Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 23 avril 2025 : l'actrice Bérénice Bejo. Elle est à l'affiche du film "Mexico 86" de César Diaz, qui sort au cinéma.
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00:00Bonjour Bérénice Bégeot. Bonjour.
00:02Vous êtes actrice franco-argentine, arrivée en France à l'âge de 3 ans,
00:05avec vos parents qui ont dû fuir leur pays, et c'est la dictature militaire qu'ils fuyaient.
00:11C'est votre père, réalisateur, qui vous a donné goût au cinéma,
00:14notamment avec des séances organisées chez vous, en famille, chaque samedi.
00:18Devenir actrice baignée dans le 7e art est donc une évidence,
00:22comme si vous étiez née pour ça, après des apparitions dans des courts-métrages et des petits rôles.
00:26Vous avez obtenu votre premier rôle dans le film « Meilleur espoir féminin » de Gérard Juniot,
00:30qui vous a valu d'ailleurs d'être nommé dans cette catégorie.
00:33César, que vous obtiendrez dans la catégorie « Meilleure actrice » pour votre rôle dans « The Artist » en 2012,
00:38qui est un cadeau de la vie, vous l'avez dit, avant de concourir à l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.
00:43Vous avez également reçu le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes en 2013.
00:48Depuis aujourd'hui, vous êtes à l'affiche de Mexico 86 du réalisateur guatemaltec César Dias.
00:53Nous sommes en 1986, vous êtes Maria, une militante révolutionnaire guatemaltec exilée à Mexico.
01:01C'est là que vous poursuivez votre action politique, loin de Marco, votre fils,
01:04que vous avez confié à votre mère dès sa naissance, donc il a 10 ans au moment où vous le retrouvez.
01:09Ce film illustré parfois par de vraies images qui font froid dans le dos d'époque,
01:15nous plonge dans le combat mené par des hommes et des femmes au péril de leur vie.
01:18C'est une énorme caisse de résonance, finalement, Bérénice, avec vos parents,
01:24même s'ils n'étaient pas militants révolutionnaires, mais finalement, ils ont quand même été militants culturels.
01:29Oui, tout à fait. Ils étaient militants en Argentine avant que je naisse, et puis jusqu'à mes trois ans, disons.
01:36Et puis après, ils ont fui. Ils ont fui et ils sont venus en France pour nous offrir un monde meilleur
01:43et puis pour nous offrir un monde où on pouvait s'exprimer, où on pouvait avoir des rêves, surtout, des rêves.
01:52Et je dis ça parce que là, ma grande sœur est venue cet hiver en France avec mes neveux,
01:57et j'ai constaté que mes neveux n'avaient pas de rêve. Ils habitent en Argentine et ils ont 16 et 14 ans et ils n'ont pas de rêve.
02:09C'est vraiment... ça m'a frappée. C'est-à-dire qu'ils n'ont pas de possibilité.
02:14Ils sont dans un pays où on sent qu'on ne leur donne pas la possibilité de rêver.
02:20Ça a l'air vraiment bête, mais moi, mes enfants, ils rêvent...
02:25Je ne sais pas, ma fille, elle rêve d'être actrice, de danser, de chanter.
02:28Mon fils, il veut faire de l'argent, il veut être dans le business, il veut avoir une belle vie.
02:34Mes neveux, ils n'ont pas ça.
02:38Je leur demande...
02:39Ah, mais complètement. Je leur demande, qu'est-ce que tu veux faire ?
02:41Je vais peut-être faire des petits bracelets, je les vendrai sur la place.
02:45Sinon, je deviendrai peut-être maîtresse, mais pas comme une vocation.
02:51C'est magnifique, peut-être, de travailler dans l'éducation.
02:53Ce n'est pas ça que je veux dire, mais...
02:55Et le petit, il dit, je voudrais peut-être être, je ne sais pas, pilote d'avion,
02:59mais je ne sais pas ce qu'il faut faire complètement dans un monde qui est difficile,
03:06où il n'y a pas d'argent, où 50% de la population vit sous le seuil de la...
03:10Enfin, vraiment, c'est très compliqué.
03:13Et ça m'a frappée.
03:14Et Maria, c'est ça.
03:16Elle veut offrir un monde meilleur à son fils, mais aussi au monde, en fait.
03:21Il y a un énorme jeu de regard dans ce rôle, dans votre interprétation, en tout cas, Bérenice,
03:27en vous sent combattante au fond de vous-même, plus que dans le film.
03:30Ça va au-delà du film.
03:32Est-ce que vos parents vous ont transmis ça ?
03:34Alors, mon père m'a transmis l'amour du cinéma,
03:37et ma mère m'a transmis cette espèce de féminisme très fort,
03:44d'être indépendante, de se battre, de se battre pour la justice.
03:48Ma mère, elle voulait être avocate, elle voulait être juge.
03:52Donc, j'ai ça dans le sang.
03:53Ma mère, elle s'est battue pour nous offrir un monde meilleur.
03:58Mais même concrètement, à Paris, elle n'avait pas d'argent.
04:00Elle s'est battue pour trouver de quoi nous nourrir tous les soirs.
04:03Donc, j'ai ça dans les veines.
04:08Et puis, oui, c'est-à-dire qu'il y a aussi un sacrifice de la part de ma mère.
04:14C'est-à-dire que ma mère, elle nous a offert un monde meilleur,
04:16mais du coup, elle a sacrifié aussi ce pays.
04:20Elle a sacrifié sa vocation pour nous offrir un monde meilleur.
04:26Maria, elle ne sacrifie pas du coup...
04:30En fait, c'est l'inverse.
04:32Maria fait le choix inverse de ma mère.
04:33Elle sacrifie un peu sa vie de famille pour ses idéaux, pour son combat.
04:41Mais ce film, on sent qu'il a une dimension dans votre vie.
04:46Ils ont mis du temps, vos parents, à vous parler des difficultés du pays.
04:50Et là, c'est comme s'il n'y avait pas de hasard.
04:52Comme si, d'un seul coup, d'un seul, César Dias, avec cette proposition-là,
04:57venait vous secouer, vous remuer et vous repousser dans vos derniers retranchements.
05:02Oui, parce que d'une certaine manière, quand je joue Maria, j'ai l'impression de jouer ma mère.
05:08Et quand je regarde le petit Mathéo qui joue mon fils, j'ai l'impression que c'est moi.
05:11Et quand je joue avec ma grand-mère, j'ai l'impression que c'est ma mère maintenant.
05:16Et du coup, tout se mélangeait.
05:17Et du coup, j'avais ce type de langage horrible.
05:24Et c'est vrai que les sentiments se mélangeaient d'une scène à l'autre.
05:28Les personnages...
05:29Et ça a été une manière pour moi de comprendre, finalement, en jouant,
05:36d'expérimenter ce que peut-être mes parents ont vécu.
05:39Ce qui est hyper intéressant, Bérénice, quand on regarde bien ce parcours,
05:42c'est qu'il y a toujours une notion de silence dans vos films.
05:46Dans The Artist, c'était sans parole.
05:49Mais là, le silence fait partie.
05:51C'est un trait de la personnalité de cette combattante.
05:54Et j'ai l'impression que c'est l'un des traits de votre personnalité.
05:57Que par moment, il faut des silences.
05:59Pour marquer des regards, pour marquer des mots, pour...
06:02Pour marquer l'écoute.
06:04C'est tellement important, l'écoute.
06:05C'est ce qui vous rend...
06:07En tout cas, pour moi, c'est ce qui me rend meilleure actrice.
06:09C'est qu'est-ce que tu me racontes ?
06:12Qu'est-ce que ça me fait ?
06:13Et comment je réagis à ce que tu viens de me dire ?
06:16Et puis, après, il y a les mots.
06:18Il y a le texte du scénariste.
06:20Mais avant tout, il y a l'écoute.
06:22Et le silence, oui.
06:23Parfois, il vaut mieux...
06:25C'est vrai que j'ai...
06:27Vous savez, c'est bizarre.
06:28Parce que mon fils, il m'a dit, il y a cinq jours,
06:29tu sais, maman, il y a des fois, tu me fais trop la morale.
06:31Tu veux trop m'expliquer le monde.
06:33Et des fois, je veux juste que tu m'écoutes.
06:36J'ai dit, oh, mais c'est horrible.
06:37Elle me dit, c'est chiant.
06:38Et je dis, oh, mais c'est horrible.
06:39C'est vraiment la mère que je ne veux pas être.
06:41Et ça m'a vraiment bouleversée.
06:45Et donc là, vous me dites ça.
06:47Et il y a des fois, je n'y arrive pas.
06:48Il y a des fois, je ne devrais plus écouter.
06:50Oui, parce que c'est très important.
06:53Pour terminer, ce qui est le plus important dans tout ce parcours,
06:56et on le ressent dans les derniers choix de vos films de plus en plus,
07:00c'est la transmission.
07:01C'est ce qu'on fait de l'héritage.
07:03Vous en faites quoi, de cet héritage qu'on vous a transmis, Vérenice ?
07:07Moi, je suis très fière de ce que mes parents m'ont transmis.
07:10Malgré les difficultés qu'ils ont eues,
07:14ils m'ont transmis beaucoup d'empathie, en fait.
07:19Beaucoup d'empathie pour les autres.
07:21Beaucoup de...
07:22De ne pas porter trop de jugement sur les autres.
07:26Et l'amour de...
07:28L'amour de...
07:30De ce qu'on ne connaît pas, finalement.
07:33Voilà.
07:33Beaucoup de curiosité.
07:34De ce qu'on ne connaît pas,