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Aujourd'hui dans le grand entretien, nous recevons Raphaël Glucksmann, député européen “Place publique”, membre de la Commission des affaires étrangères, et membre de la Commission du commerce international.

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00De la confrontation dont parlait Pierraschi à la grande confrontation, c'est le titre
00:04du dernier livre que publiait l'invité de France Inter ce matin et au lendemain du
00:09Conseil Extraordinaire des 27 à Bruxelles, un grand entretien avec l'eurodéputé place
00:14publique Raphaël Glucksmann.
00:16Vos questions, vos interventions, chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio
00:23France.
00:24Bonjour Raphaël Glucksmann.
00:25Bonjour.
00:26Bonjour.
00:27C'est le Conseil Extraordinaire donc hier à Bruxelles avec les 27 qui approuvent un
00:31plan pour, je cite, « réarmer l'Europe ». On va en parler dans le détail.
00:36Mais d'abord, l'Europe se réveille dans quel état ce matin ?
00:39Dans le vertige, dans le vertige de la solitude.
00:44Vous savez, ça fait 80 longues années que les Européens vivent à l'abri du parapluie
00:49américain.
00:50Un parapluie qui nous protège et nous vassalisait dans le même mouvement.
00:55Et là, tout d'un coup, ce parapluie se referme sous nos yeux de manière brutale.
00:58Et donc, pour la première fois, nous devons nous poser des questions qui étaient évacuées
01:02du débat européen.
01:03La paix, la guerre, la vie, la mort.
01:06Et finalement, nous avons conscience que nous avons évolué en Europe dans un monde comique
01:11qui évacuait les grandes questions tragiques.
01:15Et là, soudainement, les Européens doivent faire ce qu'ils n'ont pas fait pendant
01:2080 ans en quelques semaines.
01:22Et donc, il faut saisir ce vertige, l'habiter et construire dessus.
01:27Parce qu'en fait, il n'y a pas d'alternative.
01:29C'est-à-dire que ce moment-là sera soit le berceau, soit le cercueil de l'Europe
01:34démocratique et puissante.
01:35Vous avez l'impression que les Européens sont seuls aujourd'hui, isolés, abandonnés
01:41par leurs protecteurs ?
01:42Seuls.
01:43C'est une solitude immense.
01:45Vous savez, moi, pendant toute la campagne des Européennes, j'ai dit « attention,
01:48le 5 novembre 2024, l'Europe peut se retrouver seule pour la première fois depuis 1945 ».
01:55Eh bien, c'est arrivé.
01:56Jour de l'élection de Donald Trump.
01:58Nous sommes seuls aujourd'hui.
01:59Vous avez vu les dernières déclarations de Donald Trump sur l'article 5 de l'OTAN.
02:04L'article 5, c'est ce qui garantit la paix en Europe de l'Ouest depuis 1949.
02:09C'est cette obligation d'assistance mutuelle.
02:12C'est-à-dire que si jamais l'un des membres de l'OTAN est attaqué, s'il y a un membre
02:16de l'Alliance qui est attaqué, les autres membres doivent se porter à son secours.
02:20C'est cette solidarité qui a permis la paix.
02:22Eh bien, Donald Trump, aujourd'hui, dit clairement que cet article 5, il n'y croit pas.
02:28Et donc, nous, il faut qu'on se mette ça en tête, en fait, et qu'on se pose une question
02:32simple.
02:33Est-ce qu'on fait confiance à Donald Trump pour nous protéger si la Lettonie ou la Pologne
02:38sont attaqués par Vladimir Poutine ?
02:40Et la réponse d'évidence est qu'on ne peut pas faire confiance à cette administration
02:45américaine.
02:46Il n'a pas simplement épousé les vues russes sur l'intégrité territoriale de l'Ukraine,
02:52le dépeçage de ce pays.
02:53Il a aussi épousé leurs vues sur le changement de régime à Kiev.
02:57Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que les Américains sont en train de déstabiliser
03:00volontairement Volodymyr Zelensky pour le faire tomber.
03:03C'est-à-dire qu'en fait, quand ils entrent en discussion avec la Russie, l'administration
03:07Trump épouse les vues de la principale menace pesant sur la sécurité des Européens.
03:13Et donc nous n'avons plus de protection américaine.
03:16Et donc l'annonce de la nuit par les dirigeants européens, c'est ce plan qui est annoncé
03:21à 800 milliards d'euros, une enveloppe de 800 milliards, dont 150 qui serait sous
03:25forme de prêts.
03:26Le reste, ça serait à l'intérieur des États, puisqu'ils auraient une autorisation
03:29de dépasser le plafond de déficit fixé par les traités européens.
03:34Est-ce que ça veut dire, d'après vous, que les dirigeants européens ont pris la
03:37mesure de la menace que vous décrivez ?
03:40Ça veut dire qu'ils ont commencé à prendre la mesure.
03:43Ce qui a été annoncé par Ursula von der Leyen et validé par les dirigeants européens,
03:47c'est un premier pas.
03:49On demandait depuis longtemps au Parlement l'exemption des dépenses militaires de
03:54ces critères de 3% de déficit.
03:56C'est fait.
03:57Mais en réalité, il y a très peu d'argent neuf dans ce qui est annoncé par Ursula von
04:02der Leyen.
04:03C'est aux États de faire les efforts, même si on leur permet de les faire.
04:07Ce que nous voulons, nous, c'est un grand emprunt de 500 milliards pour la défense
04:12européenne.
04:13Un emprunt européen, comme on l'a fait pendant la pandémie.
04:16En fait, il faut être capable de faire, pour la paix en Europe, pour la défense de l'Europe,
04:21ce que nous avons fait face à un virus.
04:23Et cela, ce n'est pas encore annoncé, il y a des débats puissants et nous, on poussera
04:27dans ce sens.
04:28D'autre part, le conseil d'hier a été un moment historique sur la prise de conscience
04:35que les Européens devaient développer leur propre défense autonome.
04:38Vous disiez que c'était le plus important depuis des années.
04:41Mais il n'a pas été historique sur les actes que nous devons faire maintenant pour
04:48l'Ukraine.
04:49C'est-à-dire que sur l'Ukraine, il n'y a pas eu l'unanimité à cause de M.
04:52Orban.
04:53Et il n'y a pas eu non plus d'annonce concrète.
04:56Les décisions américaines de suspendre l'aide militaire et de suspendre le partage de renseignements,
05:03ça a un impact direct sur le terrain.
05:05Et donc les pays européens ont très peu de temps pour remplir le vide laissé par
05:11les Américains.
05:12Vous parlez de l'Europe et justement l'Europe à 27, est-ce qu'elle doit passer à 26
05:17et faire sans la Hongrie ? Puisque je le rappelle, hier, M.
05:21Orban a donné son accord à ce plan de réarmement mais il n'a pas signé les conclusions du
05:24sommet qui visait à promettre un soutien inébranlable, indéfectible à Kiev et à
05:30fixer des conditions pour parvenir à un accord de paix.
05:33Est-ce que l'Europe, ça existe encore ? Et est-ce que vous croyez vraiment à cette
05:37idée d'une communauté de destin qui pourrait se jouer à 27 encore alors qu'on a l'impression
05:43que les lignes de fracture commencent à se dessiner ?
05:45Le schisme qui traverse l'Occident traverse aussi l'Europe.
05:49On a des représentants de l'idéologie Trumpiste ou Poutinienne au sein même des institutions
05:54européennes avec M.
05:55Orban mais avec d'autres qui s'abritent derrière M.
05:57Orban.
05:58Et donc, on est face à un moment qui est un moment extrêmement grave et il va falloir
06:03qu'on avance même si on n'avance pas à 27.
06:07C'est le retour des deux Europes ? La première chose à faire, c'est que chaque
06:11Etat-nation peut donner ce qu'il veut donner à l'Ukraine sans passer par les 27.
06:17Donc la France a une responsabilité, l'Italie a une responsabilité, la Pologne a une responsabilité,
06:20l'Allemagne a une responsabilité.
06:22Donc là, on ne peut pas s'abriter derrière Orban et l'absence de consensus pour ne
06:25pas agir.
06:26Par contre, ce qui est certain, c'est que si on veut construire cette puissance européenne,
06:31si on veut une défense européenne intégrée, ce qui suppose une fédération européenne
06:36plus politiquement intégrée, eh bien il faudra passer sans la Hongrie et changer
06:42ces traités qui obligent à l'unanimité.
06:45Il faut qu'on assume de décider à la majorité qualifiée, sinon on ne sera jamais cette
06:50puissance.
06:51Et à la fin, on sera toujours considéré comme une serpillère par les empires qui
06:54nous entourent.
06:55Si on rappelle l'aide prévue à l'heure actuelle par l'Union Européenne, cette année,
06:58c'est 30 milliards en direction de l'Ukraine.
07:01Plusieurs voix, notamment au sein de l'LFI et à gauche, dénoncent une course à l'armement.
07:06Est-ce que ce n'est pas ça le risque ? Alors qu'un sondage publié aujourd'hui par les
07:09Echos montre que les interrogés ne sont pas favorables à un « quoi qu'il en coûte
07:13pour la défense ».
07:15Vous savez, qui évade en guerre aujourd'hui ? Ce n'est pas les dirigeants européens.
07:21Qui évade en guerre aujourd'hui, c'est Vladimir Poutine.
07:25Et face à un tyran qui déclenche la guerre, toute faiblesse, toute tergiversation est
07:32une invitation à l'agression.
07:34Donc si on ne se montre pas fort maintenant, eh bien on invitera Poutine à poursuivre
07:41sa course folle vers la guerre en Europe.
07:44Et moi, j'aimerais qu'on comprenne ce qu'est la nature même du régime de Vladimir Poutine.
07:48Ça fait 20 ans que j'essaye d'alerter dessus.
07:51Ce n'est pas une affaire ukrainienne ou une affaire géorgienne.
07:57Vladimir Poutine a fondé son pouvoir sur la projection du chaos à l'extérieur et
08:02sur l'idée qu'il fallait absolument détruire l'architecture de sécurité en Europe.
08:08Donc impérialisme révisionniste, les mots du président de la République ?
08:11Vous savez, le vice-président de la Douma, il a totalement raison, le président de la
08:15République, de dire cela.
08:16Le vice-président de la Douma a dit une chose éclatante de clarté.
08:24Il a dit « notre idéologie nationale, c'est la guerre ».
08:28Ce que ça veut dire, c'est qu'on ne fait pas la guerre pour assouvir des ambitions
08:32territoriales ou des objectifs stratégiques.
08:34On a besoin de la guerre en Russie, dans le régime de Poutine, pour survivre.
08:40Ce régime est fondé sur l'idée d'une conflictualité avec nous.
08:44Et moi, j'ai présidé pendant cinq ans la commission spéciale du Parlement européen
08:48sur les agences étrangères.
08:50Et je peux vous dire que ce n'est pas une histoire ukrainienne ou géorgienne.
08:53Quand les Russes attaquent les hôpitaux en France et empêchent les docteurs français
08:59d'accéder aux dossiers médicaux des patients français, comme à Corbeil-Esson, pas loin
09:04d'ici, ce n'est pas en Ukraine que ça se passe, c'est en France.
09:08Quand ils financent des partis politiques subversifs qui veulent casser le projet européen
09:15et mettre à mal nos démocraties, cela se passe chez nous.
09:18Quand ils font des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, cela se passe dans
09:22nos téléphones.
09:23Quand ils taguent, quand leurs agents taguent des étoiles de David dans les rues de Paris
09:29pour créer une atmosphère de guerre civile dans notre nation, cela se passe chez nous.
09:34Et donc, les tentatives de déstabilisation, la guerre hybride que mène le régime de
09:37Poutine, elle nous vise directement.
09:39Et ne pas vouloir se défendre dans un moment aussi grave que celui-ci, face à une menace
09:44aussi pressante, c'est consentir à la soumission et c'est inviter à l'agression.
09:50Et donc, si vous voulez la paix, c'est maintenant qu'il faut être ferme.
09:53C'est maintenant qu'il faut être ferme.
09:54Ça fait 20 ans que vous le dites.
09:56Vous racontez d'ailleurs votre rencontre dès 2005 avec Anna Politkovskaya, journaliste
10:02assassinée en Russie par le pouvoir de Vladimir Poutine, par le Tsar.
10:06Vous avez raconté cette histoire dans La Grande Confrontation, avec l'idée que Poutine
10:11faisait la guerre à nos démocraties.
10:13Mais très sincèrement, Raphaël Glucksmann, est-ce qu'on est vraiment à un moment de
10:16rupture historique ? Après tout, est-ce que l'Union Européenne est menacée ? Est-ce
10:19que vous pouvez le dire franchement ? Il y a eu des annexions en Géorgie, il y a eu
10:24une guerre en 2014 en Ukraine.
10:26Les pays de l'Union Européenne, qu'on le dise de manière égoïste ou non, ne sont
10:32peut-être pas concernés, comme le pensent certains, par cette volonté impérialiste
10:39de Vladimir Poutine.
10:40Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie.
10:42Vous savez, ce n'est pas moi qui le dis.
10:44Si c'était moi qui le disais, vous pourriez croire que c'est sans doute, je sais pas,
10:50une obsession de ma part.
10:51Non mais nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, Raphaël Glucksmann.
10:54Ecoutez-moi, quand le chef des services de renseignement allemand, M.
10:58Bruno Kahl, va devant le Bundestag, le parlement allemand, et qu'il dit aux députés allemands
11:03« Attention, le régime russe prépare l'invasion d'un pays membre de l'Union Européenne
11:10et de l'OTAN avant 2029 », il ne dit pas cela à la légère.
11:15Quand les services danois disent exactement la même chose, ils ne disent pas cela à
11:21la légère.
11:22Quand les Baltes et les Finlandais creusent des tranchées, quand la Pologne investit
11:292,5 milliards juste pour protéger sa frontière avec l'enclave de Kaliningrad, elle ne fait
11:34pas cela à la légère.
11:35Il faut écouter nos services de sécurité.
11:38Le premier devoir d'un responsable politique, c'est d'écouter ses services de sécurité
11:43quand ils lui disent, quand ils l'alertent sur la menace qui pèse sur nos nations.
11:48C'est notre premier devoir.
11:49Donc, il y en a plus qu'assez de ce mécanisme du déni qui nous empêche de voir les menaces
11:56existentielles qui pèsent sur nous.
11:57Là, je pense que les yeux commencent à se décier.
11:59Existentiel.
12:00Pour les Ukrainiens, pour les Français, c'est difficile à faire comprendre.
12:03Et vous le savez, c'est également ce que pense Donald Trump et ce qui justifiait aussi
12:07une partie de son discours, discours qu'il a tenu pendant toute la campagne.
12:10Mais d'un mot, avant de retrouver les auditeurs d'Inter, est-ce qu'il faut que la France
12:14partage son parapluie nucléaire avec l'ensemble des pays européens ? Voir avec l'Ukraine
12:19? Vous savez, ce n'est pas un partage.
12:22J'entends ce mot constamment et il est souvent porté par les opposants à ce que propose
12:29le Président de la République.
12:30Pour protéger l'Ukraine, par exemple.
12:32Mais aujourd'hui, ce qui est proposé par la France, c'est l'extension de notre parapluie
12:38nucléaire aux pays membres de l'Union Européenne.
12:41C'est finalement remplacer le parapluie américain.
12:44Et vous avez en ce moment une révolution, une révolution mentale.
12:48Laissez-moi poursuivre là-dessus, parce que c'est vraiment important.
12:52Une révolution mentale s'est opérée en Allemagne.
12:54Vous savez, quand vous êtes Allemand, et qu'en particulier vous êtes un conservateur
12:58allemand, on vous apprend très jeune qu'il faut être démocrate et qu'il faut être
13:01pro-américain parce qu'il y a un lien consubstantiel entre les Etats-Unis d'Amérique, l'alliance
13:06avec les Etats-Unis et l'existence même de la démocratie allemande.
13:10Et bien, vous avez là le futur chancelier de l'Allemagne qui vient à la télévision
13:14et qui dit « je n'aurais jamais cru dire un jour une chose pareille, mais il va nous
13:18falloir faire sans les Etats-Unis ». Et il demande à la France et au Royaume-Uni
13:24d'engager la discussion sur le parapluie nucléaire européen.
13:26Et donc, ce que nous proposons, c'est une extension de ce parapluie, ce n'est pas
13:30un partage, il n'y aura pas 27 personnes qui seront amenées à appuyer ou pas sur
13:33un bouton rouge.
13:34Et je veux dire, pour la France qui a été déclassée en Europe, c'est à la fois
13:38un moment de grand danger, mais aussi une immense opportunité.
13:42Nous pouvons redevenir le leader de l'Europe, nous pouvons bénéficier de ce qu'a fait
13:47le général de Gaulle, de ce qu'ont permis les prédécesseurs d'Emmanuel Macron,
13:52c'est-à-dire le fait d'avoir une dissuasion et une industrie de défense autonome vis-à-vis
13:56des Etats-Unis.
13:57Donc nous sommes aujourd'hui en position de redevenir leader en Europe.
14:07Il faut qu'on saisisse cette opportunité et qu'on joue notre rôle historique.
14:12Bonjour Clélia et bienvenue sur France Inter, vous aviez une question pour Raphaël Glucksmann.
14:17Bonjour, bonjour M. Raphaël Glucksmann, je vais essayer d'être brève pour une question
14:26aussi complexe.
14:27Donc en fait, vous nous parlez, enfin on entend, c'est pas seulement vous, le terme
14:33de défense européenne.
14:34La défense européenne c'est quoi ? Je voudrais savoir.
14:40Qu'est-ce que c'est la défense européenne ? Je crois qu'on en parle depuis des années.
14:45En fait ça n'a jamais abouti et pour cause, puisqu'en fait on ne peut pas fédérer
14:54des armées.
14:55Il n'y a pas d'armée commune européenne Clélia, c'est le sens de votre intervention.
15:02Exactement, je vais poursuivre si vous le permettez.
15:04Bien sûr.
15:05Il y a un accord qui a été évoqué entre la France et le Royaume-Uni, dont vous parlez
15:15tout à l'heure.
15:16Donc moi ce qui m'inquiète c'est qu'en fait on est en train de nous parler de choses
15:22qui sont tout à fait hypothétiques, avec une situation évidemment en Ukraine qui est
15:28plus que préoccupante.
15:29Et puis après je voulais demander à Monsieur Glucksmann, qu'est-ce qu'il pense du rôle
15:38de la diplomatie aujourd'hui ?
15:40Merci beaucoup pour ces deux questions Clélia.
15:42Excellente question.
15:43Alors pour commencer par la première, il n'y a pas d'armée commune.
15:46Il n'y a pas d'armée commune et donc ce qu'on doit créer là c'est une base de
15:50défense commune, c'est-à-dire une base industrielle commune.
15:52Le risque, si chaque État réinvestit dans sa propre défense de manière désordonnée,
15:59c'est la coordination européenne.
16:01Le risque, ce sera qu'on fasse 27 armées indépendantes les unes des autres, qui sont
16:06toutes faibles.
16:07Donc ce sera une immense gabegie financière et une perte d'efficacité absolument radicale.
16:13Qui est à jeter des armes aux Américains.
16:14Et donc ce qu'on doit faire, c'est contrôler à l'échelle européenne le fait que nos
16:19investissements sont communs, qu'on construise des capacités de défense communes.
16:25Ça ne veut pas dire une armée européenne, on ne parle pas de cela en ce moment.
16:28Et ce qu'il faut faire aussi, et moi je me battrais en tant que rapporteur sur la
16:31question au Parlement européen, c'est qu'on réserve les fonds européens aux productions
16:37européennes.
16:38Parce que si tout cet argent qui est investi dans la défense permet d'acheter des F-35
16:44américains qui sont désactivables à distance, ou des missiles américains qui sont désactivables
16:50à distance, cela ne renforcera en rien ni notre indépendance ni notre sécurité.
16:54Et donc moi ce que je veux, c'est qu'on fasse un « Buy European Act » dans le domaine
16:58militaire, et que tout ce qu'on peut acheter en Europe, on doit l'acheter en Europe.
17:02Les fonds européens pour les productions européennes.
17:04Ça bénéficiera à l'industrie française en particulier, mais à d'autres industries
17:08européennes aussi.
17:09Et surtout ça bénéficiera à l'intérêt général européen.
17:12Alors Raphaël Glucksmann, vous êtes un homme de gauche, et il y a la question de
17:15où est-ce que, dans le cadre national français, on va trouver cet argent ?
17:18Alors hier, le Premier ministre François Bayrou s'est voulu rassurant sur le respect
17:22du pacte social, malgré les efforts qui ont été annoncés par Emmanuel Macron, qui vont
17:27nécessiter des choix d'après lui.
17:30Le gouvernement ne veut pas augmenter les impôts, donc comment trouver cet argent sans
17:35toucher au système social, sans par exemple reculer encore l'âge de départ à la retraite ?
17:40La première des choses, c'est d'augmenter la part européenne de ses investissements.
17:44Là il y a trop qui repose sur les États-nations.
17:47Si on veut coordonner...
17:48Se prôner encore plus sur les marchés ?
17:49Exactement.
17:50C'est-à-dire lever cet emprunt, et nous au Parlement on va le demander la semaine prochaine.
17:54Un emprunt commun de 500 milliards qui permettrait justement d'investir, de manière européenne
17:59et conjointe, dans les productions européennes.
18:02La deuxième chose, c'est que...
18:04Même si on emprunte sur les marchés financiers et que ce ne sont pas des Européens qui en
18:08prêtent, par exemple, de l'argent à l'Europe, c'est ce que la question vous pose Monique ?
18:11L'Union Européenne est parfaitement solvable et lèvera très facilement cet argent sur
18:16les marchés, puisqu'elle est très peu endettée.
18:18Tout le monde a envie de prêter à l'Union Européenne et on pourra trouver cet argent très vite.
18:22La deuxième des choses à dire, c'est qu'il y a 209 milliards d'avoirs publics russes
18:28actuellement gelés en Europe, et que nous pouvons les saisir et les affecter à l'aide
18:35à l'Ukraine.
18:36Pour remplacer le vide américain, pour remplacer le vide américain de manière extrêmement
18:41rapide, sans que cela coûte un euro aux contribuables européens.
18:45Mais ça ne va pas déstabiliser la zone euro, c'est la crainte de Bercy par exemple.
18:48Déjà, il y a l'argument du droit international, qui est un argument qui me fait sourire.
18:52Parce qu'en réalité, nous, on travaille dessus depuis des mois au Parlement Européen,
18:57sur la saisie de ces avoirs publics russes.
18:59Et en droit international, il y a un crime qui est le crime absolu, qui est le crime
19:02d'agression.
19:03Ce que la Russie de Poutine a fait contre l'Ukraine.
19:06Ce crime d'agression légitime des contre-mesures.
19:09Les seules conditions posées par le droit international, c'est que ces contre-mesures,
19:12je suis désolé, ces techniques, soient proportionnelles.
19:15C'est-à-dire qu'on ne peut pas saisir plus que les dommages infligés à la nation
19:18qui a subi l'agression.
19:20Or, en Ukraine, on est à plusieurs centaines de milliards de plus que l'argent russe
19:25en Europe.
19:26Donc c'est parfaitement proportionnel.
19:27Et par ailleurs, c'est réversible, c'est-à-dire que si la Russie est amenée à payer des
19:30réparations à l'Ukraine, on déduira tout ce qu'on a saisi de ce que la Russie a fait
19:34vers l'Ukraine.
19:35Donc en fait, la vraie question, c'est une question posée par notamment les actionnaires
19:41d'Euroclear, qui est l'institution qui a ces avoirs, et qui est de dire que si on
19:46saisit les avoirs russes, en gros, d'autres forces vont retirer leur argent et donc on
19:53aura un coût financier.
19:54Oui, mais à un moment, il faut décider.
19:56Est-ce que la situation est une menace existentielle ? Oui ou non ? Si c'est une menace existentielle,
20:03alors on doit prendre des décisions qui nous coûtent.
20:05De la même manière qu'il faut arrêter les importations de gaz naturel liquéfié
20:08au moment où on parle.
20:09Un mot, Raphaël, de la même manière que l'entretien arrive à son terme, Eric Lombard,
20:16qui est le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
20:22de la France, s'oppose justement à ce que vous proposez, à savoir la saisie et l'utilisation
20:27des avoirs russes.
20:28Vous savez, depuis trois ans, les dirigeants européens se sont opposés à plein de décisions
20:37que je poussais, que nous poussions au Parlement européen, sur les tanks, sur les avions,
20:42sur les missiles à longue portée.
20:44Et à chaque fois, ils nous disaient « non mais ça, c'est pas possible, c'est une
20:47lue rouge, il y aura des conséquences trop graves ».
20:48Finalement, ils ont été amenés à prendre ces décisions, trop tard, certes, mais ils
20:52les ont prises et il n'y a eu aucune conséquence.
20:54Donc maintenant, il faut arrêter les demi-mesures.
20:57Si nous voulons être crédibles aux yeux de Trump et de Poutine, il va falloir que
21:01nous montrions que nous sommes capables d'être forts.
21:04Et être fort, oui, c'est parfois faire preuve de courage et prendre quelques risques.
21:10Mais le risque le plus grand, c'est de rester dans cette apathie-là qui nous fera être
21:15traités comme des serpillères par l'administration américaine et par le régime russe qui nous
21:20menace.
21:21Donc aujourd'hui, pour l'Europe, c'est son destin qui est en jeu.
21:25Est-ce que nous avons en nous la force de nous affirmer ou pas ? Si nous avons cette
21:30force, nous pouvons ensemble nous en sortir et ouvrir une nouvelle période de liberté
21:35et d'autonomie européenne.
21:37Dernière question, et vous répondez vraiment d'un mot s'il vous plaît, Raphaël Glucksmann.
21:41Faut-il boycotter les produits américains que nous importons ?
21:43Ce qu'il faut, c'est frapper Donald Trump et son administration au cœur.
21:48Ce qu'il faut, c'est appliquer nos lois, c'est beaucoup plus efficace que les boycotts.
21:51Comme le font les Canadiens.
21:53Appliquer nos lois, c'est-à-dire la loi sur les services numériques et les grandes
21:57plateformes.
21:58Et enfin, après des mois et des mois d'enquête, mettre cette amende sur l'Empire d'Elon
22:04Musk.
22:056% à l'échelle mondiale.
22:06Vous faites cela, ils vous prendront au sérieux et ils commenceront à vous respecter parce
22:09qu'ils verront que vous n'avez pas peur d'eux.

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