Aujourd'hui dans le grand entretien, nous discutons de la guerre commerciale avec l'historien Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste BDO France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-13-avril-2025-2152096
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Et un grand entretien ce matin consacré à un monde peut-être aujourd'hui hors de contrôle, à l'affolement du monde comme le disait l'un de nos invités de ce matin.
00:11Dernier rebondissement après une semaine de panique sur les marchés financiers.
00:15Dernier épisode dans la guerre commerciale, le président américain Donald Trump suspendait des mesures douanières pour 90 jours visant tous ses partenaires commerciaux
00:25à l'exception de la Chine dont les importations seront taxées à 145%.
00:31Dernier revirement en date, on vous le disait hier soir, les Etats-Unis annonçaient exempter les smartphones et les ordinateurs de ces surtaxes douanières.
00:41On voulait croiser les regards de deux invités, une économiste et un historien, directeur de l'Institut français des relations internationales.
00:48Chers auditeurs, vos questions, réactions au 01 45 24 7000 ou sur l'application de Radio France.
00:57Anne-Sophie Alsif, Thomas Gomart, bonjour.
01:00Bonjour.
01:01Anne-Sophie Alsif, vous êtes économiste, professeur à Paris 1, Panthéon-Sorbonne, chef économiste au cabinet de conseil BDO.
01:09Et quant à vous, Thomas Gomart, vous êtes historien, spécialiste des relations internationales, je le disais à la tête de l'IFRI.
01:16Première question pour essayer de comprendre de manière un peu grand angle sur ce qui se passe en ce moment.
01:25Est-ce que vous diriez que le monde est hors de contrôle, Thomas Gomart, comme vous l'avez pu l'écrire il y a maintenant deux ans ?
01:32Disons que les points de contrôle sont en train de changer de main.
01:34C'est plutôt comme ça que je résumerai les choses.
01:37Il y a une difficulté analytique qui est d'essayer de suivre le comportement erratique du président Trump.
01:43Ces décisions quotidiennes, les volte-face, qui nous occupent beaucoup, qui justifient beaucoup de commentaires.
01:51Et puis il y a les déplacements structurels, en réalité, qui s'observent déjà.
01:55Et je crois que le principal déplacement structurel, c'est l'évolution du rapport de force entre la Chine et les Etats-Unis,
02:01ou plutôt entre les Etats-Unis et la Chine, et les conséquences que cela a pour les autres acteurs.
02:07Donc à mon avis, il faut distinguer ce qui est évident, c'est-à-dire le discours de Trump, des effets,
02:14et ensuite des jeux d'acteurs pour s'adapter à ces changements structurels.
02:19Même question, Anne-Sophie Alsif.
02:22Alors je dirais que c'est une évolution qui était anticipée, en tout cas on le voyait économiquement.
02:27Tout ce dont on assiste, la montée du protectionnisme, les droits de douane, ça fait 20 ans que c'est en marche,
02:33qu'énormément de pays pratiquent, pas que les Etats-Unis ou la Chine, l'Inde, l'Algérie, la Russie, les pays d'Amérique du Sud.
02:39Et l'idée sous-jacente, c'est de dire, depuis la Seconde Guerre mondiale,
02:43on essayait d'avoir des relations économiques pour essayer de ne plus se faire la guerre.
02:47Et donc l'idée, c'est de dire, si on est dépendant économiquement, il n'y aura plus de conflits, notamment territoriaux.
02:52Aujourd'hui, on voit, et ce n'est pas aujourd'hui, ça fait depuis quelques années qu'on n'est plus sur cette doxa, sur cet objectif.
02:57Et donc l'idée, c'est comment garder un minimum de relations économiques, parce qu'on est très imbriqués,
03:01tout en ayant des vérités géopolitiques ou autres.
03:05Et c'est ça qui est très différent par rapport à ce qu'on a connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
03:08Il y a une expression qu'on emploie justement, vous venez de parler de guerre, et d'une vraie guerre, la Seconde Guerre mondiale,
03:13une expression qui revient constamment, guerre commerciale.
03:15Est-ce que l'expression est justifiée pour l'économiste que vous êtes et Thomas Gomart ensuite ?
03:20Oui, tout à fait. C'est vrai que là, on est revenu sur l'augmentation des droits d'ouane.
03:24Depuis 20 ans, je le disais, on a une montée du protectionnisme.
03:27Mais l'idée, c'était de faire ce qu'on appelle du non-tarifaire.
03:29Par exemple, on disait, non, votre frauvian ne peut pas venir en Europe parce qu'il y a des hormones
03:33ou ça ne correspond pas à notre réglementation.
03:35Et donc tous les pays baissaient le tarifaire, les fameux droits d'ouane, mais augmentaient le non-tarifaire.
03:40Bien sûr que c'était du protectionnisme, mais c'était un peu du protectionnisme déguisé.
03:43C'est vrai qu'avec Donald Trump, on revient au fameux tarif.
03:46Donc voilà, on vous met 20%, 25%.
03:48Et ça, ça avait vraiment disparu parce qu'on a eu cette augmentation.
03:51145% ?
03:51145% vos droits d'ouane.
03:54Thomas Gomart, guerre commerciale, c'est une expression que vous employez ?
03:58Oui, bien sûr.
03:58Mais peut-être que j'apporterais une lecture un petit peu différente.
04:02C'est-à-dire que je ne suis pas certain que les échanges économiques étaient construits pour éviter la guerre.
04:08Ou plutôt, ils n'ont pas empêché la guerre.
04:10Ils ont empêché la guerre peut-être entre des grands acteurs.
04:12Mais les grands conflits, qu'on songe par exemple à la guerre d'Irak en 2003,
04:17je veux dire, dans des périodes de forte mondialisation, on a eu néanmoins du conflit géopolitique.
04:22Ce qu'on n'a pas forcément voulu le voir, on ne l'a pas lu comme des éléments de transformation structurelle.
04:27Oui, il y avait l'impression que le libre-échange et le commerce allaient favoriser la paix, le bon commerce, comme on disait au 18e siècle.
04:33C'est très vrai pour les Européens.
04:35C'est très vrai pour la relation structurelle du commerce mondial qui est entre les Etats-Unis, la Chine et l'Europe,
04:41qui représentent, ces trois ensembles représentant plus de 50% du PIB mondial.
04:46Mais pour le reste, la géopolitique a été extrêmement violente, d'une certaine manière, en dépit de ce doux commerce.
04:53Et moi, je pense que la phase dans laquelle on est devrait peut-être nous, si on cherche des analogies historiques,
04:58nous renvoyer à l'entre-deux-guerres.
05:00Parce que dans l'entre-deux-guerres, parce qu'à mon avis, ce qui est en train de se passer, c'est un mouvement peut-être,
05:05alors les comparaisons en histoire, il faut toujours s'en méfier,
05:08mais une comparaison du passage de relais entre la domination de la livre sterling et du dollar.
05:13Dans le milieu des années 20, après la Première Guerre mondiale, donc un choc absolument incroyable.
05:19Et en même temps, c'est une modification qui s'est faite avec une modification du rapport de force stratégique,
05:24notamment dans le domaine maritime et naval.
05:25Et je pense que c'est ce qui est en train de se passer actuellement,
05:28c'est-à-dire qu'on a une question à terme sur la position dominante du dollar qui se pose,
05:33et une modification déjà visible des équilibres maritimes en faveur de la Chine,
05:37et d'un équilibre naval, c'est-à-dire militaire, qui reste en faveur des Etats-Unis.
05:41Et je pense que cette dimension-là, on doit l'intégrer au raisonnement
05:43pour comprendre les évolutions structurelles que je mentionnais.
05:47Alors Anne-Sophie Alsif, depuis cette espèce de Libération Day,
05:50le jour de la libération et les annonces de tarifs douaniers par Donald Trump,
05:53il y a eu effectivement plein de rebondissements,
05:55c'est monté par palier, c'est redescendu pour les autres pays que la Chine, etc.
06:00Et puis effectivement, le dernier rebondissement dont parlait Ali tout à l'heure,
06:03c'est cette décision d'exempter de surtaxe douanière,
06:07donc des 145%, les appareils électroniques en direction de la Chine,
06:14qui viendraient de la Chine.
06:16Et dans Ouest France, le ministre de l'économie, Éric Lombard,
06:19dit que ça montre qu'il y a un espace pour la négociation.
06:22Est-ce que vous pensez la même chose ?
06:23Oui, tout à fait, parce que c'est vrai qu'il y a énormément de produits électroniques américains
06:27qui sont fabriqués en Chine, notamment le fameux smartphone et tous les produits d'Apple.
06:32Donc c'est vrai que si on avait cette taxe-là,
06:34les Américains ne pourraient juste plus l'acheter.
06:36Donc ce serait pour cette entreprise, pas la fin, mais quasiment.
06:40Pour les d'Apple ?
06:41D'Apple, tout à fait.
06:42C'est la première valorisation boursière ou l'une des premières valorisations boursières au monde.
06:46Exactement, l'une des plus grandes valorisations.
06:46Il y a également Tesla derrière, qui fabrique une grande partie de ses voitures également en Chine.
06:51Donc là, il y a eu vraiment une prise de conscience.
06:52C'est le patron Elon Musk qui fait partie de l'administration américaine.
06:56Donc ce que je disais précédemment, c'est vrai que cet éclatement des chaînes de valeur que l'on a vues,
07:00il y a à mon sens un rôle géopolitique tout à fait impressionnant,
07:03puisqu'on voit que c'est, à mon sens, pour ça aussi qu'on est ce revirement.
07:06On voit que sur les biens manufacturiers, on veut mettre énormément de taxes,
07:09alors que les États-Unis sont complètement désindustrialisés, il y a un porte-tout de Chine.
07:14Ils sont devenus consommateurs, les Américains.
07:17Ils étaient d'immenses producteurs, ils sont devenus aujourd'hui un peuple de consommateurs.
07:21Tout à fait, un petit peu comme nous en France, pas dans les mêmes proportions,
07:24mais aujourd'hui, ils sont complètement désindustrialisés.
07:26Ils sont bons, c'est en effet, dans les services numériques et bancaires,
07:29et dans la tech, et dans ces produits-là.
07:30Donc c'est vrai que là, ils s'étaient attaqués à ça,
07:33en disant qu'ils sont totalement désindustrialisés.
07:34Bien évidemment, c'est une puissance militaire, énergétique, ce qui est très important.
07:38Mais c'est vrai que là, ils touchent, pour le consommateur américain,
07:41vraiment à ce qui est très important.
07:42La voiture et les appareils électroniques.
07:45D'où peut-être le recul également.
07:47Thomas Gomart, quand on voit effectivement les Etats-Unis reculer,
07:50en tout cas pour les appareils électroniques,
07:51est-ce que vous partagez l'opinion du ministre de l'économie français,
07:55Éric Lombard, qui dit, ah là, il y a une marge de négociation,
07:58mais il faut quand même maintenir la pression.
07:59C'est ça l'enjeu de la discussion ?
08:02Je pense que l'enjeu de la discussion, d'un point de vue européen,
08:05il faut toujours rappeler que l'Union européenne a la compétence pour la politique commerciale.
08:08Et de ce point de vue-là, les déclarations au niveau national sont importantes.
08:12Mais c'est à Bruxelles que ça se décide, dans ce cadre très général que j'évoquais,
08:16la relation Europe-Etats-Unis-Chine.
08:20D'ailleurs, le commissaire européen au commerce est à Washington.
08:23Il fait la navette depuis plusieurs semaines, sans visiblement obtenir de résultats.
08:27La réponse européenne a été une réponse, on va dire, proportionnée.
08:30C'est-à-dire qu'elle a envisagé une réponse en différentes phases, en différentes vagues.
08:35Ce qui a peut-être expliqué aussi un des éléments d'explication de la volte-face de Donald Trump.
08:41Il faut rappeler que, globalement, l'Union européenne est excédentaire dans son rapport commercial avec les Etats-Unis.
08:48Ce qui, évidemment, lui est reproché.
08:50Et il y a deux pays en particulier qui bénéficient de cette excédence.
08:52C'est l'Allemagne et l'Italie.
08:55Ensuite, ça crée des effets de distorsion très importantes au sein de l'Union européenne.
08:59Puisque, en réalité, même si cette compétence est partagée, au sein de l'Union européenne,
09:04les bénéficiaires du commerce international ne sont pas tous au même niveau.
09:08On va parler de l'Union européenne, de son éventuelle faiblesse et de sa division paradoxale face à l'action de l'administration Trump.
09:16Mais dans ce rapport de force, dans le bras de fer entre les Etats-Unis et la Chine,
09:21qui est le plus fort, pour le dire très simplement, Anne-Sophie Elsif ?
09:25Les deux sont très forts.
09:27Ils ne sont juste pas forts dans les mêmes domaines, mais ils sont complémentaires.
09:29Donc, s'ils se font la guerre, absolument, tout le monde sera par dedans.
09:32Les Etats-Unis sont très forts en termes de puissance énergétique.
09:35C'est tout à fait indéniable.
09:37En termes de puissance militaire, on le sait.
09:39Et puis, parce qu'ils ont le dollar et que c'est la première puissance mondiale.
09:42La Chine exporte massivement.
09:46Donc, c'est vrai qu'on l'a dit par rapport aux consommateurs américains.
09:48Si demain, on a ces droits de douane-là, c'est vraiment un petit peu tout le libre-échange
09:52et toute la consommation de masse aux Etats-Unis qui est quand même très importante.
09:56Il faut rappeler que les Américains consomment tous leurs revenus.
09:58Ils ont moins de 4% de taux d'épargne.
10:00Alors que nous, on est 8%.
10:00Oui, nous, les Français, nous sommes beaucoup plus fourmis que cigales.
10:04Alors qu'eux, ils dépensent tout.
10:07Donc, c'est vraiment eux qui drivent, si on peut dire, le commerce international.
10:10Si demain, la Chine ne peut plus exporter aux Etats-Unis,
10:15qu'est-ce qui va se passer pour et le consommateur américain et pour la Chine ?
10:18Mais je vous pose la question parce que c'est vrai qu'il y a ce phénomène très étonnant.
10:23La monnaie de la globalisation, c'est le dollar.
10:27Mais la Chine dispose malgré tout d'énormes réserves de change.
10:32Elle dispose d'une immense partie de la dette américaine.
10:36Et elle est son principal créancier, en tout cas en termes souverains.
10:39En effet, c'est le principal créancier.
10:41Donc, c'est vrai qu'il y a le risque de dire, si il y a une arme,
10:43on l'a vu avec l'arrivée de Donald Trump,
10:44je vais acheter ou je vais vendre une partie de l'obligation américaine.
10:48Sur l'énergie, la Chine a été très maligne
10:49puisque depuis 20 ans, elle a énormément diversifié son mix énergétique.
10:53Elle n'importe pas de plus de 6% d'énergie de certains pays.
10:56Donc, demain, il y a une guerre, elle peut substituer.
10:57Ça ne vous a pas échappé qu'en Europe, on n'a pas du tout la même stratégie.
11:01Et puis, elle a développé des zones d'influence.
11:02On parle beaucoup de l'Asie avec le RCEP.
11:05Et on va en parler avec Thomas Gomart puisqu'il a écrit là-dessus.
11:07L'Afrique également et l'Amérique du Sud.
11:09Donc, on a vraiment une Chine qui a énormément évolué
11:12depuis, on va dire, plus de 15 ans.
11:14Mais avant de filer au standard, Thomas Gomart, vous posiez cette question.
11:17Qui va devenir le patron du capitalisme global ?
11:19La Chine ou les Etats-Unis ?
11:21D'abord, est-ce que c'est ce qui se joue en ce moment ?
11:25Et votre réponse ?
11:26Moi, je pense que c'est ce qui se joue en ce moment
11:28et que je pense qu'il peut y avoir...
11:30Le capitalisme repose sur une structure très hiérarchique, en fait.
11:34Ce qu'on a oublié, c'est que le capitalisme,
11:35c'est Fernand Braudel qui explique ça.
11:37Le capitalisme se love dans les rapports de puissance.
11:39Ce n'est pas l'inverse.
11:40C'est parce qu'il y a des rapports...
11:41L'explication de texte ?
11:42C'est-à-dire parce qu'il y a une hiérarchie,
11:44il y a une sorte de chaîne alimentaire
11:45avec un plus gros et des plus petits
11:47que le capitalisme fonctionne.
11:49Et en fait, la grande difficulté dans laquelle nous sommes,
11:51c'est que l'interdépendance et la globalisation,
11:53ça s'est traduit fondamentalement par deux économies siamoises
11:56que sont les économies américaines et chinoises
11:58qui sont très interprénétrées et très complémentaires
12:01comme Anne-Sophie Alsif l'a rappelé.
12:04Moi, je pense que la question est en fait fondamentalement idéologique.
12:07La Chine aujourd'hui affiche...
12:08La République Populaire de Chine affiche clairement sa volonté
12:11d'être la première puissance mondiale dans tous les compartiments du jeu
12:14avec son horizon de 2049 pour célébrer le centenaire
12:18de la République Populaire de Chine.
12:20Ce n'est peut-être plus le cas des Etats-Unis en fait.
12:21C'est peut-être ça que Donald Trump tout dit de manière très paradoxale.
12:24C'est qu'il a un comportement,
12:25a-t-il intégré,
12:26comme une sorte d'animal politique,
12:28a-t-il intégré le fait que les Etats-Unis à l'échelle globale
12:30sont en train de rétrécir
12:32et qu'au fond, effectivement, c'est un système...
12:35C'est-à-dire pourquoi ils représentaient 25% du PIB mondial
12:37en 1980,
12:39ils ont continué à représenter 25% du PIB mondial en 2000
12:42et ils représentent toujours 25% du PIB mondial Thomas Gomart.
12:46Et je vous cite d'ailleurs...
12:47Absolument, merci beaucoup de le faire.
12:50Mais ce que j'essaie de dire,
12:51c'est que c'est une vision,
12:54si vous voulez,
12:54les Etats-Unis,
12:55c'est une vision d'un système d'une certaine manière clos,
12:58autosuffisant en matière énergétique,
12:59avec deux façades océaniques.
13:01Et la vision géopolitique qu'il nous propose
13:03de Panama au Groenland
13:05est assez, à mon sens,
13:07correspond assez à une sorte de rétraction
13:09à l'échelle globale.
13:10C'est-à-dire cette idée
13:10que les années à venir vont être des années peut-être d'autarcie
13:13et qu'il faut être capable
13:14de maîtriser le maximum de ressources naturelles
13:16et que donc il le fait désormais
13:18à l'échelle hémisphérique nord
13:19et peut-être avec une vision
13:21beaucoup moins globale
13:22telle que nous l'entendions que jadis.
13:24Alors Anne-Sophie, pardon.
13:25Juste pour compléter par rapport à la Chine,
13:26c'est vrai que je serais plus nuancée
13:28de leur volonté de vouloir
13:29être vraiment une puissance mondiale.
13:31Je pense qu'ils veulent surtout
13:32être une puissance régionale.
13:33Il ne faut pas oublier que la Chine,
13:34en fonction des États chinois,
13:35ce n'est pas du tout la même richesse.
13:37Vous avez des États
13:38qui ne sont pas du tout développés
13:39et ils ont des centaines de millions de personnes
13:41qui migrent chaque année
13:42et qui viennent en ville
13:43avoir cette prospérité économique.
13:46Donc la Chine doit avoir de la croissance,
13:48doit écouler ces marchandises.
13:50Elle n'est pas du tout
13:50la même situation économique
13:51que les États-Unis
13:52qui sont déjà un pays très développé.
13:54Mon point était juste de dire
13:55sur le plan idéologique,
13:56quand vous lisez les déclarations
13:58du président Xi,
13:59le fait de vouloir être
14:00la première puissance mondiale
14:02à l'horizon 2050,
14:032049 pour être plus précis,
14:05et sans cesse se réaffirmer.
14:06Alors, là, on parle de la Chine,
14:08mais il y a les autres.
14:10Il y a nous, il y a l'Union européenne.
14:11On a donc 90 jours,
14:13un peu moins maintenant,
14:14parce que c'est le délai donné
14:15par Donald Trump
14:16avant d'appliquer les droits de douane
14:17qu'il avait décidé il y a quelques jours.
14:20Et on le disait,
14:21le commissaire européen
14:22va à Washington demain.
14:23Est-ce qu'il a quelque chose
14:25pour faire levier,
14:27Anne-Sophie Alsif,
14:28ou est-ce qu'il va juste,
14:29là, je vais citer Donald Trump,
14:30excusez-moi,
14:31lécher le cul du président
14:32de la République ?
14:34Alors, je pense qu'il a quand même
14:35quelques leviers.
14:36Quand on regarde, en effet,
14:38nos échanges avec les États-Unis,
14:39certes, on est un petit peu excédentaire,
14:40mais quand on prend les biens
14:41et les services,
14:42c'est à peu près 50 milliards
14:43d'excédents.
14:45Donc, on n'est pas du tout
14:46dans les proportions
14:47dont a parlé Donald Trump.
14:48On a des leviers
14:49sur vraiment les services
14:50informatiques et numériques.
14:51C'est vraiment ce qu'on a expliqué
14:52depuis le début.
14:53Alors, bien évidemment,
14:54comme vous l'avez justement dit,
14:55en les taxant,
14:56c'est d'avoir une réponse graduée
14:58et d'utiliser ça vraiment
14:59en dernier ressort.
15:00Mais ça serait une catastrophe
15:01pour les individus,
15:04les familles,
15:04les entreprises européennes.
15:06Si on taxe Word,
15:08si on taxe des produits logiciels,
15:11Visa, Mastercard,
15:13tous nos moyens de paiement
15:14sont américains.
15:15Si on commence à taxer ça,
15:16c'est la catastrophe.
15:17En tout cas, économiquement,
15:18c'est un impact très important.
15:19C'est pour ça qu'on va essayer
15:20de tout faire
15:21pour ne pas en arriver là.
15:23C'est une catastrophe pour nous,
15:24mais aussi pour eux,
15:25parce que ces entreprises-là
15:26font des milliards en Europe.
15:27Donc là aussi,
15:28il faut vraiment prendre en compte
15:29le rapport de force.
15:30Ce n'est pas seulement nous,
15:31c'est aussi eux
15:31parce qu'on est leurs principaux clients.
15:33Donc ça, il faut bien avoir conscience
15:34et y aller avec cet état d'esprit.
15:36Mais c'est vrai qu'une fois
15:37qu'on a fait ça,
15:38la difficulté,
15:39c'est de rester unis.
15:40Alors, on l'a vu au tout début,
15:41c'est le cas depuis.
15:42Mais on se souvient,
15:43lors de Trump 1,
15:44lorsque les voitures thermiques
15:46avaient été taxées de 25%,
15:48Angela Merkel, seule,
15:49malgré le fait que l'Union européenne
15:51et la compétence du commerce
15:52étaient allées négocier.
15:53Donc on voit aussi
15:54que Donald Trump
15:54veut jouer là-dessus
15:55et se dit en 90 jours
15:57connaissant les Européens,
15:58peut-être qu'il y aura
15:58quelques dissensions.
15:59Et puis pour revenir
16:00sur les fameux services...
16:01Il y en a déjà ?
16:02Il y en a, mais en tout cas...
16:03Georgia Meloni est prête
16:04à négocier,
16:05l'Allemagne n'est pas loin
16:07de céder.
16:07Elle n'a pas encore fait.
16:08Pour l'instant,
16:09il y a encore un affichage
16:10d'unité.
16:11Puis l'autre élément,
16:12on dit oui,
16:14on est très dépendant
16:14de ces services.
16:15Mais là, c'est un véritable problème.
16:17Et aujourd'hui, on le voit
16:18notamment quand on a le débat
16:19de l'Europe de la défense.
16:21On a le financement,
16:22on l'a dit,
16:22on a des dizaines
16:23et des dizaines de milliards
16:23d'épargnes.
16:24On pourrait financer
16:25ces services numériques.
16:26Et d'ailleurs,
16:26pourquoi c'est important
16:27pour l'Europe et ses stratégiques ?
16:28Parce que derrière,
16:29il y a tout ce qui concerne
16:30les données.
16:30Quand vous avez votre abonnement,
16:31ce n'est pas justement
16:32le service qu'on vous vend,
16:33mais on connaît
16:33et on sait tout votre mode de vie.
16:35Donc c'est aussi pour moi
16:36l'occasion
16:37et peut-être l'opportunité
16:38pour l'Europe
16:38de s'interroger
16:39et de se dire
16:40il faut vraiment
16:41qu'on finance maintenant
16:42ces services
16:43pour être dépendants
16:43des Etats-Unis
16:44parce que c'est vraiment
16:45indispensable
16:45et ça va prendre des années.
16:47Bonjour Gildas
16:47et bienvenue
16:49dans le grand entretien
16:50de France Inter.
16:51Vous avez une question
16:53à poser à nos invités
16:55Thomas Gomart
16:56et Anne-Sophie Alsif.
16:56Oui, tout à fait.
16:59Bonjour
16:59et M. Badou,
17:01merci pour ce que vous faites.
17:02Mais c'est moi
17:04qui vous remercie.
17:04Comment direz-vous ?
17:05Je vais poser la question
17:08que j'ai annoncée
17:09mais je vais le faire
17:10d'autant plus
17:10que je viens d'entendre
17:11Union,
17:13Unité,
17:13Europe,
17:14nous, nous.
17:15Oui.
17:15Mais dans le nous,
17:17il y a bien des gens
17:18qui ont fait des choix
17:19d'investissement
17:20industriel,
17:24porteur d'emploi,
17:25de, comment dirais-je,
17:28de production,
17:29de services,
17:30de biens.
17:31Ces gens-là
17:32ne sont quand même pas
17:33complètement innocents
17:34de la situation
17:35que nous avons
17:36qui met en jeu
17:37y compris
17:38notre défense militaire.
17:40M. Gomart,
17:41je vous lis
17:42avec attention.
17:44Ces gens-là,
17:46quelle chance
17:46j'ai, moi,
17:48qu'ils soient unis
17:49dans la même barque
17:50que moi
17:50dans les années
17:52qui viennent ?
17:52Bonne question,
17:53Gildas.
17:54Thomas Gomart,
17:55la réponse,
17:56ça c'est un vrai problème
17:58quand on le dit,
17:59oui,
17:59l'Europe doit se réarmer,
18:01chacun se réarme
18:02comme il veut.
18:05Oui,
18:05non,
18:06je pense que,
18:07oui,
18:07le vrai problème,
18:08et je le formulerai
18:09différemment,
18:10c'est-à-dire que
18:11l'Europe,
18:11à la différence
18:12des Etats-Unis,
18:13doit rester
18:15dans un système ouvert.
18:16Ça n'a pas le choix
18:16de l'autarcie
18:17comme les Etats-Unis
18:18peuvent l'avoir,
18:19précisément parce que
18:19l'Europe ne dispose pas
18:20en propre
18:21de ressources énergétiques.
18:22Et donc déjà,
18:24cette importation,
18:24alors elle peut produire
18:25de l'énergie...
18:26Ça veut dire qu'on est
18:26en position de faiblesse ?
18:27On est fondamentalement...
18:29L'Europe est en position
18:29de faiblesse fondamentalement ?
18:30L'Europe telle qu'elle s'est
18:31construite est complètement
18:33inscrite dans une logique
18:34de libre-échange
18:35et en particulier par la nécessité,
18:37si elle veut avoir
18:37un tissu industriel,
18:39d'importer de l'énergie.
18:40Et c'est tout le problème
18:41de la guerre d'Ukraine
18:42puisqu'une part importante
18:43de cette importation énergétique
18:45qui venait jadis du gaz russe
18:46est désormais arrêtée
18:48et elle a dû se réorganiser.
18:52Après, au sein de l'Union Européenne,
18:54pour aller dans le sens
18:54de la question de votre auditeur,
18:56effectivement,
18:57il y avait des choix
18:58très différents
18:59et notamment un choix
19:00de l'Allemagne
19:00qui a été un choix
19:01industriel
19:02en grande partie
19:04basé sur l'industrie
19:04automobile
19:05qui est aujourd'hui
19:05très percuté
19:06par la concurrence
19:08venant de la Chine.
19:10Des choix d'exportation
19:11de l'Italie
19:14sur un certain nombre
19:15de segments.
19:15Et puis un pays comme la France
19:16qui en fait a un déficit
19:17commercial abyssal
19:19en raison précisément
19:20de sa désindustrialisation
19:21structurelle
19:23depuis plusieurs décennies.
19:24Donc effectivement,
19:25on n'est pas du tout
19:26dans les mêmes positions
19:27au sein de l'Union Européenne
19:28et en même temps,
19:29je pense que l'ensemble
19:30des Européens
19:30par rapport à ce qui se passe
19:31comprennent que la bonne maille,
19:33la bonne échelle
19:33pour essayer de ne pas
19:34être complètement dépassée,
19:36ça reste l'échelle
19:36de l'Union Européenne.
19:37Anne-Sophie Alsif,
19:38il y a une question
19:38qui est très importante
19:39pour les entreprises
19:40et pour l'industrie européenne,
19:41c'est est-ce qu'on va être
19:42envahi, entre guillemets,
19:44de produits chinois
19:45qui n'auraient pas pu
19:46être vendus aux Etats-Unis ?
19:47Alors oui, c'est le risque.
19:49Après, il faut faire attention
19:49parce qu'on est envahi
19:50si vous avez
19:51une très forte augmentation
19:53de la consommation
19:53et donc de la demande.
19:55Or, vous, moi,
19:55du jour au lendemain,
19:56vu le contexte,
19:57ce n'est pas pour ça
19:57que vous allez beaucoup plus
19:58consommer, acheter trois fois ça,
19:59etc.
20:00C'est des prix de certains produits
20:00made in France,
20:01made in Europe.
20:02Complètement, mais déjà,
20:03vous n'allez pas avoir
20:03une explosion de la consommation.
20:05Quand on regarde
20:06les prévisions de croissance,
20:07on voit que c'est plutôt
20:07l'inverse, c'est-à-dire
20:08que les Français se disent
20:09vu le contexte,
20:10je vais continuer
20:10de massivement épargner
20:11donc je ne vais pas
20:12encore consommer.
20:13Donc, on n'est pas là-dedans.
20:14En tout cas,
20:15on n'est pas dans ce boom
20:16de la consommation.
20:17Par contre, en effet,
20:17la Chine, on l'a dit,
20:18doit écouler ses produits.
20:20Donc, il y a différentes zones
20:21mais c'est vrai que l'Europe,
20:22c'est le principal client.
20:23Là, à mon sens,
20:24c'est encore justement
20:25la puissance de l'Union Européenne
20:26si on est unis.
20:27C'est-à-dire, très bien,
20:28vous pouvez avoir accès
20:29au marché européen
20:30mais à mon sens,
20:30il faut le conditionner
20:31et le conditionner
20:32notamment sur le secteur
20:33des transferts de technologies.
20:35On en a parlé
20:36dans beaucoup de secteurs
20:37dont la voiture électrique.
20:39On est vraiment en défaut
20:40et on n'a pas le niveau
20:41de technologie
20:42par rapport au prix.
20:43C'est exactement
20:44ce que la Chine a fait
20:45pendant plus de 20 ans
20:45en accueillant
20:46les entreprises américaines
20:47et européennes sur son sol
20:48en disant
20:48vous avez accès
20:49à une partie de mon marché
20:50mais c'est du transfert
20:51de technologies.
20:52Aujourd'hui,
20:52on aurait le pouvoir
20:53de le faire
20:54et d'avoir justement
20:55des partenariats
20:56avec la Chine.
20:56C'est déjà le cas
20:56de plusieurs entreprises
20:57qui n'ont pas le choix
20:58mais en se disant
20:59ça peut être gagnant-gagnant.
21:00Vous, vous devez écouler
21:01les produits.
21:01Nous, on doit monter en gamme
21:02donc faisons du transfert.
21:04Mais il faut être ferme
21:04et il faut l'imposer.
21:06L'explication est passionnante.
21:08Un dernier mot
21:08avant de vous quitter.
21:10L'explication
21:11de tout ce qui se passe
21:12par la folie d'un homme,
21:13son imprévisibilité,
21:15celle de Donald Trump,
21:16elle n'est donc
21:17pas satisfaisante,
21:18Thomas Gomart ?
21:19Non, parce que
21:20Donald Trump
21:21a été réélu.
21:22Ce que je veux dire par là
21:23c'est que
21:24le peuple américain
21:25savait
21:26connaissait ce comportement
21:29en termes de son premier mandat
21:30et l'a réélu
21:30de manière tout à fait délibérée.
21:32Donc il traduit politiquement
21:33alors sa personnalité
21:35outrancière, etc.
21:37Mais il traduit politiquement
21:38un repositionnement
21:39assez fondamental
21:40des Etats-Unis
21:41à l'échelle globale.
21:42Juste pour finir,
21:43ce sera le dernier mot ?
21:44Juste pour finir,
21:44est-ce que c'est vraiment
21:45la victoire de Donald Trump
21:46ou la défense des démocrates ?
21:48Et c'est vraiment un phénomène
21:49qu'on ne voit pas
21:49qu'aux Etats-Unis ?
21:50En tout cas, c'est vrai
21:51que c'était passionnant
21:52de vous écouter
21:52sur les phénomènes de fond
21:53et ces plaques tectoniques,
21:55ces nœuds géostratégiques
21:57d'un monde hors de contrôle
21:58pour vous citer Thomas Gomart.
22:00Excellente journée
22:01à tous les deux.