Aujourd'hui, nos invités du grand entretien sont Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent et la grand reporter Marion Van Renterghem, lauréate du prix Albert-Londres et auteure de “C'était Merkel” (Les Arènes) et “Le piège Nord Stream” (Les Arènes). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-23-fevrier-2025-4070269
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00:00Le grand entretien ce matin, trois ans après le début de la guerre d'invasion russe en
00:04Ukraine.
00:05Regards croisés sur ce qui se joue ces dernières semaines autour de ce conflit, resté figé
00:09pendant des mois, comme si d'un coup avec l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche,
00:13tout se précipitait.
00:14Le nouveau président des Etats-Unis a commencé déjà à discuter avec la Russie.
00:18Et voilà, l'Ukraine, privée pour le moment du soutien de Washington, est plongée dans
00:22l'incertitude.
00:23Les Européens, eux, semblent exclus de la table des négociations face aux Etats-Unis
00:28et à la Russie.
00:29Quel avenir pour l'Ukraine ? Où vont Trump et Poutine ? Et quelles partitions pouvons-nous
00:33jouer, nous, les Européens ? Ces questions et d'autres, nous les posons ce matin à
00:37nos deux invités, Marion Van Renterghem, grande reportère, spécialiste de l'Europe,
00:42prix Albert Londres et autrice notamment du piège Nord Stream aux éditions Les Arènes,
00:46et Gilles Gressani, spécialiste de géopolitique, directeur de la revue Le Grand Continent.
00:51Bonjour à tous les deux.
00:52Bonjour.
00:53Les spectateurs aussi peuvent vous interroger 0145 24 7000 et sur l'application Radio
00:58France.
00:59Alors, question toute simple, peut-être, pour commencer.
01:01Ça fera demain trois ans que la Russie a envahi quatre nouvelles régions le long de
01:06la frontière avec l'Ukraine, nouvelle étape d'une guerre qui avait en fait été entamée
01:10en 2014.
01:11Quel est votre sentiment à la veille de cette date anniversaire, Marion Van Renterghem ?
01:16Le sentiment, c'est l'observation d'une bascule totale, c'est-à-dire qu'on assiste
01:20à un racket.
01:21Donald Trump, on s'attendait à ce qu'il soit peut-être l'arbitre, le médiateur
01:28de ce conflit pour le régler et installer la paix, il l'avait dit en 24 heures même,
01:37mais il se trouve qu'il n'est plus du tout un médiateur, il est l'avocat de l'agresseur.
01:42Et on assiste donc au racket d'un pays entre Trump et Poutine et au partage de ce
01:51pays qui se trouve sur notre continent entre deux puissances militaires et nous ne faisons
01:55pas partie de ce partage.
01:57Donc, c'est quand même une situation de bascule totale, c'est-à-dire que non seulement
02:06Trump n'est plus le protecteur de l'Ukraine, mais l'avocat de son agresseur et il n'est
02:11plus dans le camp occidental, c'est-à-dire que le président du pays qui a participé
02:17à la fondation du droit international, du multilatéralisme, c'est-à-dire d'une relation
02:23entre états fondée sur le droit, eh bien c'est ce pays qui envoie le message que la
02:29guerre ça paye, que conquérir un territoire par la force c'est payant et qu'il n'y a
02:35plus de droit, il n'y a plus d'ordre international, il n'y a plus de droit international.
02:39Raquette, il n'y a plus de droit, les mots sont très forts, vous les partagez Gilles
02:43Glassanier ?
02:44C'est difficile aujourd'hui de ne pas partager un constat tragique et effectivement je partage
02:50l'intégralité de l'analyse de Marion.
02:52Je pense qu'effectivement nous sommes face à une phase qui est très difficile à analyser
02:57non tant parce que les choses sont dites explicitement, mais parce qu'en fait il faut se rendre compte
03:01jusqu'à quel point le monde change si ce qu'on voit est vrai et en fait il faut croire
03:05à ce qu'on voit.
03:06Je pense qu'en réalité nous sommes depuis plus d'une dizaine d'années avec la Russie
03:11de Vladimir Poutine face effectivement à une puissance révisionniste qui veut changer
03:15les règles du jeu, qui veut changer la manière dans laquelle se comportent les états.
03:19Vous dites 10 ans parce que c'est le moment où ils ont envahi le Donbass et la Crimée.
03:22C'est ça, c'est quand même un acte je pense de fondation de cette nouvelle phase.
03:27L'annexion de la Crimée a été peut-être pas perçue en Occident pour ce qu'elle était,
03:31c'est-à-dire au fond le début d'un monde dans lequel les empires pensent qu'il n'y
03:37a pas de frontières et en tout cas ils peuvent à tout moment redéfinir les frontières
03:41par le rapport de force et par la force.
03:42En fait ce qui est remarquable, ce qui se passe vraiment aujourd'hui, c'est que cette
03:48tentation, ce virage impérial a contaminé Washington et aujourd'hui à la Maison-Blanche
03:53se trouve effectivement un peu la source d'incertitude du monde.
03:57C'est là aussi qu'il y a quelque chose de très difficile à analyser.
04:00Au fond ce qu'on voit très concrètement depuis un mois, c'est qu'à la Maison-Blanche
04:06il y a désormais un projet impérial qui se constitue, dont l'Ukraine est une part
04:12essentielle mais ce n'est pas la seule, qui fait partie d'une grande équation où
04:15évidemment joue aussi beaucoup la question technologique qui fait partie de cette dimension,
04:21on en parlera sans doute.
04:22Et au fond, je suis très inquiet par un point, c'est que ce qu'on voit c'est qu'aujourd'hui
04:29Poutine est capable de jouer dans son pays les dividendes de la guerre.
04:33En fait montrer jusqu'à quel point la guerre et l'empire peuvent payer, au fond ça ouvre
04:38une séquence de désinhibition généralisée où effectivement ce ne sera que le rapport
04:42de force qui jouera.
04:43Et là-dessus il faut se poser la question, est-ce qu'on est prêt ?
04:46Alors Marion Van Retterghem, effectivement il y a quand même deux acteurs principaux
04:49là-dedans, la Russie et les Etats-Unis, Trump et Poutine qui vont peut-être se rencontrer,
04:55en tout cas c'est ce qui se dit d'ici la fin du mois ou le mois prochain.
04:58Et il y a eu un plan qui a été dessiné par le nouveau secrétaire à la Défense américain
05:03avec pas de retour aux frontières antérieures à 2014, pas d'adhésion de l'Ukraine à
05:08l'OTAN, pas de troupe américaine dans les garanties de sécurité.
05:11Alors on a du mal tout de même à voir si les Etats-Unis ont une ligne complètement
05:14unifiée au sein de l'administration sur ce sujet.
05:17Si c'est ça, vous avez utilisé une comparaison assez forte, c'est celle avec les accords
05:23de Munich de l'Allemagne nazie, vraiment on peut faire cette comparaison ?
05:26C'est-à-dire que ce qui incite à la comparaison avec les accords de Munich, c'est deux pays
05:30qui se partagent un autre qui ne leur appartient pas.
05:34Et qui n'a pas voix au chapitre.
05:35Et qui n'a pas voix au chapitre et qui est censé susciter un apaisement.
05:39Et on se souvient qu'en effet les accords de Munich qui étaient censés mener à l'apaisement
05:44ont en fait été le début de la deuxième guerre mondiale.
05:47Donc on est un peu dans cette situation où chacun semble se réjouir d'une paix négociée
05:52sur le dos d'un tiers pour assurer la tranquillité de tout le monde.
05:56Et c'est un leurre absolu, comme le rappelait Gilles, d'abord c'est un message envoyé
06:02au fait qu'il n'y a plus de… Seul le rapport de force compte dans le monde et finalement
06:08on assiste à un partage du monde entre grandes puissances, on a oublié la Chine, elle est
06:12silencieuse pour le moment mais elle fait partie de ce partage et le message qui est
06:15envoyé à la Chine c'est « serre-toi, serre ton appétit, prends Taïwan ». Et au fond
06:21ce que Trump et Poutine sont en train de négocier… Attention quand même parce qu'on est au
06:26début des négociations, on n'est pas dans le dur des négociations et Trump est d'humeur
06:30changeante.
06:31Donc tout ce qui est de l'ordre du déclaratoire jusqu'ici et qui semble donner complètement
06:35raison à Poutine peut se retourner totalement.
06:38Mais malgré tout, d'après les déclarations jusqu'ici, le plus étonnant ce n'est
06:44pas tant ce que vous mentionniez, parce que le fait de dire que les territoires ne seront
06:50pas reconquis, le fait de dire que l'Ukraine n'entrera pas jamais dans l'OTAN, c'était
06:54déjà dans le discours de Joe Biden, donc ça n'est pas très nouveau sur les points
06:59de détail.
07:00Ce qui est nouveau c'est la manière dont Donald Trump reprend totalement le narratif
07:06de Vladimir Poutine, mais comme un perroquet, il en est ridicule et c'est là qu'il
07:12donne je trouve une image de faiblesse absolue, de s'écraser, de s'aplatir devant Poutine
07:17au point de répéter totalement son argumentaire sur Zelensky dictateur, sur le fait que la
07:22Russie n'est pas l'agresseur mais une malheureuse victime de cette guerre où il
07:25y a tant de morts.
07:26Et là, on ne peut pas d'ailleurs ne pas se poser de questions, pourquoi est-ce que
07:30Trump donne tout à Poutine sans rien recevoir ? C'est quand même extrêmement intriguant
07:36et il y a plusieurs hypothèses, notamment géopolitique sur le fait qu'il espérait
07:41un découplage avec la Chine, ou bien le fait qu'il a été complètement hypnotisé par
07:46ce maître en manipulation qui est Poutine, qui vient du KGB, qui est bien plus malin
07:51que Trump pour comprendre la psychologie et la vulnérabilité des gens, et puis plane
07:55toujours la possibilité des compromats, sachant les liens très anciens qu'à Donald Trump
08:03avec la Russie.
08:04Il pourrait être un promoteur immobilier et qui pourrait être victime d'un chantage
08:09potentiel de Vladimir Poutine sur des actions passées.
08:13C'est tout à fait hypothétique, ça n'est pas prouvé, mais ce qui est en revanche documenté,
08:20c'est le fait que les Russes ont toujours considéré Donald Trump comme quelqu'un
08:24d'extrêmement influençable, manipulable et sans aucune conviction ni aucune éthique,
08:32que le business, avec qui c'est possible de dealer et qui est donc facile à entreprendre.
08:38Alors Gilles Gressani, effectivement, déjà il y a quelque chose d'étonnant, c'est
08:41le changement dans l'opinion sur Vladimir Poutine, qui était quand même une bête
08:45noire que Joe Biden avait traitée il y a tout juste un an de salopard cinglé et qui
08:50devient tout à coup une personne avec qui on peut négocier.
08:53Comment effectivement expliquer cette apparente faiblesse de quelqu'un qui pourtant revendique
08:59la force et le coup d'éclat de Donald Trump face au président russe ?
09:03Déjà je ne suis pas sûr que ce soit un changement de l'opinion, ce qu'on voit dans les sondages
09:10américains, c'est qu'en réalité il n'y a pas un revirement vis-à-vis de la perception
09:14qu'ont les Américains de Vladimir Poutine, il faut quand même dire que c'est une rupture
09:18historique le fait de se rapprocher de manière aussi claire sur les intérêts géopolitiques
09:22de la Russie de la part d'un président américain.
09:24Il ne faut pas insister sur le fait que la guerre froide s'est jouée quand même dans
09:27une opposition radicale et qu'encore aujourd'hui une bonne partie des élus, notamment au Sénat
09:32du parti républicain, sont farouchement anti-russes.
09:34Mais donc effectivement c'est une vraie question et je pense que Marion a raison, il faut aller
09:39au-delà des déclarations.
09:40Et de fait aujourd'hui il y a un document sur la table dont on ne parle pas beaucoup,
09:45dans le grand continent on en a fait une analyse fouillée, en tout cas de ce qu'on sait, qui
09:50est un accord qui est négocié en ce moment par l'administration Trump avec le président
09:55Zelensky pour essayer de définir un accord de partenariat économique, c'est comme ça
09:59qu'il le présente.
10:00En fait on pourrait dire que c'est en réalité un traité inégal qui impose des conditions
10:04qui sont absolument dures, c'est en fait une capitulation presque, où les Etats-Unis
10:10demandent à l'Ukraine la constitution d'un fonds qui devrait être rempli à hauteur
10:14de 500 milliards, donc c'est une somme faramineuse, 500 milliards d'euros, où les Ukrainiens
10:22payeraient en réalité une bonne partie des revenus qui viennent de leurs ressources
10:26naturelles.
10:27Alors justement, il a répondu déjà Volodymyr Zelensky à ça, c'est-à-dire que l'objectif
10:32c'est de rembourser, enfin ce que veut Trump c'est afficher le remboursement des aides
10:34américaines à l'Ukraine.
10:35Sachant que c'est un fonds qui du coup vaudrait 4,5 fois les prêts qui sont donnés par les
10:43Ukrainiens.
10:44Les aides américaines n'ont pas fait de l'aide pure, on fait des prêts, donc là
10:47en fait c'est plutôt une dynamique de remboursement et de réparation de guerre que d'alliance.
10:53Mais Zelensky dit non pour le moment, est-ce que c'est pour ça d'ailleurs qu'il essuie
10:57vraiment le mépris de Trump qui dit que de toute façon ça ne sert à rien qu'il participe,
11:00que c'est un dictateur, etc.
11:03Zelensky cherche à résister, en fait en réalité le problème fondamental c'est que les Américains
11:08ont beaucoup de leviers.
11:09Et par exemple on a appris hier qu'ils menacent désormais de ne plus donner accès à Starlink,
11:16aux communications satellitaires qui sont absolument indispensables pour la tenue du
11:18front ukrainien.
11:19Celle d'Elon Musk, qui est dans l'administration américaine.
11:24Cette redimension technologique qui est vraiment essentielle, si les Ukrainiens ne signent
11:28pas ces conditions d'une capitulation qui en fait en réalité est une vassalisation
11:32économique.
11:33Et donc là on se retrouve effectivement dans cette logique impériale.
11:37Au fond, il s'agit d'extraire le maximum possible d'un pays qui est très faible,
11:44et c'est là qu'à mon avis il faut prendre aussi un point de vue avec un peu plus de
11:49recul.
11:50C'est que l'Ukraine n'est pas simplement un pays comme un autre, c'est la porte d'entrée
11:56vers l'Europe.
11:57Et au fond cette vassalisation économique qui est imposée avec des traités inégaux
12:01ouvre une question qui à mon avis est la vraie question aujourd'hui.
12:04Est-ce qu'on est aujourd'hui en Europe en train de rentrer dans le siècle des traités
12:09inégaux ? Et vous le savez les Chinois parlent du siècle des traités inégaux comme du
12:14siècle de l'humiliation.
12:15Est-ce que le XXIe siècle sera le siècle de l'humiliation européenne ? Aujourd'hui
12:19c'est clair qu'il y a une convergence entre le maître du Kremlin et la Nouvelle
12:24Maison Blanche pour le fait d'ôter aux Européens toute forme d'autonomie et de
12:29souveraineté, notamment sur les questions digitales.
12:32Et c'est là qu'effectivement se retrouve cette espèce de conjoncture à l'intérieur
12:36de la Maison Blanche entre la Nouvelle Silicon Valley qui veut avoir un grand espace, un
12:41accès très large à l'Occident et en même temps qui ne veut pas avoir des sources
12:44d'autonomie, des petits villages d'Astérix et Obélix qui résistent à la règle impériale
12:49et à la dérégulation qu'ils veulent proposer.
12:52On file au standard de France Inter.
12:54Bonjour Michel.
12:55Oui madame, bonjour.
12:56Vous avez une question pour nos invités.
12:57Oui, il me semble qu'elle a déjà largement été traitée, merci, je la pose quand même.
13:03Ne peut-on pas craindre ?
13:04Qu'est-ce qu'on ne peut pas craindre Michel ?
13:10Ah, on ne vous entend plus.
13:13Michel qui voulait nous demander si on ne peut pas s'attendre au pire quand on voit
13:17les deux grands s'entendre sur le dos de l'Ukraine et c'est effectivement ce que
13:22vous disiez Marion von Rettergaem, mais l'objectif affiché en tout cas par exemple du vice-président
13:27J.
13:28Devins quand il est venu en Allemagne, c'était de dire je veux une paix durable, sauf qu'une
13:33paix durable dans ces conditions, est-ce qu'elle peut vraiment l'être ?
13:35Et vous, vous connaissez bien la zone des Pays Baltiques puisque vous avez travaillé
13:39sur le piège Nord Stream, ils sont en train de se réarmer en ce moment, il y a la crainte
13:43d'une guerre ?
13:44On se réarme, mais ce que Gilles a dit là est extrêmement important, c'est dans quelle
13:50mesure en fait on n'est pas en train de signer une paix, mais l'ouverture d'un appétit
13:56infini et d'humiliation successive.
13:59Et l'erreur serait de croire que nous essayons d'assurer, de garantir la sécurité de l'Ukraine
14:06pour faire un cadeau à l'Ukraine, mais non, c'est en assurant la sécurité, si on n'assure
14:13pas la sécurité de l'Ukraine, nous pérennisons notre propre insécurité.
14:17Et c'est ça qu'il faut comprendre, c'est que Poutine est quelqu'un d'extrêmement
14:22patient, qu'il a montré depuis 25 ans qu'à chaque fois qu'on cédait à l'un de ces
14:28caprices territoriaux, il ne considérait pas ça comme quelque chose qui assouvissait son
14:34appétit, mais qui au contraire suscitait de nouveaux désirs de conquête et surtout
14:41qu'il se servait des territoires conquis pour en attaquer d'autres.
14:44Donc les Pays-Bas ont raison de se réarmer.
14:46Les Pays-Bas évidemment en première ligne ont raison, mais aussi le fait que nous sommes,
14:51nous Européens, obligés dans cette situation, face à quelqu'un comme Vladimir Poutine
14:57qui a une volonté impérialiste, hégémonique et qui déteste ce que nous sommes, ce que
15:02nous représentons, la démocratie, la culture, le mode de vie, la liberté, tout ça, c'est
15:06ce qu'il n'aime pas.
15:07Et donc il faut que nous nous protégions dans un monde de grandes puissances qui considèrent
15:13que le monde doit leur appartenir et que dans un monde de brutes, nous devons apprendre
15:20à être une brute, c'est-à-dire à peser, parce que si on ne pèse pas dans un monde
15:24de brutes, on est vassalisé et c'est ce qu'ils veulent à vrai dire.
15:27« Vassaliser », c'est effectivement le terme que vous employez, Gilles Grissani.
15:31On va parler de la défense européenne qui est peut-être en train de se relancer sous
15:35l'impulsion de la France et du Royaume-Uni, mais il y a Emmanuel Macron qui part aujourd'hui
15:40pour Washington et qui va tenir ce discours dont on parlait tout à l'heure de lui dire
15:45« ne sois pas en faible, ce n'est pas toi ». Là je cite vraiment texto les propos
15:50du président français.
15:51Est-ce que ça, d'après vous Gilles Grissani, c'est quelque chose qui peut faire mouche
15:54auprès de Donald Trump ?
15:56C'est difficile de répondre à cette question parce qu'en réalité on a à la Maison-Blanche
16:02un projet tellement consolidé et tellement puissant, il faut vraiment insister sur ça.
16:08Aujourd'hui ce n'est pas le Donald Trump qui arrive en 2017 avec un parti républicain
16:11qui est contre lui, avec un plan un peu foireux, une capacité au fond de mettre en œuvre
16:18ses promesses de campagne.
16:19Là on se retrouve avec une consolidation impériale avec d'un côté la Silicon Valley
16:24et donc ses moyens de contrôle, de projection, et de l'autre côté effectivement avec
16:29un président qui a réussi, grâce aussi à une espèce de putsch raté, à imposer
16:35sur le parti républicain en tout cas une forme d'inquiétude et sur les démocrates
16:39une forme de sidération.
16:40Donc on est face à quelque chose qui est très puissant et consolidé et c'est très
16:45difficile d'imaginer de faire dérailler cela en étant tout seul.
16:48Ce qui par contre, à mon avis, est absolument essentiel, il faut vraiment le dire et le
16:52répéter, c'est qu'on n'est pas là face à quelque chose d'inévitable.
16:57Vous savez, Mike Tyson, le grand philosophe, surtout boxeur américain, disait que tout
17:05le monde a un plan jusqu'à ce qu'il reçoive une droite dans la figure.
17:07Et je pense que ce qui est en train de se passer aujourd'hui à la Maison-Blanche
17:11c'est qu'il y a un projet, un plan, très structuré, avec des appuis très solides,
17:16mais qu'il n'y a pas encore eu une droite pour le faire dérailler et il ne faut pas
17:19sous-estimer la force qui est la nôtre.
17:22L'Union Européenne peut faire beaucoup, la France peut faire beaucoup, notamment face
17:28à une Russie qui est loin d'être la puissance planétaire dont on rêve parfois.
17:33En réalité, c'est un pays qui a une capacité de rétricition très forte, qui a un dirigeant
17:39très cynique et très solide, quelque part, dans sa volonté d'imposer la guerre comme
17:45matrice.
17:46Mais on ne parle pas du tout aujourd'hui d'une puissance en voie d'expansion.
17:50Ce n'est sûrement pas la Russie, c'est peut-être la Chine.
17:53Si vous regardez aujourd'hui tous les grands paramètres du monde, de l'IA jusqu'au
17:56Spatial, la Russie en fait c'est un pays plutôt arriéré.
17:59Et donc on ne peut pas, face à ça, ne pas essayer de prendre position.
18:03Et donc Marion Van Retterghem, effectivement il y a Emmanuel Macron et Kirst Armour, aussi
18:06le Premier ministre britannique, qui sont en première ligne pour essayer de porter
18:10la question du réarmement de l'Europe, de ces troupes qu'on va peut-être devoir
18:14déployer après un possible accord sur l'Ukraine.
18:18Les pays européens sont divisés sur ce sujet-là ?
18:21Ils sont divisés sur l'envoi de troupes au sol.
18:25Ça, ça n'est pas consensuel.
18:26Mais en revanche, ce qui est intéressant, ce qui est en train de se passer, c'est qu'il
18:30y a d'une part des actions de l'Union Européenne, et Ursula von der Leyen sera à Kiev avec
18:35un collège de commissaires pour sans doute faire des annonces, peut-être annoncer un
18:40renforcement des sanctions ou un gel des avoirs russes, l'utilisation du gel des avoirs
18:45russes.
18:46Il y a l'action de l'Union Européenne, mais il y a, du point de vue de la défense,
18:51on est complètement hors du cadre de l'Union Européenne.
18:53Et c'est ça qui est intéressant dans les démarches d'Emmanuel Macron et de Kirst
18:57Armour, le britannique, c'est qu'on est dans le cadre de coopérations renforcées
19:04entre pays européens qui, soit ont des armées puissantes, soit sont vraiment déterminés
19:10à protéger l'Ukraine et à se protéger eux-mêmes contre la Russie, ce qui exclut
19:15par exemple la Hongrie, et évidemment, l'alliance avec le Royaume-Uni est absolument indispensable.
19:22Et ça, c'est intéressant dans cette démarche, et ce que Kirst Armour et Emmanuel Macron,
19:28qui malheureusement ne vont pas ensemble à Washington, mais séparément, lundi et jeudi,
19:33ce qu'ils veulent obtenir de Donald Trump, alors il faut toujours, les diplomates m'ont
19:36expliqué qu'avec Donald Trump, il faut toujours commencer par un compliment et une
19:40flatterie, donc ça, je pense qu'ils y veilleront, et de dire oui, tu as raison, tu es le plus
19:44grand, tu es le plus fort, et c'est parce qu'on veut mettre à exécution ton plan
19:48que nous sommes là, mais ce qu'ils essayent d'obtenir de Donald Trump, c'est que l'OTAN,
19:52sans être contributeur en titre, et sans que les Etats-Unis soient eux-mêmes parties
20:00prenantes, au moins mettent les moyens de l'OTAN à disposition de la force européenne,
20:04qui ne sera pas sous forme de troupes au sol, mais peut-être de quelques milliers de soldats
20:11postés dans les grandes villes, et avec l'aviation et la marine britannique et française, qui
20:16sont les points forts de la France et du Royaume-Uni, et les points faibles de la Russie, pour protéger
20:21le ciel de l'Ukraine, les infrastructures et les villes.
20:24Et c'est ça qui est en train de se mettre en place, ça n'est pas impossible, les
20:27Européens peuvent s'unir là-dessus, et ça peut créer finalement cette situation
20:32totalement inédite de bascule dont on a parlé, peut créer un choc positif, et là ça n'est
20:38pas perdu.
20:39Nous ne pouvons rien faire sans les Américains et contre les Américains, mais avec une aide
20:44minimale des Américains, nous pouvons nous organiser.
20:47Et tout ça devient de plus en plus concret, puisque la presse anglo-saxonne parle d'un
20:50plan franco-britannique pour une force européenne de moins de 30 000 militaires, puisque le
20:54ministre français de la Défense parle ce matin dans le Parisien de trois frégates
20:59nécessaires supplémentaires, de 20 à 30 avions rafales en plus.
21:03Mais dernière question et mot de la fin, parce que malheureusement on arrive à la
21:05fin de cet entretien, Gilles Gressani, dans ce contexte, l'élection allemande qui a
21:09lieu aujourd'hui, elle peut jouer quel rôle ?
21:11Un rôle crucial, et je pense qu'une partie de cette impression d'Union Européenne qui
21:16patauge, qui ne prend pas position forte, vient du fait que l'acteur, un des actionnaires
21:20principaux n'était pas autour de la table, en tout cas il y était un peu d'une manière
21:23approximative et donc c'est là qu'il se décidera effectivement une bonne partie de
21:27la position européenne.
21:28Et encore une fois, je pense qu'il ne faut pas sous-estimer ce qui est en train de se
21:32passer.
21:33Nous sommes dans une phase dans laquelle un ras-le-bol vis-à-vis de ces tentatives de
21:38vassalisation est en train de s'affirmer.
21:40Si vous regardez, il y a les sondages, c'est très intéressant, en Europe, Donald Trump
21:44est très très populaire.
21:45Et en même temps l'extrême droite qui est encouragée par l'administration américaine
21:49est en train de monter en Allemagne.
21:50Oui mais c'est ça qui est très intéressant, c'est qu'en fait ça reste une partie qui
21:53occupe 20% de la population mais vous avez un 80% qui est prêt à répondre et c'est
22:00peut-être ça ce qu'il faudra essayer de faire, une Union Européenne qui soit dans
22:03la résistance à l'empire.
22:05Merci Gilles Gressani, spécialiste de géopolitique, directeur de la revue Le Grand Continent, merci
22:10à vous Marion Van Renterghem, grand reporter spécialiste de l'Europe, vous êtes aussi
22:14biographe d'Angela Merkel donc c'est intéressant quand on voit que l'anti-Merkel, celui qui
22:18a été décrit par l'anti-Merkel pourrait devenir chancelier à la suite des élections
22:21aujourd'hui.
22:22Merci beaucoup à tous les deux d'être venus aujourd'hui sur Inter.