Le 12 mars 2020, Emmanuel Macron donnait le ton de la gravité de la pandémie de coronavirus puis annonçait 4 jours plus tard le confinement. Quelles leçons a-t-on retenues, 5 ans après, de cette pandémie ? Réponse avec le professeur Papazian, médecin réanimateur au centre hospitalier de Bastia.
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00:00tard, le choc de l'annonce du confinement du pays. Alors, quelles leçons a-t-on retenue d'une telle situation
00:05cinq ans après ? Quel changement dans les hôpitaux en première ligne ?
00:10Question que vous allez poser à notre invité du jour, Clémence Gourdon-Négrigny, le professeur Papazian, médecin réanimateur au centre hospitalier de Bastia.
00:18Bonjour Laurent Papazian. Bonjour. Merci d'être dans notre studio ce matin.
00:22D'abord je voudrais vous faire faire à vous aussi un bond en arrière. Vous étiez à l'époque de la crise Covid le chef du pôle réanimation
00:28de l'hôpital Nord à Marseille et le coordinateur Covid-19 pour la région PAC à Corse.
00:34On se rappelle tous de cette période plus ou moins longue pendant laquelle on a pris conscience de l'importance du phénomène.
00:40Vous, est-ce que vous avez ce souvenir là et à quel moment justement, ou peut-être une anecdote,
00:46à quel moment est-ce que vous avez senti la bascule de l'ampleur ?
00:50Oui, très bien. C'était il y a cinq ans exactement, donc c'était avant la locution
00:55du Président de la République et l'ARS PACA nous avait conviés tous les chefs de service
01:02de PACA Ouest, on va dire, au siège de l'ARS. Et on s'est retrouvé dans une salle à peu près aussi grande que votre studio.
01:10On était 25 ou 30. Oui, moi par exemple je partageais, il y a passé deux sièges, je partageais
01:16ma chaise avec un de mes collègues et sans aucune protection parce qu'on n'était vraiment pas encore
01:22trop, on avait des échos à travers ce qui se passait en Italie en particulier, mais pas vraiment sur la contamination et tout.
01:30Et donc on s'est retrouvé,
01:31c'est à ce moment-là qu'on a eu des informations un peu plus précises et qu'on a commencé à prendre des mesures. Mais on a encouru un
01:37risque très important de contamination
01:40de l'ensemble des chefs de service de tout PACA. Heureusement, vraisemblablement, il n'y avait aucun porteur
01:46du virus à ce moment-là. Alors même que la réunion, je suppose, portait sur le sujet. C'était exactement sur le sujet.
01:52Et pour nous faire prendre en compte la gravité de la situation et nous organiser pour faire face
01:58à ce qui allait arriver. Donc ça illustre bien peut-être tous une forme de déni qu'on aurait pu avoir aussi
02:04avant de réellement réaliser.
02:07Vous avez entendu dans les précédents journaux cet état des lieux de nos hôpitaux à Bastia, à Giaccio.
02:14Plus précisément pour vous à Bastia, au CH, en réanimation où vous travaillez aujourd'hui, est-ce que vous notez du mieux
02:21des conséquences
02:23positives de cette pandémie dans le traitement des patients dans votre quotidien au travail en réanimation ?
02:29Alors en réanimation, c'est peut-être un petit peu spécifique, mais il est certain que durant la pandémie, on a
02:38acquis un certain nombre de connaissances qui servent pour l'ensemble des patients. Je ne vais pas détailler, mais c'est surtout la prise en charge
02:45respiratoire. Donc du point de vue, si vous voulez, scientifique prise en charge des patients, il y a eu
02:49des progrès très significatifs à travers le
02:54monde et qui servent pour d'autres patients et dans d'autres circonstances. C'est un point très positif.
02:59Vous avez quelques exemples de pathologies pour lesquelles aujourd'hui
03:04s'assert cette expérience ? Par exemple, pour les infections
03:07respiratoires, le fait d'avoir
03:10une façon maintenant généralisée des dispositifs d'oxygénation qui permettent simplement avec un dispositif qu'on appelle des lunettes, à haut débit d'oxygène,
03:18de se dispenser,
03:20le plus souvent, de mettre un masque ou d'avoir intubé les patients. Et puis il y a le fait aussi, ça c'est peut-être un peu plus
03:25courant, de mettre les patients à plat ventre
03:29pour améliorer l'oxygénation. Ça,
03:32c'était que certains services qui le pratiquaient et maintenant c'est une pratique qui est répandue à travers le monde et qui
03:39contribue à améliorer le pronostic des patients. Donc c'est un gain très significatif.
03:43Mais donc on est vraiment sur des gains à la fois en termes d'expérience et donc d'application et à la fois sur certains points en
03:50termes de matériel.
03:51Pour le côté plus négatif, et justement pareil qu'il s'agisse de moyens humains ou de moyens matériels,
03:58cette pandémie, elle a mis en exergue les grandes difficultés que vous pouviez rencontrer depuis de longues années en arrière.
04:05Est-ce qu'on peut aussi dire qu'elle a accéléré ces difficultés paradoxalement ?
04:08Exactement. Votre analyse est tout à fait correcte. C'est-à-dire que c'était un système de santé qui était
04:16fragilisé, déjà très fragilisé.
04:18Il y a eu, on va dire, un sursaut
04:22d'énergie de l'ensemble des soignants à l'hôpital, comme
04:27on va dire en ville, pour passer cette épreuve. Mais ça a terminé de déstabiliser complètement
04:35l'organisation des hôpitaux.
04:37Vous en faisiez état dans le journal de cette heure, mais avec des grosses difficultés en termes de personnel
04:43paramédical et médical.
04:46Ça c'est quelque chose qui est généralisé. Nous on l'a aussi beaucoup en Corse avec peut-être
04:51encore plus de difficultés sur le côté médical qu'ailleurs, mais ça a
04:56vraiment énormément fragilisé le système de santé. Et surtout, ça a créé beaucoup de frustrations parce que
05:01pendant un moment, l'hôpital, en 2020, je ne parle pas en 2021, sur la fin de la crise Covid,
05:06mais au début, on a eu
05:09l'illusion que les choses iraient vers le mieux, parce qu'on a fonctionné en circuit court. Il n'y avait plus grand monde pour prendre des décisions.
05:15Parce que dans les services, il y avait beaucoup de monde, mais du côté administratif, je parle pour Marseille, moi j'étais à Marseille à ce moment-là,
05:21il y avait beaucoup de gens qui étaient à la maison.
05:23Et donc, on a fonctionné en circuit court et ça a très bien marché. Et on a eu l'illusion que ça allait, exactement, que ça allait
05:29se perpétuer après.
05:31Et malheureusement, il y a eu un grand désenchantement et
05:35ce désenchantement perdure.
05:37C'est paradoxal ce que vous nous dites là, parce que dans le même temps, il y a eu aussi un élan
05:40de prise de conscience de vos difficultés et de dire, de la part des pouvoirs publics, à quel point il fallait davantage vous aider, davantage
05:47préparer le système médical. Élan aussi de la population qui soulignait votre importance, tout simplement.
05:53On aurait pu imaginer que ça, ça perdure, que la leçon soit retenue.
05:57Notamment pour cet exemple que vous donnez qui, a priori, ne demande pas beaucoup de moyens.
06:02Mais ça, ces problèmes-là de gouvernance n'ont pas été... ils ont été balayés de raveur de la main. On a donné quelques subsides
06:09aux infirmières, aux médecins. Déjà, il a fallu attendre un moment avant qu'on rentre dans le concret. Et en ce qui concerne l'organisation
06:17de l'hôpital, l'articulation via l'hôpital, c'est des mesures qui, pour l'instant, n'ont pas été abordées en profondeur. Et je parle même pas du financement
06:25de la santé qui reste en jachère.
06:29Donc, il ne reste rien de cet élan de prise de conscience qu'on a tous imaginé pour vous ?
06:35Il reste, je pense, pour les soignants en général.
06:38Moi, j'aime bien quand soignant, ça inclut paramètre et médecin. Il reste de la frustration, je pense.
06:43Très rapidement, pour conclure, est-ce qu'on est prêt, aujourd'hui, à un événement sanitaire majeur ?
06:50Je vous dirais que
06:51on est
06:53probablement en meilleure situation qu'en 2020, mais on n'a pas tiré toutes les leçons en termes de préparation, en particulier dans un contexte
07:01épidémique. Par exemple, pour pouvoir isoler des patients hautement
07:05contagieux, encore plus contagieux que les patients Covid, c'est des leçons qu'on n'a pas tirées. Nous, en Corse, on n'a pas
07:13de chambre d'isolement en réanimation permettant d'isoler un patient hautement contagieux. C'est quand même grave, même pour une tuberculose.
07:20Et pourtant, on le sait, c'est aussi une des leçons qu'on peut retenir de cette pandémie de coronavirus,
07:25qu'on est amené à vivre de nouveau des pandémies comme celle-ci. Merci beaucoup d'être venu avec nous ce matin sur RCFM.
07:32Le professeur Papazian, à nos micros, médecin réanimateur au centre hospitalier de Bastia, dont vous retrouvez l'interview en podcast quand vous le voulez.
07:43Il était l'invité de la rédaction.