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Golshifteh Farahani était l'invitée de Léa Salamé mercredi 19 mars pour le film “Lire Lolita à Téhéran” d’Eran Riklis, en salles le 26 mars, d’après le roman autobiographique de Azar Nafisi.

Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20

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Transcription
00:00Et Léa, ce matin, vous recevez une actrice iranienne.
00:03Bonjour Goldshifter Farahani, bienvenue sur Inter, on est ravis de vous recevoir.
00:08Si vous étiez une langue, un livre et un défaut, vous seriez quoi ?
00:14Bon, le livre c'est toujours Petit Prince pour moi, parce qu'en fait on a une relation très fort avec la radio.
00:20Mon père, il a tout commencé à la radio, avec les pièces à la radio.
00:24Et justement, le Petit Prince c'est pareil, il était le ronard dedans.
00:28Alors je l'écoutais quand j'avais 3 ans.
00:30Il était comédien ?
00:30Oui, comédien, metteur en scène et tout ça.
00:33Une langue ?
00:34Une langue...
00:36C'est compliqué pour vous qui parlez tellement de langue.
00:38Je crois que je serais une langue qui n'est pas parlée.
00:41Une langue mystérieuse, qui est parlée dans d'autres dimensions je crois, pas ici.
00:47Djibril.
00:48Elle existe ?
00:49Non, je crois pas qu'il existe, mais c'est une langue qu'on peut comprendre,
00:55tout le monde peut comprendre cette langue-là, parce que c'est le langage de l'âme, peut-être c'est le silence.
01:00Un défaut ?
01:02Un défaut...
01:03Mon dieu...
01:04Lequel ?
01:05Lequel, mon dieu...
01:07Je crois que c'est de ne pas être incapable de demander de l'aide,
01:14d'être incapable d'être vulnérable en fait.
01:18D'être féminine et vulnérable.
01:22C'est un défaut ça ?
01:24Oui, justement, je crois que c'est fort d'être vulnérable, c'est fort d'être...
01:28Je suis pas capable.
01:29Je crois que j'ai jamais eu cet luxe de dire je peux pas, j'arrive pas.
01:35Et ça je crois que c'est le plus grand défaut que j'ai.
01:38Il faut tenir, toujours montrer qu'on est fort.
01:40Exactement, il faut toujours être capable, il faut toujours faire, jamais demander de l'aide, jamais demander que je peux pas.
01:47Votre père avait une bibliothèque immense à Téhéran dans votre enfance,
01:50avec plein de livres interdits par les Molas, des romans censurés, de la littérature étrangère,
01:54des livres politiques comme ceux de Marx.
01:56Est-ce que vous les lisiez, ces livres ?
01:58Bien sûr, tout ce qui était interdit, il fallait...
02:02Évidemment.
02:02Évidemment, oui.
02:04En fait, j'ai lu beaucoup de romans sans censure.
02:07Justement, j'ai lu Lolita très très tôt et j'ai rien compris parce que c'était pas...
02:12Mais on faisait tout ce qui était interdit.
02:16Vous avez lu Lolita à Téhéran à 13-14 ans ?
02:19J'ai lu Lolita de Nabokov à 13 ans, oui.
02:23Lire Lolita à Téhéran, c'est le titre du nouveau film qui sort dans une semaine.
02:28L'adaptation au cinéma du best-seller mondial d'Azhar Nafizi.
02:31Le livre sorti il y a 20 ans était resté inscrit plus de 100 semaines sur la liste des best-sellers du New York Times.
02:36Il a remporté des prix dans le monde entier.
02:38Il a été considéré parmi les 100 meilleurs livres de la décennie par le Time londonien.
02:42Vous jouez le rôle de cette écrivaine, Azhar Nafizi, qui a écrit ce livre-là et qui a raconté sa vie dans son livre,
02:49qui après des études aux Etats-Unis, rentre avec son mari en Iran après la révolution de 79.
02:53On est au tout début des années 80 et elle a plein d'espoir.
02:56Elle pense que ça va être mieux.
02:57Le Shah d'Iran vient d'être défait et elle pense qu'elle va pouvoir aller enseigner la littérature étrangère,
03:03la littérature anglo-saxonne à l'université iranienne.
03:06Et au début, elle y arrive.
03:08Et c'est très intéressant dans le film parce qu'on voit le tout début de l'arrivée des Mollahs au pouvoir 79-80-81,
03:14quand ils n'avaient pas encore imposé le voile.
03:16Quand enseigner la littérature étrangère était autorisé.
03:19Donc, elle pense qu'elle peut y arriver.
03:21Elle pense qu'elle peut réussir à cohabiter à ce moment-là avec ce régime.
03:26Sauf que très vite, le régime va montrer son vrai visage.
03:28On va lui demander, puis on va la forcer à porter le voile, sinon elle est virée.
03:32Et puis, quand elle va enseigner Gatsby le Magnifique, ça ne se fait pas.
03:35C'est contre nos valeurs, les valeurs de la République islamique.
03:38Gatsby, puisqu'il est question d'adultère.
03:39Ne parlons pas de l'Itan Nabokov.
03:41Et donc, au fur et à mesure, elle aura la pression de ce régime sur cette prof d'université.
03:46Elle va renoncer à enseigner à l'université, mais elle va continuer à résister,
03:50puisqu'elle va enfreindre les lois et réunir chez elle, toutes les semaines,
03:55ses étudiantes pour continuer à lire la littérature, à lire Gatsby, à lire Lolita,
04:00à lire Orgueil et Préjugé.
04:02Est-ce que vous pensez qu'on peut résister à la dictature par les livres ?
04:05C'est en tout cas la question que pose le film.
04:08Est-ce que la littérature a ce pouvoir-là ?
04:11Je crois que l'art, en général, c'est vraiment le point devant la dictature.
04:16C'est pour ça aussi qu'ils ont tellement peur des livres, des artistes.
04:21Pourquoi un régime si fort, il met des artistes en prison ?
04:25Pourquoi ? Ça veut dire que...
04:27Pourquoi ?
04:27Je crois que c'est le pouvoir de l'art et culture, spécialement dans un pays comme l'Iran.
04:33L'art et culture, c'est vraiment...
04:34On dit quand on coupe la nombrine, on le coupe avec un poète, on le coupe poème,
04:39on le coupe avec la culture.
04:40Notre nombrine n'est pas connectée seulement à notre mère,
04:43mais c'est connecté à les racines de la poésie et la culture en Iran.
04:49Alors, c'est ça qui est étonnant.
04:51Ça montre à quel point des livres...
04:53Pourquoi ils brûlent les livres ?
04:54Parce que c'est les pouvoirs des livres, justement.
04:57Vous avez vu des livres brûlés quand vous étiez enfant à Téhéran ?
05:00Vous avez vu le régime...
05:02Toute dictature commence par brûler les livres parce qu'ils disent,
05:04ils ont théorisé ça, qu'une population qui ne lit pas est servile.
05:08Donc, on peut la tenir, on peut la contrôler.
05:10Vous avez vu des scènes de livres brûlés ?
05:13Ça, je me souviens précisément.
05:15Je me souviens très bien.
05:16J'étais très, très petite.
05:18C'est vraiment... J'ai des flashs quand j'étais très petite.
05:21Mais je me souviens des petites collines des livres où ils brûlaient.
05:25Comme ils exécutent les gens en public, ils brûlaient les livres en public aussi.
05:31Parce que brûler les livres, c'est comme on est en train de brûler
05:35beaucoup d'autres choses qui ne sont pas seulement...
05:38Un livre, ce n'est pas seulement matériel.
05:40C'est des pensées, c'est de l'histoire.
05:43C'est beaucoup d'autres choses qui se passent à travers des livres.
05:46Et ils faisaient ça.
05:48Vous avez vu ça ? Vous avez souvenir de petits scénarios ?
05:50Ça, c'est vrai.
05:52Et ils faisaient ça souvent, souvent.
05:54C'est un film aussi sur la sororité, sur l'amitié entre femmes.
05:56Comment le fait d'être ensemble, ces femmes, de se réunir, de pouvoir parler littérature.
06:00Elles attendent ce rendez-vous dans leur vie, avec leurs épreuves,
06:04avec les hommes, avec les interdits, avec leur mari, parfois dur, parfois violent.
06:08Elles attendent ce rendez-vous, elles se retrouvent entre elles
06:11pour lire la littérature et pour exacerber leurs sentiments
06:14et pour dire leurs sentiments, pour dire la vérité de ce qu'elles ressentent.
06:17C'est très beau, ces moments-là entre femmes.
06:20Ça aide aussi à résister, non ?
06:22Oui, je crois qu'on ne peut pas traverser les océans en tempête, dans un petit bateau sol.
06:28Si on est ensemble, on a beaucoup plus de chances de survivre
06:31et de dépasser toutes ces épreuves impossibles, je crois.
06:35Les moments de guerre, les moments de crise.
06:38La seule façon vraiment de survivre, on a beaucoup plus de chances si on est ensemble.
06:44Et les femmes notamment, les femmes entre elles.
06:45Spécialement, je crois, parce que quand on est ensemble, tant que femmes,
06:51même les règles des femmes peuvent devenir dans la même date.
06:57Ça veut dire qu'il y a quelque chose qui est au-delà de seulement connexion mentale,
07:02mais c'est même le corps qui commence à être ensemble, c'est très intéressant.
07:08Golshifeh Farahani, c'est la première fois depuis votre exil d'Iran forcé il y a 17 ans
07:12que vous avez accepté de jouer dans votre langue natale, le persan, le farsi,
07:18et dans un film qui traite de l'Iran.
07:19Jusque-là, vous vous refusiez, vous vous interdisiez de tourner dans votre langue
07:23et de tourner sur un film qui a un lien avec l'Iran.
07:27Pourquoi vous vous sentiez prête, là maintenant, à affronter votre pays, votre langue et votre exil ?
07:33Je ne me sentais pas prête du tout.
07:35Quand j'ai dit oui à Iran, j'étais sûre qu'il ne va pas pouvoir monter le film.
07:38Et j'ai dit oui, d'accord, je connaissais l'Iran.
07:40Je me suis dit, bon, ce film-là, il ne peut jamais le monter.
07:44Et quand il l'a fait, il m'a donné les dates.
07:48C'était comme un choc pour moi.
07:49Et là, c'est toutes mes angoisses qui ont commencé à monter.
07:53On a parlé ensemble, on a lu le scénario.
07:56Vous avez pleuré ?
07:57Oui, à la fin, quand on a fini tout le scénario, quand on a lu, je ne sentais rien.
08:01J'étais complètement désassociée avec toutes ces réalités dans lesquelles je ne voulais pas vivre.
08:07Et à la fin, je me suis exposée en larmes et je me suis dit,
08:12il y a quelque chose dedans que je ne comprends pas.
08:14Peut-être que j'ai mis tellement de mécanismes de défense
08:18pour ne pas sentir justement autant de mal que j'ai vécu de cet exil.
08:22Et même avant le tournage, j'avais très peur.
08:24J'avais très peur de retrouver mes amis.
08:29Parce que Zahar, Mina, ils sont tous mes amis.
08:31Oui, parce que c'est toutes les actrices iraniennes qu'on voit aujourd'hui dans les films.
08:37Zahar, Mina, etc.
08:38Et vous étiez amis et vous avez vécu ça.
08:40En fait, j'ai eu le sentiment, en regardant ce film qui est très fort,
08:43que vous affrontiez, en tout cas pour vous, votre exil.
08:47C'est un film où vous vous affrontez 17 ans après avoir quitté votre pays.
08:50Il y a cette phrase très forte qui dit, on quitte son pays,
08:53on quitte, tu vas quitter l'Iran, mais l'Iran ne te quittera jamais.
08:57Et ça fait 17 ans que vous construisez des protections pour ne pas affronter l'exil.
09:03Et c'est un film qui vous force à affronter votre exil.
09:05Est-ce que ça veut dire ?
09:06Oui, là, on était tous dedans.
09:08On était en train de revivre les choses où on n'était même pas adultes.
09:13Par exemple, au début de la révolution, on était tous enfants.
09:16Mais là, on était en train de jouer nos parents carrément
09:19et comprendre la guerre, comprendre les choses,
09:21vivre les choses beaucoup plus différemment, je peux dire,
09:25et de se retrouver, nous tous, qu'on ne pouvait pas rentrer en Iran.
09:29On savait, c'était comme amener notre peine ensemble et on le fêtait ensemble,
09:34à Rome, en mangeant de Puntarell, en prenant les verres à Villa Medici.
09:39Justement, c'était le moment de Norouz.
09:41On a fêté le Norouz à Villa Medici, qui est un peu la France en Italie.
09:46Et c'était cette douleur intériorisée qui n'avait pas le droit de sortir,
09:51mais on rigolait ensemble, nos larmes, en fait.
09:54Oui, parce que le film se passe, en gros, de la fin des années 70 et 80,
09:57quand elle revient en Iran après ses études aux Etats-Unis,
10:00jusqu'à 95, 2000, où elle va quitter.
10:03Elle va repartir aux Etats-Unis et enseignera.
10:05C'est une histoire vraie.
10:05Elle enseignera aux Etats-Unis et gagnera tous ses prix.
10:09On voit que ces filles qui se réunissent toutes les semaines
10:12en essayant de résister, en lisant la littérature,
10:14on sent bien qu'à la fin, elles vont partir.
10:18Parce que ça ne suffit pas, en fait, de lire une fois par semaine la littérature.
10:20L'exil est la seule solution.
10:23Mais on voit aussi la déchirure entre le moment où elles décident d'y aller
10:28et le moment où elles le font vraiment, combien c'est difficile.
10:30Et puis, pour quitter l'Iran dans ces années-là,
10:33il fallait partir, aller à la frontière avant un passeur qui vous faisait passer.
10:37Enfin, je veux dire, on ne prend pas l'avion pour partir, ça ne pouvait pas.
10:40Et cette déchirure-là, vous l'avez ressenti, vous, quand, à même pas 25 ans,
10:43vous décidez de quitter l'Iran ?
10:46Oui, parce qu'il y a certains comme moi qu'on n'a pas vraiment décidé.
10:49On n'avait pas le choix.
10:50Il y a certains qui ont décidé, comme Asa, justement, le personnage de film.
10:53Elle décide de partir parce qu'elle n'en peut plus.
10:56Elle n'en peut plus supporter.
10:58Et aussi, il y a des personnages dans le film qui restent.
11:01Ça veut dire qu'aujourd'hui, en Iran,
11:03il y a toute une vague de la jeunesse qui dit qu'on ne va pas partir.
11:07On va rester ici parce que...
11:10Et c'est ça qui est l'Iran aujourd'hui.
11:12C'est ça qui vibre tellement en Iran.
11:14J'ai mon amie, Nahol Tajadoud, qui vient de rentrer d'Iran.
11:17Elle me dit « go shift » et tu ne peux pas imaginer la scène d'artistique et culturelle
11:22qui se passe aujourd'hui à Tehran.
11:24Mais pas seulement à Tehran, partout dans les villes.
11:27Elle fait des séances, qu'elle lit ses livres sur Stevat
11:31et comme cette poétesse russe, les salles sont toujours pleines.
11:35Elle dit « jamais en France, ça m'est arrivé, ça ».
11:37Mais les mots-là, ils n'interdisent pas ?
11:39Bien sûr, c'est ça qui est fou.
11:40C'est que tout est interdit, mais les gens le font quand même.
11:43Tout se fait.
11:44Elles montrent les mèches des cheveux, elles vont lire des textes, de plus en plus.
11:49Cette révolution « Femme, vie, liberté » dont on a beaucoup parlé sur Inter.
11:52On avait notamment reçu cette jeune fille, Roya Pirahé, se témoigner.
11:58Je pense que beaucoup d'auditeurs continuent d'en parler.
12:00Cette jeune femme dont la mère avait été tuée de coups de feu
12:04juste parce qu'elle manifestait de 100 coups de feu dans le corps
12:06et qu'il s'était coupé les cheveux en signe pour s'opposer à cela.
12:10Cette révolution de « Femme, vie, liberté », elle existe encore ?
12:13Elle vit encore ?
12:15Ou c'est mort et ils ont gagné encore une fois, les mots-là ?
12:17Non, ce n'est jamais...
12:19En fait, ce qui était gagné, c'est que là, de moins en moins de filles
12:23qui portent le voile, le gouvernement ne peut rien faire.
12:25Ils continuent toujours leur pression, mais ils ne peuvent pas.
12:29C'est comme, il y a tellement de fleurs partout,
12:31il y a tellement de bougies partout qu'ils ne peuvent pas, qu'ils ne peuvent pas.
12:34Alors c'est ça, la révolution est en cours.
12:37On écoute l'hymne de cette révolution.
13:09Oui, vous l'avez chanté, cette chanson.
13:17Oui.
13:18Beaucoup.
13:19Quand vous décidez de partir, de quitter l'Iran, votre père va vous en vouloir.
13:23Il ne va pas vous parler pendant un temps, il va même vous dire « tu n'es plus ma fille ».
13:29Il n'a pas compris.
13:30Non, parce que j'étais quand même un star en Iran et de partir comme ça,
13:36il ne comprenait pas déjà, parce qu'il n'était pas tellement au courant de mes interrogatoires.
13:41Je ne parlais pas beaucoup, on protège beaucoup nos parents en Iran.
13:45C'est dans notre culture aussi, quand il y a un problème, on ne dit pas aux parents.
13:48On garde toujours pour nous-mêmes.
13:50Et après, bien sûr, quand je suis partie enlever ce truc,
13:53il savait que je suis en train de brûler tous les ponts derrière moi
13:56et je savais que je ne peux plus revenir en fait.
13:59Et aujourd'hui ?
14:01Aujourd'hui, non.
14:02Aujourd'hui, c'est à 18 ans quand même, il y a beaucoup de choses qui ont changé.
14:09Aussi la violence est un peu améliorée.
14:12Même pour moi, mon père, il m'a toujours dit que j'étais la servante du peuple,
14:17parce qu'il est quand même un homme de gauche, très très fort.
14:21Carrément, tu es esclave et tu sers avec de l'art, c'est ça.
14:26C'est ta mission.
14:28Il est moins violent maintenant.
14:30Oui, parce que le peuple voit, l'histoire montre qu'est-ce qui se passe vraiment.
14:40Moi, j'ai eu beaucoup de menaces, beaucoup d'insultes.
14:44Comme de peuple, il faisait ça tout le temps.
14:47Mais là, non.
14:48Là, tout est changé.
14:49Ça, ça pèse.
14:50Longtemps, vous avez porté votre traumatisme dans votre corps, Belshifte Farahani.
14:54Vous disiez dans un entretien à Elle cette semaine, où vous faites la couvre,
14:58« J'étais comme le cafard de Kafka dans une chambre, emprisonnée par mes traumas ».
15:01Depuis, votre corps a rejeté physiquement ces traumas ?
15:05En fait, j'ai beaucoup travaillé sur ce corps, sur ce tombe qui a vécu autant d'événements forts.
15:15Et je crois que couche après couche, je me libère.
15:20Je ne sais pas si je suis libérée totalement, bien sûr que non, mais je peux dire que je
15:27suis beaucoup plus léger qu'avant.
15:29Vous avez fait récemment un voyage initiatique en Amazonie, il y a quelques mois, où vous
15:32avez testé les plantes médicinales.
15:33Ça vous a fait du bien ?
15:34C'est incroyable, les plantes médicinales.
15:38C'est incroyable.
15:39C'est ce que je me dis.
15:40C'est que la raison pour laquelle ils ont un accès aux masses aujourd'hui comme ça,
15:44il y a une raison.
15:45Ce n'est pas facile, parce que ces plantes nous amènent dans des endroits où on ne veut
15:50absolument pas y aller.
15:52Ils nous font vivre les émotions, où on a enterré très profondément dans notre âme.
15:57Et ils nous amènent là-bas à travers du corps.
16:00Alors, ce n'est pas facile de le vivre, mais c'est comme on rencontre avec nous-mêmes
16:06quand nous blessés, et on revit tout ce qu'on ne veut même pas penser.
16:12C'est pour ça qu'il est très difficile, il faut avoir une détermination.
16:16Vous affrontez tout en fait en ce moment, c'est la quarantaine, c'est le début de
16:19la quarantaine.
16:20Voilà, c'est ça.
16:21Non, parce que je réalise à quel point ma vie est chère aujourd'hui.
16:27Et je ne veux pas le traiter, je ne veux pas faire un business avec ma vie, avec n'importe
16:35quelle chose.
16:36Ma vie est le plus important, mon corps est le plus important aujourd'hui.
16:39Vous dites à 41 ans, je suis enfin une femme libérée.
16:42Vous n'étiez pas avant libérée ?
16:43Non, pas du tout.
16:44En fait, j'étais quand même, je crois, l'exil, on ne peut pas sous-estimer l'effet
16:52d'exil.
16:53Et j'étais pas seulement coincée dans la peine d'exil, mais dans tous les traumas
16:59que j'ai vécu.
17:00Et je suis très sensible, hypersensible même.
17:02Et là, quand même, j'ai réussi un peu à retrouver le moment présent, ce que je
17:08n'avais pas avant.
17:09Là, je suis là avec vous, je suis présente à ce moment-là.
17:13Vous ne l'étiez plus ?
17:14Non, je n'étais pas.
17:15J'ai perdu ce temps.
17:16Et je crois que le présent, comme on dit en anglais, c'est present, c'est un cadeau,
17:19le moment présent.
17:20Vous parlez pas mal, vous êtes en match aussi, vous avez une parole assez libre en ce moment.
17:25Vous faites une théorie sur les hommes français et les hommes italiens.
17:27Les Italiens sont beaucoup plus francs, plus directs que les Français.
17:31Un homme italien, il dit juste que vous lui plaisez, alors que l'homme français tergiverse,
17:34il vous parle de Baudelaire et de Rimbaud.
17:36Et puis les hommes français sont tous coincés avec leur mère.
17:39Qu'est-ce que c'est que cette phrase ?
17:41Mais quand même, c'est un peu… En fait, on dit les choses, on rigole et on dit des
17:46choses.
17:47On a des théories pour rire et des fois, ces choses-là, c'est ça.
17:50Ça, vous lisez dans le journal ?
17:51Ça, oui.
17:52Et bon, c'est vraiment, c'est une blague, on ne peut pas généraliser et c'est…
17:56En fait, ils parlaient de… En fait, on compare toujours les choses en Iran.
18:00Mais moi, c'est ce que je disais, c'est que tout ça, ça existe partout.
18:03Les vieux pervers, ils existent partout dans le monde.
18:05C'est juste qu'ils n'ont pas de tête de pouvoir comme en Iran.
18:08Et les hommes qui contraignent le corps des femmes, ils existent aussi.
18:11Oui, partout.
18:12Oui, la violence domestique ici en France existe aussi.
18:16En fait, la violence existe partout dans le monde, c'est pas lié à un endroit géographique
18:21et tout ça.
18:22Mais bon, on dit les choses.
18:23Mais bon, vous préférez les Italiens, quoi.
18:24Non, pas du tout.
18:25Non, on rigole, on rigole.
18:28Vous disiez aussi au magazine Elle que vous êtes née mère, vous avez 41 ans aujourd'hui,
18:33vous aimeriez l'être mère ?
18:34Oui, je crois.
18:36Après tout ce que j'ai vécu comme symbole de émancipation, la liberté et tout ça,
18:42des fois, je rêve juste d'être une femme domestique.
18:45J'aime quand même, je vois l'expression sur votre visage.
18:48Oui, là, je ne vous vois pas en femme domestique, tout de suite, mais bon, pourquoi pas ?
18:51C'est ça qui est drôle, mais c'est en fait, je trouve, en fait, c'est ce que je veux dire
18:56par ça, c'est que j'aime trouver la vulnérabilité féminine et de laisser les autres me tenir
19:03un peu et pas porter toute la poids de vie et tout ce qui est derrière moi et la famille
19:08et tout ça.
19:09Je veux juste poser la poids par terre.
19:11C'est un poids aussi d'avoir un enfant, vous savez, après, c'est un autre poids.
19:16Oui, mais si c'est ça, je le porte parce que c'est quelque chose que je fais pour moi
19:20et pour mon enfant et pas pour les idées ou les choses qui ont été dites.
19:25Je vous le souhaite.
19:26Les impromptus pour terminer, où vous sentez-vous le plus chez vous, Goldshift et Faragny ?
19:31Où ?
19:32Dans quel pays ? Dans quel endroit ?
19:34Endroits physiques ? Je crois que cet endroit n'existe pas et existe partout.
19:39Comme n'importe où, je me sens chez moi.
19:42Los Angeles ou Paris ?
19:43Paris, certainement.
19:45Ridley Scott ou Jim Jarmusch ?
19:47Oh, c'est dur !
19:49En fait, c'est les deux par un.
19:51C'est dur de dire.
19:53Ridley Scott et Jim Jarmusch, on a vu pire.
19:55Louis Garrel ou Léonard de DiCaprio ?
19:57Oh là là !
19:59Bon, Louis, c'est quand même Louis.
20:03On est amis, on se connaît.
20:09Instagram ou X ?
20:11Instagram, certainement.
20:13Vous avez 17 millions d'abonnés sur Instagram.
20:15C'est surtout des Iraniens, des Iraniennes ou c'est le monde entier ?
20:18Non, je peux vous dire, c'est 65 %.
20:24Mais on ne sait pas avec VPN et tout ça.
20:26Je ne regarde pas beaucoup.
20:28En fait, après Amazonie, je ne regarde pas.
20:30Oui, vous avez lâché l'Amazonie.
20:32L'Amazonie a coupé les réseaux sociaux.
20:34La dernière fois que vous avez pleuré ?
20:38C'était juste là, en entendant Barrier.
20:41Ça m'a l'arme aux yeux.
20:43Et Dieu dans tout ça ?
20:45Dieu ?
20:47Comme le grand Dieu ?
20:49Dieu, on est là, on est tous les dieux.
20:53En fait, on cherche le Dieu ailleurs.
20:56Mais le Dieu, c'est juste là.
20:58Le mot Choda en persan.
21:00Chode, c'est le soi.
21:02Et A, c'est de devenir.
21:04Devenir soi.
21:06Et ça, c'est le mot Dieu en persan.
21:08Golshif Tehfani, qui devient elle-même.
21:10A travers notamment ce film, Lire Lolita à Téhéran,
21:13Derane Riklis, avec aussi Zahramir Emina Kavani,
21:16qui est en salle.
21:18Toutes les actrices iraniennes qu'on a beaucoup vues
21:20et beaucoup entendues ces dernières années
21:23C'est pas que sur ça, il y a aussi beaucoup d'amour
21:25et du reste dans ce film-là, en salle le 26 mars.
21:27Merci.

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