Pendant près de 4 ans, la journaliste Linh-Lan Dao a enquêté sur le racisme anti-asiatique en France. Dans son livre "Vous, les asiates", elle étudie et explore les discriminations que subissent les communautés asiatiques. Elle revient sur différents témoignages.
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00:00Mais moi, qui suis née à Paris, pourquoi est-ce qu'on me dit
00:02« ching chong », « ching tok », « mi hao », « konnichiwa » ?
00:04Voilà, pas plus tard qu'il y a deux jours,
00:06il y a un gars qui m'a dit « konnichiwa » dans la rue.
00:08En gros, ce dessin, c'est une séquence
00:11qui est extraite d'un dîner presque parfait.
00:14Le fait de se tirer les yeux,
00:16on l'a eu à l'école maternelle,
00:18on l'a eu à l'école primaire,
00:19et le fait que ce soit répété, répété
00:21jusqu'à ce qu'on le voit à la télévision,
00:24à une heure de grande écoute,
00:25il y a quelque chose de déprimant là-dedans.
00:26Pourquoi est-ce que tu avais envie de faire ce livre ?
00:29Pour moi, c'était un peu une évidence.
00:30Des blagues sur le chien,
00:32les Asiatiques qui mangent du chien ou les sushis.
00:34À un moment donné, quand te ressort la même blague,
00:37année après année,
00:39c'est normal que tu en aies le ras-le-bol.
00:41Et puis pendant la pandémie,
00:42je me suis rendue compte que le racisme anti-asiatique
00:45était encore plus grave que je ne le pensais.
00:47En creusant la question, je me suis rendue compte
00:50que le racisme, ça avait des origines coloniales,
00:53que le racisme, ça touchait aussi
00:55les discriminations à l'embauche et au logement.
00:58Dès 2020, je me suis dit,
01:00il faut vraiment que je fasse une enquête là-dessus,
01:03que je le documente.
01:03Tu pars à 17h ?
01:05Je pensais que vous étiez bosseur !
01:06Vous demandez des augmentations, vous !
01:08Au premier abord, on a l'impression que c'est plutôt sympa.
01:11Au premier abord, on se dit,
01:12tiens, je dois me sentir flattée,
01:15la personne a dit que j'étais travailleuse,
01:18la personne a dit que j'étais un bon employé, un employé modèle.
01:21En fait, on a envie de te mettre dans une case,
01:23que tu sois vraiment le bon élève, le bon employé modèle,
01:26et qu'il ne bouge pas.
01:27En fait, il faut que tu sois dans l'entreprise, mais pas trop,
01:30il ne faut pas que tu surpasses les autres.
01:32Donc c'est hyper, hyper enfermant, c'est hyper aliénant.
01:35C'est une image qui est fabriquée, héritée de l'époque coloniale
01:38et qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
01:40Et aux États-Unis, il y a ce qu'on appelle le plafond de bambou
01:42qui a été documenté.
01:43Le fait que des Asiatiques ne sont pas perçus comme aptes
01:47à des postes de créativité ou de leadership
01:49et qu'ils stagnent un petit peu dans leur travail,
01:52tout comme il y a un plafond de verre pour les femmes,
01:54ça, ça va être appliqué aux Asiatiques
01:56parce qu'on va considérer que c'est juste des gens
01:59qui sont là pour faire leurs heures, pour travailler,
02:01mais qu'il n'y a pas d'émancipation possible,
02:05il n'y a pas de poste de leadership possible.
02:07Et ça, c'est très, très problématique dans le milieu du travail.
02:11Bienvenue ma fleur d'Asie !
02:13C'est...
02:16C'est dur !
02:17C'était mon deuxième copain et je me souviendrai toujours
02:21de ce moment un peu malaisant où je rentre dans sa chambre
02:24et je vois un énorme poster de Marjolaine
02:27qui est à l'époque une star de télé-réalité d'origine vietnamienne
02:31et qui est apparue dans Greg le Millionnaire.
02:33Déjà, je ne suis pas très, très à l'aise.
02:34Il signait toujours son SMS par
02:37« Bonne nuit ma fleur d'Asie » ou ça va, non mais...
02:39J'ai compris qu'un peu trop tard,
02:42qu'il m'avait recherchée parce que j'étais d'origine asiatique.
02:45L'hypersexualisation de la femme asiatique, c'est quelque chose...
02:47Il y a toujours cet amalgame de la femme asiatique
02:50masseuse, ouverte à la sexualité,
02:53travailleuse du sexe, etc.
02:56qui nous colle à la peau.
02:57Et ça, c'est très, très difficile dans la vie de tous les jours.
02:59Mais comment justement tu fais ou on peut faire la différence
03:03entre du fétichisme et préférence des attirances ?
03:06Il y a quand même une notion de domination raciale dans la fétichisation.
03:11Tu considères l'autre comme une image lointaine,
03:14un fantasme lointain et ce n'est pas vraiment la personne que tu vois.
03:18Alors, il n'y a pas de problème à avoir des kinks,
03:20mais ce n'est pas la même chose qu'aimer les pieds ou autre chose.
03:24Voilà, aimer une femme asiatique
03:26avec tout le cortège de stéréotypes qu'il y a derrière,
03:29ce n'est pas une bonne chose.
03:31On passe au dernier dessin, « Solitude dans le métro », Covid.
03:34Si tu peux nous décrire la scène que tu as dessinée.
03:37En fait, il s'agit d'un témoignage que j'ai eu d'une jeune femme
03:42qui me racontait s'être assise dans un carré dans le métro
03:45et elle s'est vite aperçue que, en fait,
03:48même si le métro était bondé,
03:49il n'y a personne qui osait s'asseoir aux côtés d'elle.
03:52Et ça, c'est un comportement d'évitement,
03:54comme on en a vu énormément pendant la pandémie.
03:57Toute personne qui était asiatiquetée,
03:59c'est-à-dire qui avait un facieste de près ou de loin,
04:01est-asiatique ou sud-est-asiatique,
04:04pouvait être évitée parce qu'on faisait l'amalgame entre elle et le virus.
04:08Et par exemple, Donald Trump a employé le terme de virus chinois.
04:11Donc, il y a eu des personnes asiatiquetées qui ont été tabassées,
04:16insultées, il y a eu des crachats sur elles,
04:19il y a eu ces fameux évitements.
04:20Et ça, ce sont des choses qui ont eu lieu pendant la pandémie
04:23et qui prouvent que le racisme anti-asiatique existe bel et bien
04:27en France et dans le monde.
04:28Et puis, ça montre qu'on peut être minorité modèle un jour
04:31et pestiférer le lendemain.