C’est grâce à Robert Badinter, Garde des Sceaux de 1981 à 1986, que les audiences ont pu être intégralement filmées. Sur les centaines d’heures d’archives, le réalisateur Gabriel Le Bomin en a sélectionné trois par procès. Une collection documentaire d’une rare intensité.
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00:00Votre invité média, Céline Baydarcourt, est l'auteur d'une collection documentaire
00:03exceptionnelle que diffuse France 2 à partir de ce soir, ça s'appelle « Crimes contre
00:08l'humanité », ce sont les procès de Klaus Barbie, Maurice Papon et Paul Touvier, tous
00:12les trois condamnés pour avoir contribué à l'arrestation, la torture et la déportation
00:17de milliers de juifs et de résistants en France sous l'occupation nazie.
00:20Bonjour Gabrielle Lebaumin, merci d'être avec nous, c'est une extraordinaire collection
00:25qui retrace les trois seuls procès conduits en France pour crimes contre l'humanité,
00:29il y a énormément d'archives évidemment, mais aussi des témoignages d'hommes et de
00:32femmes qui ont assisté aux audiences, avocats, journalistes, magistrats, alors c'était
00:36des procès pour l'histoire et c'est pour cela qu'ils ont été filmés à la demande
00:40de Robert Badinter, garde des Sceaux de l'époque.
00:43J'étais un grand partisan de constituer des archives cinématographiques de la justice.
00:52Ne pas filmer le procès Barbie, ça aurait été une atteinte à l'histoire.
01:00Les magistrats notamment étaient tout à fait hostiles, les avocats plus narcissiques,
01:12eux se voyant en héros du procès, étaient plus favorables.
01:19Et c'est depuis le procès Barbie en 87, Gabrielle Lebaumin, qu'on a le droit de filmer intégralement des audiences.
01:26Oui c'est ça, c'est la grande idée de Robert Badinter dont on mesure la vision historique
01:30qui décide avec le procès Barbie d'autoriser ce qui est interdit dans les prêtoirs, c'est-à-dire
01:33la captation d'images et de sons.
01:35La seule image d'un procès jusqu'alors c'est le dessin, c'est le croquis de justice qu'on
01:39connaît tous.
01:40Et là, il y a l'image, il y a le son, il y a l'intégralité des audiences, alors c'est
01:44une captation, ce n'est pas une réalisation, c'est-à-dire que c'est filmé de façon assez
01:47neutre.
01:48Et puis aujourd'hui ça nous arrive, puisqu'il y avait un délai de 25 ans je crois, qui
01:52empêchait la diffusion de ces images, en tout cas on pouvait les diffuser sous forme
01:58par scélère, par extrait, mais en tout cas l'intégralité, on les a pour la première
02:01fois aujourd'hui avec les trois procès Barbie, Papon, Touvier.
02:04Donc sans Robert Badinter, il y aurait eu ce trou de mémoire, parce qu'aujourd'hui
02:08le procès Barbie ça aurait été quelques lignes dans les livres d'histoire, mais absolument
02:11pas la puissance immersive de ces heures d'audience.
02:15C'était un événement énorme à l'époque, d'ailleurs l'ouverture du procès Barbie
02:18a été diffusée en direct à la télé.
02:20C'est hallucinant, nous on a découvert ça, et en fait le journal de 13 heures d'antenne
02:242 à l'époque, c'est le réalisateur du journal qui donne le top départ de l'arrivée
02:30de l'accusé dans le box.
02:31Les audiences ne commencent jamais à 13 heures.
02:33Jamais à 13 heures, nous dit le procureur Vue qui est magistrat au Conseil, il dit
02:36voilà, c'était en mondiaux vision, et pour la première fois c'est un réalisateur
02:39de télévision qui donnait le top départ, on lui avait accordé ce droit-là, à 13
02:42heures le générique du journal débute, et la première image, c'est Paul Lefebvre,
02:47chroniqueur judiciaire d'antenne 2 de l'époque, qui est dans le tribunal et qui dit voilà,
02:52dans quelques secondes, le premier procès pour crime contre l'humanité va s'ouvrir
02:55en France et vous en serez des témoins, et la télévision joue un rôle très important
02:58dans la transmission de ce procès-là, puisque tous les jours, les journaux télévisés,
03:04les radios, la presse écrite, relatent le procès Barbie, 800 journalistes sont mobilisés
03:09pendant deux mois.
03:10Barbie, Touvier, Papon, il y a combien d'heures d'archives pour ces trois procès ?
03:14Alors il y a 140 heures d'audience pour le procès Barbie, il y a 110 heures pour le
03:18procès Touvier, et il y a 360 heures pour le procès Papon, qui est un procès interminable,
03:23c'était le plus long jusqu'à peu, jusqu'au procès V13, c'est 6 mois de procès, donc
03:29c'est une masse considérable.
03:30Mais comment on ramène ça à 3 heures par procès alors ?
03:32Alors à l'initiative de Dana Hestier, productrice chez Media One, qui a eu la très bonne idée
03:37de dire on va s'emparer aujourd'hui de cette masse, et on va réussir à en sortir un projet
03:43audiovisuel, et bien on s'est retrouvés face à cette jungle, et donc on a travaillé
03:47en équipe, j'avais avec moi deux monteurs chevronnés, j'avais une co-autrice Valérie
03:51Ronsanguial, j'avais un réalisateur Antoine Demault qui s'est occupé du procès Touvier,
03:56et bien on a tout visionné, et on a fait des choix arbitraires.
03:58Alors forcément, des choix arbitraires, ça nous met parfois dans des regrets, parfois
04:03dans des situations où la veille on peut choisir un témoignage, ou l'enlever, et
04:08puis le lendemain se dire mais finalement il est important, c'est la souffrance d'un
04:11réalisateur, c'est de choisir et donc de perdre, mais on a conservé quand même l'essentiel.
04:15Et pour vous dire comment on a fait par exemple sur Barbie, c'est très simple, on s'est
04:19dit voilà, on doit sortir 3 heures de programme, on peut pas, évidemment, c'est 1% en fait,
04:23c'est 1% de l'audience, 3 heures c'est 1% de l'audience, et on voulait absolument éviter
04:28le côté zapping, le côté best-of, les meilleurs moments, etc., donc on s'est dit
04:32on va se concentrer sur les 3 actes d'accusation pour lesquels Barbie est devant le tribunal,
04:38c'est-à-dire la rafle des enfants d'Izieux, la rafle de la rue Sainte-Catherine et le
04:42dernier train de déportation d'août 44, ce sont les 3 actes pour lesquels on peut
04:47le juger pour crime contre l'humanité, qui est un crime défini juridiquement de façon
04:51très spécifique.
04:52Et on s'est dit, les témoins que nous allons utiliser seront toujours des témoins qui
04:56ont eu affaire à Barbie, donc ça exclut de fait des témoignages très importants, des
05:01historiens, des témoins qui viennent raconter les circonstances, qui viennent raconter l'époque,
05:06il y a Geneviève de Gaulle, il y a Elie Wiesel, il y a André Frossard, on n'a pas pu les
05:10garder alors que c'est formidable ce qu'ils disent, mais on s'est concentré sur ceux
05:13qui avaient eu affaire à Barbie, qui avaient été torturés par Barbie, qui avaient subi
05:17la déportation en raison du choix de Barbie, et ce qui renforce le côté immersif, c'est-à-dire
05:23qu'on est vraiment en permanence dans un procès avec l'accusé et les victimes.
05:27Quelle est à vos yeux, Gabriel Lemomin, l'image la plus forte de ce procès ?
05:31Il y a deux images qui m'ont… il y en a tellement, mais enfin il y en a deux.
05:35Évidemment la première, c'est l'arrivée de Barbie, parce que même si tout le monde
05:38sait qu'il va arriver, c'est un homme banal qui rentre dans le tribunal, il a 74 ans,
05:43c'est un homme déjà affaibli par la maladie, et bien c'est un homme, comme le dit Sorge
05:47Chalondon, un homme tout à fait ce qu'il y a de plus normal, et pourtant, il est l'incarnation
05:52du mal.
05:53Et ce qui est très marquant dans ce moment-là, c'est ce qui recoupe tous les témoignages
05:57depuis 50 ans, c'est le regard glaçant de cet homme.
05:59Il va regarder les avocats les uns après les autres, il va regarder les victimes, et
06:03tous vont dire « on a ressenti une douche froide, on a ressenti quelque chose d'effrayant
06:07qui a traversé la salle ». Et en fait, beaucoup ont reconnu Barbie en raison de ce regard-là.
06:12Parce qu'effectivement, quand dans les années 70, Beate et Serge Klarsfeld entreprennent
06:17de rechercher Barbie et de le confondre, alors qu'il se cache en Bolivie, et qu'ils arrivent
06:21à le filmer, notamment à travers une émission de télévision.
06:24– Ça c'est une archive dingue de 1971, une interview de Ladislas de Hoyos, qui interviewe
06:29alors Klaus Barbie, mais qui dit qu'il s'appelle Klaus Altman, et Barbie c'était pas moi.
06:33– Exactement.
06:34– Et finalement, il va être démasqué avec cette interview.
06:36– C'est une interview… Ladislas de Hoyos est celui que le Beate Klarsfeld, qui est
06:40vraiment à l'initiative et qui est vraiment l'héroïne de cette histoire, d'une certaine
06:43façon.
06:44Et il va réussir à obtenir une interview pour la télévision française, je crois que
06:48c'était F1 à l'époque.
06:49Et même si je crois que TF1 n'existe pas, en fait c'est l'ORTF encore, et il va effectivement
06:55le filmer à la Paz, au ministère de l'Intérieur, et l'autre va nier totalement, en disant
07:00que je ne suis pas celui que vous pensez, je n'ai jamais été à Lyon, la Gestapo
07:03je ne sais pas ce que c'est, et Jean Moulin je ne l'ai jamais connu.
07:05Et pourtant, il va être confondu, parce qu'il va passer habilement l'intervieweur de l'espagnol
07:12à l'allemand et au français, et Barbie comprend parfaitement toutes ces langues.
07:14– Alors qu'il dit je ne parle pas du tout français.
07:16– Exactement.
07:17– Et on se rend compte qu'il comprend très bien.
07:18Et la révision à la télévision, quelques semaines plus tard, va faire affluer énormément
07:21de témoignages qui vont dire mais en fait c'est lui, on l'a reconnu.
07:23– Archive absolument incroyable, comme toutes les autres, et puis donc il y aura ces autres
07:28procès qu'on verra dans les semaines suivantes, Papon et Touvier.
07:31Merci beaucoup Gabriel Lebaumin d'être venu aujourd'hui.
07:33– Merci à vous.
07:34– Crimes contre l'humanité, une collection de trois volets, dans le premier consacré
07:37à Klaus Barbie, s'ouvre ce soir sur France 2 à 21h10.
07:40Merci beaucoup.