul, dans le caractère direct de l'échange,
51:32y compris dans les échanges les plus durs,
51:36qui a montré non pas la véracité d'une thèse, mais quel homme il était.
51:42Il a été capable de le faire, ce qui est assez brillantissime.
51:46Mais au fond, ça l'installe aussi dans un statut, je dirais,
51:52un peu d'artiste, de héros, capable de faire des exercices solitaires,
51:58brillantissime. Or, un chef, c'est pas un solitaire.
52:02La politique, c'est d'abord une affaire d'incarnation,
52:07avant même d'être une affaire d'idées.
52:12Donnez-moi les pinceaux de Van Gogh, les toiles de Van Gogh,
52:17les tubes de peinture de Van Gogh. D'après vous, je ferai du Van Gogh ?
52:21Non.
52:23Redonner une espérance de progrès à chacun,
52:27en demandant à chacun le meilleur de lui-même.
52:31Et c'est ainsi que nous pourrons reconstruire ensemble très profondément
52:36ce que j'appellerais l'art d'être français.
52:42Les palais officiels vous mettent à l'écart.
52:45Pour les responsables d'État, il faut sentir, il faut avoir des capteurs,
52:50il faut avoir l'expérience.
52:52Il y a des capteurs qui sont officiels, ce qu'on appelait autrefois
52:55les notes des préfets. Il y a des capteurs qui sont politiques,
52:58ce que vous ramène normalement un parti ou des parlementaires.
53:02Et puis il y a des capteurs que vous pouvez avoir par votre propre vie politique,
53:06des gens auxquels vous faites confiance parce qu'ils étaient dans votre circonscription
53:10ou dans votre ville, ou des amis, ou des leaders syndicaux,
53:14ou des responsables de la société, ou des chefs d'entreprise.
53:17Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui se passe dans une société
53:20qui est celle que vous avez en charge ?

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