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00:00Que reste-t-il du confinement ? C'était il y a tout juste 5 ans, est-ce que ça a changé
00:04quelque chose dans vos vies ? Quels souvenirs vous en gardez ? Venez nous le raconter.
00:0704-76-46-45-45, on va en parler avec notre invité Théo Etchel.
00:11Théo Etchel.
00:12Pierre Merkley, bonjour.
00:13Théo Etchel.
00:14Bonjour.
00:15Théo Etchel.
00:16Merci d'être en studio avec nous ce matin, professeur de sociologie à l'Université
00:17Grenoble-Alpes, membre du laboratoire PACT, vous avez publié en 2021 une étude intitulée
00:21« Personne ne bouge » sur les conséquences du confinement et vous avez relancé l'enquête
00:27l'an dernier.
00:28C'est-à-dire qu'il y a encore aujourd'hui des traces de ce confinement ?
00:31Oui, évidemment, même si l'actualité est passée à d'autres choses, même assez rapidement
00:37après les confinements de 2020 et 2021, aujourd'hui encore, même si elles sont moins visibles,
00:42on porte tous dans nos trajectoires des traces.
00:46D'abord, la crise sanitaire, le Covid, c'était plus de 100 000 morts, donc comme vous l'avez
00:51rappelé, beaucoup de gens ont des proches qui sont décédés pendant cette période
00:55et ça laisse des traces dans les familles.
00:57Et puis, aujourd'hui, même si, effectivement, on parle peut-être plus d'inflation, de guerres
01:01en Ukraine, de conflits au Moyen-Orient, je crois que c'est l'expérience d'un petit
01:07peu chacun.
01:08C'est aussi des souvenirs, vous l'avez dit, douloureux ou parfois inédits, il y a eu
01:14un côté expérimental aussi pour un certain nombre de personnes qui ont découvert d'autres
01:17façons de vivre peut-être, ce qu'elles ont embrayé derrière, c'est tout le sujet
01:21de l'enquête.
01:22Je vous propose d'écouter un premier témoignage, celui de Céline, c'est une habitante du
01:26Nord-Isère qui trouve que la société, elle a changé depuis le confinement.
01:30Écoutez.
01:31Je trouve que depuis, c'est un peu plus compliqué, les gens sont moins sociables, rien à voir,
01:35les gens ne sont vraiment plus du tout, alors déjà, ils n'étaient pas beaucoup solidaires
01:37je trouvais, mais alors là, c'est encore pire.
01:39Ils sont très dans leur cocon, oui, ils n'ont pas forcément dû partager, les gens sont
01:44très méfiants, je trouve, depuis.
01:45Les gens sont moins sociables, nous dit cette habitante du Nord-Isère, est-ce que ça, c'est
01:49quelque chose que vous observez dans vos entretiens, une société qui se referme sur elle-même
01:53peut-être ?
01:54Alors, moins sociable, ça dépend comment on le mesure, si on compte le nombre de personnes
01:59qu'on fréquente, avec qui on a des contacts au quotidien, ce n'est pas tout à fait vrai.
02:03En quelque sorte, il y a eu une interruption forcée pendant les confinements, et puis
02:10après, la société, elle est élastique, elle a repris sa forme et ses formes de solidarité
02:15initiales, donc si on compte le nombre de personnes, on ne voit pas de grosse différence.
02:20Si on regarde avec qui on est en relation, là, c'est un petit peu différent, on mesure
02:25une petite augmentation de l'entre-soi, c'est-à-dire de la tendance à avoir des contacts avec
02:30les mêmes personnes que soi, du point de vue du niveau de diplôme, du point de vue
02:33de la tranche d'âge aussi.
02:34Dans des bulles, c'est un peu un phénomène de résistance aussi ?
02:38Oui, le terme est trop fort, c'est vraiment une petite augmentation, sauf que la tendance
02:45avant les confinements, depuis 10 ans, 15 ans, c'était le contraire, il y avait une
02:49tendance à l'ouverture, les réseaux sociaux avaient beaucoup participé à ça, et alors
02:53est-ce que c'est le confinement, est-ce que c'est la crise qui interrompt ça, ou est-ce
02:55qu'on rentre dans une autre période, les sociétés changent aussi, c'est très difficile
02:59à dire, la part du confinement, la part de la crise sanitaire, et puis la part de plein
03:03d'autres choses, mais on remarque quand même ça, ça ne veut pas dire que la société
03:06est devenue complètement fragmentée, ça veut dire qu'il y a cette tendance.
03:09Chez quelle partie de la population vous constatez les traces les plus importantes ? On a beaucoup
03:14parlé des étudiants, des jeunes, est-ce que c'est chez eux ?
03:17C'est vraiment ce que l'enquête a montré tout de suite, et probablement plus vite que
03:23ce que, d'une certaine façon, l'image qu'on en donnait dans l'actualité, ou que la société
03:28en véhiculait, c'est eux qui ont souffert en premier lieu.
03:31Si on regarde par exemple qui a changé de logement, ou qui a dû changer de logement
03:35pendant le premier confinement, très peu de gens en réalité, 7% des français au total,
03:40mais plus du tiers des étudiants et des jeunes, et eux ils sont retournés chez leurs parents,
03:44alors que c'est une période d'émancipation, la jeunesse, et puis il y a eu un retour forcé,
03:50qui a souvent été très compliqué.
03:51Et ça, 5 ans après, ça a encore laissé des traces ?
03:54Ça laisse des traces, nous on les mesure directement dans l'enquête, on les mesure
03:58aussi indirectement, parce que par exemple on est enseignant à l'université, et on
04:02voit qu'ils vont moins bien qu'avant les étudiants qu'on a sous les yeux.
04:06Il y a 40% des étudiants de master qui présentent des signes de dépression.
04:09Oui, ça ne m'étonne pas du tout, c'est ce qu'on voit aussi ici à l'université,
04:14à Grenoble, et puis dans plein d'autres universités.
04:17En fait, les étudiants qu'on a maintenant, ils ont subi ces confinements quand ils avaient
04:2214-15 ans, qu'ils étaient entre la troisième, la seconde, c'est une vraie période de construction,
04:27c'est le moment où les relations qu'on acquiert à ce moment-là, les amis qu'on se fait,
04:31c'est souvent des amis pour la vie, et ça, ça a été complètement bloqué pendant
04:35deux ans pratiquement, et ça laisse des traces encore aujourd'hui.
04:38Vous trouvez qu'on n'a pas pris suffisamment la mesure des conséquences ?
04:42C'est très compliqué de trancher, il y avait des choix à faire politiquement, il
04:47fallait choisir la sécurité maximale, limiter le nombre de décès, ça s'est fait au prix
04:53certainement de la construction identitaire des plus jeunes, c'est très compliqué de
04:59dire quel était le bon choix à mon avis.
05:01Cinq ans après le confinement, quelles traces restent-ils de cette période ? On en parle
05:06ensemble, vous pouvez nous appeler en rappelant Mathieu.
05:090476 46 45 45, on a quelques minutes encore pour en discuter, qu'en reste-t-il aujourd'hui
05:16pour vous de ce confinement en termes de souvenirs, est-ce que ça a changé quelque chose dans
05:19votre vie ? Vous pouvez nous laisser vos messages, je vous appelle, par exemple on a eu Arielle
05:23qui n'a pas voulu passer mais qui nous a dit qu'elle avait perdu beaucoup de proches
05:27lors de la crise du Covid, mais le point positif quand même qu'elle en garde c'est qu'il
05:30y avait eu beaucoup de calme autour d'elle à l'époque, vous pouvez aussi nous laisser
05:34vos messages sur notre page Facebook Laurent Galien.
05:36Oui, le calme c'est ce qui est souligné par pas mal de vos messages aussi sur Facebook
05:40quand vous habitez à la ville comme à la campagne d'ailleurs, parce que la ville était
05:44également très silencieuse pendant cette période, c'était peut-être un peu plus
05:47difficile en appartement qu'en maison tout de même, on a Christelle qui nous dit qu'écarter
05:53le côté financier est quelque contrainte, elle a plutôt aimé cette période, le temps
05:59de prendre le temps de faire les choses en fait, qu'on n'avait pas l'habitude de faire,
06:03on a Corinne qui nous dit qu'on a pris conscience de l'importance de la nature et de se promener
06:08dans la nature, on a par contre Daniel qui a pris les choses un peu moins bien et qui
06:15dit qu'elle est un peu claustrophobe et que le guillet qui se trouve à moins d'un kilomètre
06:19de sa maison a été en quelque sorte son sauveur pendant cette période, et puis dans
06:24les relations avec les autres, la nature humaine restant ce qu'elle est, on a Myriam qui nous
06:29dit qu'elle a été dénoncée quand elle sortait par des mouchards, qu'elle ne parle
06:32plus aujourd'hui, alors on fait le tri dans ses amis peut-être.
06:34Vous nous appelez pour en parler rapidement, 04 76 46 45 45.
06:38Le confinement qui a changé les rapports aux autres, les rapports au travail aussi,
06:42on le voit aujourd'hui, 22% des salariés en France aujourd'hui font du télétravail
06:46au moins une fois par mois, alors ça veut dire aussi que 4 sur 5 ne le font pas aujourd'hui,
06:50il y a une fracture on le voit entre les catégories sociales, le confinement a peut-être accentué
06:56ça.
06:57Oui absolument, très très net, ce sont des fractures qu'on voit rarement en sociologie.
07:04Pendant le premier confinement de 2020, c'est plus de 80% des cadres qui ont télétravaillé,
07:15et c'est plus de 80% des ouvriers qui sont restés sur site, et ce n'est pas complètement
07:20exagéré de dire que les uns sont restés sur site pour en quelque sorte alimenter la
07:24logistique qui permettait aux autres de télétravailler.
07:27C'est une vraie fracture, d'abord c'est une fracture sur le moment parce que ça voulait
07:31dire des expositions aux risques sanitaires beaucoup plus fortes pour ceux qu'on a appelé
07:35les travailleurs de la première ligne, de la logistique, du commerce de services, de
07:41l'industrie, du transport, et pour les autres des protections beaucoup plus élevées.
07:46Cela dit, quelle trace il en reste aujourd'hui, c'est un petit peu compliqué à dire parce
07:52que le télétravail augmentait déjà avant la crise sanitaire.
07:56Alors il a fait un bond, puis il a reculé, il a reculé à un niveau qui est peut-être
08:01dans la suite de la tendance qu'on observait auparavant, ce n'est pas devenu la norme,
08:05pas pour tout le monde.
08:06Non, et c'est encore très inégal, on a plus de 60% des cadres qui font du télétravail
08:10aujourd'hui une fois par mois, et on a moins de 5% des ouvriers, là il y a une fracture
08:15à la norme.
08:16C'est une période aussi où des outils se sont développés qui nous permettent de télétravailler,
08:20des outils qu'on n'avait pas du tout avant, le zoom on ne savait pas ce que c'était
08:22auparavant, et maintenant ça semble presque aussi ordinaire que l'ordinateur ou le téléphone.
08:27Est-ce que le confinement a eu un impact aussi sur les relations hommes-femmes ? Est-ce
08:30que vous l'observez ça dans votre étude ?
08:32Cet impact a été fort pendant le premier confinement, on observe des choses étonnantes.
08:40Par exemple, dans les ménages, les femmes déclarent beaucoup moins souvent qu'elles
08:45disposent d'une pièce pour s'isoler que leur mari, alors qu'ils habitent dans les
08:50mêmes logements.
08:51Ça veut dire que ces pièces, éventuellement surnuméraires dans les logements, ont été
08:56dévolues plutôt aux hommes, parce que leur travail était peut-être le principal apporteur
09:01de ressources, ou parce que simplement c'est les relations hommes-femmes à l'intérieur
09:05des familles.
09:06Donc en quelque sorte, là où on parlait déjà de double journée de travail pour les
09:11femmes, le confinement a clairement été une charge supplémentaire, la crise sanitaire
09:15a été une charge supplémentaire.
09:17On pourrait même rajouter que les femmes, en plus, dans les familles, sont souvent en
09:21charge du travail émotionnel, et donc la gestion des décès, de la maladie, de prendre
09:26des nouvelles déproches, entretenir les relations, etc.
09:30Ça a été une charge de travail extrêmement importante, extrêmement pesante.
09:33Voilà, certaines des traces qui restent effectivement de cette période du confinement, il y en
09:37a de nombreuses autres, vous les mesurez.
09:39Pierre Merclay, professeur de sociologie à l'Université Grenoble-Alpes, membre du laboratoire
09:44PACT.
09:45Merci d'être venu nous en parler ce matin.
09:47Belle journée.