Depuis le 24 février 2022, la Russie de Vladimir Poutine mène une guerre sans merci à l’Ukraine.En septembre dernier, une étude du Wall Street Journal évaluait à 1 million le nombre de morts et de blessés dans ce conflit.Des conséquences humaines désastreuses, mais il y a une autre guerre que Moscou mène en Ukraine, peut-être plus discrète… C’est une guerre faite à l’identité ukrainienne, par le biais de sa culture. En effet, l’armée de Poutine semble cibler et bombarder délibérément toutes les traces laissées dans l’histoire par la culture ukrainienne.Alors, la Russie de Vladimir Poutine cherche-t-elle à effacer l’identité ukrainienne pour mieux l’absorber ensuite dans un récit exclusivement russe ? Est-ce une autre facette de la guerre ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :
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00:00Ukraine, la culture en guerre de Thomas Raguet, un film qui montre un autre aspect de cette guerre menée depuis plus de trois ans par Poutine en Ukraine.
00:11Les centaines de milliers de morts et de blessés attirent notre attention tous les jours et c'est bien normal.
00:16Mais on va prendre le temps de s'intéresser aussi à la façon dont la culture ukrainienne est atteinte dans ce conflit.
00:22Atteinte ou même anéantie puisque les termes de génocide culturel sont employés dans ce film et ils sont très forts.
00:28Ils méritent d'être interrogés entre autres choses et on va le faire avec nos invités.
00:31Nadia Sologou, bienvenue. Vous êtes sénatrice centriste de la Nièvre, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine au Sénat
00:38et vous êtes vous-même d'origine russo-ukrainienne et ce conflit vous touche de très près et vous concerne de très près bien sûr.
00:44Enki Bilal, bienvenue à vous également. Grand auteur de bande dessinée, réalisateur, artiste passionné géopolitique et vos œuvres sont souvent visionnaires.
00:51On verra si Bug, une série en trois tomes dont vous êtes l'auteur se réalise un jour.
00:55Vous y décrivez une humanité plongée dans le chaos après une panne numérique mondiale.
01:00Votre histoire personnelle vous lie aussi à l'Est. Vous parlez de votre culture de l'Est.
01:04Vous êtes née à Belgrade, en République fédérative socialiste de Yougoslavie.
01:08Vous avez grandi dans le bloc communiste avec une mère tchèque et un père bosniaque.
01:12Iréna Carpa, bienvenue à vous également.
01:14Vous êtes artiste, vous aussi, chanteuse, écrivaine, scénariste, musicienne de rock ukrainienne,
01:20ancienne première secrétaire de l'ambassade d'Ukraine en France.
01:24Vous revenez d'Ukraine, vous y étiez justement il y a tout juste quelques jours.
01:27Vincent Négry, bienvenue.
01:29Docteur en droit public, chercheur CNRS à l'Institut des sciences sociales du politique.
01:33Il y a quelques années, vous avez publié ce livre qui est pile dans notre sujet du jour.
01:37Le patrimoine culturel, cible des conflits armés, de la guerre civile espagnole aux guerres du XXIe siècle.
01:44Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici.
01:45Avant que l'on entre dans l'analyse de cette autre facette de la guerre que mènent Poutine et de ses intentions profondes,
01:52je voudrais qu'on comprenne pourquoi nous parlons culture aujourd'hui alors que des gens meurent tous les jours dans ce conflit.
01:58Je trouve que ce documentaire montre à quel point la culture d'un pays est aussi un sujet important,
02:03une préoccupation qui passe bien sûr après les morts et les blessés, mais qui est importante quand même.
02:08Et tous les protagonistes de ce film nous le font bien sentir avec force et émotion.
02:12Pourquoi, Iréna Carpa, c'est aussi important de parler culture, évidemment en plus des morts et des blessés ?
02:18Pourquoi c'est un sujet important ?
02:21Le film est super bien fait, c'est très visuel.
02:24Vous voyez les églises ruinées, vous voyez l'architecture, la patrimoine mondiale d'UNESCO.
02:30Parce que détruire la culture, c'est détruire l'identité.
02:34C'est faire du peuple les orphelins qui ne savent pas d'où ils viennent, où ils vont.
02:38Ce que la Russie faisait pendant des centaines d'années.
02:42L'Ukraine faisait la partie de l'Empire russe.
02:45C'est pour ça en fait que la guerre est commencée.
02:47Parce que Poutine, ou voilà, quelqu'un qui présente le pays totalitaire,
02:53il voit les gens monter les têtes, qui sont conscients culturellement, qui se réveillent.
02:58Voilà.
02:59Qui reprend la patrimoine culturel qui a été oppressée, détruite pendant le temps soviétique.
03:05Vous comprenez, voilà, quelqu'un qui sait ce que c'est appartenir au bloc soviétique de l'époque.
03:12Et c'est impardonnable.
03:14Parce que la Russie dévalorise la culture ukrainienne.
03:17Donc il y avait le mot génocide culturel, on peut dire ethnocide.
03:22Donc c'est vraiment tout ce qui se passe qu'on peut voir dans ce film magnifique.
03:26Vraiment bravo.
03:27C'est dommage qu'il n'y ait pas de créateurs avec nous.
03:30Parce que ça me touchait beaucoup.
03:31Je pleurais quelques fois.
03:34Tout, en fait, voilà, Madame la sénatrice, elle va nous montrer son écharpe.
03:38Elle représente par exemple un d'œuvres d'art qui était pilé.
03:43Oui, vous allez expliquer ça.
03:46Tout a un sens.
03:47Tout a un sens aujourd'hui.
03:49Il y a la résistance culturelle.
03:50Parce que résister pour nous aujourd'hui, c'est le seul moyen d'exister.
03:54De continuer d'exister.
03:55Et on va en parler, j'espère, mais tout le monde, les musiciens, les peintres, les écrivains, même la mode, résistent.
04:03Ça change.
04:04J'ai parlé déjà, excusez-moi, des objets de vêtements, mais je vais parler par exemple Marob.
04:09C'était fait avant-guerre.
04:11Et aujourd'hui, ces créatrices, les jeunes créatrices d'Ivano-Franckis, ils font les habits pour les gens avec de l'amputation.
04:18Donc tout change en temps de guerre.
04:20Et on sent à votre émotion et à votre débit que c'est un sujet important.
04:24Vous êtes en train d'incarner, de prouver à quel point la culture est importante.
04:28Enki Bilal, c'est tout sur le secondaire en fait.
04:30Oui, non, mais je suis touché par ce que vous dites, parce que le documentaire a très très bien, effectivement.
04:35Ce que vous racontez, c'est...
04:36Moi, j'ai connu à Sarajevo.
04:38Je n'étais pas sous les bombes de Sarajevo, mais c'est arrivé à la Yougoslavie, l'éclatement.
04:43Et en temps de guerre, évidemment, il y a les soldats, les résistants, tous ces gens meurent, se battent, résistent.
04:48Mais il y a aussi les artistes, la culture.
04:50Et à Sarajevo, il y a eu une résistance pendant cette poche que représente Sarajevo,
04:56entourée de collines comme ça, d'une vraie cuvette qui était arrosée par des bossons serbes.
05:01Enfin bon, c'était vraiment un conflit ethnique très très violent.
05:04Les artistes résistaient.
05:06Parce qu'ils savaient, tout simplement, parce que la culture c'est essentiel.
05:08Et souvent les guerres commencent par la culture.
05:11La culture fait partie des sujets ou des conflits.
05:14Des conflits de la culture, c'est la façon de vivre, c'est la façon de penser, la liberté, de s'exprimer, etc.
05:20Donc tout ça, ça fait partie, à la limite, c'est très bien, il aurait presque fallu le faire,
05:26plutôt d'intégrer la culture dans ce conflit qui dure depuis trois ans, quasiment.
05:31C'est un élément, c'est un facteur essentiel, je pense, qui donne de la puissance à la résistance,
05:38qui donne du courage et qui simplement indique que nous sommes des êtres qui ont besoin de liberté,
05:46et que la culture fait partie de la liberté.
05:48Donc on parlera après peut-être aussi des artistes, parce que là, ce qui est impacté, ce qui est touché,
05:54c'est la culture architecturale, c'est le passé, c'est la mémoire, c'est l'histoire d'un pays,
06:00tout ça c'est complètement effacé, et comme tous les dictateurs, Poutine en est un.
06:06Et tout ça, c'est la marque de fabrique de toutes les dictatures, c'est d'abattre la culture.
06:14On commence par éliminer ce qui est dangereux, il n'y a pas que les armes qui sont dangereuses,
06:18il y a aussi l'esprit, la création, l'intelligence et l'engagement artistique.
06:22– Autre preuve, s'il en fallait une, de l'importance du sujet,
06:24cette nouvelle visite de la chef de l'UNESCO en janvier dernier en Ukraine, Nadia Sologoub,
06:28Audrey Azoulay s'est rendue à Lviv, en disant ceci,
06:31l'une des capitales culturelles du pays, un lieu de foisonnement artistique extraordinaire.
06:35Depuis trois ans, cette ville assume le rôle de ville refuge pour les artistes de toute l'Ukraine,
06:39et c'est pourquoi l'UNESCO mobilise ici des moyens importants.
06:43L'UNESCO joue un rôle majeur, c'est dire à quel point la culture est importante,
06:46et vous l'incarnez en portant aujourd'hui, donc si j'ai bien compris,
06:48un foulard qui est aussi, donc, symbole de la culture ukrainienne.
06:52– Alors oui, je vais y venir, mais je voulais dire un mot, bien sûr, pour rejoindre tout.
06:55– Excusez-moi, je voulais...
06:56– Non, non, non, vous avez spoilé.
06:58– C'est parfait, c'est parfait.
06:59– Pas du tout, au contraire, on partage ça.
07:01Non, vous dire que, évidemment, je rejoins ce qui a été dit,
07:04dire que tout au début de cette guerre, il y a eu un enjeu déjà majeur qui était la langue,
07:09et c'est un point d'affichement tout à fait symbolique,
07:13puisque, d'ailleurs, le film le montre très bien, en fait, de trois manières,
07:17les Russes, de façon très systématique, très organisée en amont,
07:21non seulement portent atteinte à la culture, mais la cible délibérément,
07:26et c'est manifestement un enjeu.
07:28D'une part en détruisant, donc les bâtiments qui sont détruits,
07:32en volant de façon très organisée, très systématique.
07:36– Là, vous parlez du pillage des œuvres, c'est ça ?
07:38– Oui, oui, voilà, le vol systématique et très organisé en amont,
07:42et puis essayer d'empêcher la création et de faire disparaître,
07:46quelque part, de phagocider, de digérer la culture ukrainienne,
07:51en lui supprimant sa langue, son âme, etc.
07:53Et c'est tout à fait paradoxal, parce qu'au contraire,
07:56il y a un foisonnement énorme de créations artistiques,
07:59le monde artistique est très engagé, avec une résilience incroyable,
08:02on parle beaucoup des combattants sur le front,
08:04mais eux, quelque part, sont les combattants de la deuxième ligne,
08:07mais qui font preuve d'un courage et d'une résilience énorme,
08:09et comme vous le disiez, d'une façon complètement multiple,
08:13avec multiples facettes, et y compris dans le monde de la mode.
08:16Alors, c'est vous qui avez m'expliqué,
08:18mais il y a une mode avec des artistes qui reprennent des sujets
08:23de la tradition ukrainienne, y compris, vous le disiez,
08:27moi j'ai entendu parler de jeunes étudiantes en art de la mode
08:31qui ont fait toute une collection absolument sublime,
08:34d'ailleurs, entre parenthèses, elles cherchent un lieu
08:35pour venir défiler emblématique à Paris,
08:37mais c'est magnifique, et ça marie en même temps
08:40les traditions de broderie ukrainienne,
08:43avec la modernité, et c'est des jeunes femmes
08:46qui ont travaillé des fois dans des caves sans électricité,
08:49dans des conditions difficiles,
08:51et elles ont fait une collection sublime,
08:53c'est un exemple, mais voilà.
08:55C'est fou, parce que Vincent Négry,
08:56en voyant ce documentaire, et en traitant de ce sujet,
08:59on est presque un peu dans la culpabilité,
09:00en se disant, est-ce qu'on fait bien de parler de culture
09:02quand des gens meurent au front, qu'il y a des blessés,
09:04qu'il y a des combattants, et en fait, on s'aperçoit,
09:05là, en vous entendant et en regardant ce film,
09:07que c'est essentiel, en fait.
09:08C'est un aspect essentiel.
09:11Ce film met en lumière une question
09:13qui a été peu traitée,
09:16c'est le caractère, c'est le ciblage
09:17et le caractère systématique de destruction
09:19des musées et des institutions culturelles.
09:22Moi, j'ai été frappé par une séquence
09:24où une habitante nous explique
09:28que toutes les maisons sont restées intactes,
09:30mais que le missile a touché précisément le musée
09:33sans atteindre aucun autre bâtiment dans la ville.
09:37Donc, on voit effectivement ce ciblage des musées.
09:41C'était le cas de Sarajevo,
09:43la bibliothèque de Sarajevo,
09:44ciblée expressément.
09:45Précisément.
09:47Parce qu'ils ont peur de lire.
09:50Alors, Sarajevo est aussi différent
09:54simplement parce que,
09:56ce soit Sarajevo ou Dubrovnik,
09:58on a mobilisé les outils du droit international,
10:00notamment de mettre les emblèmes
10:02et dès que les emblèmes se sont mis
10:04sur ces bâtiments-là,
10:05ils sont devenus des cibles.
10:06Mais là, sans même que les emblèmes soient mis,
10:10donc les emblèmes de la Convention 54,
10:11donc du bloc qui est bleu,
10:13ces bâtiments ont été ciblés,
10:14donc ils étaient connus, bien évidemment repérés.
10:17Et très souvent, quand j'enseigne le droit
10:20qui prend en charge la question
10:22de l'immunité des biens culturels
10:23dans les conflits armés,
10:24on me dit, mais est-ce qu'il n'y a pas
10:26d'autres priorités ?
10:27Ah oui, on vous dit ça aussi.
10:29Oui, on me dit ça.
10:30Et moi, je réponds toujours,
10:33distinguer le corps et l'âme,
10:34c'est un peu compliqué.
10:35C'est-à-dire qu'en fait,
10:36il s'agit quand même de protéger
10:37la culture et le patrimoine
10:39de ces populations-là.
10:41Et on ne peut concevoir
10:42la protection de ces populations
10:45sans prendre en considération également
10:49ce qui fait leur identité,
10:50leur culture et donc leur patrimoine.
10:52C'est intéressant, il y a une immunité
10:53donc de ces bâtiments,
10:56de ces œuvres ?
10:57Alors, je pense qu'effectivement,
10:58dans notre documentaire,
10:59il y a un mot qui est lancé,
11:01mais un peu comme un slogan
11:02et qu'on voit rapparaître régulièrement
11:04dans les discours,
11:05c'est le mot de génocide culturel.
11:06– On va y venir, vous avez raison.
11:08– Voilà, mais effectivement,
11:09précisons cette immunité,
11:10cette immunité, elle est très ancienne.
11:12Cette immunité, elle a été créée
11:13dans le droit international
11:14et qu'on appelait à l'époque
11:16le droit des gens.
11:17Et donc, dans la codification,
11:19ça va paraître étrange,
11:19d'un droit de la guerre,
11:20c'est-à-dire qu'est-ce qu'il est possible
11:21de faire et de ne pas faire
11:22en temps de conflits armés.
11:24Et donc, cette immunité,
11:25elle est installée
11:27dans notre droit international
11:28depuis la moitié du 19e siècle
11:31et consolidée à la charnière
11:33du 19e et 20e siècle.
11:35Et l'immunité, ça signifie
11:37que les belligérants s'abstiennent
11:38de tout acte d'hostilité
11:40envers le patrimoine des autres.
11:44– Il s'agit de la Convention de Genève aussi,
11:47Gabriel Garcia Marquez
11:50qui est un des participants
11:51les plus actifs.
11:52Mais juste pour répondre
11:53sur cette question
11:53de la bibliothèque et de la langue,
11:56maintenant, en Ukraine,
11:58de plus en plus,
11:58les gens se tournent
11:59de la langue russe
12:00en langue ukrainienne
12:01et il y a un an
12:02que les Russes ont ciblé
12:03« Factor Druck ».
12:04C'est l'imprimerie la plus grande
12:05en Ukraine
12:06qui s'est préparée
12:07pour le salon de livres annuel
12:09« Arsenal ».
12:10Et il y avait des dizaines
12:12de milliers de livres
12:12qui ont été détruits.
12:14C'était ciblé précisément
12:15parce qu'ils savaient
12:16qu'on se prépare.
12:18Moi, je fais partie maintenant
12:19d'écrivains
12:19dont les livres
12:20ont été brûlés
12:21sur les territoires occupés.
12:22Donc, on a eu notre propre action nazie.
12:28Mais, ce qui est très touchant
12:29et très intéressant,
12:30cette imprimerie a repris ses activités
12:34parce que tous les Ukrainiens
12:35se sont lancés en achat
12:36des livres de ces éditeurs
12:39qui ont été publiés
12:41dans cette imprimerie.
12:42Alors, effectivement,
12:43parmi les éléments très forts
12:44portés par ce documentaire,
12:46il y a cette idée
12:46de génocide culturel.
12:48Et je voudrais qu'on y revienne
12:48parce qu'employer ces termes,
12:50c'est vraiment pas neutre.
12:51Le mot génocide est encadré,
12:53il a une définition juridique.
12:56L'employé pour la culture,
12:57est-ce que c'est juste,
12:58approprié, pertinent, trop fort ?
13:00Je vous pose la question.
13:01Je voudrais d'abord
13:01qu'on réécoute un extrait
13:02qui dit la certitude
13:04des Ukrainiens
13:05d'être aussi attaqués
13:07sur ce front.
13:20Alors là, on touche
13:30à quelque chose de profond.
13:32Est-ce qu'il y a des intentions
13:33génocidaires culturellement
13:36de Vladimir Petit ?
13:37Je pense qu'il y a une volonté
13:38de détruire, oui, effectivement.
13:40C'est tout sauf un oxymore
13:41de dire génocide culturel.
13:43Il faut détruire l'histoire,
13:46la mémoire,
13:48il faut désarmer intellectuellement
13:49les gens,
13:50il faut les terroriser.
13:51Tout ça, c'est une violence extrême.
13:54Et effectivement,
13:55les belles résolutions
13:56du siècle dernier
13:57sont pas salaces depuis longtemps.
14:00On bombarde bien les hôpitaux
14:02sans qu'il n'y ait plus de problème.
14:04Ça crée des scandales,
14:06des images atroces.
14:08Alors, génocide culturel,
14:09c'est fort.
14:10Moi, ça ne me choque absolument pas.
14:11Ça me paraît totalement justifié.
14:14On est en train là de dire
14:16tout simplement
14:16que la culture,
14:18la création,
14:20c'est essentiel dans l'humanité.
14:22L'humanité traverse les siècles
14:23grâce aux inventions culturelles aussi.
14:26Donc, il faut s'attaquer
14:28à cette machine
14:30qui est magnifique,
14:31qui échappe, logiquement,
14:32qui échappe à tous les pouvoirs.
14:34C'est pour ça que l'artiste...
14:34C'est pour ça que ça fait peur.
14:35L'artiste est dangereux.
14:36Il est dangereux.
14:38À l'occasion du troisième triste anniversaire
14:40de cette guerre.
14:43De cette guerre.
14:44Une opération avait été proposée
14:46à tous les maires de France,
14:47à savoir avoir dans toutes les bibliothèques
14:49un livre écrit en ukrainien.
14:51Puisque l'opération est manifestement
14:54de vouloir faire disparaître
14:55la langue, l'esprit, la littérature, etc.
14:58Résister, finalement,
14:59c'est d'avoir chacun aussi
15:00dans sa bibliothèque
15:01un livre en ukrainien
15:02et transmettre
15:05et démultiplier l'opération.
15:07Alors, j'ai une question
15:07qui va peut-être vous déranger,
15:08mais je vais vous la poser quand même
15:09parce que je suis sûre
15:10que les téléspectateurs se la posent.
15:11Est-ce qu'il y a une vraie différence
15:12entre la culture ukrainienne
15:13et la culture russe ?
15:14Alors, moi, je ne l'avais pas
15:15vraiment identifiée
15:16parce que dans ma famille,
15:17on n'avait que la culture russe.
15:18Mes grands-parents avaient divorcé.
15:20Mais maintenant que je commence
15:21à connaître et aimer l'Ukraine,
15:24oui, oui, ce sont vraiment
15:25deux cultures distinctes
15:27avec deux langues distinctes
15:30et l'une ne doit pas disparaître.
15:31Et c'est vraiment
15:32tout l'enjeu de cette guerre,
15:33c'est cette russification de l'Ukraine.
15:35D'ailleurs, on a l'impression
15:36qu'en ce qui concerne le vol,
15:38la spoliation des œuvres d'art,
15:39ce qui est organisé,
15:40c'est que les Russes disent
15:42mais finalement,
15:43dès qu'ils arrivent
15:43en territoire occupé,
15:44hop, on est en Russie.
15:46Donc, voilà.
15:46Ils ont fait pareil
15:47avec les enfants, finalement.
15:49C'est exactement la même chose
15:50de déporter les enfants.
15:51C'est pour les russifier aussi.
15:52C'est pour étouffer tout ça.
15:55D'ailleurs, vous aviez parlé
15:56de la comparaison
15:57avec le nazisme.
15:58Tout d'un coup,
15:59on décide de faire disparaître
16:00totalement un peuple,
16:02une culture, une religion.
16:04Absorber la culture ukrainienne,
16:05vous pensez que c'est ça
16:06que je cherche.
16:07La dire, Poutine l'a digérée.
16:08Tout à fait dévorée
16:09parce que même votre question,
16:11ça vient de cette politique
16:13qui a été menée
16:14pendant des centaines d'années
16:16d'assimiler les Ukrainiens,
16:17de dire qu'on n'existe pas.
16:19D'ailleurs, Poutine l'a répété
16:20dans son article pour TASS
16:21juste au début de la guerre.
16:23Il a dit qu'il n'y a pas
16:24de culture ukrainienne,
16:25il n'y a pas d'histoire ukrainienne.
16:27Il n'y a rien.
16:28En fait, ce n'est pas vrai.
16:30Et les Ukrainiens,
16:31on a commencé de résister.
16:33Et ça, c'est la menace
16:35pour ce grand mythe
16:36de la grande culture russe.
16:37De faire croire
16:38que tout le monde est russe.
16:39Il n'a jamais été mis en question.
16:40Il faut juste regarder
16:41avec les yeux ouverts
16:43ce qui se passe
16:44dans la grande culture russe.
16:45On ne la nie pas.
16:47Dans les écoles ukrainiennes,
16:49il y a toujours
16:49les écrivains russes
16:51mais qui sont regardés
16:52en cours de la littérature mondiale,
16:54par exemple.
16:55Juste une chose,
16:56en fait, cette guerre,
16:57elle a le sous-texte
16:59très très fort,
17:00le sous-texte culturel
17:01très très fort
17:02vu que ce n'est pas
17:04que le patrimoine
17:05qui est détruit.
17:06Ce sont les artistes
17:07d'aujourd'hui
17:08qui meurent à la guerre
17:09parce qu'ils se sentent engagés.
17:11ils vont au front.
17:12Et donc, peu importe,
17:14même si tu n'es pas engagé
17:16en la guerre,
17:16tu peux être chez toi
17:17comme la jeune artiste
17:18Nika Koujouchko
17:19de Kharkiv.
17:2118 ans,
17:22je l'ai vu,
17:22juste il y a quelques jours
17:24avant,
17:25elle a été tuée chez elle.
17:26C'est une peintre
17:27très talentueuse.
17:28Après, il y a
17:28Victoria Mellena
17:29dans le livre.
17:30Je voudrais,
17:31en fait,
17:32amener,
17:32je vais finir,
17:33je voulais attirer
17:34votre attention.
17:35Le livre s'appelle
17:36Regardez les femmes,
17:37regardez les guerres.
17:38C'était une amie à moi.
17:40Elle était en train
17:41de venir à Paris
17:42pour faire le stage annuel
17:43à l'Université de Columbia.
17:46On choisissait
17:47l'appartement pour elle,
17:48l'école pour son gosse
17:49et après,
17:50j'apprends la nouvelle
17:50qu'elle a été tuée.
17:51Et c'est elle,
17:52d'ailleurs,
17:53qui a découvert
17:53le carnet
17:54d'un autre écrivain.
17:56Il écrivait pour les enfants,
17:57c'est Volodymy Ravakoulenko.
17:58Il a été à Izium
17:59qui est aussi mentionné
18:00dans le film
18:01qui était torturé
18:02par les Russes.
18:02L'écrivain
18:03qui écrivait pour les enfants.
18:05Pensez à ça.
18:06Quel danger
18:06peut mener
18:08qui est écrit
18:09pour les enfants
18:10que pour les Russes.
18:10Vincent Negri,
18:11je voudrais une précision juridique
18:13que vous seul pouvez apporter.
18:15Génocide culturel,
18:16ça a un sens
18:17sur le plan juridique ?
18:18Dans les textes,
18:19c'est défini ?
18:20C'est encadré ?
18:21C'est ce qui se passe ?
18:22Alors,
18:24le terme de génocide culturel
18:25n'a pas de portée juridique en soi.
18:28C'est-à-dire qu'il n'y a pas
18:29de texte international,
18:30il n'y a pas de convention
18:31qui définisse
18:33ce qu'est un génocide culturel.
18:35Mais on a une convention,
18:36par contre,
18:36depuis 1948,
18:37que l'on doit
18:39à un des grands juristes
18:40du XXe siècle
18:41qui est Raphaël Lemkin.
18:43Et donc,
18:44cette convention,
18:45elle vise
18:45la répression
18:46et la prévention
18:47du crime de génocide.
18:49Et Raphaël Lemkin,
18:50alors,
18:51Raphaël Lemkin,
18:52il a aussi un parcours étonnant
18:54puisque c'est un juriste polonais
18:56mais qui fait ses études
18:57à Livre,
18:58en Ukraine.
18:59et donc,
19:01Raphaël Lemkin,
19:02lorsqu'il élabore
19:04ce projet de convention,
19:06il veut,
19:07dans son projet,
19:08inclure le génocide culturel.
19:11Et vous savez
19:11qu'une convention,
19:12c'est toujours
19:12un arbitrage
19:14entre les États
19:15puisque,
19:15in fine,
19:16ce sont les États,
19:17lors de l'Assemblée générale
19:18des Nations Unies
19:19qui adoptent le texte
19:20et donc,
19:21dans les négociations,
19:22il ne réussit pas
19:23à imposer
19:24une définition
19:26de génocide culturel.
19:27Donc,
19:27nous n'avons dans le droit
19:28qu'une définition
19:29de génocide.
19:29Mais pour autant,
19:30quand je vois le documentaire,
19:32quand je vous écoute
19:32et quand je relis,
19:36j'ai relu,
19:36avant de devenir ici,
19:38Raphaël Lemkin,
19:39il nous dit deux choses.
19:40Il nous dit
19:40qu'un génocide,
19:43c'est quand on s'en prend,
19:44quand on veut détruire
19:46les caractéristiques nationales
19:48d'un groupe opprimé
19:50et ça,
19:52c'est la première phase
19:53et la seconde phase,
19:54c'est quand on vient
19:55instaurer
19:56la caractéristique nationale
19:58de l'oppresseur.
20:00Et dans ce que vous exprimez,
20:02dans ce que vous nous décrivez,
20:03c'est exactement
20:03ce qui est en train de se passer.
20:04C'est exactement
20:05ce qui se passe.
20:06C'est-à-dire que
20:07l'intention génocidaire
20:08qui est la condition essentielle
20:11pour qualifier
20:12le crime de génocide
20:13au regard de ce qu'on voit
20:14dans ce documentaire,
20:15de ce qui est des témoignages
20:17qui sont apportés.
20:19Et comment on le prouve,
20:20justement ?
20:21Un documentaire comme celui-là
20:22est une preuve ?
20:22Pourra être une preuve ?
20:23Alors, toujours pareil,
20:24c'est-à-dire que là,
20:25c'est-à-dire que si...
20:27Alors,
20:28vous avez fort justement relevé
20:30que ce droit
20:31qui met en place
20:32un régime d'immunité
20:34a démontré
20:35son inefficacité.
20:37Moi, je relativise toujours
20:38parce qu'effectivement,
20:39je dirais qu'il y a quand même
20:40eu quelques succès
20:41mais dont on ne parle jamais.
20:42On ne parle effectivement
20:43que des échecs.
20:44Et puis surtout que
20:45si on qualifie
20:47une action de génocide,
20:48si on qualifie
20:49une action de crime
20:50contre l'humanité,
20:51je pense qu'il faudra aussi
20:52revenir sur cette notion-là,
20:54dès lors qu'on récolte
20:56les éléments de preuve
20:57qui permettent effectivement
20:59de condamner
21:01l'auteur d'un crime
21:02de génocide
21:03ou l'auteur d'un crime
21:04contre l'humanité,
21:05on peut enclencher
21:05une seconde phase
21:06qui est essentielle,
21:08c'est la réparation.
21:10C'est-à-dire qu'en droit,
21:11la réparation ne peut venir
21:12qu'en conséquence
21:14d'une infraction,
21:15donc d'un crime
21:16qui a été commis.
21:17On voit ce travail acharné,
21:19ce travail de fourmis
21:20qu'ils font dans ce film
21:22pour récolter les preuves,
21:23stocker, réparer
21:25et pour pouvoir prouver.
21:26Y compris le bureau
21:27du procureur
21:28de la Cour pénale internationale
21:29à des envoyés sur place
21:31pour récolter
21:32l'ensemble des preuves
21:33dans l'hypothèse
21:34d'un procès
21:34qui se tiendra
21:35après le conflit
21:36pour sanctionner
21:38les auteurs
21:38de crimes de guerre,
21:39de crimes contre l'humanité,
21:41voire de génocide.
21:42Une fois qu'on a parlé
21:43des œuvres détruites,
21:45parlons de celles qui naissent
21:46et qui assurent peut-être
21:47un avenir à la culture ukrainienne.
21:50Les artistes sont encore là
21:51et ils sont bien là.
21:53Tout un pan du film
21:54nous les présente.
21:55Dessins, musique, danse,
21:57ce sont des moments
21:58d'ailleurs assez touchants.
21:59L'art semble aussi pour eux
22:01un puissant outil
22:02de réparation.
22:03Vous avez employé
22:04le mot de résilience,
22:05Nadia Sologoub,
22:05et on va y revenir.
22:06Et même un lien
22:07avec les autres pays.
22:08Regardez.
22:09Je pense que c'est important
22:12de faire ce que je fais
22:13et de vivre
22:15l'intestatement
22:16et de donner
22:17la possibilité
22:17de faire ce qu'ils veulent.
22:20Il y a un peu
22:21ça lecure,
22:22parce que tu
22:23ressens la supporte.
22:26Même si
22:26l'on va mettre
22:27des rayons
22:28sur mon Instagram,
22:30je ressens
22:32le feedback,
22:33le soutien
22:33le soutien
22:34les gens
22:35qui vivent
22:37Ils vivent leur vie dans d'autres pays.
22:39Ils ne sont pas au-delà de l'Ukraine.
22:41Mais ils ne sont pas tous les mêmes.
22:43Et c'est très important, même pour moi.
23:07Les artistes, effectivement, sont...
23:09Il y a quelque chose qui frappe aussi pendant les guerres.
23:12Je recite Sarah Evo.
23:14Ce n'est pas de la même situation.
23:16Mais l'art, il y a une effervescence.
23:19Il y a une flamme très puissante qui anime les artistes.
23:22La résistance, elle se passe par la création.
23:25Les pièces de théâtre, l'art plastique, la sculpture, le rock, la musique.
23:31Tout ça, ça vibre littéralement.
23:34C'est surpuissant.
23:36C'est inventif.
23:37Et il se passe toujours, ensuite, lorsque la guerre s'arrête.
23:40Une guerre qui s'arrête, ça ne s'arrête jamais.
23:42La vie s'est arrêtée.
23:43Il y a l'espèce de blues terrible de ceux qui ont connu ça.
23:47Cette effervescence, cette richesse, cette puissance imaginaire.
23:51Et ils se retrouvent perdus.
23:52Lorsqu'une espèce de paix est arrivée.
23:54Lorsqu'il n'y a plus les bombes, etc.
23:56C'est terrible.
23:56C'est très pervers comme système.
23:58Mais l'art, c'est quelque chose qui prend à ce moment-là,
24:01qui évolue, qui avance.
24:02Et effectivement, là, je pense que l'Ukraine est en train de s'armer,
24:06entre guillemets, au bon sens du terme,
24:08pour la création artistique dans le futur.
24:11Elle évoque même l'idée de guérison, Nadia Soukoum, l'art guéri.
24:15C'est absolument la transition que je voulais faire.
24:17En même temps, ce foisonnement, vous disiez très bien,
24:19cette flamme extraordinaire.
24:21Mais aussi le bien que cela fait, y compris, je vous parlais tout à l'heure d'une opération
24:25qui propose de collecter des fonds pour envoyer des bus d'art-thérapie au plus près du front.
24:31Et puis, il y a des témoignages puissants.
24:33Cette jeune femme qui chante en disant, mon fiancé est engagé, mais je chante pour les soldats.
24:39Un qui dit à un moment, danser comme si c'était la dernière danse.
24:42J'ai noté quelques phrases.
24:44C'est aussi important que de manger le bien que ça fait à tous ces gens.
24:48Qui occupaient les enfants aussi.
24:49Oui, cette dame extraordinaire qui montrait.
24:52Alors, j'ai trouvé avec une fierté incroyable.
24:54Elle dit, voilà, eh bien là, les enfants peuvent créer.
24:57Ils ont plein de crayons de couleurs.
24:59Ils veulent faire des collages.
25:00Parce que c'est un souci énorme, cette génération qui est traumatisée complètement.
25:04Ces enfants qui passent depuis trois ans.
25:06Soit ils ne vont plus à l'école, soit ils vont à l'école dans des caves.
25:08Et c'est un souci énorme pour les Ukrainiens.
25:11C'est les enfants essayer d'éviter que le traumatisme soit trop lourd.
25:15Ce qui est absolument impossible.
25:16Mais ils les font justement dessiner, peindre, etc.
25:19Pour arriver à justement à se retriculer.
25:22Créer quand les adultes sont en train de détruire.
25:24Oui, survivre.
25:25C'est une manière de survivre.
25:26Et survivre.
25:27Avec le soutien, donc le pitrim, c'est le premier mot que Madame Sologuba a pris en Ukrainien.
25:34Avec le soutien de l'ambassade de la Suisse.
25:38Moi, j'ai lancé le cours d'écriture thérapeutique pour les adolescents.
25:42Donc voilà, pour les adolescents qui ne savent pas s'exprimer.
25:44Évidemment, dans le film, c'est difficile de montrer l'écriture, de montrer la littérature.
25:49Mais ça aide.
25:50Et j'espère que ça va marcher après pour les vétérans aussi.
25:54Pour les gens qui reviennent de la guerre.
25:56Pour s'exprimer.
25:57Les émotions qui sont très complexes.
25:58Parce que l'art, quand notre cœur est brisé, l'art, c'est ce col magique qu'est le récolte.
26:03Après, soit tu peins, soit tu chantes.
26:06C'est très important.
26:07Et après, en parlant de la résilience et de théâtre,
26:11ce n'est pas possible d'acheter le billet pour la pièce de théâtre en Ukraine.
26:14On donne plusieurs reprises parce que tout le monde se précipite au théâtre.
26:19Les gens découvrent, redécouvrent le patrimoine culturel.
26:22Les théâtres sont blindés aujourd'hui.
26:24Et vous avez parlé de fixation de crimes de guerre,
26:28de crimes qui sont faits à le patrimoine culturel.
26:31C'est très important.
26:31Mais aussi, ce qui est très important, c'est de garder ce lien culturel entre moi d'aujourd'hui,
26:38entre un citoyen d'aujourd'hui et le patrimoine.
26:41Parce que la culture ukrainienne, elle est super ancienne.
26:45Elle date de milliers d'années.
26:46Et ce qu'on voit aujourd'hui, sur les territoires occupés,
26:49il y a des anciens sites archéologiques, Skid, par exemple,
26:53qui sont détruits par les Russes juste pour faire les tranchées.
26:56On a parlé déjà des pillages.
26:58Il y a des choses qu'on ne récupérera pas.
26:59Il y a des choses, mais surtout, ce qui est important, c'est de garder ce lien.
27:02Parce que même si on reprend les territoires,
27:05le plus important, c'est d'avoir ce lien.
27:08La Russie cible tout le temps, tout le temps,
27:10pour nous dire que non, vous n'existez pas.
27:11La langue ukrainienne, c'est pareil que la langue russe.
27:13Elle essaye d'anéantir, de gommer.
27:15Voilà.
27:16Et c'est pour ça qu'on a besoin de Petrimka,
27:18qu'on a besoin du soutien de la société européenne
27:22qui comprend très très bien ce que c'est la civilisation.
27:25Je voulais dire que l'effet pervers pour Poutine,
27:27c'est que finalement, les Ukrainiens,
27:29la plupart des Ukrainiens, redécouvrent ou découvrent,
27:32découvrent leur culture.
27:34Des décennies de joues soviétiques, etc.
27:36Qu'est-ce qu'ils savaient, les paysans, etc.
27:38Vous voulez dire qu'ils renforcent l'identité et la culture ukrainienne
27:41au lieu de l'anéantir ?
27:42C'est une paradoxe.
27:44Il la réveille littéralement.
27:44C'est vrai que ça, en fait,
27:46les Ukrainiens prennent conscience de leur culture,
27:48de leur langue.
27:49C'est pour ça que la langue revient,
27:51avec l'alphabet qui change,
27:52les lettres, les i qui sont plus les mêmes.
27:55Ils très mains.
27:55Voilà, tout ça.
27:56Et en fait, les prénoms, tout ça,
27:59moi, je connaissais le Vov, c'était le Vov.
28:01C'est le vif.
28:03Alors, ça, c'est des petits détails,
28:05mais c'est vrai que là, Poutine,
28:06il a réveillé quelque chose qui pourra plus arrêter.
28:09C'est fou.
28:09Vincent Dégry.
28:10– Vous soulignez, dans votre propos,
28:15effectivement, la question du pillage aussi,
28:17donc des biens culturels qui ont été pillés,
28:21qui ont été dispersés.
28:24Et je crois que ce qu'il ne faut pas oublier,
28:25c'est que quand on cible un musée,
28:29le ciblage d'un musée,
28:32la destruction d'un musée ou d'une institution culturelle,
28:34c'est l'acte premier du trafic illicite des biens culturels.
28:39Et c'est aussi ce que met en lumière ce documentaire.
28:42C'est-à-dire que, à un moment donné, j'ai été frappé,
28:45je dirais que par le fait, effectivement,
28:47on montre que certains biens culturels ont été pris dans un musée
28:50et qu'on les retrouve maintenant dans la partie de la Crimée
28:53sous domination russe.
28:57Donc, on voit qu'il y a une planification de ces questions-là.
29:00Et il va y avoir aussi du trafic illicite,
29:04il va y avoir de la circulation illicite des biens qui ont été pillés.
29:07Et soyons vigilants sur un point.
29:09C'est-à-dire que ces biens culturels vont apparaître sur le marché,
29:13mais ils ne vont pas apparaître dans un an ou deux ans,
29:14ils vont apparaître dans cinq ans ou dix ans.
29:17C'est-à-dire qu'on va les mettre au froid,
29:19on va les faire oublier, en quelque sorte,
29:23et puis ils vont réapparaître...
29:25Pour mieux les vendre, vous voulez.
29:26Pour mieux les vendre, parce qu'effectivement,
29:27plus le temps va passer...
29:28Si le conflit s'arrête prochainement, ce qu'on doit espérer,
29:34eh bien, je veux dire...
29:35Puis elles seront oubliées, ces œuvres.
29:36Je veux dire qu'on va, dans cinq ans, sept ans, huit ans, dix ans,
29:40on aura...
29:41La mémoire de ce qui s'est passé va s'estomper.
29:44Vous dites ça parce qu'on a le recul de ça,
29:45notamment de la Seconde Guerre mondiale, avec les œuvres pillées ?
29:48Non, parce qu'on a le recul de l'Irak, de la Syrie,
29:50où les biens culturels sont mis à l'abri,
29:53sont mis au frigo, en quelque sorte,
29:55pendant quelques années,
29:57avant de réapparaître sur le marché.
29:59Et là-dessus, vous êtes optimiste ou pessimiste ?
30:00On finit par les rendre à leurs propriétaires, les œuvres ?
30:03Moi, je suis pessimiste sur un point essentiel,
30:05qui est que les États,
30:07qu'on va qualifier les États dits de marché,
30:09donc nos États européens,
30:11donc d'Europe de l'Ouest,
30:14ne ratifient pas
30:15toutes les conventions internationales
30:17qui permettent de restituer les biens culturels.
30:19Et donc, qu'est-ce qu'on va répondre aux Ukrainiens
30:22quand on va retrouver sur le marché des biens
30:24qui proviennent de certains musées,
30:27dont il sera prouvé qu'ils sont issus de pillages
30:29et de destructions systématiques par les troupes russes ?
30:33Qu'est-ce qu'on va répondre quand on leur dit
30:34« on ne peut pas vous les restituer »
30:35parce qu'on n'a pas ratifié les conventions internationales
30:38qui permettent de le faire ? »
30:39Donc là, on a une responsabilité aussi collective,
30:42je parle des États européens,
30:43pour préserver l'avenir des Ukrainiens, précisément.
30:48– Et là, comme on arrive à la fin de cette émission,
30:50c'est une vraie question qu'on peut se poser,
30:51Nadia Sologoube, vous craignez qu'effectivement
30:53ces œuvres, on ne puisse pas les restituer ?
30:55– Ah oui, alors je crains tout à fait,
30:57je partage votre crainte,
30:57et j'avais un petit mot en conclusion
30:59pour les gens qui pourraient dire
31:02« bon, est-ce que c'est vraiment important
31:03de protéger la culture ? »
31:05Moi, je suis allée à Bouchard en juillet 2022,
31:07donc évidemment, on a vu des choses
31:08extrêmement bouleversantes,
31:09mais il y a une chose qui était
31:10extrêmement bouleversante aussi,
31:12c'est une statue monumentale de Taras Shevchenko,
31:14qui est le poète ukrainien emblématique,
31:17qui était avec une balle dans la tête,
31:19à moitié effondrée,
31:20et avec mes collègues, on s'est dit
31:22« et si c'était Victor Hugo ? »
31:23Et que les Français qui nous regardent
31:25mesurent ce que ça veut dire.
31:28– Iréna Carpa, pour vous aussi,
31:29conclure ce débat ?
31:31– Oui, tout à fait, en fait, on résiste,
31:35on n'a pas d'autre choix,
31:36pour les Ukrainiens, se battre au front,
31:38c'est survivre, c'est résister culturellement,
31:41c'est survivre, c'est passer le patrimoine
31:43de nos enfants, se parler ukrainien,
31:45c'est dégager l'esclave,
31:47de l'Empire, de chez toi-même,
31:49c'est comprendre, c'est redécouvrir
31:51toute la poésie des siècles passés,
31:55se renforcer avec ça,
31:56et c'est de créer, de faire,
31:58parce qu'aujourd'hui, on crée sur la guerre,
32:00parce qu'on vit avec cette guerre,
32:02on a déjà trois ans,
32:03donc c'est ancré dans nos cerveaux,
32:05mais c'est résister,
32:06et aussi, on a beaucoup, beaucoup d'humour,
32:09ça c'est aussi une autre chose,
32:10on produit énormément de blagues,
32:13même dans les temps les plus sombres.
32:14– Et c'est aussi de l'art,
32:15l'art racontera cette guerre aussi,
32:17Enki Bilal, on peut se dire ça.
32:18– L'art, moi j'ai participé pendant des années
32:22à une très belle opération d'exposition
32:25de dessins faits par des enfants,
32:28Zéran Gérard Vaud qui avait fait ça,
32:30j'avais accompagné cette jeune femme
32:31qui avait fait un travail remarquable,
32:33elle avait recueilli plein, plein, plein de dessins
32:35venus de tous les conflits du monde
32:37depuis 1914.
32:38Depuis 1914, il y avait des dessins
32:40d'enfants qui voyaient leur père partir
32:43pour des tranchées, etc.,
32:45des choses terribles,
32:46toutes les guerres qu'on a pu voir,
32:47le Rwanda, etc., l'Afrique, etc.
32:50Et donc ces dessins étaient comme un témoignage
32:53de puissance, de résistance, de résilience, effectivement.
32:58J'avais accompagné notamment un gamin
33:00qui avait vu son père se faire tuer au Rwanda,
33:03et il avait fait le dessin de son père
33:05en train de se faire tuer par une machette, etc.
33:07Donc il y a vraiment une puissance incroyable.
33:10Donc l'art, effectivement, c'est essentiel.
33:13Heureusement que vous finissez par la pointe d'humour,
33:15ça c'est extrêmement important aussi,
33:17parce qu'effectivement ça permet de tenir
33:19et de renforcer et la créativité et la résistance.
33:23Un dernier mot, Vincent Negri, pour conclure, vous aussi ?
33:26La culture est toujours la victime première
33:29des conflits armés.
33:31Depuis l'Antiquité, on pourrait dire,
33:34mais là, ça a atteint une proportion inouïe.
33:39Et moi, je garde une image dans ce documentaire
33:41qui m'a frappé, c'est cet architecte
33:44qui fait un état des monuments détruits
33:48dans l'hypothèse de la reconstruction.
33:51Et donc, je me disais,
33:53en fait, en le voyant faire,
33:55on a l'impression que c'est totalement vain.
33:56Il est seul face à des édifices totalement pulvérisés
34:03et en fait, il imagine déjà ce que ça va être après.
34:07Je pense que moi, c'est l'image, effectivement,
34:09que l'on doit garder.
34:10Enfin, moi, c'est une des images que je garde
34:12en espérant que les choses prendront au corps, justement.
34:19Et on s'arrêtera sur cette note d'espoir,
34:21sur cette espérance.
34:22Merci en tout cas à tous les quatre
34:23d'avoir participé à cet échange.
34:25Merci d'avoir été notre invitée
34:26sur ce documentaire qu'on a tous trouvé très touchant.
34:29Merci beaucoup et merci à vous
34:30de nous avoir suivis comme chaque semaine.
34:32Documentaire et débat à retrouver
34:33en replay sur notre plateforme publicsénat.fr.
34:36À très bientôt. Merci.