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Avec Jean-Christophe Ploquin, responsable du baromètre de la confiance dans les médias La Croix–Verian–La Poste, Chloe Morin, essayiste et auteure de "La Broyeuse, Les coulisses de la décomposition médiatique" (l’Observatoire). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-27-janvier-2025-2510971

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00:00Débats ce matin sur les Français, les médias et l'information, confiance, méfiance, défiance,
00:08la palette est large, comme les critiques d'ailleurs parfois sévères qui sont adressées
00:12aux journalistes, sensationnalisme, proximité avec leurs sources ou, et je mets des normes
00:19guillemets, proximité avec les puissances d'argent.
00:22Considérant que des médias de qualité sont cruciaux au bon fonctionnement de la démocratie,
00:28il faut sortir de cette crise par le haut, on va en débattre ce matin avec Jean-Christophe
00:33Ploquin, bonjour, bonjour Nicolas Desmorand, rédacteur en chef de La Croix et responsable
00:39de la 38ème édition du baromètre La Croix Vérian, la poste sur la confiance dans les
00:44médias, outil précieux, Chloé Morin, bonjour, bonjour, politologue, essayiste, auteur du
00:51livre « La broyeuse », sous-titre « Les coulisses de la décomposition médiatique
00:57», c'est aux éditions de l'Observatoire à paraitre après-demain.
01:01Merci à tous les deux d'être au micro d'Inter, Chloé Morin, le titre de votre
01:06livre fait peur, « La broyeuse », « Les coulisses de la décomposition médiatique »,
01:12mais comme disent les anglo-saxons, on ne juge pas un livre à sa couverture.
01:17Et vous faites en réalité un travail très fin pour essayer de comprendre le désamour
01:22entre ceux qui font l'information et ceux qui la reçoivent.
01:26Alors, sommes-nous vraiment arrivés à un état de décomposition médiatique ? Et
01:33si oui, quels en sont les symptômes, pour commencer ?
01:36Alors, c'est vrai que la machine médiatique dysfonctionne, elle dysfonctionne de plus
01:42en plus, et les Français s'en rendent compte, puisque vous l'avez dit à l'instant,
01:46ils adressent aux médias en général, on pourra revenir sur ce terme évidemment,
01:50parce que les médias, ça n'existe pas, il y a une grande profusion de médias très
01:55nombreux, il y a des journaux, des télés, voilà.
01:57Mais en général, quand on leur parle des médias, ils nous parlent de sensationnalisme,
02:01de polarisation, de violence, de fake news, et de plus en plus, ils nous disent leur
02:06dégoût, ou ce qu'on appelle la… pardon, j'ai un blanc, la fatigue, la fatigue amortitionnelle,
02:18double blanc ! Merci Jean-Christophe Loquin !
02:23Ils désertent cette machine, et leur désertion accroît les dysfonctionnements de la machine,
02:30c'est tout le paradoxe en fait, c'est qu'ils se plaignent de mots dont les symptômes,
02:37en réalité, sont accrus par la démission des consommateurs, auditeurs, lecteurs, téléspectateurs,
02:44que l'on peut dire modérés, raisonnables.
02:46Alors, baromètre Lacroix, 54% des sondés répondaient qu'il fallait se méfier de
02:53ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité.
02:5754%, 57% en 2023, 62% en 2025, l'augmentation est absolument spectaculaire, comment l'expliquer
03:09Jean-Christophe Loquin ? Alors, d'abord, peut-être une note positive,
03:13les français sont intéressés par l'info, et sont intéressés par l'actualité, les
03:17trois quarts des français disent qu'ils sont intéressés par l'actualité, et c'est
03:21plutôt en hausse, et c'est plutôt des bons chiffres depuis 2-3 ans.
03:26Ensuite, le deuxième élément, c'est celui que vous avez donné, effectivement, une
03:30défiance très profonde par rapport, on va dire, au système médiatique.
03:35Mais alors, ce qui est très paradoxal, c'est que cette défiance s'accompagne à l'inverse,
03:42finalement, d'un usage qui est en croissance vis-à-vis de tous les médias, et quand on
03:48regarde tous les médias, que ce soit les télés, les radios, la presse écrite, les
03:53sites internet, mais aussi, évidemment, les influenceurs, les podcasts, c'est très frappant,
03:59tous, pour tous ces supports, en quelque sorte, l'usage augmente.
04:03Et encore plus paradoxal, pour tous ces supports, la confiance a plutôt tendance à augmenter
04:10par rapport aux médias que vous utilisez.
04:12Et pour simplifier, l'auditeur de France Inter, il a une grande confiance en France Inter.
04:18Le téléspectateur de TF1, il a une grande confiance en TF1.
04:21Je dirais que le lecteur de La Croix a une grande confiance en La Croix.
04:25Mais finalement, ça augmente aussi pour les auditeurs de podcasts, ça augmente aussi
04:30pour les influenceurs, pour les réseaux sociaux, mais, et c'est là qu'il y a un grand mais,
04:36c'est quand même dans ce domaine, justement, des réseaux sociaux et des influenceurs,
04:40même si la confiance augmente, ça reste à des niveaux très bas.
04:43Et donc, il y a quand même une dichotomie entre les grands médias, je veux dire, un
04:48peu installés, institutionnels, reconnus, c'est des marques que les Français connaissent
04:53bien, et bien là, les niveaux de confiance sont très élevés.
04:57En revanche, les réseaux sociaux, les niveaux de confiance augmentent, mais ils restent,
05:03je dirais, en dessous des 40%.
05:05Chloé Morin, vous avez rencontré de nombreux journalistes pour votre enquête.
05:09Que vous disent-ils quand vous leur tendez le miroir ? Le miroir de la défiance, ou
05:15le miroir au minimum de la méfiance ? J'imagine que ce sont des professionnels, la plupart
05:21réflexifs, et qui se posent… Mais c'est quoi ? Ils sont sidérés ? C'est quoi la réaction ?
05:26Pas sidérés, mais en tout cas très lucides.
05:29Et moi, c'est ce qui m'a le plus rassurée, en fait, c'est que quels que soient les professionnels
05:32que vous interrogez aujourd'hui, ils sont très lucides sur les travers du système,
05:36ils sont très lucides sur leur propre responsabilité dans ce système, mais cette responsabilité
05:42est limitée, et elle est beaucoup moins importante en réalité que ce que les Français pensent,
05:48on pourra revenir là-dessus, et en fait, ils doutent beaucoup.
05:51Et ça, je trouve que c'est extrêmement sain, finalement, si la machine médiatique
05:55est une broyeuse, le grain de sable à l'intérieur de la machine, ce sont les journalistes.
06:00Et les journalistes sont dépassés par le système, c'est pour ça que j'insiste
06:04sur le fait qu'il ne faut pas penser les choses en termes de responsabilité individuelle.
06:09Les journalistes, en tant que profession, en tant que corporation, peuvent avoir évidemment
06:13des travers, des responsabilités, mais ce qu'il faut interroger, c'est le système
06:18global, parce que c'est un modèle économique, un modèle économique qui est basé évidemment
06:22sur l'offre et la demande, et la demande, on n'insiste pas assez là-dessus, la demande
06:29vers l'offre, en quelque sorte.
06:30Et quand les Français s'inquiètent et se disent « finalement, il y a de plus en plus
06:34de contenus qui ne me conviennent pas », en réalité, il y a des contenus qui trouvent
06:38leur public.
06:39Et c'est pour ça que la clé in fine, bien sûr qu'il y a la responsabilité de ceux
06:43qui détiennent des médias, des journalistes, mais il y a aussi la responsabilité très
06:49fortement des publics, des auditeurs, des téléspectateurs, qui dans leur manière
06:54de consommer les médias, finalement, façonnent la machine médiatique.
06:58Et à eux, vous dites quoi ? Il y a une approche plus réflexive, plus sélective, plus exigeante ?
07:07Alors d'abord, mon livre, je l'ai vraiment écrit en pensant à eux, c'est-à-dire
07:11à cette immense majorité de Français qui trouvent que la machine médiatique s'emballe,
07:15qu'il y a trop de violence, trop de fake news, trop de polarisation, pas assez de recul
07:21sur l'actualité.
07:22Et j'essaye de prendre chacune de ces impressions et d'aller interroger les acteurs du système
07:28pour expliquer pourquoi on en est là.
07:30Et je pense que les clés de compréhension que je donne dans mon livre, leur permettra
07:35ensuite de mieux se comporter et de jouer leur rôle pour désamorcer le cercle vicieux
07:43qui dégrade la machine médiatique, parce qu'aujourd'hui, mon sentiment, c'est
07:47que les médias, c'est l'un des piliers de la démocratie, mais c'est le pilier
07:51le plus fragile.
07:53Jean-Christophe Ploquin, est-ce que vous pensez que les médias sociaux, réseaux sociaux,
08:00podcasts et autres, ont un effet de déformation du champ médiatique dans son ensemble et
08:07notamment de déformation des vieux médias, pour le dire simplement ?
08:12Ils ont absolument un impact sur la perception que les Français ont du système d'information.
08:20Et l'un des éléments très intéressants, c'est justement quand on les interroge
08:24sur la désinformation et la fréquence avec laquelle ils sont exposés à de la désinformation.
08:31Alors, ce qui est très frappant, c'est que ce sont les réseaux sociaux sur lesquels
08:35les Français ont le plus le sentiment d'être exposés à la désinformation et de façon
08:39vraiment massive.
08:41Mais finalement, ce sentiment d'être exposé à la désinformation s'accroît aussi dans
08:48les médias traditionnels, vis-à-vis des médias traditionnels.
08:51Donc ça s'accroît à la télé, à la radio et à la presse écrite.
08:55Donc si c'est faux sur Twitter, ça peut l'être, ou ça l'est, sur les médias classiques.
09:00Et moi, je perçois ça un petit peu comme une sorte de désorientation.
09:04C'est-à-dire que ce que vous avez décrit, Chloé Morin, qui est une offre qui ne cesse
09:09d'accroître, une offre d'information qui ne cesse d'accroître, et avec des acteurs,
09:13des intervenants qui ne sont pas soumis à une régulation, eh bien, ça jette un petit
09:18peu la suspicion sur l'ensemble du système.
09:21Et j'ai le sentiment que finalement, les Français aujourd'hui ont l'impression que le système
09:26médiatique, c'est un peu une jungle.
09:27Une jungle dans laquelle il peut y avoir des clairières relativement apaisées, mais aussi
09:33des endroits où finalement la désinformation est permanente.
09:37Et en même temps, on a le sentiment qu'ils se sentent assez capables.
09:42De toute façon, c'est le milieu dans lequel il faut qu'ils vivent aujourd'hui, cette jungle
09:46de l'information.
09:47Et ils se sentent assez capables de trouver leur chemin dans cette jungle-là.
09:50Il faut légiférer pour protéger ce pilier fragile, Chloé Morin ?
09:55Oui, bien sûr.
09:56Je pense qu'il faut considérer que l'information de qualité produite par des professionnels
10:02recoupés et en respectant les règles déontologiques, c'est un bien public.
10:07Le problème des biens publics, comme vous le savez, c'est que tout le monde veut le
10:10consommer, mais personne ne veut le payer.
10:12On en est là aujourd'hui avec les médias.
10:14Et si on ne prend pas collectivement...
10:16Alors, il y a une des...
10:18Évidemment, pour les biens publics, une des solutions, c'est de financer par les impôts
10:23l'ensemble des médias.
10:24Ça n'est pas possible aujourd'hui.
10:26Donc, la seule solution pour s'en sortir et pour sauvegarder ce bien public dans la
10:31jungle de l'information, justement, c'est que chacun, chaque citoyen, se rende compte
10:36qu'il a un effort à faire, pas seulement pour consommer des médias dits traditionnels
10:42et sérieux, mais aussi, d'ailleurs, c'est très important de le dire, de consommer des
10:47médias divers, y compris des médias dont la ligne idéologique n'est pas forcément
10:51la leur.
10:52C'est cher !
10:53Oui, enfin, aujourd'hui, un abonnement à Libération ou Au Monde, ça coûte la même
10:58chose qu'un Starbucks.
10:59Enfin, je veux dire, en vérité, on a les moyens de payer des abonnements numériques
11:05à la plupart des médias.
11:07Oui, un abonnement numérique dans un site internet de médias quotidiens, c'est entre
11:128, 10, 12 euros selon les offres promotionnelles qui sont faites, par mois, donc c'est pas cher.
11:17Une question, et ce sera la dernière, quand vous voyez à quoi ressemble le champ médiatique
11:22américain, polarisé, fragmenté, incapable désormais d'organiser le débat public,
11:29ça nous pend au nez, Chloé Morin ?
11:31Oui, bien sûr !
11:32Là, on voit qu'on a déjà un système médiatique qui est très fragilisé, parce
11:38qu'il a tardé à prendre le virage numérique.
11:40Là, ce qui nous arrive, c'est non seulement la concurrence des plateformes, qui sont des
11:45géants, dont la puissance est sans commune mesure avec celle des médias traditionnels
11:50français, mais c'est en plus le tsunami de l'intelligence artificielle.
11:54Et donc, c'est pour ça qu'il est d'autant plus urgent de se rendre compte du rôle que
11:59l'on peut jouer dans la préservation du bien public, qui est l'information de qualité,
12:05parce qu'en réalité, tout ça n'est pas acquis, et on pourrait très bien se retrouver
12:09dans une situation où, un à un, les médias finissent par disparaître, faute de marché,
12:16de débauché, et où on se retrouverait finalement avec une information rationnée et de piètre
12:22qualité.
12:23Le modèle américain ?
12:24Je pense que c'est la bataille qui commence avec Elon Musk, dès lors qu'Elon Musk, patron
12:29de X, arrive au pouvoir à Washington, donc ministre de Donald Trump.
12:36C'est vraiment la grande bataille, et derrière lui, Zuckerberg aussi, qui renonce à tous
12:41les systèmes de vérification, fact-checking sur Facebook.
12:44Ces grandes puissances du numérique et des plateformes veulent faire sauter le système
12:51de régulation que les Européens sont en train de mettre en place.
12:55Donc ça, c'est une bataille qui est fondamentale pour la liberté de la presse, aujourd'hui,
13:00en Europe.
13:01On a quand même une culture des médias en Europe qui est différente de celle des Etats-Unis.
13:05Il faut la préserver, et ça va se passer.
13:07Il faudra que les pouvoirs publics, que ce soit au niveau national, mais aussi au niveau
13:12européen, soient très très forts pour résister.
13:14Merci à tous les deux, Chloé Morin, politologue, vous publiez après-demain aux éditions de
13:19l'Observatoire, la broyeuse, les coulisses de la décomposition médiatique.
13:25Merci à Jean-Christophe Ploquin, monsieur le rédacteur en chef de La Croix, qui ne
13:30s'appelle pas Marie d'ailleurs, si je puis préciser, pour vos auditeurs de ce matin.
13:35Ok, très bien, vous vous faites bien de le dire, je vois à peu près à quoi vous faites
13:39référence.
13:40À suivre, l'invité de Léa, aujourd'hui Angélina Jolie, juste après Aretha Franklin.

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