Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France, publie "Les Dangers de notre alimentation - Dérives et conséquences du système agroalimentaire sur nos vies" (Payot) dans lequel elle livre son diagnostic et ses solutions pour lutter contre la malbouffe.
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00:00Et dans le grand entretien ce matin avec Marion Lourds, nous recevons une femme engagée,
00:05elle l'a été sur le terrain, dans l'humanitaire, avec Action contre la faim en Afrique.
00:10Elle dirige depuis 2015 Foodwatch France, une ONG qui défend les consommateurs et consommatrices
00:16que nous sommes.
00:17Elle a lancé l'alerte sur de nombreux scandales sanitaires et elle milite pour une alimentation
00:23saine, durable.
00:24Oui, c'est possible, elle publie un livre, une enquête passionnante sur les dangers
00:30de notre alimentation, c'est le titre « Dérives et conséquences du système agroalimentaire
00:37sur nos vies », puisque c'est de cela qu'il est question.
00:41Vos questions, chers auditeurs, au 0145 24 7000 ou sur l'application Radio France.
00:47Karine Jacquemart, bonjour.
00:48Bonjour.
00:49Et bienvenue, ce livre propose un diagnostic et des solutions que faire par exemple quand
00:54on pousse son caddie au supermarché.
00:56On va en parler dans un instant, mais partons d'abord du commencement.
01:00Vous parlez des dangers de notre alimentation, comme les deux faces d'une même pièce,
01:05la faim et la malbouffe.
01:07Difficile de penser l'une ou même impossible de penser l'une sans l'autre.
01:13Vous avez cette phrase très forte « Tandis que plus de 730 millions de personnes dans
01:18le monde souffrent de la faim, 2 milliards et demi d'humains sont en surpoids à cause
01:24de la malbouffe ». Ces chiffres, vous les donnez ? Qu'est-ce qu'ils disent ? Comment
01:29peut-on les interpréter, Karine Jacquemart ?
01:32Le constat est amer, mais je viens à portée de l'espoir.
01:37Je suis convaincue qu'ensemble, on peut s'unir et agir.
01:41Le constat d'abord, néanmoins.
01:42Le constat d'abord ?
01:43Le constat, c'est que quand je me suis engagé avec Action contre la faim il y a plus de
01:4620 ans, il y avait déjà quasiment 800 millions de personnes qui souffraient de la faim.
01:50Et on savait déjà que ce n'était pas une fatalité.
01:52Et vous étiez en Afrique de l'Ouest, en Afrique de l'Est ?
01:54Oui, absolument.
01:55Libéria, Somalie.
01:56Et on savait déjà que ce n'était pas une fatalité.
01:58Il y avait déjà beaucoup d'analyses qui disaient qu'en fait c'était un contrôle
02:01géopolitique de la répartition, de la production et de l'alimentation.
02:06Aujourd'hui, non seulement on a toujours autant de personnes qui souffrent de faim dans le
02:11monde, mais on a effectivement une courbe qui s'est largement développée de maladies
02:15chroniques liées notamment à l'alimentation.
02:18Et notamment des maladies comme le surpoids, l'obésité, mais aussi le diabète de type
02:222, des maladies cardiovasculaires, etc.
02:24Et qu'est-ce qui nous amène là ? C'est ça que j'ai voulu raconter aux gens pour
02:27rendre accessible cette information.
02:28Insécurité, précarité alimentaire, vous parlez de « double peine ». En général
02:33on emploie le mot dans l'univers carcéral ou judiciaire.
02:36Double peine d'un système agroalimentaire totalement inégalitaire.
02:41Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
02:42Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui, très clairement, on nous impose un système
02:46agroalimentaire injuste qui crée des maladies liées à l'alimentation, je vais y revenir,
02:52qui creuse les inégalités et qui en plus détruit le vivant, la biodiversité, les
02:55sols avec un système agricole qui détruit, comme vous le voyez, l'eau et l'outil de
03:02production de demain.
03:03Et ce système nous est imposé par une poignée d'acteurs.
03:06En fait, c'est quoi le constat ? C'est qu'en bout de la chaîne, on a des milliers d'agriculteurs
03:11et agricultrices qui ne vivent pas dignement de leur production, il y en a quand même
03:14un ou une sur cinq qui vit en dessous du seuil de pauvreté.
03:17A l'autre bout de la chaîne, et là je reviens sur la France, on a des millions de Français
03:22françaises qui ne peuvent pas s'alimenter correctement, on parle d'un sur trois qui
03:27ne peut pas avoir trois repas par jour avec une alimentation saine.
03:30Et au milieu, on a des géants de l'industrie agroalimentaire, à peu près 70, je ne parle
03:34pas des PME, mais vraiment ces géants-là, les Nestlé, l'Actalie, tout à fait, parce
03:40qu'en fait, vous avez les agriculteurs, producteurs, productrices, ensuite vous avez
03:43des entreprises de transformation qui achètent leurs produits, et ensuite vous avez la grande
03:47distribution qui, eux, définissent les prix finaux.
03:50Et en fait, cette grande distribution, en France aujourd'hui, la réalité, c'est que
03:53les cinq enseignes principales contrôlent 80% du marché.
03:57Donc quand on entend la petite musique de la responsabilité des consommateurs, ce serait
04:01eux qui, vous comprenez, veulent des produits pas chers, font des mauvais choix, mais en
04:07fait, la réalité c'est quoi ? La réalité, c'est que l'offre est extrêmement
04:10limitée et influencée, et qu'on a très peu le choix.
04:13Et la double peine, c'est qu'ils organisent exprès un marché à deux vitesses, et il
04:17faut le dénoncer pour faire changer les choses.
04:19Je vous donne deux exemples de ce marché à deux vitesses.
04:21Vous avez entendu parler des additifs à base de nitrites, les E, et ça, les gens peuvent
04:25les repérer, pour le coup, dans les ingrédients E249, E50, E51, E52.
04:29Ces additifs sont utilisés dans la viande transformée et la charcuterie.
04:32On sait, il y a des études scientifiques claires qui ont dit que c'était dangereux pour la
04:36santé.
04:37Foodwatch a une pétition qui a plus de 500 000 signatures.
04:39Pour autant, le lobby de la charcuterie a bloqué la loi.
04:42Mais qu'est-ce qu'ils font ? Dans les rayons des supermarchés, vous le voyez bien, il
04:45y a du jambon sans nitrites, mais plus cher, pour ceux qui ont les moyens.
04:49Et quand on n'a pas les moyens, c'est la double peine, on est obligé d'être orienté
04:53vers des produits, certes moins chers, mais qui ont un coût pour la santé et environnementale
04:57colossaux.
04:58Je vous donne un deuxième exemple hyper concret.
05:00Foodwatch a publié en janvier une étude sur 400 produits.
05:04On a regardé 12 catégories de produits et la question du sucre.
05:07Déjà, premier problème, il y a du sucre ajouté dans beaucoup trop de produits.
05:11C'est évitable, n'est-ce pas ?
05:14Donc il suffirait que l'industrie agroalimentaire arrête ça.
05:16Mais les haricots verts, comme le disait Marion, c'est ahurissant.
05:18Exactement.
05:19Mais ça va plus loin.
05:20C'est-à-dire que non seulement quand vous essayez de bien nourrir votre famille, déjà,
05:24on vous met du sucre caché, sous 50 noms différents en plus dans la liste d'ingrédients,
05:28mais ça va plus loin.
05:29On a étudié 12 catégories de produits et on a comparé la quantité de sucre moyenne
05:34à chaque fois sur les cinq produits les moins chers en comparaison des cinq produits
05:37les plus chers.
05:38Systématiquement, sur les 12 catégories, que ce soit les petits pois ou que ce soit
05:41d'autres produits comme les sandwiches, etc., systématiquement, les produits les
05:46moins chers avaient plus de sucre.
05:47C'est ça la double peine.
05:49On a des distributeurs qui se prétendent les alliés des consommateurs en disant « nous,
05:52on propose des produits pas chers ». Sauf que les produits pas chers, ils vous amènent,
05:56quand vous n'avez pas les moyens, à de la malbouffe qui contribue à vous rendre malade.
06:00Ce n'est pas acceptable.
06:01Et donc c'est un système que vous dénoncez, Karine Jacquemart.
06:03Je voulais vous montrer cette page qui est dans un quotidien du jour, je ne sais pas
06:07si vous la voyez bien, je vais la décrire pour les auditeurs, c'est une page de publicité
06:10qui est payée par un distributeur dont on ne donnera pas le nom, qui se présente comme
06:14le moins cher, qui compare ses tarifs aux autres et puis ça ressemble clairement à
06:17une affiche de film d'horreur, un film de zombies.
06:19Cette page qui compare les différents tarifs chez les distributeurs, ça dit quelque chose
06:24tout de même, c'est que le pouvoir d'achat, ça reste la priorité numéro un.
06:28Donc sur cette question de changement de système, est-ce que vous espérez malgré
06:31tout être entendu ?
06:32Bien sûr qu'on va être entendu, parce que quand les gens se mobilisent, ça fait changer
06:35les choses.
06:36Et je vais vous donner 2-3 exemples de victoires récentes qui nous montrent qu'on peut faire
06:40changer ce système.
06:41Mais avant sur le prix, je veux redire qu'on avait documenté, Foodwatch a documenté,
06:47honnêtement j'ai recruté une économiste quand il y avait eu l'inflation à plus de
06:4920% il y a un an et demi, on a prouvé qu'aussi bien les distributeurs que l'industrie agroalimentaire
06:55avaient profité de l'inflation.
06:57Il y avait eu une augmentation des coûts, en effet, parce que l'énergie avait augmenté,
07:01parce qu'il y avait de la guerre en Ukraine, mais ils étaient allés au-delà de l'augmentation
07:04des coûts pour augmenter leurs marges.
07:06Donc en fait, il y a des profiteurs, et moi ce que je veux redire c'est, si vous prétendez
07:09être les alliés, alors allez-y, faites ce qu'on demande de la transparence sur les
07:13marges, réduisez la quantité de sucre, et l'État doit également agir.
07:17Quand on parle de santé publique, et on parle ici de santé publique, et d'un droit fondamental
07:21d'avoir un accès à une alimentation saine et durable, alors les autorités publiques
07:25doivent siffler la fin de la récré, et les citoyens et les citoyennes, on est là
07:27pour dire « ça suffit ».
07:28Mais ce qui est intéressant dans votre livre, c'est que vous dites qu'en fait, notre alimentation,
07:31on la paye trois fois.
07:32C'est ça.
07:33Pourquoi trois fois ?
07:34On la paye trois fois, parce qu'une première fois à la caisse, ce qui pose déjà les problèmes
07:37que j'ai indiqués.
07:38La deuxième fois, c'est parce qu'avec l'argent public de nos impôts, l'État subventionne
07:43ce système agroalimentaire qui ne nous laisse pas le choix et creuse les inégalités.
07:47Et notamment, on parle de 48 milliards d'euros, il y a une étude qui s'appelle « L'injuste
07:51de l'alimentation », qui a été publiée par d'autres associations, qui indique ces
07:55montants-là qui sont vraiment des montants minimums.
07:5748 milliards d'euros par an sont donnés à l'industrie agroalimentaire et ce secteur
08:02agroalimentaire sous forme de subventions ou de déduction fiscale.
08:05Et ils ont estimé à 19 milliards d'euros par an la réparation pour les coûts environnementaux.
08:11Donc en fait, vous payez une deuxième fois avec cet argent public qui est donné, et
08:15vous payez une troisième fois parce que quand ça rend des millions de gens malades, ce
08:19qui est le cas, vous avez des milliards d'euros d'argent public pour le système de santé
08:24publique.
08:25A l'heure où on nous dit qu'il n'y a pas d'argent dans les caisses, c'est quand même
08:27un peu fort de café.
08:28Nous assiettes sont sous contrôle, c'est l'un des titres d'un des chapitres de votre
08:33livre, Karine Jacquemart, on va filer au Standard, on nous attend Corinne.
08:37Bonjour Corinne !
08:38Oui, bonjour !
08:39Et bienvenue sur France Inter !
08:40Merci, ma question est la suivante.
08:43On entend que les Français vivent de plus en plus longtemps et globalement en meilleure
08:47santé.
08:48Donc je ne comprends pas cet acharnement à critiquer la nourriture que les gens achètent.
08:55Merci Corinne pour cette question, et ce vrai paradoxe, Karine Jacquemart va vous répondre.
09:00En fait, il y a une vraie, et c'est vraiment pas moi qui le dis, merci Corinne pour cette
09:05question.
09:06C'est aussi pour ça que j'ai voulu faire ce livre, c'est pour rendre accessibles toutes
09:08les informations avec toutes les sources, donc vraiment tous les faits, les références
09:12scientifiques.
09:13Et j'aimerais avoir un autre constat, mais en fait, il y a une épidémie de maladie chronique.
09:17C'est l'Organisation Mondiale de la Santé qui le dit.
09:19Et ce sont ces maladies chroniques, donc peut-être qu'on vit plus longtemps, mais pas nécessairement
09:24en bonne santé, parce qu'on a ces maladies cardiovasculaires, ce diabète de type 2,
09:29qui ont un coût phénoménal.
09:30Alors, parlons de ce qu'on peut faire, et de ce qui nous est permis peut-être d'espérer.
09:35Il y a par exemple ce que vous décrivez comme la saga du Nutri-score.
09:39Le Nutri-score, on y est quasiment tous maintenant habitués, il a été dans l'actualité encore
09:45ces dernières semaines.
09:46C'est un cas d'école de tous les moyens que peuvent déployer les lobbies de l'agro-alimentaire
09:51pour discréditer un outil utile.
09:54Expliquez-nous ça, puisqu'il était critiqué la semaine dernière encore par la ministre
09:58de l'Agriculture.
09:59Oui, et d'ailleurs, Foodwatch a lancé une pétition suite aux déclarations totalement
10:03inacceptables de la ministre de l'Agriculture, qui s'est permise de dire devant le Sénat
10:07que finalement la science n'en avait que faire et qu'elle cherchait des marges de
10:10manœuvres politiques.
10:11Donc en fait, à l'heure actuelle où quand même on voit au niveau géopolitique, quand
10:14on entend des discours trumpistes qui rejettent du revers de la main la science, il est urgent
10:19de remettre des faits et justement de la science au milieu.
10:23Retournons au supermarché ou à l'épicerie.
10:25Voilà, exactement.
10:26Moi je veux vraiment redonner de l'espoir aux gens.
10:27Je ne suis pas là pour jouer sur les peurs, je préférerais avoir des bonnes nouvelles.
10:30Et ça tombe bien, j'en ai.
10:32Je veux inviter les gens à l'action.
10:33En fait, qu'est-ce qu'on peut faire en tant que consommateur ? Parce qu'on nous
10:35met toujours dans la responsabilité.
10:37Alors certes, regardez la liste des ingrédients.
10:39Et je rappelle qu'on part du plus présent en volume au moins présent dans la liste.
10:44Donc si par exemple il y a de l'eau en premier ou deuxième, vous allez peut-être payer
10:46un peu cher l'eau.
10:47Mais il y a aussi la question de la liste d'ingrédients, s'il y a trop d'ingrédients,
10:52trop d'additifs, méfiance aussi.
10:54Et regardez le prix au kilo, parce qu'il y a un certain nombre d'arnaques sur l'étiquette
10:57au kilo.
10:58Néanmoins…
10:59Nutri-score.
11:00Nutri-score puisqu'il indique la teneur en sucre, en gras, en sel et il classe les
11:05produits.
11:06C'est ça.
11:07C'est-à-dire que première chose, les informations auxquelles le consommateur a accès.
11:10Et le Nutri-score, c'est développé par des scientifiques indépendants et nous on veut
11:13le rendre obligatoire à l'échelle européenne parce que ça permet du premier coup d'œil
11:17aux gens de comparer la qualité nutritionnelle des produits dans une même catégorie.
11:21Donc c'est A, B, C, D, E ?
11:22C'est A, B, C, D, E.
11:23Et c'est par cinq couleurs.
11:25Et l'idée, ça n'est pas de dire que vous ne devez consommer que des produits A ou
11:28B.
11:29L'idée c'est de dire que vous devez équilibrer.
11:30C'est ça l'idée.
11:31Mais c'est pour pouvoir comparer les produits, la qualité nutritionnelle, rien de plus,
11:35rien de moins, dans une même catégorie de produits.
11:37Donc la petite musique qui fait comparer des produits entre eux de différentes catégories
11:41n'a aucun sens.
11:42Et cet accès à l'information, c'est fondamental pour que les consommateurs aient le choix.
11:45Ce qu'on peut faire d'autre, c'est se mobiliser pour faire changer les choses.
11:49Donc là sur le Nutri-Score, on vient de forcer, tout simplement, la ministre de l'Agriculture
11:53a signé un arrêté pour dire « Ok, on continue d'adopter le Nutri-Score avec sa nouvelle
11:59calcul.
12:00En tout cas, faisons confiance aux scientifiques et donnons enfin aux consommateurs de l'information.
12:06» D'autres choses sur lesquelles on peut agir.
12:07Je vous donne l'exemple de Nestlé.
12:09Vous avez entendu parler du scandale des eaux en bouteilles, les eaux minérales et les
12:12eaux distanciées.
12:13Foudoche a porté plainte dans plusieurs scandales alimentaires.
12:17On est là pour informer les consommateurs, les citoyens, mais on est aussi là pour casser
12:21ce climat d'impunité.
12:22On a porté plainte dans le scandale de Lactalis, les laits au salmonelle en 2018, le scandale
12:27des pizzas buitoniques était déjà Nestlé en 2022.
12:30Et là, l'année dernière, Foudoche a porté plainte suite aux enquêtes de journalistes
12:34sur les filtres illégaux dans les bouteilles minérales.
12:36Et ce qui s'est passé, c'est que cette plainte a été délocalisée à Epinal, où il y a
12:41différentes sources de Nestlé Waters.
12:42Je vous l'ai fait de façon courte, toutes les informations sont sur le site de Foudoche.fr.
12:47Mais ce qui s'est passé, c'est que là, il y a eu une transaction financière entre
12:50Nestlé et le tribunal d'Epinal.
12:52Et notre avocat nous a appelé pour dire « à combien vous estimez le préjudice pour que
12:56Foudoche reçoive de l'argent ? ». Ce qu'on a fait, c'est qu'on a communiqué publiquement
13:00en disant « on ne recevra jamais d'argent de Nestlé, le préjudice n'est pas financier,
13:04ce qu'on veut c'est casser ce climat d'impunité ».
13:06Et j'ai une bonne nouvelle, on a reporté plainte, et il y a un juge d'instruction qui
13:10a été nommé, et ça y est, il y a une information judiciaire ouverte, c'est-à-dire que l'enquête
13:14est menée pour regarder les agissements et de Nestlé Waters, qui a fait une fraude massive,
13:19mais aussi de hauts fonctionnaires et d'institutions gouvernementales, qui manifestement ont fermé
13:26les yeux.
13:27Et mon message, il est très simple.
13:28Il y en a trois.
13:29A l'industrie et les distributeurs, prenez vos responsabilités, arrêtez les pratiques
13:32abusives.
13:33Vous avez une responsabilité majeure, justement, sur la crise sanitaire, environnementale et
13:36le fait de ne pas rendre accessible l'alimentation.
13:38À l'État, pour dire, prenez vos responsabilités, vous devez protéger la santé publique et
13:43les droits fondamentaux.
13:44Et aux citoyens, citoyennes, on peut agir en se mettant ensemble.
13:47Et j'ai plein d'idées à partager dans ce livre-là.
13:49Oui, il y en a de nombreuses, c'est d'ailleurs la troisième partie du livre, et elle est
13:53longue et vous proposez plusieurs manières de se mobiliser, vous décrivez en tout cas
13:59des politiques, pieds et poings liés, sous influence, les liaisons incestueuses entre
14:05les politiques et les lobbies.
14:06Vous racontez par exemple qu'une marque de soda, Coca pour ne pas la nommer, était
14:12sponsor de la présidence roumaine du Conseil de l'Union Européenne en 2019, avec, dans
14:18des rencontres officielles consacrées à des questions de santé publique, des ministres
14:22accueillis avec des boissons gratuites, avec des logos Coca-Cola absolument partout.
14:27Mais si on revient à ce qu'on peut faire nous comme consommateurs, c'est vrai que
14:31c'est fastidieux de lire une étiquette, et vous le savez Karine Jacquemart, mais
14:34il y a des applis, par exemple Youka.
14:36Youka, bon, là sur son téléphone portable, on va au supermarché, et Erta, Fleury Michon,
14:44Madrange n'aiment pas beaucoup ça, elles ont attaqué Youka en justice, racontez-nous
14:48aussi, là c'est un cas d'école également.
14:50Youka, effectivement, c'est une application qui est également indépendante des entreprises,
14:54on a un partenaire de Foodwatch dans la campagne pour faire interdire des additifs à base
14:57de nitrite, et là, il y a à peine un mois, on a lancé une campagne pour faire interdire
15:01l'aspartame.
15:02Et en effet, quand on a voulu faire, et d'ailleurs ça continue cette campagne, parce qu'on
15:06n'a pas obtenu l'interdiction des additifs à base de nitrite, quand on a lancé cette
15:10pétition et qu'elle a pris vraiment une grande ampleur, plus de 500 000 signatures
15:13avec la LIE contre le cancer et Youka, du coup les industriels de la charcuterie, qui
15:17jouent un double jeu, les Erta, Fleury Michon et compagnie, qui donc vous mettent dans les
15:21rayons des produits à la fois sans nitrite, parce qu'ils savent bien qu'il y a un
15:24problème, mais plus cher, et à la fois des produits avec nitrite, en fait, ils ont tout
15:28fait pour bloquer la loi, et une des façons qu'ils ont trouvées, c'est d'attaquer
15:31en justice Youka.
15:32En fait, ils ne pouvaient pas attaquer la LIE contre le cancer, franchement, ils ne
15:35pouvaient pas attaquer Foodwatch, qui est une association loi 1901, voilà, on a la
15:39liberté d'informer, mais du coup, ils ont voulu attaquer Youka, parce qu'en plus,
15:42quand vous scanniez un produit avec ses additifs, il y a la pétition qui apparaissait sur votre
15:46smartphone.
15:47Donc là, ils se sont dit, c'est un peu trop.
15:49Voilà, et ça, c'est ça qu'on veut dénoncer, c'est ces stratégies de lobby qui ne vont
15:53pas dans l'intérêt général.
15:54Nous, on a toujours dit, interdisons les nitrites, mais laissons le temps à l'industrie,
15:58notamment au PME, de s'adapter, il n'y a pas de problème quand on nous dit dans
16:01telle filière, c'est deux ans, dans telle filière, je suis d'accord, mais prenons
16:04la décision de l'interdiction.
16:05Or là, les lobbies jouent un jeu qui est totalement contre l'intérêt général.
16:09Alors justement, dans les stratégies de lobby, vous en décrivez plusieurs dans le livre,
16:12il y a par exemple le chantage à l'emploi, alors je pense au cas des PIFAS, les polluants
16:17éternels qui ont été réduits en tout cas, pas interdits, mais réduits par une
16:21proposition de loi récemment à l'Assemblée Nationale, ça doit s'appliquer à partir
16:25de l'année prochaine, le teflon reste exclu de la liste des produits, des PIFAS qui vont
16:32être interdits, donc ce qu'on trouve dans les poêles, le revêtement anti-adhésif,
16:36sous la pression de la marque Seb notamment, qui dit s'inquiéter pour l'emploi, mais
16:40vous l'entendez ce discours ? Malgré tout, effectivement, peut-être que ça va menacer
16:44des emplois si Seb doit tout d'un coup cesser de faire des poêles tefal ?
16:48Absolument, et du coup, il faut bien évidemment prendre les arguments économiques, mais prenons
16:52aussi les arguments économiques des milliards que ça coûte à la société et à la sécurité
16:57sociale d'accepter un système où une minorité d'entreprises font des profits et des marges
17:02opaques sur le dos de tout le monde, et en fait il faut réconcilier.
17:06Bien sûr qu'on n'est pas hors sol, moi je ne suis pas idéologique, moi je veux des
17:09solutions simples, on ne demande jamais la lune, quand on demande d'interdire des additifs
17:12qui sont dangereux pour la santé et où on voit que l'industrie a des alternatives,
17:16je ne comprends pas qu'on ne le fasse pas.
17:17Quand on demande de sortir de certains pesticides, on dit toujours qu'il faut accompagner les
17:21agriculteurs et les agricultrices, il faut réconcilier.
17:24Aujourd'hui, le discours ambiant, c'est d'opposer et de diviser pour mieux régner.
17:27On veut opposer production agricole, protection de l'environnement, on veut opposer agriculteurs
17:32et consommateurs, et on veut opposer tout le monde.
17:34Moi je veux réconcilier et je veux dire aux gens, on peut agir.
17:37Avec Foodwatch, plein d'autres associations, mais dans le livre il y a aussi des alternatives,
17:42des façons de se mobiliser localement, chacune, chacun à notre niveau, on a plus de pouvoir
17:46que ce qu'on veut nous faire croire.
17:47Allons-y, inventons le monde de demain.
17:49David a une idée, bonjour David, et bienvenue dans le grand entretien de France Inter avec
17:55Karine Jacquemart.
17:56Oui, bonjour, merci d'avoir pris mon appel, c'est très sympa, on se sent un peu moins
18:00bête quand on écoute des émissions comme la vôtre, merci.
18:03Bonjour Karine.
18:04Merci à vous.
18:05Alors, non, moi ce que je veux dire, c'est qu'on est nombreux, on est consommateurs,
18:08donc effectivement, ah oui c'est fastidieux, mais de lire les ingrédients qui, hélas,
18:13sont la plupart du temps écrits très très très petit, dans des coloris qui font que
18:19lire du jaune sur du vert c'est pas toujours très facile, mais effectivement, le fait
18:25de regarder les ingrédients, déjà, ça devrait être un acte de sélection par rapport
18:29à ce qu'on achète.
18:30Et c'est ce que vous faites vous David, ça fait des années que vous le faites, vous
18:33triez quand vous faites vos courses.
18:35Oui, je trie, j'ai pris aussi l'application Youka aussi, qui est vraiment très pratique,
18:43hélas, moi je suis en plein Paris, donc il y a aussi des supermarchés où effectivement
18:47ça passe pas, c'est-à-dire qu'on n'a pas accès à Youka, alors moi je me suis
18:52dit que, parce qu'il n'y a pas de wifi dans le supermarché, qu'ils veulent surtout
18:56pas en mettre un, parce qu'ils veulent pas que les gens…
18:58Ça fait sourire Karine Jacquemart.
19:00Ouais, ben, il y a plusieurs supermarchés très connus dans Paris où on ne peut pas
19:04avoir accès à Youka, parce que c'est des sous-sols ou parce que c'est des structures
19:09qui font que ça les arrange bien qu'on n'ait pas accès à Youka.
19:11Moi, ce que je voulais dire, c'est par exemple, à un moment, j'avais pris l'habitude,
19:15je prenais quelques minutes pour essayer d'appeler des services consommateurs.
19:18Il y a des services consommateurs qu'on peut joindre, et entre autres, les plus connus,
19:21c'est peut-être Lactalis pour le lait lactel ou Danone, etc., etc., quand je leur demandais
19:26pourquoi vous mettez des graisses hydrogénées, pourquoi vous mettez des gélatines porcines
19:36dans le fromage blanc de 0%, des trucs comme ça.
19:38Justement, laissez Karine Jacquemart vous répondre, parce que votre témoignage, il
19:41est très intéressant et on entend que vous êtes un consommateur engagé et qui ne veut
19:47pas se faire avoir.
19:48Du coup, deux choses, c'est génial que vous agissiez, n'hésitez pas à nous envoyer
19:51info.foudoche.fr les réponses de vos interlocuteurs, ça nous intéressera et on verra ce qu'on
19:58peut en faire.
19:59Mais surtout, vous avez raison, c'est-à-dire qu'on peut jouer un rôle en tant que consommateur,
20:03mais ça va au-delà.
20:04Quand on peut lire les étiquettes, très bien, mais combien d'informations ne sont
20:07pas sur les étiquettes ? Les résidus de pesticides, c'est pas étiqueté.
20:10On a lutté et obtenu une décision européenne contre la contamination des aliments par
20:16les huiles minérales qui sont des dérivés d'hydrocarbures.
20:18Personne ne connaît ça, il faut être scientifique et expert, mais on a fait des tests trois
20:21fois pour obtenir ça, un consommateur même éclairé ne peut pas le savoir, il faut le
20:25détecter en laboratoire.
20:26Donc en fait, il y a beaucoup de choses, y compris les arnaques sur l'étiquette qui
20:29est une de nos campagnes, beaucoup de désinformations, le marketing aussi, et surtout ça veut dire
20:36qu'en fait, individuellement, on a évidemment une part de responsabilité, mais elle est
20:40très limitée parce qu'on a très peu de choix et très peu d'informations.
20:43C'est pour ça qu'il faut se serrer les coudes, se mettre ensemble et Foudoche, c'est
20:46un contre-pouvoir citoyen, 100% indépendant, il n'y a pas de subvention publique, il n'y
20:50a pas de non-entreprise, donc en toute neutralité, on fait des enquêtes, on dénonce, on fait
20:53changer les choses.
20:54Et Karine Jackmar, heureusement, vous proposez plein de solutions dans le livre, mais ça
20:58ne va pas vraiment dans le sens du vent, parce qu'à propos de l'Europe, vous savez qu'il
21:01y a en ce moment une révision du pacte vert, donc un certain nombre de normes qui concernent
21:05notamment l'agriculture qui sont remises en question, il y a la défense par la présidente
21:08de la commission de l'accord du Mercosur, qui n'a pas les mêmes normes sanitaires que
21:13nous, notamment sur l'alimentation, certains dénoncent un backlash, un retour en arrière,
21:19vous voyez les choses comme en vous ?
21:20C'est vrai, et là, on est dans un contexte qui est encore plus inquiétant, et tous les
21:26jours on a des informations inquiétantes par rapport à un recul de la démocratie,
21:30et par rapport à un recul des enjeux sociaux et environnementaux, qui doivent encore une
21:34fois aller ensemble, il faut réconcilier, il n'y a aucune raison d'opposer social et
21:37environnemental.
21:38Vous allez à contre-sens ?
21:39Bien sûr que je vais à contre-sens, parce que je vais dans l'intérêt général, mais
21:41je, c'est pas je, c'est nous, en fait nous sommes nombreuses et nombreux, c'est une petite
21:46minorité qui verrouille ce système, qui nous impose un marché à deux vitesses, où 70%
21:50des achats alimentaires sont faits dans les supermarchés, donc en fait, ça, il faut le
21:54faire reculer, on peut, tant qu'il y a un peu d'espace démocratique, on le défend,
21:58on le prend, on agit, et on peut bien évidemment renverser cet agenda et changer le sens du
22:03vent.
22:04Le combat pour l'égalité commence dans votre assiette, c'est d'ailleurs ce qu'on trouve
22:08indiqué dans votre livre, on a rarement reçu autant d'appels d'auditeurs et notamment
22:13de contributions sur l'application Radio France, avec Sandra, Annick, Catherine, Lambert,
22:18Dominique, Raphaël, Catherine, une autre Catherine, et toutes vous demandent tous pourquoi
22:24est-ce qu'on mange autant d'aliments transformés, certains vous demandent pourquoi ces denrées
22:29achetées sont-elles si nocives, comment encourager l'agriculture biologique, bref,
22:36mille et une questions, on trouve les réponses dans votre livre, livre que Annick va offrir
22:42à ses enfants de 30 ans qui sont fans de malbouffe, apparemment ils se nourrissent
22:47mal.
22:48Annick, vous trouvez les réponses dans ce livre, les dangers de notre alimentation,
22:52dérives et conséquences du système agroalimentaire sur nos vies.
22:56Merci Karine Jacquemart et bonne journée.