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Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL, Edouard Chanot reçoit Fouad Khoury-Helou, directeur de l’essai "Liban, état de survie" et directeur du quotidien L’Orient-Le Jour.
Tensions internes, ingérences extérieures : le pays du cèdre vit un thriller permanent depuis 1975 et la guerre civile. Une crise sans fin qui s’est de nouveau accélérée en 2024 avec le débordement de la guerre à Gaza sur son sol. Mais avec le recul du Hezbollah, un nouveau président et la fin relative des bombardements israéliens, le Liban peut-il enfin sortir de la spirale des violences ? Comment la France peut-elle y contribuer ?

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00:00Bonjour à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26internationale de TVL. Violence, chaos, malheur, le Liban est balloté par ses tensions internes et
00:32les ingérences extérieures. Mais comble du paradoxe, ces ingérences sont souvent réclamées par les
00:38Libanais eux-mêmes. Le pays du cèdre donc vit un thriller permanent depuis deux siècles. Alors pour
00:44le raconter, je reçois Fouad Rouillelou, directeur du quotidien libanais francophone de référence,
00:49Lorient Lejour. Fouad Rouillelou, bonjour. Bonjour, merci de m'accueillir. Merci d'avoir répondu.
00:54Présent à l'appel de Choc du Monde. Et vous venez donc de publier Liban, état de survie,
00:59publié aux éditions Maximilou. Merci donc de votre présence ici. Alors Fouad Rouillelou,
01:04vous êtes libanais bien sûr, mais votre livre s'ouvre sur un étonnement face à votre propre pays.
01:10Vous vous étonnez qu'il soit au bord du précipice, mais qu'il ne sombre pas. Alors quand même,
01:14si je dois jouer un peu l'avocat du diable, quand on regarde de l'extérieur, quand on regarde de
01:18France, entre la crise de 2009, 2019 pardon, l'explosion du port de Beyrouth, 50% de la
01:24population constituée de réfugiés syrins, l'hyperinflation, 80% de la population qui vit
01:28sous le sol de pauvreté, et je pense que je pourrais continuer, on a quand même le sentiment
01:32que votre pays est en état de survie, voire plus.
01:35Oui, absolument. D'ailleurs, je dis le Liban, je commence en disant une phrase un peu ironique,
01:42le Liban, c'est l'état failli le plus réussi du XXIe siècle. Donc c'est tout dire. C'est parce
01:49que les Libanais, sur un plan individuel, semblent réussir, que ce soit au Liban ou à l'international,
01:57ou en France, les Libanais qu'on vend en France, pas la diaspora, ils semblent réussir,
02:01mais en même temps, au plan collectif, c'est une catastrophe. On a un État qui, jusqu'à il y a
02:07quelques mois, avait toutes les apparences d'un État failli, et encore plus depuis 2019, comme vous le
02:12dites, on a... D'abord, notre guerre a commencé en 1975, notre guerre récente, et elle a duré plus
02:21ou moins par intermittence jusqu'à aujourd'hui, avec des occupations, avec des phases de combat
02:26régulières, des attentats, voilà. Et en 2019, nous avons eu une crise économique colossale,
02:33qui a, comme peu de pays en ont connu, qui a détruit l'épargne des Libanais, qui a détruit
02:37les banques, qui a mis l'économie par terre. Après ça, nous avons eu l'explosion du port
02:42de Beyrouth le 4 août 2020, qui a laminé la ville. Ma propre fille a été blessée, donc
02:48je connais... Chaque Libanais, si vous allez là-bas ou si vous rencontrez des Libanais, chaque
02:54Libanais vous racontera l'histoire de sa survie ce 4 août, comment il a échappé
02:57au souffle de l'explosion, je rappelle, c'est la troisième explosion.
03:01Attendez, je vous interromps, mais ce n'était pas prévu, mais alors, quelle était la vôtre ?
03:04Quelle est la vôtre ? Quelle est votre histoire de survie ?
03:06Mais moi, je me rappelle très bien où j'étais, le 4 août 2020, il y avait... J'étais
03:10assis dans un bureau, avec ma femme, et nous avions en face de nous une grande bévitrée
03:17de 3 mètres sur 3. Je peux vous dire que pour la portée, c'est 500 kilos. Enfin, je
03:22vois, c'était très grand, et nous étions à 7 ou 8 kilomètres du lieu de l'explosion.
03:28Et la bévitrée s'est envolée littéralement et a atterri devant nous. Et un mètre plus
03:34loin, je ne serai pas là pour vous le raconter. J'ai des proches qui sont morts. J'ai beaucoup
03:43d'amis qui ont été blessés, et qui ont été blessés, par exemple, à la tête, et qui
03:47ont fait des kilomètres pour trouver un hôpital. Parce que les hôpitaux étaient
03:52tous bondés, ils ne trouvaient plus d'endroit où aller. Donc, voilà. Chaque Libanais vous
03:56racontera comment, par hasard, il est passé dans l'embrasure de la porte, où il a changé
04:02d'angle. Et c'est un miracle que nous ayons 200 ou 300 morts, et quand même 1 500 blessés
04:10graves, 5 à 6 000 blessés légers, on va dire. Mais parce que ça s'est produit en
04:16été, à 6 heures du soir. Si ça s'était produit en hiver, à la sortie des écoles,
04:22eh bien, on aurait eu des dizaines de milliers de morts.
04:24C'est la troisième explosion, la troisième plus forte explosion recensée après Hiroshima
04:31et Nagasaki.
04:32C'est dire.
04:33C'est dire.
04:35Donc, on a eu ça, et après, donc ça c'était le 4 août 2020, après on a eu la guerre
04:40entre Israël et le Hezbollah, fin 2024, d'une violence extrême.
04:44Donc, depuis l'octobre, et l'escalade.
04:47Absolument. Que j'ai vécu moi-même, personnellement, avec tous les Libanais d'ailleurs. Et donc,
04:52voilà, nous avons cet état de...
04:55Pardon, excusez-moi, je vous interromps. Vous dites que vous l'avez vécu personnellement
04:58parce que Beyrouth a été bombardée, principalement. Vous faites référence à cela.
05:02Parce que, vous savez, là où j'habite moi, je vous en parlais tout le temps, là où j'habite
05:07moi, c'est dans une ville qui s'appelle Badda, qui est en face de la banlieue sud fief du Hezbollah,
05:14la banlieue sud chiite. Et juste à côté, vous avez l'aéroport et vous avez la ville
05:18de Beyrouth. Et cette banlieue sud a été bombardée pendant deux mois, jour et nuit.
05:23Et donc, devant moi, je voyais le son, l'image et l'odeur des bombes, le soufre, l'odeur
05:31des... Pendant deux mois, sans lice continuait. Et moi et tous les Libanais, nous avons vécu
05:36ça. Et c'est... Je crois qu'on a vécu beaucoup de... Vous savez, j'ai vécu toute la guerre
05:44carrément, quasiment, de 1975 jusqu'à aujourd'hui. Et je n'avais pas de... Comment
05:51dit ? Je n'avais pas de trauma. Et c'est intéressant, c'est une histoire qui mérite
05:55d'être racontée parce que les... Vous savez, la première phase de la guerre civil a duré
06:01entre 1975 et 1990. Et à l'époque, les bombardements se faisaient par, voilà, des bombardements
06:09classiques, je dirais, donc des calibres de canons. Et dépendamment d'où vous étiez,
06:15vous pouviez vous cacher dans un endroit de votre immeuble. Dépendamment de l'orientation
06:19de votre immeuble, vous pouviez vous abriter, dépendamment de votre quartier. Donc vous
06:23aviez un certain contrôle sur la guerre. Vous pouviez vous protéger, vous pouviez
06:27anticiper. On savait à quelle heure les bombardements commençaient. Il y avait tout un rituel.
06:31Et puis tout le monde s'était barricadé. Il y avait des sacs de sable, il y avait tout
06:34ça. Ce qui s'est passé le 4 août 2020, c'est que c'est une bombe d'une ampleur inconnue
06:39qui a tout soufflé. Et depuis ce jour-là, chaque fois que moi et beaucoup de gens, nous entendons
06:46un bruit sourd, nous nous demandons qu'est-ce que c'est. Ce qui n'était pas le cas avant.
06:51Et depuis les bombardements, la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah, les bombes
06:57aériennes, ça détruit un immeuble automatiquement. Et donc il y a une violence de la guerre.
07:04Et puis il y a plus que ça. Israël a déployé une puissance technologique pendant cette
07:10guerre qui est vraiment impressionnante. On le sait parce qu'on connaît, on sait comment
07:15le Hezbollah a été laminé par Israël, comment les leaders du Hezbollah.
07:18Nous reviendrons d'ailleurs là-dessus, mais vous faites référence au Beeper.
07:20Absolument. Les Beepers et puis toute la maîtrise technologique, toute la maîtrise du ciel.
07:26Les Israéliens savaient où étaient les gens du Hezbollah. Et moi, il y a des histoires
07:30vécues qu'on m'a racontées. Donc des gens qui me l'ont dit à moi personnellement,
07:34qui me disaient, ils conduisaient une voiture sur l'autoroute et puis ils reçoivent un appel
07:38de quelqu'un qui leur dit, ralentissez, nous allons frapper la voiture devant vous.
07:44Et le monsieur croit au canular. Il raccroche, il se dit, c'est une blague.
07:50Et puis on le rappelle, on lui dit, ralentissez, je vous dis, vous vous appelez un tel.
07:56Votre voiture, c'est telle voiture de telle couleur, de telle marque.
08:00Voilà votre marque minéralogique.
08:02Vous vous appelez comme ça, etc.
08:03Vous êtes à tel endroit.
08:05Ralentissez, nous allons frapper la voiture devant vous.
08:08Et le monsieur ou la dame ralentissait effectivement.
08:12Et juste devant lui, on frappait la voiture qui était devant lui,
08:15qui appartenait, qui était conduite par un responsable du Hezbollah.
08:18Donc il y a un degré de...
08:20Alors vous perdez le contrôle.
08:22Ce que je veux dire, c'est que ce type de guerre-là,
08:24vous, en tant qu'être humain, vous le sentez complètement impuissant.
08:27L'écrasement de la technique.
08:29C'est exactement.
08:29C'est l'écrasement de l'être humain.
08:31Et donc, c'est voilà.
08:33Quand on dit état de survie, c'est ça.
08:35C'est que ça fabrique des êtres humains
08:37qui sont conditionnés d'une manière différente
08:40de celle de, je dirais, du reste de l'unité.
08:42Alors, malgré tout, dans votre essai, état de survie, donc,
08:46mais l'essai est traversé par l'idée que l'espoir renaît.
08:51Pour vous, les choses ne sont pas désespérées
08:53avec votre pays qui est donc dans un piteux état.
08:56Oui.
08:56Vous savez, je dirais que les Libanais n'ont pas trop le choix.
09:00Soit ils doivent espérer, soit ils vont devoir partir
09:02et ne pas regarder derrière eux.
09:04Et c'est toujours déchirant.
09:05C'est aussi l'histoire des Libanais, l'histoire de la diaspora.
09:08Ça fait depuis le 19e siècle que les Libanais quittent le Liban.
09:14Parfois pour y revenir.
09:15Souvent pour y revenir, mais aussi souvent pour ne pas y revenir.
09:20Aujourd'hui, il y a 3 ou 3 millions et demi de Libanais au Liban.
09:24Et alors, ça dépend des estimations.
09:26Il y a jusqu'à 15 à 17 millions de personnes d'origine libanaise
09:31à l'extérieur du pays, alors qu'ils sont parfois des Libanais
09:35de troisième ou de quatrième génération.
09:37Mais ça vous dit l'ampleur du mouvement de masse qui s'est produit.
09:40Et ça s'est produit dès la fin du 19e siècle,
09:44parce qu'il y avait l'Empire Ottoman,
09:45qu'il y avait une oppression, que les choses n'étaient pas évidentes.
09:49Après ça, nous avons eu au début du siècle dernier une famine immense
09:55qui a emporté toute une partie de la population libanaise.
09:58Juste après ça, il y a eu de nouveau des départs.
10:00Et puis, c'est l'histoire de ce peuple jusqu'à aujourd'hui.
10:04Depuis la guerre du Liban, on part et on revient.
10:07On part et on revient.
10:08Ma propre famille est en France, c'est vous dire.
10:11En raison évidemment du conflit.
10:14J'aimerais revenir sur la jeunesse de ce conflit.
10:16Mais avant cela, question peut-être plus liée à l'actualité,
10:20même si vous évoquez l'évolution des ingérences dans votre livre,
10:29le Hezbollah a été décapité.
10:30Vous l'avez mentionné avec l'assassinat de Nasrallah
10:33et les explosions de Bipper, des cadres du parti, en septembre dernier.
10:37À l'heure actuelle, question difficile,
10:39le recul du Hezbollah est-il un facteur de pacification
10:41ou d'instabilité pour le Liban, selon vous ?
10:44C'est une très bonne question.
10:47Je dirais que le recul du Hezbollah était une condition nécessaire,
10:53indispensable à faire émerger aujourd'hui ce nouveau président de la République.
10:58Nous avons un nouveau président depuis janvier 2025.
11:01Ça faisait plus de deux ans que nous avions un blocage.
11:04Joseph Aoun.
11:05Nous avons un nouveau gouvernement, un nouveau chef du gouvernement.
11:10Le premier ministre s'appelle Nawaf Salam.
11:12Nous avons un gouvernement.
11:13Et ce gouvernement a fait énormément de choses en quelques mois, en trois, quatre mois.
11:16Nous avons initié des réformes qui étaient impensables,
11:20qui étaient bloquées depuis cinq ou six ans.
11:24Nous pensons à d'autres réformes qui sont bloquées depuis des dizaines d'années.
11:27Maintenant, si le Hezbollah garde ses armes, ça sera un très mauvais signe pour le Liban.
11:40Parce que ça voudra dire que le règlement final et définitif,
11:44qui doit être un règlement politique, ce règlement ne sera pas à porter.
11:49Le Liban a absolument besoin aujourd'hui d'aller au-delà des simples réformes administratives ou économiques ou financières
11:58pour aller vers une réforme politique.
12:01Et c'est ça en fait la clé.
12:03Ça fait 35, 36 ans, depuis la fin de la guerre du Liban en 1989, il y a eu l'accord de Taef.
12:09Lors de cet accord, il y a eu des conversations entre Libanais très approfondies
12:15sur comment il faudrait avancer pour régler le problème du Libanais
12:20qui est à la fois un problème, mais quelque part qui a sauvé le Liban.
12:25Le confessionnalisme politique, ce qu'on appelle les communautés religieuses libanaises,
12:30il y en a 18, ce sont des identités politiques, en même temps très marquées.
12:34Vous pouvez ne pas être très pratiquant, voire pas très croyant.
12:38Mais votre identité est très forte.
12:41C'est une identité politique très marquée.
12:43Chrétien, musulman, sunnite, chiite, druze, ça correspond à une identité politique et sociale.
12:47Rappelons que le président est forcément chrétien maronite,
12:50que le premier ministre est forcément sunnite,
12:53et que le président de l'Assemblée nationale est forcément chiite.
12:57Absolument.
12:59Ce confessionnalisme politique a en quelque sorte institutionnalisé la division du Liban
13:04en morceaux rivaux, si je peux dire, en communauté rivale.
13:11Et tout l'enjeu du livre, c'est de dire que ça fait 200 ans que ça dure,
13:15que nous avons le même mécanisme, que tous les 30 ans à peu près,
13:20nous avons une crise, nous quasi détruisons le pays,
13:24ou en tout cas nous avons une crise de grande ampleur, et puis on recommence.
13:29Et la raison de ça, c'est les divisions internes au pays,
13:33c'est un mécanisme assez simple en fait, c'est les divisions internes au pays,
13:36et puis les influences externes, les gens qui veulent avoir leur mot à dire
13:40dans ce Liban qui est à la porte de l'Orient.
13:42Alors ça a été les Turcs, puis les Français, les Anglais, les Iraniens, les Syriens,
13:47les Américains, les Soviétiques, et j'en passe.
13:50Donc ce système du confessionnalisme politique, il a le travers d'avoir divisé le pays,
13:55il a un seul avantage, ironique, c'est que le Liban est peut-être le seul pays arabe
14:03qui n'a jamais connu la dictature, qui n'a jamais connu un Saddam ou un Assad,
14:08parce que le confessionnalisme est institutionnalisé au Liban,
14:12de telle sorte qu'aucune communauté ne peut vraiment dominer les autres.
14:16Or le dictateur devrait venir d'une communauté forcément,
14:19parce que telle est la construction du pays.
14:21– Mais c'est aussi la fragilité du Liban,
14:25puisque c'est une invitation aux ingérences étrangères.
14:28– Absolument, et c'est le cas depuis 200 ans, une ingérence après l'autre.
14:33Et nous passons, pour caricaturer un peu les choses,
14:37je dirais que nous passons d'un mandat à un autre quasiment.
14:39Il n'y a pas eu que le mandat français, il y a eu un mandat syrien par exemple.
14:43Et on pourrait en parler, il y a eu une succession d'influences.
14:46Et aujourd'hui, ce qu'il faut faire, je parlais de l'accord de Taef,
14:50c'est que pour essayer de faire avancer le Liban dans la réforme politique,
14:56il faudrait faire deux choses.
14:58D'une part, il faudrait réduire l'influence du communautarisme dans le pouvoir exécutif.
15:02C'est-à-dire avoir un État où on était arrivé à un point où,
15:06ce n'était pas seulement le président ou le premier ministre,
15:08c'était si vous voulez nommer n'importe quel petit fonctionnaire,
15:11il fallait se poser la question de quelle communauté il est originaire.
15:14Vous voyez, donc, ça devenait ingérable.
15:18Et donc, il faudrait essayer de déconfessionnaliser l'appareil exécutif,
15:22l'administration, autant qu'on.
15:24Mais en même temps, il faut rassurer les communautés.
15:26Et pour rassurer les communautés,
15:28on peut faire en sorte que le processus électoral, l'Assemblée nationale,
15:33soit peut-être déconfessionnalisé aussi,
15:34mais créer un Sénat qui aurait un visage un peu plus confessionnel,
15:38donc un certain équilibre des pouvoirs au niveau législatif,
15:40et puis aller vers une décentralisation administrative poussée
15:45qui rassurerait les communautés sur leur sort,
15:48les chrétiens, mais aussi les chiites ou les druzes,
15:51donc déjà toutes les minorités, et puis même les sunnites eux-mêmes.
15:54Donc, ce que vous demandez, c'est quand même un maintien de l'équilibre
15:57entre les communautés, en revoyant le modèle qui était pensé pour être équilibré.
16:01En essayant de créer une dynamique pour que l'horizon de ces communautés
16:07ne soit pas seulement la division,
16:09pour qu'il y ait un espace qui soit laïcisé, en quelque sorte,
16:13où on puisse développer les prémices d'une citoyenneté libanaise, en fait.
16:18Enfin, je dis les prémices, il existe une citoyenneté libanaise,
16:21mais elle n'est pas assez marquée.
16:23Elle est marquée par le confessionnalisme.
16:25Il faut aller vers une identité libanaise.
16:28Et en ce sens-là, je veux dire que je suis pour la décentralisation administrative,
16:33pas du tout pour la partition.
16:35Je ne suis pas pour la partition du Liban, ce serait une catastrophe.
16:39Le recul de la France est-il nécessaire ou regrettable au Liban ?
16:42On sait que la France a été déterminante pour l'essor de l'État libanais moderne
16:47à la fin du XIXe.
16:48Aujourd'hui, plus d'un siècle plus tard, presque deux siècles plus tard,
16:51la France, évidemment, n'est pas aussi déterminante qu'elle l'était.
16:56Est-ce nécessaire pour le Liban ?
16:57Vous savez, le Liban moderne a été créé par la France.
17:02Le Liban, aujourd'hui, dans ses frontières actuelles,
17:04a été créé il y a 100 ans par la France.
17:07Et dans le livre, je dis que nous avons une crise de 200 ans, effectivement,
17:11qui a commencé avec l'effondrement de l'Empire ottoman,
17:15lequel l'Empire a mis 100 ans à s'effondrer,
17:17du début du XIXe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale.
17:21Après cela, il a cessé d'exister.
17:24Et la France a pris le relais au Liban.
17:25Et la France a créé le Liban dans ses frontières actuelles,
17:29je dirais, ce qu'on appelle le Grand Liban.
17:31Et pour la petite histoire, les frontières de ce Grand Liban créé en 1920
17:37avaient été tracées déjà par l'armée française,
17:40par l'expédition française en 1860.
17:42Parce qu'il y avait eu déjà des combats en 1860 au Liban.
17:46Et la France avait dépêché son armée pour régler ça.
17:50Et il y a une carte, dont j'ai le document, si vous voulez,
17:56qui trace les frontières du Liban,
18:00telles que définies par l'armée française en 1860,
18:02qui correspondent peu ou prou au Liban actuel,
18:04au Grand Liban actuel.
18:05Sachant que le Liban, à l'origine,
18:08le Liban historique faisait le tiers de ce Grand Liban,
18:13qui était concentré autour de Beyrouth.
18:15Donc, que fait la France ?
18:16La France a tracé les frontières du Liban.
18:19Elle a tracé les frontières de la Syrie,
18:21contemporaine aussi.
18:23Et elle continue de jouer un rôle fondamental au Liban,
18:27et je dirais aussi en Syrie.
18:28On a vu la visite du président syrien
18:31quelques jours chez le président Macron.
18:34La France parle, son point fort,
18:37c'est qu'elle parle à tous les acteurs.
18:39Elle parle au Liban,
18:41elle parle aux sunnites, aux chiites,
18:43aux hezbollahs, aux chrétiens, aux druzes.
18:46Elle parle aussi en Syrie à Ahmed El-Shara.
18:49Elle parle aux halawites,
18:50elle parle aux kurdes.
18:51Et d'ailleurs, c'est la France qui a eu un accord
18:53entre le président syrien El-Shara et les kurdes,
18:57il y a deux mois.
18:58Et la France a joué un rôle important
19:00pour la signature de cet accord.
19:03La France parle à l'Iran,
19:05elle parle à l'Israël,
19:05elle parle à la Turquie.
19:07Donc, elle parle à tout le monde.
19:10Alors, son rôle ne se définit,
19:14elle ne peut remplir pleinement son rôle
19:16qu'en accord avec les États-Unis.
19:17C'est ce que le président Macron a dit d'ailleurs
19:19lorsqu'il a reçu le président syrien.
19:21Il y a une concomitance des deux rôles
19:24parce que les États-Unis ont une puissance militaire
19:26telle qu'ils peuvent faire basculer les choses.
19:28Mais derrière, la France peut jouer un rôle diplomatique
19:30très important.
19:31Pourquoi ?
19:32Parce qu'aujourd'hui, l'enjeu,
19:35après toutes les guerres qu'on a vues,
19:37on a vu depuis le 7 octobre 2023,
19:40le Hamas qui a été largement laminé,
19:43le Hezbollah qui a été largement laminé,
19:46les Houthis au Yémen qui se font bombarder,
19:48Bachar el-Assad qui a dû partir.
19:52Donc, ce sont les alliés de l'Iran qui ont dû reculer.
19:56Et en fait...
19:56Et l'Iran avec ?
19:57Si on veut refaire très rapidement l'historique de la région
20:01sur les 10-15 dernières années,
20:03il y a eu les printemps arabes.
20:05Et les printemps arabes, c'est en fait l'effondrement
20:07des États arabes.
20:08C'est ce qu'on peut observer.
20:09La Syrie, l'Irak, le Yémen,
20:12même l'Égypte a connu une phase
20:14où le président Moubarak est parti,
20:17puis il y a eu les frères musulmans.
20:18Maintenant, il y a de nouveau un président,
20:19mais il y a eu une répression très forte en Égypte.
20:21Donc, il y a eu un affaiblissement un peu
20:22entre autres de la Syrie et de l'Irak,
20:24vraiment une guerre civile.
20:26Et concomitamment à l'affaiblissement des États arabes,
20:29il y a eu la montée en puissance
20:30de les trois États non arabes
20:32qui sont Turquie, Iran et Israël.
20:34Ils sont montés en puissance
20:35par rapport au reste des États arabes.
20:37Et là, dans cette phase, l'Iran recule.
20:41Je viens de vous faire la liste
20:43des défaites iraniennes.
20:45Donc, l'Iran recule.
20:46Et sur le terrain syrien,
20:47la Syrie, c'est le centre de gravité
20:48du Proche-Orient.
20:49Si vous regardez la carte, c'est le centre.
20:51Qu'est-ce qu'il reste ?
20:52L'Iran est parti.
20:53Il reste Israël et la Turquie
20:56qui sont en rivalité très forte
20:58sur le terrain syrien.
21:00Et la Turquie, alors le président syrien
21:03actuel, c'est un des alliés de la Turquie.
21:06Il est venu du nord, de la région contrôlée
21:08et soutenue par les Turcs.
21:10Et les Turcs ont essayé de déployer des bases,
21:13de prendre le contrôle de la Syrie.
21:15Et les Israéliens les ont massivement bombardés
21:17pour les en empêcher.
21:18Donc, cette rivalité israélo-turque,
21:20l'enjeu, c'est que la Syrie,
21:22elle, ne s'effondre pas.
21:23Qu'elle reste un État unitaire,
21:26même s'il y a une fédéralisation interne.
21:28Parce que si elle s'effondre,
21:29s'il y a une partition,
21:30c'est toute la région qui va s'effondrer.
21:32Il y a des Kurdes en Syrie
21:35et il y a des Alaouites.
21:36Alors, si vous avez une partition de la Syrie
21:39avec un État kurde et un État Alaouite,
21:41il y a 15 millions de Kurdes en Turquie
21:42et 10 millions d'Alaouites en Turquie aussi.
21:45Qu'on appelle Alevi en Turquie.
21:47Donc, vous imaginez l'impact sur la Turquie.
21:50Et s'il y avait une partition de la Turquie
21:52et de l'Iran potentiellement,
21:54c'est tout le Proche-Orient,
21:55c'est tout le Moyen-Orient
21:56qui devient ingérable.
21:57Et vous avez la Russie juste au-dessus.
21:59Il y a la Russie et la Chine.
22:00Donc, pour les Américains, ça devient...
22:03Et pour les Libanais...
22:03Justement, pour le rôle des États-Unis au Liban,
22:07au Proche-Orient peut-être de manière plus générale,
22:09vous évoquez dans votre livre
22:10qui retrace les deux derniers siècles du Liban,
22:14vous revenez en 1958 sur la venue des GIs au Liban.
22:19Encore une fois, 75 ans plus tard,
22:21diriez-vous que l'influence...
22:22Peut-on dire de manière si catégorique
22:24que l'influence américaine a été bénéfique
22:26ou non pour le Liban ?
22:27Sachant que vous revenez encore une fois
22:28sur toutes ces réservances,
22:30tous ces mandats différents.
22:32Le Liban, c'est...
22:33Bon, c'est un État très fragile.
22:36Ce n'est plus le seul.
22:37Là, on a quelque chose qui s'appelle la libanisation.
22:41Maintenant, c'est devenu un terme utilisé.
22:43On a eu la libanisation du Moyen-Orient,
22:45du Proche-Orient.
22:46La Syrie a éclaté.
22:48L'Irak a éclaté.
22:49Tous ces pays-là ne peuvent pas...
22:52Aujourd'hui, ils sont très fragilisés.
22:54Avec les rivalités régionales,
22:56ils peuvent difficilement avancer sans soutien.
22:58En particulier, le Liban.
23:00Et moi, ce que je dis dans mon livre,
23:01je termine par ça,
23:02je dis que le Liban a absolument besoin
23:04de la communauté internationale,
23:06ce que j'appelle la communauté internationale.
23:08Donc, la France, les États-Unis,
23:11les États du Golfe,
23:13surtout pour leur soutien économique et financier,
23:16mais aussi politique.
23:17Là, le président Joseph Aoun est en visite
23:20dans les États du Golfe
23:21pour leur demander
23:22de permettre de nouveau à leurs ressortissants
23:24d'arrêter cet embargo du Liban
23:26et de permettre à leurs ressortissants
23:28de revenir au Liban.
23:30Et aujourd'hui,
23:31ces États arabes du Golfe
23:32sont en train de permettre
23:33à leurs ressortissants de revenir
23:34parce que le Hezbollah a été défait.
23:37Et le Hezbollah était un peu
23:38la bête noire des États du Golfe.
23:41Donc, les Américains peuvent jouer
23:44un rôle déterminant.
23:45Il faut soutenir le Liban.
23:46Et on sait aujourd'hui
23:49qu'il y a une envoyée spéciale américaine
23:52aujourd'hui pour le Liban
23:54qui s'appelle Morgan Ortagus.
23:56Alors, c'est l'adjointe de M. Steve Whitcoff,
23:59qui est le conseiller du président Trump.
24:03Cette dame revient régulièrement au Liban
24:06et elle joue aujourd'hui un rôle déterminant.
24:08Elle a une influence sur le cours des choses.
24:10On le sait.
24:10Donc, au-delà de ce qu'on peut penser
24:13de cette influence en bien ou en mal,
24:17il est clair que le Liban,
24:19à mon sens,
24:20a absolument besoin du soutien,
24:21spécialement aujourd'hui,
24:22de la communauté internationale.
24:25Sinon…
24:26Alors, j'ai deux questions
24:27parce que les États-Unis
24:28ont évidemment un premier allié,
24:29d'ailleurs dans le monde,
24:30mais un premier allié dans la région,
24:31à savoir l'État hébreu.
24:32Est-ce qu'il y a concrètement des conflits à l'intérieur ?
24:35Peuvent-ils vouloir, entre guillemets,
24:36le bien de plusieurs parties dans la région
24:38si leur premier allié, c'est l'État hébreu ?
24:41Écoutez, je pense que le Liban
24:43n'a pas vraiment de contentieux
24:45avec l'État hébreu de manière…
24:47dans l'absolu.
24:48Il faut définir la frontière
24:50entre le Liban et Israël.
24:52Ça a été fait sur le plan
24:54de la frontière maritime,
24:55par un accord qui a été signé
24:57il y a déjà deux ans.
24:59Et il manque de définir
25:00la frontière terrestre.
25:01Mais après cela,
25:04ce qu'il faut faire,
25:05c'est tout simplement
25:07cesser d'arrêter la bataille.
25:10Je pense personnellement
25:12que le Liban ne doit plus faire la guerre
25:13à personne.
25:15Le Liban doit…
25:16et surtout ne plus faire la guerre
25:17des autres sur son propre territoire
25:18parce qu'il l'a fait depuis 50 ans.
25:22Il a fait la guerre de tout le monde
25:23et on pourrait en parler.
25:24Des Palestiniens, des Syriens,
25:26des Iraniens
25:29et de bien d'autres.
25:31Et il faut arrêter ça.
25:34Alors, je précise une chose
25:36qui est importante,
25:37c'est que le Liban sera
25:38le dernier État
25:39s'il y a normalisation
25:41avec l'État hébreu.
25:42Le Liban sera le dernier État
25:43à le faire
25:44parce que c'est le maillon faible
25:45de la chaîne.
25:46Mais aujourd'hui,
25:47il paraît que le président syrien
25:49envisage ça.
25:50C'est ce que le président Macron
25:51a dit dans sa dernière intervention,
25:52que le président syrien
25:53envisageait la paix avec Israël
25:56et le président syrien
25:58n'a pas pipé mot
25:59qui était juste à côté de lui.
26:01Et donc,
26:03alors,
26:04est-ce que le règlement
26:05interviendra très rapidement ?
26:07Est-ce que c'est lié
26:08au dossier israélo-palestinien ?
26:10Palestiniens ?
26:11Oui, sans doute.
26:14Mais après,
26:14encore une fois,
26:16je pense que le Liban
26:17doit arrêter
26:18de faire la guerre des autres.
26:19Arrêter de faire la guerre des autres.
26:21Dernière question.
26:22Il faut être oublié et lou.
26:23En 2019,
26:25vous le rappelez d'ailleurs
26:26dans votre livre,
26:26la communauté internationale
26:28a laissé le Liban
26:29subir seule la crise.
26:30Aujourd'hui,
26:31vous appelez à une aide internationale,
26:33mais vous établissez
26:33deux scénarios.
26:34Un scénario pessimiste
26:35avec le Liban
26:36qui resterait prisonnier
26:37des contentieux régionaux
26:38et un scénario plus optimiste
26:40donc avec cette aide internationale.
26:41internationale, massive.
26:43Votre cœur, évidemment,
26:44espère la deuxième option.
26:47Que dit la réalité
26:48de la géopolitique régionale,
26:51à votre avis ?
26:51La réalité,
26:53c'est que notre sort
26:54est très lié
26:55à celui de la Syrie.
26:58Parce que,
26:59déjà,
27:00il y a 3,5 millions de Libanais,
27:01il y a 2 millions
27:02de déplacés syriens au Liban.
27:04Rien que ça, déjà.
27:06Puis le Liban,
27:06la distance entre Beyrouth et Damas,
27:08c'est 90 kilomètres
27:09entre la capitale libanaise
27:11et la capitale syrienne.
27:12C'est moins que Paris-de-Ville.
27:13Oui.
27:14De la capitale libanaise
27:15à la frontière
27:16et à 50 kilomètres.
27:17Donc, ça vous dit vraiment.
27:18Le Liban est très petit,
27:20la Syrie est beaucoup plus grande
27:21et notre sort
27:22dépend du sort de la Syrie
27:24en grande partie.
27:26Et le président syrien
27:26a fait une déclaration
27:27il y a quelques mois.
27:28il a dit
27:29pour la Syrie,
27:31il faut attendre 3 ans
27:32pour avoir une constitution
27:33et 4 à 5 ans
27:35pour avoir un président.
27:37Parce que lui,
27:37un président élu,
27:38parce que lui n'est pas élu.
27:40C'est un président
27:40autoproclamé, je dirais.
27:43Et donc,
27:44s'il faut tellement de temps
27:46pour que la question syrienne
27:47se règle,
27:48ce que je crains,
27:49c'est qu'il faille
27:50autant de temps
27:51pour que le Liban
27:53avance vraiment
27:53sur la voie du règlement.
27:54C'est-à-dire qu'au-delà
27:55des règlements
27:56économiques et financiers,
27:59la réforme politique
28:00installe le Liban
28:01dans quelque chose
28:02de beaucoup plus stable.
28:04Ça met des années.
28:05J'espère que je serai démenti.
28:07Vous espérez être démenti.
28:09Eh bien, écoutez,
28:09Fouad,
28:09merci encore
28:11d'avoir répondu
28:11présent à l'appel
28:12de Choc du Monde.
28:13Je rappelle que vous êtes
28:14l'auteur de l'essai
28:15Liban, état de survie
28:16aux éditions Max Milot.
28:18Merci à tous
28:18d'avoir suivi cet épisode
28:20de Choc du Monde.
28:21Surtout, surtout,
28:21ne l'oubliez pas
28:22de le commenter
28:22et évidemment de le partager.
28:24Merci.
28:24Hebe un sceutus.

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