Retrouvez « Retroppop de Camille Diao » dans Zoom zoom zen sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/retropop
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00:00La chronique d'une personne un peu plus discrète que vous, elle, elle est sans faire offense à Manon, la caution chic de notre émission.
00:06Peut-être parce que son rire est plus feutré.
00:08En même temps, c'est pas vraiment difficile d'être plus feutré que Manon.
00:11Bonjour Camille Yao.
00:12Bonjour Mathieu, bonjour tout le monde.
00:13Camille, chaque semaine dans Rétropop, vous nous racontez une chanson qui incarne son époque et 2015, c'est l'année d'une consécration.
00:19C'est le couronnement d'un roi nommé Kendrick Lamar.
00:22All Right, extrait du troisième album de Kendrick Lamar qui sort au printemps 2015 et qui lui a valu pas moins de 6 Grammy Awards.
00:33Bon, j'ai quand même demandé à ma mère, auditrice type de France Inter, est-ce que tu connais Kendrick Lamar ?
00:38Elle m'a dit non, donc je le resitue, maman, c'est pour toi.
00:41Kendrick, c'est l'homme à qui on doit ça.
00:45Ou encore ça.
00:46Le meilleur rappeur de sa génération, à mes yeux en tout cas, le seul musicien hors classique et jazz à avoir reçu un prix Pulitzer,
00:56est celui qui a signé avec All Right, la bande-son du mouvement Black Lives Matter.
01:03Mais pour comprendre comment All Right est devenu un hymne politique, il faut rembobiner.
01:09Un an plus tôt, en 2014, Kendrick travaille à son nouvel album avec son ami Pharrell Williams.
01:14Oui, celui-là même, Pharrell, faiseur de tube, a une prod de côté.
01:23Et puis il a cette phrase, We're gonna be all right, ça va aller.
01:27Il les propose à Kendrick qui choisit d'ouvrir son texte avec une citation.
01:32C'est tiré de la couleur pourpre, roman de l'écrivaine afro-américaine Alice Walker,
01:38Toute ma vie, j'ai dû me battre.
01:40Donc on est d'emblée dans l'ambiance magnifique.
01:41Oui, et la première fois qu'on l'entend dans la rue, c'est à Cleveland, le 26 juillet 2015.
01:49Un ado noir de 14 ans est embarqué dans un fourgon de police.
01:52Comme pour le protéger, la foule entoure le véhicule et scande spontanément ce mantra emprunté à Kendrick Lamar.
01:59Ça va aller, on va s'en sortir, We're gonna be all right.
02:02Il faut dire que le climat est explosif.
02:04Depuis 2013 et l'acquittement du meurtrier de Trayvon Martin, 17 ans,
02:07le mouvement Black Lives Matter a pris la rue pour dénoncer les violences policières.
02:11À chaque mois, une nouvelle victime, Eric Garner, Michael Brown, Tammy Rice, 12 ans seulement,
02:17et puis Freddie Gray, quelques jours après la sortie de l'album de Kendrick Lamar.
02:20C'est donc à eux qu'ils voulaient rendre hommage ?
02:22Pas particulièrement à la base.
02:24C'est toute la beauté de l'histoire.
02:25En réalité, c'est un morceau très introspectif.
02:27Kendrick explore ses propres démons, l'argent, la drogue, les femmes, la dépression.
02:31Ce « We're gonna be all right », c'est d'abord à lui-même qu'il l'adresse,
02:35même si, par petites touches, la question des inégalités raciales affleure.
02:39La phrase la plus explicite du morceau, c'est celle-ci.
02:45On déteste la popo, la police, elle veut nous tuer.
02:48Ça, c'est le propos de Black Lives Matter.
02:50Le tout assorti de ce refrain qui proclame que tout ira bien,
02:53qu'il y a une lumière au bout du tunnel.
02:55Pourtant, ce refrain, Pharrell Williams, parce que c'est lui qui le chante,
03:03le termine toujours en auteur « all right ».
03:05Il y a quand même une sorte d'incertitude dans ce « tout ira bien »
03:08que les manifestants, eux, chantent de façon beaucoup plus affirmative.
03:15Donc eux, ils ont fait un contresens, quelque part.
03:17Alors, je dirais plutôt qu'ils ont entendu ce qu'ils avaient besoin d'entendre.
03:20Et cette interprétation très politique qu'en fait le public,
03:23Kendrick Lamar décide de l'embrasser.
03:24Au BET Awards, il performe « all right » sur le toit d'une voiture de police vandalisée.
03:30Dans le clip qui sort quelques mois plus tard,
03:31on croit reconnaître la silhouette de Trayvon Martin.
03:34Et puis Kendrick est abattu par un policier.
03:36Il s'effondre, sourire aux lèvres, parce que « we're gonna be all right ».
03:40Tout ça met la chaîne conservatrice Fox News très en colère.
03:51Traduction approximative, on n'est pas content, pas content du tout.
03:54Trop tard, le morceau est déjà devenu une prothèse son moderne.
03:58Un peu comme « we shall overcome » pendant la lutte pour les droits civiques dans les années 60.
04:02« All right » deviendra l'année suivante, en 2016.
04:05Un cri de ralliement contre le candidat Trump, sans succès.
04:08Et est-ce qu'il l'est toujours aujourd'hui, le cri de ralliement, avec le retour de Trump au pouvoir ?
04:11Eh bien dans les manifs, oui.
04:13Mais il y a un endroit où on ne l'a pas entendu, et c'est pas anodin.
04:15C'était en février dernier, à la mi-temps du Super Bowl.
04:19Kendrick Lamar a suré le show.
04:20Donald Trump, à peine réélu, était dans les tribunes.
04:23Mais Kendrick n'a pas chanté « all right ».
04:25Ça lui a été reproché.
04:26Moi je pense que ça raconte surtout la difficulté des artistes américains
04:29de prendre position ouvertement contre la version 2025 de Donald Trump.
04:35Alors j'ai quand même envie de dire à Kendrick « courage, you're gonna be all right ».
04:37All right.