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  • 24/03/2025
Jean-Paul Kauffmann, journaliste et écrivain, était l'invité de France Inter lundi 24 mars, à l'occasion de la parution de son livre “L’accident” (Ed des Équateurs).

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée ce matin, est un ancien journaliste devenu
00:06écrivain.
00:07Il publie « L'accident » aux éditions des Équateurs.
00:10J'aurais aimé, Nicolas, vous dire qu'avec lui, nous partons à la rencontre d'un drôle
00:14de village breton dans les années 50, d'un fiéfé curé, d'élaboureurs durs à la tâche
00:20et de toutes les odeurs d'une enfance heureuse passée dans le fournil familial.
00:25Que tout ça nous emmène très loin du fracas du monde.
00:29Seulement, mon invité a été aussi capturé par le Hezbollah en 1985 et retenu mille jours
00:36en otage.
00:37Et bien ce sont ces souvenirs enchantés et enchanteurs qui l'ont aidé à tenir.
00:42Bonjour Jean-Paul Kaufman.
00:44Bonjour Sonia De Villers.
00:46C'est difficile à croire, mais en captivité, une fois domestiquée la peur des exécutions
00:52ou des simulacres d'exécution, et bien vous avez dormi.
00:56Dormi d'un sommeil rassuré par cette enfance rurale et cette enfance radieuse ?
01:03Oui, je suis désolé, j'ai eu une enfance heureuse.
01:07Ce fut une époque enchantée, radieuse et c'est ça qui m'a sauvé en effet.
01:14Et ce livre-là est un livre justement de gratitude.
01:21Je rembourse ma dette avec ce récit.
01:24Les cauchemars ont commencé à votre libération, c'est-à-dire que c'est à votre retour
01:30que les démons ont surgi la nuit, c'est-à-dire que là, votre enfance ne vous protégeait plus ?
01:35Oui, alors j'ai fait ce qu'on pourrait appeler un travail de Pénélope à l'envers,
01:41c'est-à-dire que je réparais la nuit ce qui s'était défait le jour.
01:45C'est vrai, je n'ai fait aucun cauchemar pendant ma captivité.
01:51L'inconscient humain est une très belle mécanique finalement
01:55et les cauchemars sont venus en effet une fois que j'ai été libéré.
02:01Je rappelle pour ceux qui sont un peu plus jeunes que moi que quand j'étais enfant
02:06c'était votre visage et celui des autres otages au Liban qui s'affichaient chaque soir
02:11avant le journal télévisé.
02:14Jean-Paul Coffman, vous n'êtes pas juif, je le dis parce qu'on va raconter
02:19les racines bretonnes de la famille Coffman.
02:22Mais ce n'est pas rien quand on a été otage aux mains d'une milice chiite de s'appeler Coffman
02:28et quand on a des négociateurs qui disent pendant votre captivité
02:33« We keep the Jew », on garde le juif.
02:36Oui, et mon libérateur répond « c'est trois ou rien ».
02:41Mais ils ne m'en ont jamais parlé pendant ma captivité.
02:46Ils jouaient de manière assez ambiguë avec cette histoire-là en effet.
02:52C'est ça, cette histoire-là.
02:54Les Coffman sont bretons depuis un siècle et demi.
02:57Ils sont arrivés d'Alsace-Lorraine, d'où ce nom Coffman.
03:01C'est une lignée de paysans et de curés.
03:04L'accident c'est l'île Évilaine d'après-guerre.
03:07Tout commence, on va y venir, à l'autre accident.
03:10Tout commence par le nom de votre village.
03:12Cornu.
03:13Cornu.
03:14Donc corps comme un corps, tiré nu.
03:16Ça vous a valu beaucoup de blagues ?
03:18Oui, c'était très lourd à porter.
03:20Les enfants devaient se battre justement pour défendre.
03:24Se battre carrément ?
03:25Oui, pour défendre l'honneur du nom et la dignité de notre village.
03:32Les cornusiens et les cornusiennes.
03:35C'était un mauvais jeu de mots qui a été fait au Moyen-Âge par un copiste facétieux.
03:40Odette et Marcel sont vos parents.
03:43Ils tiennent la boulangerie Coffman.
03:45Marcel a tant aimé son métier.
03:47Les pages, Jean-Paul Coffman, dans lesquelles vous décrivez la fabrication de la pâte, sont très belles.
03:53Vous parlez de la vérité du pain.
03:55Qu'est-ce que c'est que la vérité du pain ?
03:57Vous dites pour Marcel, le pain c'était la farine, l'eau, le sel, la levure, point.
04:04Exactement.
04:05Et je dis aussi, et c'est très important, que l'ambiance d'un fournil peut amener au métier de journaliste.
04:13Voilà.
04:14Voilà où moi je voulais vous amener.
04:16Parce que c'est extraordinaire.
04:17Parce que vous racontez les odeurs du fournil de votre enfance.
04:21Et vous dites que l'odeur, c'est ça qui a même conduit votre pratique du journalisme.
04:28Pourquoi ?
04:29Oui, je pense qu'on ne parle pas assez de l'importance du corps dans ce métier.
04:34Et le principal, de ses sens, pour moi, c'est l'olfaction.
04:40Il commande tout le reste.
04:42Un bon journaliste hume son sujet.
04:44Oui, on sent un sujet.
04:46Et quand, dans un reportage, il se passe quelque chose de pas très clair, on dit ça sent mauvais, il faut partir.
04:53Vous dites subodorer, ce verbe est assez explicite.
04:55Pressentir aussi.
04:56Pressentir, voilà.
04:59Alors, on a peu le temps ici.
05:01Donc, je ne vous raconterai pas les histoires de l'inénarrable curé Brionne.
05:05C'est si rigide face aux dogmes.
05:07Parce que, évidemment, cette Bretagne d'après-guerre, elle est très bigote.
05:10Mais la foi cornusienne, elle a été sévèrement mise à mal ce 2 janvier 1949.
05:15Les hommes de corps nus partent jouer un match de foot aux environs.
05:19Au retour, le camion, conduit par le fils du maire, fait une embardée.
05:2318 morts.
05:25Détective, l'hebdomadaire des faits divers, titre, corps nus, village de la mort.
05:29West France, titre, corps nus, cité de la douleur.
05:33Ça a été un tel traumatisme, que le village s'est mûré dans le silence.
05:38On n'en parlait pas.
05:40C'était comme l'Alsace-Lorraine, avant la guerre de 1914, il pensait toujours, n'en parlait jamais.
05:45C'était tellement dur, tellement traumatisant, que ça n'avait pas eu lieu.
05:50Donc, on n'en parlait pas.
05:52Et vous, vous déterrez, non pas ce secret de famille, mais ce secret de village.
05:57Vous le déterrez au cours d'une enquête minutieuse, qui s'étale dans le livre un chapitre sur deux.
06:03Oui, c'est un livre aussi sur l'impensé.
06:06Alors en effet, il y avait trois impensés.
06:09Le nom, corps nu, cet accident, et surtout l'église très particulière.
06:15Une église orthodoxe, russe, avec un clocher en bulbe, qui fait l'originalité de mon village.
06:24C'est ça.
06:25Et quand on reconstitue cet accident et la façon effroyable dont il a énervé toute la mauvaise conscience,
06:34toute l'angoisse et tout ce deuil collectif villageois,
06:38on se dit que ce village est marqué du sens de la tragédie.
06:42Que ce village serait comme inscrit dans un destin.
06:45Et quand on se demande comment un cornusien peut bien s'être retrouvé dans les geôles du Hezbollah libanais,
06:5240 ans plus tard, on se dit précisément parce qu'il est né à Cornus.
06:57Oui, c'est un livre aussi, je pourrais dire, sur l'inexplicable.
07:05Moi, ma vie n'a été, je ne sais pas si c'est particulier à moi, mais il y a eu plein d'énigmes à résoudre.
07:15Ce livre raconte aussi, comme je le disais tout à l'heure, ces impensés, ces non-dits,
07:21et puis aussi toutes ces maladies de la mémoire, ces distorsions de la mémoire,
07:28ces constructions des faux souvenirs et ces événements fictifs qu'on croit avoir vécu.
07:34C'est ça. Par deux fois, les habitants de Cornus ont entendu sonner le glas.
07:39C'est très rare dans une vie d'entendre sonner le glas.
07:42Une fois au moment de cet accident, une fois au moment de votre libération à Beyrouth.
07:47Et puis, il y a aussi quelque chose de très particulier pour un otage,
07:50c'est que vous êtes absent pendant si longtemps que pendant ce temps-là,
07:53les journalistes doivent bien meubler. Et alors, qu'est-ce qu'ils font les journalistes ?
07:56Ils retournent à Cornus. Ils font une enquête sur qui était Odette et Marcel.
08:00Quelle était votre enfance ? Quel était le village d'où vous venez ?
08:03C'est comme ça que Cornus aussi a surgi pendant que vous étiez au Liban.
08:07Oui, mais c'est ça qui est paradoxal.
08:09L'otage est invisible et en même temps, il faut le faire parler.
08:13Donc, il faut savoir d'où il vient, quels étaient ses parents.
08:17Et c'est de cette façon-là qu'on a parlé de Cornus.
08:20Mais à travers tout cela, je voudrais dire quand même que j'ai écrit un livre joyeux.
08:25J'espère jubilatoire. Il n'a pas été conçu pour alimenter la dépression générale
08:33et l'atmosphère pessimiste qui règne actuellement.
08:39C'est un livre de réconciliation.
08:42Voilà, et quand Odette et Marcel se retrouvent à Paris auprès de votre comité de soutien
08:47qui s'est battu, qui a remué ciel et terre pour maintenir une pression médiatique et politique,
08:51Odette a dit ses quatre vérités à François Mitterrand.
08:55Elle lui a dit, on voit bien que ce n'est pas votre enfant,
08:58parce que si ça avait été votre fils, vous auriez déjà arrêté de livrer des armes à l'Irak.
09:03Et il a dit à mon épouse, elle est coriace la belle-mère.
09:08Coriace Odette Kaufmann.
09:11L'accident paraît aux éditions des Équateurs.
09:14Merci Jean-Paul Kaufmann.
09:15Merci.
09:16Merci Sonia.

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