Peut-on être chrétien et démocrate ? Bien sûr, puisque certains le proclament et vont jusqu’à se faire appeler chrétiens-démocrates, voire démocrates-chrétiens ! À quoi Christian François, fort versé dans la littérature du grand siècle, répondrait qu’il y a bien des poissons volants, des veaux marins, sans compter la fameuse chauve-souris de La Fontaine, qui tantôt se dit rat, et tantôt volatile. Il en va de même de la question que pose son ouvrage "Peut-on être chrétien en démocratie ?" : pour y répondre, encore faut-il savoir ce que l’on entend par "chrétien", ce qui n’est pas trop difficile, et par "démocrate", ce qui l’est infiniment plus… Pour résoudre le problème, l’auteur a épluché scrupuleusement la littérature chrétienne, de l’Ancien testament jusqu’aux dernières Encycliques, pour aboutir à une réponse qui en étonnera plus d’un, mais dont on réserve la surprise aux téléspectateurs et lecteurs.
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00:00– Bonjour à tous, un Zoom aujourd'hui avec notre invité Christian-François.
00:10Bonjour Monsieur. – Bonjour Monsieur, merci de m'en recevoir.
00:12– Christian-François travaille pour un grand groupe français
00:16et il publie l'ouvrage dont on va parler dans un instant.
00:19Peut-on être chrétien et démocrate ?
00:23Un ouvrage édité aux éditions de Fleur et préfacé par Rémi Bragg,
00:29membre de l'Académie des sciences morales et politiques
00:31et également historien de la philosophie chrétienne, juive et arabe.
00:36Alors Christian-François, vous nous dites que les hommes ignorent presque tout du monde
00:41dans lequel ils vivent et qu'ils se flattent d'avoir entièrement construit.
00:46Alors à côté de quoi l'homme passe-t-il ?
00:50– Alors ça serait un peu présomptueux de ma part de vous expliquer
00:53à côté de quoi nous passons tous collectivement,
00:56mais une chose est à peu près certaine me semble-t-il,
00:58lorsqu'on adopte un point de vue chrétien sur la société démocratique
01:02dans laquelle nous vivons, c'est qu'il est très dur pour les hommes d'aujourd'hui,
01:05pour nous d'une certaine manière, car nous en sommes malgré tout solidaires,
01:08d'accepter l'idée que le monde n'est pas fait à notre image.
01:12Et vous voyez, c'est déjà une phrase qui évoque quelques échos
01:15et il y a une aspiration proprement démocratique, me semble-t-il,
01:20et qui est assez, ce qui se confirme un peu à la lecture de beaucoup de textes,
01:23une aspiration proprement démocratique à se substituer au Créateur
01:28et à adopter une posture véritablement divine
01:30dans la façon dont on envisage le monde qui nous entoure.
01:34– C'est vieux ça, la façon dont l'homme se met à la place du divin, du Créateur ?
01:39– Alors j'aurais tendance à vous dire, là encore d'un point de vue chrétien,
01:42que ça commence au paradis terrestre, lorsqu'un certain serpent dit à Adam et Ève
01:46que vraiment le bon Dieu ne les traite pas comme il le mérite
01:51et que s'ils acceptent d'écouter ce qu'il leur suggère, tout ira beaucoup mieux.
01:54– J'entendais en tout cas depuis l'incarnation, depuis le Christ,
01:59depuis l'arrivée du Christ sur Terre.
02:01– Mais d'une certaine manière, c'est en fait la tentation naturelle de tout homme
02:04et c'est peut-être ce qui caractérise, c'est peut-être le meilleur résumé possible
02:10de ce qu'est le péché dans une perspective chrétienne,
02:13c'est-à-dire substituer, et en cela il y a une sorte de continuité
02:16absolument remarquable dans l'Écriture entre l'Ancien et le Haut Testament,
02:21substituer à Dieu une idole, que ce soit pour l'homme lui-même ou toute autre chose.
02:28Mais c'est cette lutte contre l'idolâtrie qui pourrait être en fait
02:32une sorte de point commun de tous les textes que j'ai essayé de lire
02:36et de toutes les théories qui permettent d'analyser,
02:40de comprendre la démocratie telle qu'elle est aujourd'hui.
02:43– Alors vous allez totalement à l'encontre de ce qu'on nous apprend
02:47dans les classes de l'éducation nationale,
02:49puisque vous nous dites que la démocratie n'est pas la fille d'Athènes,
02:53mais bien celle de l'Église.
02:56– Alors ça j'en suis convaincu, mais…
02:57– Athènes c'était moins sensant avec la démocratie à son apogée,
03:01en tout cas Athènes.
03:02– Exactement, mais précisément, et c'est d'ailleurs entre la démocratie athénienne
03:07à son apogée et l'émergence de la démocratie libérale moderne
03:11à la fin du XVIIIe siècle, il y a quand même une solution de continuité
03:15assez considérable.
03:16Et alors je ne me permettrais pas d'aller à l'encontre de l'enseignement
03:19de l'éducation nationale, loin de moi une pareille audace,
03:21mais heureusement en disant cela, j'ai quand même un certain nombre
03:24d'autorité tout à fait éminente pour me soutenir,
03:27un très bon exemple étant Lord Acton, le grand écrivain libéral,
03:31catholique d'ailleurs, qui explique qu'en fait cet extraordinaire système
03:35de protection des libertés, des droits individuels
03:38qui caractérise sous l'angle juridique, en tout cas la démocratie moderne,
03:41mais en fait n'est pas issu de la démocratie antique,
03:45qui était assez totalitaire à bien des égards,
03:47mais plutôt de ce qu'il appelle une extraordinaire construction juridique
03:52du droit canon. Et effectivement, l'expérience cruciale,
03:56si on peut dire, à la démocratie libérale moderne,
03:58qui est l'élection, en fait, cette expérience,
04:01elle est d'abord et avant tout issue de la pratique de l'Église.
04:03Ce sont les moines choisissant leur abbé,
04:05ce sont les premiers chrétiens élisant leur évêque,
04:08et non pas les consuls romains ou les stratèges athéniens.
04:13– Ou la population choisissant Barabbas plutôt que le Christ.
04:16– Alors ça pourrait être une autre forme de démocratie,
04:18mais là en effet on voit que la contradiction est assez flagrante
04:21avec l'enseignement de l'Évangile, on est d'accord.
04:23– Alors, vous nous dites que si c'est le christianisme
04:26qui a rendu possible le régime politique démocratique,
04:30les idées démocratiques sont une inversion du message christique.
04:35– Alors, c'est très bien résumé, mais d'une manière…
04:40– Je vous cite ça.
04:40– Sans diplomatie, alors j'ai pu par moment…
04:43– Vous avez manqué de diplomatie.
04:43– Il manquait un peu de diplomatie.
04:45Mais en tout cas, en fait, il y a deux façons d'envisager cela,
04:49et il me semble qu'ils convergent.
04:51La première, très simple, c'est qu'une très grande partie…
04:56Enfin, l'essentiel de l'enseignement de l'Église sur ces matières politiques
05:01peut se rattacher à quelques passages, à quelques phrases très simples de l'Évangile.
05:06Ou des épîtres, mais qui ne font que le traduire.
05:11Et vous vous souvenez, dans le récit de la Passion,
05:15le Christ dit à un moment à Ponce-Pilate
05:18que Ponce-Pilate serait incapable de lui faire aucun mal
05:21s'il n'avait reçu le pouvoir d'en haut.
05:23Et cette phrase se retrouve traduite presque exactement par saint Paul.
05:27Alors, on le cite souvent en latin,
05:28« Omnis potestas adeo », mais après, en gros, ça se traduit,
05:32« Tout pouvoir vient de Dieu ».
05:34Et la base même de la démocratie, c'est de dire que la souveraineté émane du peuple.
05:40La base même de l'enseignement de l'Évangile,
05:42c'est de dire que toute souveraineté vient de Dieu.
05:43Donc, il y a une contradiction flagrante.
05:45Et effectivement, elle est d'autant plus flagrante
05:47que la conception démocratique qui est venue après,
05:50en fait, se substitue à la conception chrétienne
05:52dans laquelle c'est de Dieu qu'émane la souveraineté.
05:55Enfin, c'est en Dieu que réside la souveraineté
05:57et de Dieu qu'émane le pouvoir.
05:59– Et si la souveraineté n'émane pas de Dieu et qu'elle émane du peuple,
06:04donc la souveraineté n'est plus divine,
06:06comment peut-on la qualifier alors ?
06:08– Alors, je pense que le problème est entier.
06:10Je serais bien incapable de donner une réponse à cela,
06:13sachant que ça ne veut pas dire pour autant
06:15que l'enseignement de l'Église soit radicalement, comment dire,
06:19opposé à l'idée d'une forme démocratique du gouvernement.
06:24– Une émancipation de l'homme par rapport à Dieu.
06:26– Alors là, oui, si on comprend la démocratie
06:30comme l'émancipation de l'homme par rapport à Dieu,
06:32c'est évidemment incompatible avec le christianisme.
06:34Si on comprend la démocratie comme une forme de régime politique
06:37dans lequel les individus sont responsables d'eux-mêmes
06:40et prennent en main leur destin politique,
06:43la gestion des affaires de la cité, de la collectivité,
06:46alors l'Église n'a rien à dire.
06:47Et d'ailleurs, non seulement elle n'a rien à dire,
06:49mais souvent même elle peut l'encourager.
06:51L'exemple en est la vie des moines, des communautés religieuses,
06:55ou même l'enseignement d'un très grand théologien,
06:58mais aussi philosophe, juriste et même économiste
07:01de l'école de Salamanque au XVIe et au tout début du XVIIe siècle,
07:05Suárez, qui reprend la phrase de Saint Paul,
07:07qui dit « Tout pouvoir vient de Dieu à travers le peuple ».
07:10Et donc, il considère que c'est de toute façon
07:12toujours à travers le peuple que les dirigeants,
07:14les monarques à son époque, recevaient le pouvoir.
07:17– C'est le liable arbitre.
07:18– Alors, oui et non, en ce sens que, ça veut dire aussi
07:23que le pouvoir doit tenir pleinement compte de l'intérêt,
07:28l'exercice du pouvoir par les gouvernants doit tenir avant tout
07:31pleinement compte de l'intérêt des gouvernants.
07:33Et en ce sens, et là c'est très chrétien,
07:36ça signifie que quelle que soit la forme du régime,
07:38puisque c'est un peu une des conclusions à laquelle je suis parvenu,
07:41– La monarchie peut être démocratique.
07:43– Enfin, la monarchie, alors, là encore, il faut s'entendre
07:46sur ce que c'est que démocratique, parce que c'est une notion
07:49sur laquelle personne ne s'est jamais mis d'accord.
07:51Mais la monarchie peut être, tout comme certaines formes de démocratie,
07:55parfaitement compatible avec cet idéal de, comment dire,
07:59de l'intérêt du peuple.
08:01Et d'une certaine manière, et même avec la préservation
08:04des libertés individuelles, qui est censée être
08:07la grande conquête de la démocratie.
08:11Mais là encore, si on lit un peu, et si on se rapporte
08:14à des autorités qui me semblent assez valables
08:18et assez incontestables, Tocqueville dit de la monarchie
08:21de la France d'Ancien Régime qu'elle était hérissée de liberté.
08:24Et c'est effectivement tout à fait confirmé par tout ce qu'on peut lire
08:29du fonctionnement juridique et des institutions de l'ancienne France,
08:34c'est que les libertés individuelles et les libertés de certains groupes,
08:38de beaucoup de groupes sociaux, étaient inattaquables.
08:41Et que le roi lui-même, tout absolu qu'il était,
08:43étaient obligés de les respecter.
08:45À certains égards, peut-être plus encore qu'aujourd'hui,
08:48l'État démocratique ne respecte les libertés individuelles,
08:51alors qu'il est censé en être le garant,
08:53et qu'il est censé avoir pour principale mission de les préserver.
08:56C'est une autre histoire.
08:57– Vous dites ceci, Christian François,
08:59la démocratie a triomphé des modèles concurrents
09:02grâce aux espoirs qu'elle a fait naître.
09:04Où en est-on aujourd'hui des promesses de la démocratie ?
09:09– Alors, là encore, je peux vous livrer mon sentiment
09:13de citoyen d'une démocratie libérale occidentale,
09:19de modeste paroissien sans fonction particulière
09:22et d'écrivain amateur qui se lance dans une enquête
09:27tout à fait sérieuse sur ce sujet,
09:29enfin en tout cas tout à fait honnête et naïve.
09:30Ces promesses de la démocratie, là encore,
09:34et je pense qu'il faut vraiment distinguer
09:36entre la démocratie libérale moderne
09:39et cette démocratie antique qui est une sorte de modèle un peu rêvé,
09:44eh bien cette démocratie libérale moderne,
09:46elle nous fait une promesse aujourd'hui,
09:49et sa compatibilité avec l'enseignement de l'Évangile
09:51mérite d'être questionnée, disons,
09:54elle nous fait la promesse d'une émancipation individuelle illimitée
09:58et d'une abondance matérielle presque illimitée.
10:04Je pense que ces deux promesses sont toujours valables.
10:07– La promesse du citoyen et du consommateur.
10:09– La promesse du citoyen et du consommateur à bien des égards.
10:12Et que, alors, la promesse du consommateur,
10:15enfin plutôt les promesses faites au consommateur,
10:18elles se heurtent assez régulièrement à des obstacles
10:22qui sont tout ce qu'il y a de plus tangible, matériel, économique.
10:27Et donc, en effet, par un mécanisme de compensation assez logique,
10:32la démocratie s'est engagée dans une espèce de folle échappée
10:37sur les promesses faites aussi à l'individu citoyen,
10:39parce que là, pour le coup, on est dans l'ordre de la théorie.
10:44– C'est le hamster qui court dans sa roue.
10:46– Alors, c'est notre condition à tous.
10:50Tous les habitants du monde moderne sont des hamsters
10:53qui courent, qui pédalent, enfin que sais-je.
10:57Mais disons que le terme ou l'objectif poursuivi
11:01est dans un cas relativement facile à identifier.
11:06C'est une forme d'abondance matérielle.
11:08Alors, le problème de cette abondance matérielle,
11:09là encore, d'un point de vue chrétien,
11:11c'est précisément qu'elle peut se substituer à tout le reste
11:14et devenir très précisément ce que nous évoquions tout à l'heure,
11:17à savoir une idole.
11:19Et d'autre part, cette émancipation individuelle,
11:23alors là, pose un problème plus considérable encore,
11:25puisque par définition, elle nous ramène
11:28à une situation encore plus lointaine
11:31que nous évoquions tout à l'heure,
11:33à savoir la promesse du serpent à Adam et Ève
11:35de pouvoir se libérer de la tutelle de cet insupportable créateur
11:39et d'être eux-mêmes comme des dieux.
11:40– Alors, une phrase qui va faire sauter au plafond
11:44« Les Républicains les plus parfaits »
11:46dans une société gouvernée par et pour le peuple,
11:49tout dirigeant suspect d'avoir un positionnement politique
11:52devrait être fusillé séance tenante.
11:55C'est une critique du système partisan radical.
11:59– Alors, je ne m'arrêterai pas d'être…
12:02Enfin, il me semble, et là, c'est vraiment un point de vue
12:05d'honnête observateur,
12:07c'est que le principe même de notre démocratie,
12:12c'est dans notre constitution,
12:13c'est un régime qui est conçu par le peuple, pour le peuple, etc.
12:18Par définition, ce qu'on appelle un positionnement politique,
12:21c'est les choses dont les journalistes raffolent.
12:23Ça consiste de manière implicite,
12:25mais sans beaucoup se cacher,
12:28à dire des choses dont on sait qu'elles sont ou fausses
12:31ou pas forcément essentielles,
12:32mais qu'on propose parce qu'elles vont vous rapporter des voix.
12:35Donc, ça veut dire que, implicitement…
12:37– Le clientélisme.
12:38– Voilà.
12:40Oui, ou pas nécessairement, en tout cas.
12:41Ça consiste à ce qu'on appelle le sens politique
12:43ou le positionnement politique,
12:44ça consiste à dire une chose
12:45parce que ça vous permet de gagner des élections.
12:48Les citoyens, sachant cela,
12:49et lorsqu'on leur révèle ça,
12:50devraient sortir leur fourche
12:52et aller chercher les dirigeants
12:54qui osent adopter un positionnement quelconque
12:56pour les ramener à la raison,
12:58c'est-à-dire, et leur mission première,
12:59qui est de défendre les intérêts de leur mandant
13:01et non pas choisir ce qui est le plus susceptible
13:04et de leur faire plaisir.
13:06– Alors, peut-être, la question centrale de cet entretien
13:08et qui renvoie au titre de votre ouvrage,
13:11quelle devra-t-être, quelle doit-être l'attitude
13:13du chrétien vivant dans un régime politique
13:17qui se prétend démocratique ?
13:18– Alors, il me semble,
13:21en ayant essayé de parcourir de la manière la plus exacte
13:25et la plus fidèle l'enseignement du magistère,
13:28que nous avons un très bon guide
13:32dans tout ce que nous dit,
13:35de tout ce que nous enseigne,
13:36notamment l'Église primitive,
13:38à savoir qu'à bien des égards…
13:40– Les apôtres, les premiers chrétiens.
13:42– Exactement, les premiers chrétiens.
13:44Parce que l'Occident a vécu,
13:46à peu près entre le IVe siècle,
13:48l'époque de Constantin,
13:50et en gros jusqu'au XIXe siècle,
13:52une sorte de parenthèse un peu miraculeuse
13:54dans laquelle la société a été chrétienne.
13:57– Le Moyen-Âge, en gros.
13:59– Même plus que ça,
13:59mais on pourrait appeler ça la chrétienté,
14:01une civilisation chrétienne,
14:02dans laquelle la population, les dirigeants,
14:06étaient adhérés à la même doctrine,
14:09au même enseignement qu'il y a celui de l'Évangile.
14:11Ce ne veut pas dire qu'ils étaient eux-mêmes
14:12des modèles de sainteté, on est bien d'accord.
14:14Mais il me semble que,
14:16et c'est concurrent,
14:17ou ça s'est fait avec l'avènement
14:19de la démocratie moderne,
14:20nous sommes sortis de cette…
14:22Cette parenthèse s'est refermée.
14:23Nous sommes sortis de cette période.
14:25Et à bien des égards,
14:26nous nous retrouvons dans une situation
14:27qui était assez comparable
14:28à celle des premiers chrétiens,
14:29qui vivaient dans un monde
14:30qui était hostile dans certains cas,
14:33mais en tout cas,
14:34qui reposait sur des fondements
14:35radicalement différents
14:37de ceux, des principes
14:39que ces premiers chrétiens défendaient.
14:41– Qui vivaient dans les catacombes.
14:42– Alors, parfois dans les catacombes,
14:44parfois soumis à des…
14:46parfois conduits aux martyrs,
14:49et soumis à des persécutions.
14:50– Faits par les lions dans le cirque,
14:51dénoncés par certains.
14:52– Mais pas nécessairement,
14:53puisque de toute façon,
14:54l'Église a pu, pendant ces siècles,
14:56grandir et finir par aboutir
14:58à cette espèce de succès extraordinaire
15:01que depuis,
15:03tous les clergés et tous les papes successifs
15:06ont rêvé à nouveau,
15:08et je pense, y compris actuellement,
15:10et en particulier depuis l'époque du Concile,
15:12et ce succès qu'ils ont cherché à renouveler,
15:14à savoir convertir César.
15:16Ce qui reviendrait aujourd'hui
15:16à convertir la démocratie.
15:17– Donc, il faut se battre pour le chrétien.
15:21Il faut y vivre dans ce monde prétendument démocratique
15:26sans lui appartenir.
15:27– Eh bien, ça, c'est très exactement…
15:29ça consiste à reprendre très exactement
15:31les paroles du Christ dans l'Évangile,
15:33qui dit, vous êtes dans le monde,
15:34mais vous n'êtes pas du monde.
15:35– Il faut respecter les institutions.
15:38– Ah, c'est une évidence.
15:39– Et là encore,
15:40si on a bien des…
15:42beaucoup de passages dans l'Évangile,
15:44notamment cette phrase
15:47que tout le monde connaît,
15:49extrêmement célèbre,
15:50et qui, à mon sens,
15:51n'est pas toujours forcément très bien comprise,
15:52il faut rendre à César ce qui est à César
15:54et à Dieu ce qui est à Dieu,
15:55ça enjoint les chrétiens
15:57de respecter les règles,
15:59de ne pas causer de scandale
16:01et de respecter,
16:03de faire en sorte que fonctionne convenablement
16:05la société dans laquelle nous sommes amenés à vivre,
16:07quelle qu'elle soit.
16:07– Cette phrase,
16:09la démocratie dans laquelle nous vivons
16:12est assimilable à une vaste structure de péché.
16:15Qu'est-ce que vous entendez
16:16par cette notion de structure de péché ?
16:18– Alors, pour commencer,
16:19je n'en suis pas l'auteur.
16:22Et, en fait, c'est une notion
16:26qui a été élaborée, d'abord,
16:29dans un certain nombre de textes
16:30d'encycliques de Saint Jean-Paul II,
16:33à plusieurs reprises durant son pontificat,
16:36et qui a été reprise dans le compadium
16:38de la doctrine sociale de l'Église.
16:40Et, en fait, c'est très simple,
16:41et en même temps, je pense que c'est un moyen
16:43très, très pertinent de comprendre
16:45le monde dans lequel nous vivons,
16:46là encore, d'un point de vue chrétien.
16:48Mais, ce qui consiste à dire que,
16:50au-delà du péché d'un individu,
16:52qui consiste à, en effet,
16:55à transgresser les règles
16:57pour satisfaire un désir,
16:58il y a une forme d'organisation sociale
17:01qui encourage les individus à pécher.
17:05Et, donc, ce qui ne diminue pas
17:06leur propre responsabilité,
17:08mais ce qui fait que ce péché,
17:09au lieu d'être une sorte d'événement ponctuel,
17:13d'accident, à certains égards,
17:14devient habituel, nécessaire, implicite,
17:18et impliqué par la forme même
17:20de la société dans laquelle nous vivons.
17:21– Voici que je vous envoie
17:22comme des agneaux parmi les loups.
17:24– Exactement.
17:25Et les loups se sont très bien organisés,
17:27il faut reconnaître.
17:28Et les loups sont très bien organisés
17:29pour que les agneaux finissent
17:30par se lasser de leurs conditions d'agneaux
17:32et passer de l'autre côté,
17:34parce que ça présente quand même
17:35beaucoup d'avantages, il faut reconnaître.
17:37– Le seul régime politique chrétien
17:39ne peut être, à vos yeux, que la sainteté.
17:41Qu'est-ce qu'on entend par la sainteté ?
17:43Est-ce qu'on peut être un saint à Paris ?
17:47Ou alors, est-ce qu'il faut se mettre
17:48au fin fond d'une grotte comme un ermite ?
17:50– Alors, l'expérience a montré
17:51que c'était plus facile au fond d'une grotte.
17:53Mais ce n'est pas non plus
17:54ce qu'enseigne l'Évangile
17:56et ce que nous demande l'Église,
17:57puisque là encore, il faut être dans le monde.
18:00Alors, je vous accorde
18:03que c'est un programme assez considérable,
18:06assez vaste.
18:07– La sainteté.
18:07– Mais en même temps, là encore,
18:10l'exemple des premiers chrétiens
18:11est également parlant.
18:13C'est-à-dire que,
18:15et ça revient à un aspect très concret,
18:18parce que lorsque saint Paul, notamment,
18:20écrit à ces communautés qu'il a créées,
18:25il leur reproche certaines choses très simples,
18:27notamment d'aller porter leurs différends
18:30devant le juge, en l'occurrence le juge romain,
18:33en leur disant, mais vous êtes débaptisés,
18:35vous pratiquez la charité évangélique,
18:37vous devez vous mettre d'accord entre vous,
18:39vous devez trancher entre vous vos litiges.
18:41Et donc, ce qu'on pourrait imaginer
18:45comme une chose totalement inaccessible
18:46et très abstraite, la sainteté,
18:48en tout cas, quand on se réfère
18:49à l'exemple de nos premiers chrétiens,
18:50alors il y avait aussi une forme, par exemple,
18:51de très large partage des biens.
18:54Est-ce que c'est encore envisageable pour nous ?
18:57Je ne sais pas.
18:58Ça ne l'était pas lorsque tout le monde
18:59était chrétien, parce que le problème
19:02se posait à l'échelle de la société
19:03tout entière.
19:04Si le christianisme ne concerne plus
19:06que de petites communautés,
19:07eh bien, peut-être que ce schéma,
19:10fondé sur la charité évangélique,
19:13l'amour fraternel, peut redevenir d'actualité.
19:16Enfin, là, je m'aventure un peu,
19:18mais peut-être que l'avenir nous réserve
19:20ce genre d'évolution.
19:22– Alors, on comprend qu'on vit dans une société
19:24qui s'apparente à une vaste structure de péché.
19:27On pourrait se dire, nous n'avons qu'à nous
19:29rattacher à l'Église pour avoir un repère.
19:32En même temps, vous dites qu'il existe
19:34un christianisme frelaté qui imprègne
19:37l'opinion dominante.
19:38Alors, à quoi est-ce qu'on peut se raccrocher
19:41et ce christianisme frelaté,
19:42qu'est-ce que ça veut dire ?
19:43– Alors, je pense que là,
19:45c'est très simplement la même idée.
19:49C'est une formulation peut-être un peu hasardeuse,
19:53mais de la fameuse idée de Chesterton
19:54sur les vertus chrétiennes devenues folles.
19:57Et il me semble que l'époque dans laquelle
19:58nous vivons en est une illustration
20:00absolument extraordinaire.
20:01– Vous n'allez pas nous dire du mal
20:02du pape François qui est décédé
20:04il y a pas très longtemps.
20:05– Des mortouïstes, certainement pas.
20:06– Non, non, mais de toute façon,
20:07lui, après, je pense qu'il a pu être contesté,
20:11critiqué, mais par définition,
20:14tout ce qu'il a fait s'inscrivait,
20:16non pas…
20:17Parce que ces vertus chrétiennes devenues folles
20:19dont parle Chesterton,
20:20ce sont des vertus chrétiennes
20:21qui vagabondent toutes seules,
20:22c'est-à-dire qu'elles sont séparées
20:23du corps de doctrine, de l'enseignement
20:25et de l'institution de l'Église.
20:27Or, le pape François…
20:28– La moraline, quoi.
20:29– Oui, si vous voulez.
20:31En tout cas, un ensemble de vertus
20:33ou de conceptions morales
20:35qui ne se justifient pas
20:37par les principes
20:38auxquels elles se rattachent,
20:40dont elles sont sorties,
20:41en fait, coupées de leurs sources.
20:43Et donc, par la force des choses,
20:46perdant toute signification,
20:47me semble-t-il.
20:48– Cette phrase que j'ai retenue
20:49de votre ouvrage,
20:51« L'affranchissement que le monde moderne
20:53est censé rendre possible
20:54n'a rien de commun
20:56avec la libération véritable
20:58que seule la foi en Jésus-Christ
21:00peut procurer ? »
21:03Qu'est-ce qu'elle procure cette foi ?
21:05C'est quoi cette libération ?
21:07– Alors, pour le coup,
21:10là, vous me demandez
21:10de décrire un État
21:11dont je suis encore assez éloigné
21:13puisque nous revenons
21:14à la sainteté que vous évoquiez
21:15tout à l'heure.
21:16– Vous êtes croyants.
21:17– Ah oui.
21:19– Vous sentez cet appel.
21:20– Voilà, c'est un appel.
21:21Mais je suis loin d'être parvenu
21:23à…
21:23Donc, je ne peux pas vous dire
21:24d'expérience en quoi ça consiste.
21:27En réalité, non, c'est très simple.
21:29Quand on voit les choses
21:30d'un peu loin et…
21:33Là, en réalité,
21:36l'époque démocratique,
21:39puisqu'elle se proclame démocratique,
21:41donc il faut faire confiance
21:42à nos contemporains,
21:43il faut…
21:44Lorsque tout le monde
21:45proclame quelque chose,
21:46lorsque tout le monde
21:46affirme quelque chose,
21:47on peut partir de l'hypothèse
21:48que, au moins,
21:50si ce n'est vrai,
21:51au moins,
21:52c'est sincèrement pensé.
21:54Et il y a cette époque démocratique
21:55qui encourage tout le monde
21:56à devenir le serviteur de soi-même.
21:57Le propre de l'Évangile,
21:59c'est d'inciter ceux qui le suivent
22:01à devenir les serviteurs
22:02de leurs frères.
22:03Donc, il y a effectivement
22:04une opposition radicale
22:05entre les deux.
22:07Et cette libération,
22:08elle est très simple.
22:08C'est celle de la pratique
22:09de la charité.
22:10C'est le modèle…
22:10C'est toujours l'imitation
22:11de Jésus-Christ.
22:12Donc, de ce point de vue-là,
22:13là encore,
22:14il y a une remarquable constance
22:17dans l'enseignement de l'Église
22:18tout au long de son histoire
22:19et qui remonte même, d'ailleurs,
22:20à ce qui l'a précédé,
22:22à l'Ancien Testament.
22:22Donc, cette libération,
22:25elle vient parce que,
22:28précisément,
22:29il est préférable,
22:30et là encore,
22:30c'est ce que disent les apôtres,
22:32après cette fait convenablement fouetter,
22:34d'ailleurs,
22:35ils expliquent qu'il est préférable
22:36d'obéir à Dieu
22:37plutôt qu'aux hommes.
22:38Et en effet,
22:39en obéissant à Dieu,
22:40on a un seul maître
22:41qui veut notre bien
22:42et en obéissant aux hommes,
22:43on a beaucoup plus de maîtres
22:44dont on n'est pas toujours sûr
22:46du caractère bienfaisant.
22:48– Vous en êtes sûrs.
22:49Et peut-être pour terminer
22:50cet entretien
22:50avec une touche plus légère.
22:52Christian, François,
22:53vous comparez
22:54le Tout-Puissant,
22:56le Créateur,
22:57le Dieu-Crétaire
22:58à ceci,
22:59un anarchiste conservateur.
23:02– Eh bien, écoutez,
23:03j'en suis intimement convaincu.
23:05Alors, conservateur,
23:06on l'a dit tout à l'heure,
23:07puisque tout l'enseignement
23:09de l'Évangile
23:10et toute la révélation
23:12nous encourage
23:14à maintenir l'ordre social
23:18parce qu'il est bénéfique
23:19pour les plus faibles.
23:21Et de ce point de vue-là,
23:23il y a une sorte de conservatisme
23:25qui est une expression
23:25de la charité.
23:27Pas forcément l'attachement
23:28à des règles pour les règles,
23:31pas à des traditions
23:31pour les traditions
23:32et encore moins des injustices,
23:33mais il est bon
23:34qu'il y ait un ordre
23:35dans la société.
23:36Et je pense que très...
23:38Et cet ordre,
23:39puisque Saint-Paul
23:40nous l'a rappelé,
23:41même le Christ lui-même
23:41dans le récit de la Passion,
23:43il vient de Dieu.
23:44Mais simplement le fait
23:46qu'un ordre existe.
23:46Et en revanche,
23:48ce que nous enseigne le Christ
23:49tout autant,
23:50c'est que la forme politique
23:52du régime,
23:53et à plus forte raison
23:53le pouvoir
23:54qui a une telle propension
23:56à se mettre
23:57à la place de Dieu lui-même,
23:58eh bien il ne faut pas
23:59lui accorder
23:59beaucoup d'importance.
24:00Et que même,
24:01au fond,
24:02il n'en a aucune.
24:03Et à la fin des fins,
24:04c'est précisément ça
24:05la véritable définition
24:06de l'anarchisme.
24:08C'est-à-dire,
24:08ce n'est pas la suppression
24:10d'un pouvoir,
24:11qui d'ailleurs
24:11n'est jamais viable,
24:13c'est simplement le fait
24:13de savoir que le pouvoir
24:15lui-même n'a qu'une valeur
24:16très, très, très relative.
24:19Peut-on être chrétien
24:20en démocratie ?
24:22C'est en tout cas
24:22la question
24:23que vous évoquez
24:24dans ce beau petit ouvrage
24:26à retrouver
24:27sur la boutique de TVL.
24:29Merci à vous, monsieur.
24:30Merci beaucoup.
24:30Sous-titrage Société Radio-Canada
24:34Sous-titrage Société Radio-Canada
24:35Sous-titrage Société Radio-Canada