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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Le dénommé Willy Lang est un homme qui jouit de l'estime générale. Il n'a pas de signe particulier.
00:19Il mesure bêtement 1m75, il est châtain, il a les yeux marrons et depuis 10 ans, il est monteur électricien dans l'administration.
00:26Comme tout bon fonctionnaire, il est consciencieux, zélé et son comportement n'est jamais violent.
00:31D'une nature quelque peu renfermée, il n'a que très peu de rapports avec ses collègues de travail.
00:37Son directeur est extrêmement satisfait de ses services et en 1961, il est promu ouvrier de première classe.
00:44On ne connaît pas grand chose de sa vie privée sinon qu'il a été marié une première fois à une dénommée Olga,
00:50qu'ils ont eu deux enfants et qu'ils ont divorcé en 1955.
00:54C'est Willy qui a demandé le divorce car sa femme le trompait et il a obtenu la garde de ses enfants.
00:59Il faut dire aussi que Willy n'a pas de casier judiciaire et qu'il n'a eu affaire avec la police que deux fois dans sa vie.
01:06Une première fois pour avoir circulé à moto sans permis de conduire et une seconde fois pour avoir giflé une jeune fille,
01:14sa maîtresse depuis deux ans, au cours d'une scène de rupture un peu mouvementée.
01:18Willy a payé 30 francs d'amende pour cette gifle.
01:22Le 31 juillet 1962, Willy et sa seconde femme Frida font leur valise et comme des milliers d'individus à cette époque de l'année,
01:34ils partent en vacances.
01:37Willy et Frida qui sont mariés depuis sept ans ont discuté de leurs vacances comme tous les couples du monde.
01:43Frida qui a 43 ans, qui est coquette, aurait bien aimé se retrouver au bord de la Méditerranée pour y bronzer 30 jours durant sans bouger,
01:50sans parler, sans se préoccuper du besoin d'activité que manifeste toujours son mari pendant les vacances.
01:56Mais Willy préférait la montagne et c'est lui qui a eu gain de cause.
02:02Le 1er août, ils arrivent tous deux à Loche-les-Bains et décident que leur première excursion sera pour le lendemain.
02:11À 9 heures du soir, Willy se couche pour être en forme.
02:17Il ne sait pas encore, et sa femme non plus, que demain, il sera veuf.
02:42Tout en haut de la montagne, deux silhouettes grimpent en direction du col de la Gémie.
02:48Sur le sentier étroit qui longe le précipice, Frida avance la première.
02:54Elle se trouve environ à une dizaine de mètres de son mari.
02:57Il fait extrêmement beau, l'air est pur et le souffle des deux grimpeurs est un peu précipité.
03:05Willy regarde le dos de sa femme, un dos large, puissant.
03:12Il regarde fixement ce dos avec une attention si soutenue que les yeux lui brûlent.
03:18Par moments, il semble que Frida ressente l'acuité de ce regard qui la vrille entre les deux épaules.
03:24Elle se retourne, examine la distance qui la sépare de son mari et lui crie.
03:29« Mais qu'est-ce que tu fais à traîner en arrière ? Je croyais que c'était toi le fou de la montagne ! »
03:35Willy arrête sa progression, s'assoit sur un rocher et réplique tranquillement.
03:42« Ne t'occupe pas de moi, j'aime bien prendre mon temps. »
03:46Frida hausse les épaules et repart.
03:49Elle a toujours été plus forte, plus active que son mari.
03:53Willy a toujours l'impression que c'est elle qui décide de tout.
03:56À cette fois pourtant, il est heureux. Il les a eus ses vacances à la montagne.
04:00Il jette un coup d'œil autour de lui, regarde la vallée à ses pieds
04:05et se cale confortablement contre la paroi rocheuse pour profiter du spectacle.
04:10Autour de lui le silence, seul de légers glissements de pierre accompagnent la progression de Frida.
04:17Willy ne bouge pas. Il rêve, les yeux dans le vague.
04:23Lorsque la voix de sa femme le fait sursauter.
04:25« Alors, tu viens ? »
04:27« Minute, je fume une cigarette. »
04:31Pour se justifier, Willy fouille dans sa poche, en sort une cigarette et l'allume tranquillement.
04:37En tirant la première bouffée, il lève la tête et aperçoit Frida qui le regarde de loin,
04:45debout sur le sentier étroit, la main sur une légère barrière de bois fixée dans le roc à cet endroit où le passage est particulièrement difficile.
04:55Une image vient se former lentement dans la tête de Willy.
05:00Il voit, comme au ralenti, Frida se pencher sur cette barrière de bois.
05:06Elle se penche dangereusement de plus en plus.
05:10La barrière craque, un morceau de bois est projeté en l'air, il se met à tournoyer en descendant le long du précipice.
05:19Frida, le corps arc-bouté, une jambe en l'air, reste longtemps suspendue en équilibre, comme un funambule sur son fil.
05:29Elle ouvre la bouche pour crier.
05:32Mais Willy n'entend rien.
05:35Il attend qu'elle tombe.
05:39C'est long.
05:41Tous les mouvements sont ralentis.
05:44« Alors, tu viens ? »
05:46D'un seul coup, la vision s'estompe dans la tête de Willy.
05:49Il regarde sa femme comme s'il la voyait pour la première fois.
05:52Elle est là, solide, massive, les deux pieds chaussés de gros souliers bien plantés sur le sentier, un vrai roc.
05:59Willy se redresse, crasse sa cigarette sur le rocher à ses pieds, reprend son ascension en criant simplement « J'arrive ! J'arrive ! »
06:07« J'arrive ! »
06:10Le téléphone vient de sonner à la gendarmerie de Loche-les-Bains.
06:14Une voix de femme affolée vient de prévenir qu'un accident s'est produit au col de la Gémie et qu'il faut envoyer des secours d'urgence.
06:21Une petite caravane, constituée de gendarmes, de volontaires, de secouristes, entame à son tour l'ascension du col de la Gémie jusqu'à l'endroit de l'accident.
06:30À 18 heures, tout le monde se trouve réuni au lieu dit « Trinkhal » devant le corps de madame Frida Lang, désarticulée au fond du précipice.
06:41À quelques pas, assis par terre, Willy, la tête dans les mains, est en larmes.
06:46Il écoute le médecin lui dire que sa femme est morte, qu'elle n'a probablement pas souffert, qu'il faut la redescendre dans la vallée pour les constatations d'usage.
06:57Le corps de Frida, placé sur une civière, est descendu jusqu'à Loche-les-Bains et la police, avec toutes les précautions nécessaires, interroge le mari effondré.
07:08« Vous étiez seul là-haut, tous les deux ? »
07:11« Oui. »
07:13« Qu'est-ce qui s'est passé ? »
07:16« Je ne sais pas. Elle était devant moi à quelques mètres. Je m'étais arrêté pour fumer une cigarette, j'avais le dos tourné.
07:26Tout à coup, j'ai entendu un cri, je me suis précipité et je l'ai vu.
07:34Elle a roulé dans les rochers. Je ne pouvais rien faire.
07:40J'ai vu son corps rebondir plusieurs fois puis s'arrêter en bas.
07:46J'ai rebroussé chemin, j'ai essayé de l'atteindre par un autre sentier, mais quand je suis arrivé près d'elle, elle était morte.
07:56« Qu'est-ce que vous avez fait ensuite ? »
07:59« Rien. Non, rien. J'ai tourné en rond pendant un moment. J'ai appelé au secours. Il n'y avait personne.
08:05Enfin, quelqu'un est venu, un ouvrier qui travaillait à quelques centaines de mètres de là. C'est lui qui est descendu prévenir ma belle-sœur et mon beau-frère.
08:13« Votre femme avait l'habitude de la montagne ? »
08:16« Pas beaucoup, mais elle était très sportive et parfaitement capable de faire cette ascension.
08:22Elle avait de bonnes chaussures. Elle allait d'ailleurs beaucoup plus vite que moi. »
08:27Le médecin qui constate le décès ne trouve rien de suspect dans les blessures de Frida.
08:33Il délivre un permis d'innumer et l'on conclut à une mort accidentelle.
08:39En effet, des constatations de la police, il résulte que Frida s'est certainement appuyée contre la barrière de protection qui a dû céder.
08:46Effectivement, une latte formant cette palissade a été arrachée à l'endroit présumé de la chute.
08:52Un petit entrefilé dans les journaux locaux parle de l'imprudence des alpinistes amateurs et où ils y rentrent chez lui.
09:00Jusqu'ici, les circonstances de la mort de Frida Lang ne peuvent en aucun cas éveiller les soupçons de la police.
09:06D'ailleurs, le mari semble sincèrement affecté par la mort de sa femme.
09:10Il en parle à ses amis, prend soin de son petit garçon de cinq ans et tout le monde le plaint.
09:17Oui, va pourtant être la victime d'une première dénonciation au bout de quelques jours, d'une seconde au bout de deux ans.
09:26Et il y a dans cette histoire des personnages que nous ne connaissons pas encore.
09:37Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
09:41Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, Willy, veuf classique et moyennement inconsolable, est rentré chez lui.
09:47Mais il y a dans l'environnement familial deux personnages dont nous n'avons pas encore parlé pour la bonne raison qu'il ne s'était jusque là manifesté ni l'un ni l'autre.
09:57Lina, la soeur de Frida, est une femme d'une quarantaine d'années, d'une laideur sympathique et rose qui pense toujours avoir la bonne solution et la bonne explication à tout.
10:09C'est une ménagère hors pair qui estime que l'équilibre d'une femme consiste à faire des enfants des tartes aux myrtilles et de la gymnastique matinale.
10:18Il y a vingt ans de cela, elle a épousé un Eric qui partage en tout point ses opinions sur la vie.
10:26Il est à remarquer toutefois que ce mari conciliant pourrait difficilement faire le contraire car Lina, sans s'en rendre compte d'ailleurs, passe son temps à lui intimer l'ordre de manger,
10:36celui de jouer avec les enfants, d'aller travailler, de se coucher, de se lever, etc., etc.
10:40Si bien qu'Eric ne proteste pas lorsque, huit jours après la mort de sa soeur Frida, Lina lui déclare tout de go, tu vas téléphoner à la police.
10:50Eric ne demande pas pourquoi parce qu'il sait qu'une fois l'ordre donné, Lina l'explique toujours avec un luxe de détails.
10:59Tu vas téléphoner à la police et leur dire que la mort de ma soeur n'est pas normale.
11:06Cet accident est bizarre.
11:08Willy et Frida se disputaient trop souvent.
11:12Oh, elle ne voulait pas l'admettre, mais leur mariage battait de l'aile.
11:16Je lui ai bien dit, Frida, ma fille, on n'ébouse pas un divorcé.
11:20Plats réchauffés n'est pas bon à manger.
11:22Elle n'a jamais voulu m'écouter.
11:24On ne peut rien reprocher à Willy, remarque.
11:27Il a toujours ramené sa paie à la maison.
11:29Et après tout, s'il a été cocu, ce n'est pas de sa faute.
11:32Mais amener deux enfants, tout fait, dans un mariage, ça c'est pas bon.
11:37Je sais bien, moi, que Frida était malheureuse.
11:40D'ailleurs, elle m'avait dit l'autre jour, je ne supporte plus cette vie.
11:43Il faut que j'en finisse.
11:45Écoute-moi bien, Eric.
11:47Tu vas téléphoner et tu vas leur dire ce que je pense.
11:51Alors Eric va téléphoner.
11:53Il va dire à la police ce que pense sa femme, Lina.
11:56À savoir que ce n'est pas un accident, non, non.
11:59Oh, ce n'est pas un meurtre non plus, non.
12:01C'est un suicide.
12:03Mais Frida ne s'est pas suicidée toute seule, non.
12:06On l'a poussée au suicide.
12:08Et tout bien considérée, la seule personne
12:10qui ait pu détruire à ce point le moral de cette bonne Frida,
12:13c'est son mari.
12:15Il lui a fait la vie triste, M. le commissaire, ajoute Eric,
12:18sur l'injonction de sa femme qui tient l'écouteuse.
12:21Le commissaire a enregistré la conversation.
12:24Il convoque ses correspondants, prend note de leurs témoignages
12:27et sur leur demande, entame une enquête sur la vie privée de Willy Lang.
12:31Une enquête de routine.
12:33Disons qu'il s'agit de savoir si Willy n'a pas de dettes cachées,
12:36s'il fréquente les salles de jeu ou les comptoirs,
12:39s'il entretient une ou plusieurs danseuses, etc., etc.
12:42Mais la vie de Willy Lang est un désert de clarté.
12:45Une ou deux amendes, pas de dettes, pas de relations suspectes, pas de femme.
12:50On découvre quand même, et c'est facile, car il ne s'en cache pas,
12:54que Willy va toucher le montant d'une assurance vie
12:56prise sur la tête de sa femme cinq ans auparavant.
12:59Willy avait pris cette assurance en se fiant à une publicité
13:02passée dans un quotidien, mais la somme est si minime, 5000 francs,
13:06qu'il n'y a guère lieu de le suspecter d'une machination quelconque.
13:09Il reconnaît par ailleurs qu'il n'était pas toujours d'accord avec sa femme,
13:12mais il ajoute « comme tout le monde ».
13:14Interrogé, ses collègues de travail ne donnent de lui que des renseignements favorables,
13:18quoique, dit-on, depuis la mort de sa femme, il est un peu taciturne.
13:22Mais quoi de plus normal ?
13:24Ainsi, tous les renseignements recueillis sur Willy ne permettent en aucun cas
13:29de le suspecter et le 1er février 1963, l'enquête est suspendue.
13:35L'acte suivant, c'est Willy qui le joue tout seul.
13:39Il porte plainte. Contre qui ?
13:42La municipalité de Loche-les-Bains.
13:45Il invoque pour cela que la barrière de bois bordant le sentier du col de la gémie
13:48était légèrement pourrie et mal fixée à l'endroit de l'accident.
13:52Estimant qu'il a droit à des dommages et intérêts, il s'adresse à la commune
13:56et, n'obtenant pas de réaction, s'adresse à un avocat.
13:59Ce dernier lui déconseille une telle poursuite,
14:02et, devant l'insistance de son client, s'étonne.
14:04Mais enfin, monsieur, la prudence la plus élémentaire voulait que votre femme
14:08ne s'appuie pas sur cette barrière trop fragile pour être considérée
14:11comme autre chose qu'un garde-fou.
14:13Personne n'est responsable, croyez-moi.
14:15C'était le destin.
14:17Et Willy fera cette réponse étonnante.
14:20Le destin n'a rien à voir avec les barrières.
14:23Sur le moment, l'avocat n'y prête aucune attention.
14:26Comment le pourrait-il ?
14:28L'affaire ne l'intéresse pas.
14:30Cet homme est malheureux, c'est une réflexion en l'air.
14:33Personne ne peut savoir ce que veut dire Willy.
14:36Et pourtant, il veut dire quelque chose.
14:38Seulement, tout le monde se désintéresse de son cas,
14:41alors comme tout le monde, Willy classe l'affaire
14:44et reprend sa petite vie de fonctionnaire zélé et tassituré.
14:49Deux ans vont passer.
14:51Deux ans, jusqu'à l'arrivée d'un nouveau personnage
14:54et d'un nouveau coup de téléphone à la police.
14:57Le 9 juin 1964.
15:00Ce coup de téléphone, c'est Lina, la soeur de Frida,
15:03encore elle qui va le donner.
15:05Mais cette fois, c'est elle qui parle en personne.
15:08C'est dire que la chose est beaucoup trop importante cette fois
15:11pour qu'elle la confie à son mari.
15:13Fidèle à son habitude, c'est un ordre quasiment
15:16qu'elle donne à l'inspecteur qui lui répond.
15:18« Vous allez vous rendre à telle adresse, à tel numéro.
15:21Il y a là une nommée Suzanne Brun
15:23qui a été la maîtresse de mon beau-frère.
15:26Elle a des révélations importantes à vous faire. »
15:29Effectivement, ces révélations sont importantes, bien que tardives.
15:33Suzanne Brun ressemble étrangement à Frida,
15:35même silhouette un peu massive,
15:37même cheveux lisses et blonds, même âge.
15:40Elle confirme qu'elle était la maîtresse de Willy
15:42à l'époque de l'accident.
15:44L'inspecteur s'étonne que la première enquête ne l'ait pas révélée.
15:47« J'étais marié, monsieur l'inspecteur,
15:49et je ne voyais Willy qu'une fois par semaine, le jeudi,
15:52entre 5h et 6h, pendant le goûter des enfants. »
15:56« Ah, et vous vous rencontriez où ? »
16:00« Dans le jardin public, derrière la cabane du Guignol. »
16:04L'inspecteur n'en croit pas ses oreilles.
16:06« Derrière la cabane du Guignol, tous les jeudis, entre 5h et 6h.
16:10Voyez-vous ça ? »
16:11Pas étonnant que la police n'y ait pas pensé en tout cas.
16:13Mais la suite est beaucoup plus intéressante.
16:16« Quelques jours avant son départ en vacances,
16:18Willy est venu me rejoindre.
16:20Ce jour-là, nous avons beaucoup parlé car il n'y avait pas de Guignol.
16:24Il m'a demandé si je pouvais lui procurer du poison pour supprimer sa femme.
16:27Je lui ai répondu que je ne voulais certainement pas une chose pareille,
16:30alors il m'a dit qu'il se débrouillerait tout seul.
16:33Le jeudi suivant, il est revenu,
16:35il a tapé sur la poche de son veston et il m'a dit,
16:37« J'ai ce qu'il faut. »
16:39« Qu'est-ce que c'était ? » demande l'inspecteur.
16:41« Je ne sais pas. Je ne lui ai pas demandé.
16:43Il m'a fait ses adieux en disant,
16:45« Ciao ! Je reviendrai tout seul. »
16:48Sans rire, l'inspecteur, qui prend soigneusement des notes, demande,
16:51« Il y avait Guignol ce jour-là ? »
16:53« Oui, monsieur, » répond le témoin sans sourire.
16:57Ensuite, lorsque Willy est rentré seul des vacances,
17:00eh bien Suzanne, ayant lu un article dans les journaux, l'aurait interrogée.
17:03Willy aurait dit tout d'abord,
17:05« Elle est morte. Je suis un criminel. »
17:08Puis aurait ajouté,
17:10« Je n'ai rien fait. Je le jure. »
17:13Bien entendu, peu convaincu d'une accusation aussi tardive,
17:16la police fait déposer Suzanne par écrit
17:19et elle répète mot pour mot sa déclaration, persiste et signe.
17:23À la question qu'on lui pose,
17:25« Mais pourquoi avez-vous attendu aujourd'hui pour en parler ? »
17:29Suzanne répond naïvement,
17:31« Il m'a poussé au divorce.
17:33Il m'a promis dix fois le mariage.
17:35Dix fois, il a repoussé la date.
17:37Nous avons rompu hier. »
17:40Il faut bien reconnaître que rien n'est convaincant dans tout ça,
17:43qu'il y a gros à parier que cette femme n'agit que poussée par le dépit et la jalousie.
17:47Eh, quand même !
17:49D'autre part, la belle-sœur de Willy n'hésite pas à s'associer à l'accusation.
17:54Alors...
17:55Alors, le juge d'instruction rouvre le dossier, lance un mandat d'arrêt contre Willy
18:00qui se laisse arrêter le lendemain, 12 juin 1964.
18:05Au cours du premier interrogatoire, il nie
18:07et, comme s'y attendait l'inspecteur,
18:09affirme que cette femme l'accuse par dépit.
18:12La nouvelle instruction risque d'être longue
18:14et les preuves matérielles sont si maigres
18:17qu'il est pratiquement sûr que le malheureux Willy, victime d'une dénonciation haineuse,
18:21sera mis en liberté provisoire et qu'un non-lieu sera prononcé.
18:25Mais...
18:26Mais Willy est décidément un homme bizarre.
18:29Le soir même, alors qu'il passe sa première nuit en cellule,
18:34un grand bruit fait accourir le gardien.
18:38Willy est allongé par terre, inondé de sang, à moitié étranglé.
18:43Étant électricien monteur, il avait réussi sans trop de peine
18:46à déloger l'ampoule électrique du grillage qui la protégeait,
18:49il avait cassé l'ampoule et entaillé profondément son poignet
18:52à l'aide d'un morceau de verre.
18:54Puis, pour compléter sa tentative et voyant qu'il ne mourrait pas assez vite,
18:57il avait déchiré la couverture de son lit et confectionné une sorte de lien
19:01pour se pendre à l'un des barreaux de sa cellule.
19:04Mais le lien avait lâché, Willy était tombé brutalement par terre
19:07et le gardien avait entendu le bruit de sa chute.
19:11Interrogé à l'hôpital de la prison dans la nuit même,
19:14Willy déclara d'abord...
19:16« Je n'ai jamais eu de chance dans la vie.
19:18Jamais. »
19:20Et il finit par faire des aveux bien étranges.
19:24Frida était debout sur le sentier,
19:27juste à l'endroit de la barrière.
19:30« Je voulais la tuer, c'est vrai.
19:32Le matin même, j'avais repéré l'endroit.
19:35Le précipice était profond et la barrière était pourrie.
19:38Je l'avais même un peu secouée pour m'assurer qu'elle ne tiendrait pas.
19:42Frida marchait toujours devant moi.
19:45Je pensais que ce serait facile.
19:47Je me suis arrêté pour allumer une cigarette.
19:49J'avais peur.
19:50Elle s'est arrêtée juste à l'endroit qu'il fallait.
19:53Elle a même posé sa main sur la barrière.
19:55Elle m'attendait.
19:56Elle a dit...
19:57« Alors, tu viens ? »
19:59J'ai écrasé ma cigarette pour avoir les mains libres.
20:02Je me suis approché d'elle.
20:04Elle ne disait rien.
20:05Elle me regardait.
20:06Je n'avais plus qu'un pas à faire.
20:09J'ai levé le pied
20:11et j'ai trébuché sur une pierre.
20:14Je suis tombé en avant.
20:16Je l'ai bousculé sans le faire exprès.
20:18La barrière a lâché.
20:19Elle a crié.
20:20Elle est tombée jusqu'en bas.
20:22Je n'ai rien fait.
20:23Rien.
20:24Je suis tombé.
20:26Je voulais la tuer,
20:27mais je suis tombé.
20:29Je n'ai jamais eu de chance.
20:32Condamné à vingt ans de prison pour meurtre avec préméditation,
20:36Willy fut en plus accusé de tentative d'escroquerie sur la commune de Loche-les-Bains
20:40car la barrière n'était pour rien dans l'affaire.
20:44Willy l'avait bien dit.
20:46Le destin n'a rien à voir avec les barrières.
20:49Mais la triste histoire de Willy ne s'arrête pas là.
20:53Le 20 avril 1965,
20:56onze jours après son transfert au pénitencier,
20:59Willy fut retrouvé pendu dans sa cellule à un radiateur électrique.
21:04Il s'était rempli la bouche d'étoupe pour ne pas crier,
21:08s'était entaillé le cou avec une lame de rasoir
21:11et avait volé la ficelle pour se pendre à l'atelier d'imprimerie où on l'avait affecté.
21:17Cette fois-ci, vraiment, il avait mis toutes les chances de son côté.