La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (22 Mars 2025)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
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00:00Tout de suite, à 9h moins 10, la question philo Charles Pépin, et ce samedi, une question
00:05que vous pose Wafaa.
00:06Le bien-être nécessite-t-il de s'isoler dans sa bulle ou plutôt de favoriser l'altérité
00:11et le lien social pour obtenir de la reconnaissance ?
00:14Belle question Charles Pépin.
00:16Le bien-être nous demande-t-il de savoir nous isoler ou au contraire de nous engager
00:20dans le monde et dans la vie sociale ? Eh bien je crois que le bien-être et même surtout
00:24le bonheur nous demandent d'alterner les deux, d'alterner des moments d'isolement,
00:29et les moments de rencontre des autres, si nécessaire pour obtenir la précieuse reconnaissance
00:34dont nous avons besoin.
00:35Alors il y a un auteur qui est canonique et qui a écrit sur cette question, c'est ?
00:39C'est le philosophe allemand Hegel, dont le désir de reconnaissance est présenté
00:46comme le plus profond et le plus impérieux de tous les désirs humains.
00:49Probablement parce que nous allons mourir en sommes conscients, nous avons besoin de
00:53voir notre valeur reconnue par les autres.
00:55Vous voulez dire que si nous allons mourir, notre valeur, elle, ne mourra pas ?
01:01Voilà, c'est pourquoi la reconnaissance est à ce point vitale, parce que la reconnaissance,
01:06une fois qu'on a une valeur, cette valeur est comme éternelle.
01:09Et c'est pourquoi nous nous jetons dans le monde, dans la vie sociale, dans l'action,
01:13nous ne nous contentons pas du sentiment subjectif de notre valeur, mais nous battons pour qu'elle
01:17soit objectivement reconnue par les autres.
01:21Et les autres font la même chose, et on comprend mieux la fameuse expression de Hegel qui parle
01:25d'une lutte à mort de pur prestige.
01:27Alors, explication de texte, une lutte à mort de pur prestige, ça veut dire que chacun
01:32demande à l'autre exactement la même chose, et cette reconnaissance, c'est ça pour Hegel,
01:38le véritable bonheur, ou en tout cas le Graal qu'on doit chercher.
01:41Mais ça veut dire aussi que c'est très fatigant, car nous n'aurons jamais assez de reconnaissance,
01:46nous en vendrons toujours plus, et donc notre bonheur ne sera jamais complet.
01:50Deuxième autre référence importante pour répondre à Wafaa.
01:54Eh bien Sartre précisera la pensée de Hegel en disant que nous avons en effet besoin du
01:58regard des autres pour savoir ce que nous valons, mais que ce regard nous enferme en même temps.
02:03Oui, c'est lui, Claude, l'enfer c'est les autres.
02:05C'est ça, l'enfer c'est les autres, mais ça veut dire que nous sommes ce que les autres
02:10voient de nous, mais nous ne sommes pas seulement cela.
02:13Pour bien comprendre l'expression de Sartre, ça veut dire que le regard des autres nous
02:16définit, mais en même temps nous alienne.
02:18Bref, nous avons besoin de cette indication précieuse que nous donne le regard des autres,
02:23mais ce n'est qu'une indication, et ce regard ne dit pas toute notre vérité.
02:27C'est beaucoup plus clair, ça explique du coup la nécessité d'alterner les phases
02:31d'isolement et les phases sociales, comme vous le disiez au début.
02:35Exactement, et donc ça explique aussi la nécessité de se retrouver chez soi, ou dans
02:39la nature, mais loin du regard des autres, dans ce que Wafaa appelle « la bulle ». Dans
02:44sa bulle, que cette bulle prenne les dimensions de notre lieu de vie, ou de la nature, une
02:48forêt par exemple, ou un chemin de randonnée.
02:50Mais étant aigulien, comme vous l'avez rappelé Ali, et donc conscient de la nécessité
02:54vita de la reconnaissance, je ne pense pas du tout qu'il faille, pour vivre heureux,
02:59vivre caché.
03:00Le dicton est faux.
03:01Oui, parce qu'il faut alterner, mais comme il est bon en revanche, quand on a joué le
03:04jeu de la vie sociale, quand on s'est battu pour la reconnaissance, d'avoir des moments
03:08enfin seuls avec soi, des moments d'introspection, de méditation, de contemplation, d'émotions
03:13musicales.
03:14Pourquoi finalement, et c'est ma proposition ce matin, ne pas penser le bonheur comme une
03:18valse à deux temps.
03:19Un temps pour sortir de soi, faire l'expérience de l'altérité et rechercher la reconnaissance.
03:24Un temps pour rentrer en soi et se retrouver seul avec soi-même.
03:28Un temps pour sortir de chez soi, sortir de soi aussi de ses habitudes, de ses certitudes.
03:32Un temps pour revenir à soi, revenir à soi et mesurer au passage tout ce que nous a apporté
03:37l'aventure de la vie sociale.
03:39Un temps pour se chercher dans le regard des autres, un temps pour se retrouver à l'abri
03:44de leur regard.
03:45Un temps aiguelien, pourrait-on dire, et un temps rousseauiste.
03:48Rousseau qui, comme vous le savez, s'est retiré loin du monde pour écrire les confessions
03:53ou les sublimes rêveries du promeneur solitaire.
03:56Mais attention, à trop tourner le dos au monde, on peut finir comme Rousseau justement,
04:01totalement parano et donc malheureux.
04:03Et à trop chercher l'approbation des autres, on risque d'en oublier la joie simple d'être soi.
04:09J'insiste donc, le bonheur est probablement dans l'alternance, dans la richesse même
04:14de cette alternance, de cette valse à deux temps qui est peut-être une existence accomplie.