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Transcription
00:00 (...)
00:18 En ce jour, en cette cour des Invalides,
00:23 rendant hommage à l'amiral de Gaulle,
00:28 nous nous rassemblons en un lieu qui était devenu le sien.
00:34 Oui, dans cet hôtel des Invalides,
00:37 où la nation accueille depuis 350 ans avec gratitude
00:41 ceux qui versent leur sang pour elle.
00:46 Ici, ce nous, une certaine idée de la France,
00:51 faite de temps long, de permanence,
00:55 de d'être reconnu à l'égard de ceux qui ont servi la patrie.
01:00 Et en ces dernières années,
01:03 le marin, le résistant, l'élu de la République
01:09 avait retrouvé ici cette cohorte de blessés et de héros,
01:14 la chaîne des temps.
01:18 Il était là, debout, parmi eux.
01:24 Paris comme dernier et premier maillon de son existence,
01:29 laquelle fut une aventure de tant de paysages.
01:33 Le boulevard de Grenelle, cette fontaine, Maillance, Trèves,
01:37 le soleil du Liban, la lumière de la Syrie
01:40 au fil des affectations du jeune commandant Charles de Gaulle,
01:45 l'ombre des forêts de Colombais et les 2 églises,
01:49 qui résonnaient de tant de voix et de tant d'échos.
01:54 Les Gaulloirs, selon les troupes de César,
01:56 Bernard de Clairvaux, fondant les Cisterciens,
01:59 Napoléon menant en 1814 sa dernière campagne,
02:02 la fureur de 70 et celle de 14,
02:05 légende des siècles que devait prolonger celle du général.
02:12 Connaître toutes les mers du monde
02:15 et choisir la Seine pour dernier rivage,
02:19 partir en homme de devoir, risquer sa vie sur 4 continents
02:25 et aller reposer à Colombais.
02:31 L'amiral de Gaulle aura traversé le siècle passé
02:34 à l'ombre d'un grand homme.
02:37 Il y aura tracé son propre sillon.
02:41 Avec cette rectitude, cette force de l'amour donné
02:45 et reçu, cet amour qui n'ose se dire et qui, pourtant, irrigue.
02:50 Amour pudique de ses parents, tendresse pour ses soeurs,
02:53 qui a chopé sur les mots, plus tard pour sa femme Henriette,
02:57 leurs 4 fils, leurs enfants après eux.
03:02 Amour charnel de la France.
03:05 Dans son enfance à Colombais, le monument aux morts
03:08 affichait des dizaines de noms, les gueules cassées
03:11 et les blessés de guerre peuplaient le village
03:14 et les promenades avec son père se changeaient parfois
03:16 en cours de tactique militaire.
03:19 Alors se grava en Philippe de Gaulle une certitude.
03:26 Lui aussi servirait la nation sur mer,
03:32 comme son père l'avait fait sur terre.
03:37 Quand la guerre éclata, il était au lycée Stanislas,
03:41 sur le point de préparer les concours de l'école navale.
03:45 Le 18 juin 1940, il n'entendit pas l'appel du général de Gaulle
03:50 et pour cause.
03:53 Avec sa mère et ses soeurs, il était déjà à bord du cargo
03:56 qui l'emmenait vers l'Angleterre, vers son père
03:59 et vers la Résistance.
04:02 Il a alors 18 ans et rentre dans les forces françaises libres,
04:07 rejoignant depuis Portmousse le combat des forces de l'intérieur,
04:10 quelle que soit leur chapelle ou leur doctrine,
04:13 réunis dans un même refus de l'étrange défaite,
04:15 dénonçant comme lui ce qu'il appellera toujours
04:18 "l'abominable armistice",
04:22 restant debout quand tous ployaient les Chines,
04:27 se battre plutôt que subir.
04:33 Philippe de Gaulle se forme sur le vieux cuir assez courbé,
04:36 participe à la défense aérienne de Portmousse,
04:39 à la bataille de l'Atlantique, à la campagne de la Manche.
04:42 Le 1er août 1944,
04:46 il débarque en Normandie sur la plage d'Utah,
04:50 avec un peloton de fusiliers marins de la 2e division blindée,
04:54 la division de fer, celle qui chante de Koufra à Strasbourg,
05:00 sa fierté d'appartenir au gars de Leclerc,
05:04 à Lenson, Argentan, Antony, puis Paris, enfin.
05:12 6 fois blessé, 6 fois debout.
05:18 L'enseigne de vaisseau Philippe de Gaulle reçoit l'ordre,
05:21 le 25 août, de négocier la rédition des nazis
05:24 retranchés dans l'Assemblée nationale.
05:28 Il fait cesser les tirs et s'avance, seul,
05:34 parmi les corps tombés des FFI,
05:37 pénètre dans le palais Bourbon, au milieu de 400 Allemands,
05:42 qu'il convainc de se rendre aux Français.
05:46 Le coeur symbolique de la République est délivré.
05:51 Paris est libéré. La France est relevée.
05:56 Philippe de Gaulle peut alors rejoindre les siens.
06:03 Et il y eut chez les De Gaulle cette scène de retrouvailles
06:06 si singulière, autour d'un repas de famille où l'on discutait
06:10 comme si l'on s'était quitté le matin même,
06:12 parlant de tout et de rien, des uns et des autres, des projets,
06:18 de tout sauf de la guerre, aidé au fait de Charles,
06:21 Philippe, Roger, Xavier, Alain, Marie-Agnès, Geneviève.
06:27 Pas plus que la génération d'avant n'avait parlé de la grande guerre,
06:33 ni les précédents de la guerre de 70.
06:37 Pudeur d'une grandeur considérée comme une évidence.
06:43 Et comme une évidence,
06:46 Philippe de Gaulle fit de la grandeur son métier.
06:50 Pendant un an, en Caroline, il se forma pour devenir pilote
06:55 de notre aéronaval.
06:57 Il fut dès lors investi de missions les plus périlleuses,
07:00 appontant de jours et de nuits.
07:03 Il navigua sur nos plus beaux bâtiments,
07:05 commanda la flottille 6F, l'escorteur rapide le Picard,
07:09 la base aéronavale de Duny, la frégate Suffren,
07:13 le groupe naval d'essais et de mesures,
07:16 l'aviation de patrouille maritime, l'escadre de l'Atlantique,
07:19 jusqu'au rang d'amiral.
07:21 Honneur, patrie, valeur, discipline.
07:29 Ces 4 piliers de la marine,
07:31 gravés sur chacun de ces bâtiments,
07:35 étaient les tables de sa loi.
07:37 Il quitta un jour la tenue 22 aux 5 étoiles,
07:44 mais jamais il n'abandonna cette devise.
07:49 Quand Jacques Chirac l'invita à se présenter
07:53 aux élections sénatoriales en 1986,
07:58 il accepta comme une autre manière
08:01 de se mettre au service de la République.
08:04 17 ans durant, il fut sénateur de Paris,
08:08 apportant sa voix à la Commission des affaires étrangères
08:11 et de la défense.
08:13 Comme il est dur, pourtant, d'être de Gaulle après de Gaulle,
08:23 d'en avoir l'allure, la voix, les gestes,
08:27 et de ne pas être lui.
08:30 L'amiral répondait aux murmures par la rigueur de sa conscience,
08:35 son indifférence à la mondanité,
08:40 déclinant toute présidence parlementaire ou honorifique,
08:44 quelle qu'elle fût.
08:46 Dans son oeuvre de mémorialiste, il montrait toujours
08:48 la grandeur collective et non la sienne,
08:51 effaçant ses hauts faits derrière ceux des autres.
08:54 Le témoin expliquait l'histoire,
08:59 l'officier expliquait le combat,
09:02 l'amiral expliquait le général.
09:05 Il publia, commenta les 13 volumes
09:09 des notes et carnets de son père,
09:11 car il était une mémoire de ses mémoires.
09:14 Il en connaissait toutes les coulisses et toutes les didascalies,
09:17 Londres, la campagne de France,
09:19 le déchirement de la guerre d'Algérie,
09:21 le basculement de 68,
09:23 dans les yeux de Philippe de Gaulle,
09:25 s'était joué l'histoire du siècle.
09:27 Ses propres mémoires,
09:31 il les qualifia d'accessoires, à tort,
09:35 parce qu'il avait cette humilité,
09:38 cette noblesse de toujours se sentir redevable.
09:41 "Il faut agir au-delà de soi
09:45 "et travailler pour plus grand que soi."
09:49 Là étaient ses mots,
09:51 sans jamais attendre récompense ni honneur.
09:54 Car ainsi va la vie,
09:59 quand on s'appelle de Gaulle,
10:01 quand on se sent de France.
10:03 On naît, on vit,
10:06 on sert, on meurt.
10:09 Et d'autres qui sont nés après nous
10:13 vivront, serviront, mourront.
10:19 Acceptant la responsabilité comme un honneur,
10:21 le seul fardeau qui grandit,
10:24 le seul jou qui libère.
10:26 Celui qui n'a qui avec le plus lourd des héritages
10:30 nous l'enseigne aujourd'hui,
10:32 nous avons des devoirs.
10:35 Devoirs à l'endroit de nos anciens,
10:38 car chacun de nous est dépositaire et gardien
10:41 de leur lègue de courage, d'abnégation, d'héroïsme.
10:47 Devoirs à l'endroit de nos enfants,
10:49 devoirs d'espérance.
10:52 La France en a vu d'autres.
10:57 La France s'en sortira, tu verras.
11:01 Tels étaient ses mots, répétés toujours,
11:05 à travers les meurtrissures de l'histoire.
11:08 C'était sa certitude,
11:11 partagée avec tous ses compagnons d'armes,
11:15 tous ses compagnons dont il eut la place,
11:16 s'il n'eut pas le titre.
11:18 Grandeur d'un sacrifice consenti en silence,
11:22 dépassant l'injustice ressentie.
11:25 Oui, à jamais,
11:29 ils seront 1038 compagnons et un,
11:34 comme il y eut trois mousquetaires et un,
11:38 avec, pour distinction suprême et difficile,
11:43 ses paroles du général.
11:44 Tu ne voudrais pas que je te nomme
11:47 dans un ordre que j'ai moi-même créé.
11:50 Tout le monde sait
11:52 que tu as été le premier compagnon.
11:55 Car oui,
11:57 il fut le premier compagnon
12:01 et le dernier.
12:03 Debout,
12:07 même au seuil de la mort,
12:11 à un an sur les genoux de son père,
12:13 à 20 ans au chevet de la nation,
12:16 à 60 ans au sommet de la marine,
12:19 à 70 ans dans les travées du Sénat,
12:22 à 102 ans dans la cour des Invalides.
12:26 Il a attendu d'avoir tout écrit, tout transmis,
12:31 mis un point final à ses derniers souvenirs,
12:34 rédigé ses dernières volontés
12:36 avec une rigueur d'ordre d'opération,
12:39 demandé les derniers sacrements
12:42 et puis il a fermé les yeux
12:45 dans la nuit qui ne connaît pas l'histoire.
12:49 Une mort à sa mesure,
12:53 une mort de paladin, de chevalier,
12:57 remettant ses pensées à la France,
13:00 son âme à son seigneur
13:03 et son coeur à sa dame.
13:05 Car le dernier nom qu'il murmura
13:09 fut celui d'Henriette.
13:11 Un chevalier, membre de cette confrérie de l'idéal,
13:16 ceux qui ne vivent que debout,
13:19 ceux qui ont redressé leur patrie à la face du monde.
13:23 Ils étaient 150 000, ils étaient de cela.
13:27 Ils étaient un millier, ils étaient de cela.
13:31 Et quand ils ne furent plus qu'un,
13:34 il fut celui-là.
13:37 Debout.
13:39 Comme sont debout les grands chaînes de Colombay sous le ciel,
13:42 enracinées dans les profondeurs des âges,
13:44 déployées sans peur vers l'avenir.
13:47 Ces chaînes dont on fait les charpentes de cathédrales,
13:50 les flancs des navires et les croix de Lorraine.
13:54 Ce bois dont on fait la France.
13:57 Vous nous avez rappelé, amiral,
14:03 qu'il est des chaînes que rien n'abat,
14:06 ni le fer, ni le feu, ni l'hiver, ni l'usure.
14:11 Ces chaînes qui passent de la vie à l'éternité.
14:16 Leurs feuillages ombragent les armes de la République.
14:21 Et quand autour de nous, les abatteurs menacent,
14:25 nous savons qu'ils ne peuvent rien contre ces chaînes-là
14:28 et que par eux,
14:30 par l'idéal qu'ils nous transmettent
14:32 et que nous reprenons,
14:34 la France tiendra.
14:36 Et face au cogné de la haine,
14:41 de l'esprit de défaite
14:43 ou des consciences qui parfois vacillent,
14:46 s'il ne reste qu'un pays,
14:49 que la France soit celui-là,
14:53 debout.
14:55 Vive la République, vive la France.
15:03 Garde à vous.
15:05 Présentez arme.
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