L'ADAGP, organisme protégeant les créateurs d'arts visuels dans le monde, fête ses 70 ans et publie aux éditions Flammarion "Une brève histoire du droit d'auteur : De l'antiquité à l'intelligence artificielle". Marie-Anne Ferry-Fall, directrice de l'ADAGP revient sur les problématiques du droit d'auteur qui ont traversé le temps.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00 *Générique*
00:04 L'ADHGP fête ses 70 ans et autant d'années à faire respecter les droits d'auteur des artistes qu'elle accompagne.
00:10 Sa directrice Marianne Ferrifal est avec nous à l'occasion de la sortie du livre "Une histoire du droit d'auteur de l'Antiquité"
00:17 à l'IA aux éditions Flammarion et écrit par Jean-Baptiste Rendu et Richard Robert.
00:23 Merci beaucoup d'être avec nous.
00:24 Merci de votre invitation.
00:25 Alors un petit fait d'actualité qui est amusant et qui nous prend un petit peu de distance avec tous ces droits d'auteur,
00:30 c'est que j'ai vu qu'il y avait la première version de Mickey qui est rentrée dans le domaine public.
00:35 Alors je me suis demandé en fait qu'est-ce que ça veut dire le domaine public ?
00:39 Qu'est-ce que ça veut dire qu'on peut utiliser cette image comme bon nous semble ?
00:44 Oui, vous avez raison.
00:45 En fait, le droit d'auteur a deux grandes composantes.
00:49 L'une, le droit moral qui est perpétuel et l'autre que l'on appelle les droits patrimoniaux.
00:55 Donc le fait de pouvoir, pour un auteur, gérer, autoriser ou non, l'utilisation de son oeuvre et en toucher une rémunération.
01:03 Ces droits ont une durée donnée.
01:06 Alors en Europe, c'est la vie de l'auteur et 70 ans après.
01:10 Aux Etats-Unis, on est sous l'empire du copyright, c'est beaucoup plus compliqué de calculer la durée des droits.
01:16 Mais effectivement, en tout cas au 1er janvier 2024, un certain nombre d'artistes sont tombés dans le domaine public
01:23 et notamment les premières oeuvres de Walt Disney.
01:27 Vous avez utilisé ce terme copyright qui est un terme qu'on utilise pas mal dans le grand public, dans le jargon de tous les jours.
01:35 Et finalement, c'est très différent du droit d'auteur.
01:38 Oui et non.
01:40 Les deux, ce sont une propriété intellectuelle, c'est-à-dire le fait qu'un travailleur intellectuel qui est le créateur
01:49 ou un investisseur sur des oeuvres protégées ait une sorte de monopole d'exploitation pour protéger la création
01:57 et récompenser la création ou l'investissement dans la création.
02:01 En fait, le copyright est né aux Etats-Unis d'ailleurs quelques années avant le droit d'auteur.
02:08 Et donc là, on est à la fin du 18e siècle.
02:11 Et c'est un droit qui rémunère l'investissement, c'est-à-dire le temps passé où l'argent mis
02:18 à créer une oeuvre pour qu'il y ait ce retour sur investissement.
02:21 Et c'est très différent du droit d'auteur qui lui est né en Angleterre et en tout cas en France
02:28 à la fin du 18e siècle au moment de la Révolution française en 1793
02:33 et qui lui protège l'auteur en tant que personne physique, en tant qu'humain
02:40 qui produit des créations, qui enrichissent la société.
02:43 Et c'est une récompense de ces créations en fait.
02:46 D'accord. Alors donc ça c'est un livre qui a 2000 ans d'histoire de droit d'auteur.
02:50 Est-ce que dans ces 2000 ans la France a une position particulière ?
02:54 C'est vrai qu'on parle beaucoup de l'exception culturelle, etc.
02:57 La France se bat beaucoup aussi pour nos artistes.
02:59 Quelle est la place de la France par rapport au droit d'auteur ?
03:01 Alors elle est très importante.
03:04 Je ne voudrais pas être taxée de chauvine en disant que c'est peut-être l'une des plus importantes au monde
03:09 en matière de droit d'auteur.
03:10 Importante c'est-à-dire plus de protection ?
03:12 Oui et puis un vrai rôle d'exemplarité.
03:16 Moi je le vois, je suis au niveau international rapporteur général
03:22 de toutes les sociétés d'auteurs des arts graphiques et plastiques dans le monde,
03:26 le CISGP, et après avoir été aussi présidente des sociétés européennes,
03:32 je vois combien la voix de la France et l'action de la France
03:35 dans la protection de la culture et dans la protection des artistes,
03:39 qui peuvent être d'ailleurs deux choses très différentes,
03:42 et notamment en droit d'auteur, est extrêmement attendue, regardée et suivie.
03:48 Donc c'est extrêmement important parce que à la fois la culture française
03:55 en tant que création artistique du moment a toujours été très vive
03:59 et le rayonnement aussi international est très important.
04:03 Et je crois que nos collègues internationaux prennent la mesure
04:08 du fait que le rayonnement culturel d'un pays, ça passe surtout et avant tout
04:15 par le soutien à la création et par la protection des artistes.
04:18 Et alors vous partez de l'Antiquité, à l'Antiquité,
04:22 je m'imagine qu'il n'y avait pas le terme droit d'auteur,
04:25 mais est-ce qu'il y avait déjà cette perception de la protection d'une œuvre d'art ?
04:30 Alors non, parce que bien sûr le droit d'auteur c'est quelque chose qui,
04:35 comme je vous le disais, est né au siècle des Lumières,
04:40 à un moment où la notion de l'individu au sein et sa place dans la société
04:44 a été reconnue en tant que telle.
04:46 Dans l'Antiquité on était quand même sociétalement très loin de tout ça.
04:50 Dans l'Antiquité on admirait les œuvres et l'individu auteur
04:54 qui était derrière ces œuvres importait peu.
04:57 En revanche on a tenu à partir de ce moment-là,
05:00 un, parce que c'est de là dont nous viennent quand même des pièces artistiques inestimables,
05:06 et puis parce qu'on a réussi, pour les lecteurs du livre,
05:10 à retrouver les écrits d'un poète martial, un poète de la Rome antique,
05:16 qui avait déjà qualifié de plagiariste quelqu'un qui lui avait substitué,
05:22 qui s'était substitué à lui pour revendiquer la paternité d'un poème
05:26 qui n'était pas du tout le sien, mais celui de Martial.
05:28 Et en fait le plagiarisme c'était le délit qui qualifiait celui qui volait des enfants ou des esclaves.
05:37 Et donc c'est intéressant cette analogie, celui qui vole une œuvre est qualifié comme celui qui vole l'enfant.
05:44 Et la chose qui était assez troublante c'est qu'à l'occasion des 70 ans de la DGP que vous évoquiez,
05:51 on a tenu un grand colloque à la Biothèque Nationale de France
05:54 où sont intervenus moult artistes et personnalités du monde de l'art.
05:58 Et l'un de ces artistes, un artiste sénégalais d'aujourd'hui, Solis Issey,
06:02 a de façon tout à fait spontanée exprimé que le droit d'auteur c'était un lien juridique entre lui et ses œuvres
06:11 lorsqu'elles circulaient à travers le monde et que pour lui ses œuvres étaient comme des enfants dont il avait besoin d'avoir des nouvelles.
06:17 Et c'est troublant cette communion de ressenti entre un poète de l'Antiquité et un artiste plasticien du XXIe siècle.
06:26 Et justement pour rester dans le XXIe siècle, quels sont les enjeux d'aujourd'hui ?
06:31 J'imagine que la technologie, ce sont des questions qui sont fortes et que vous prenez à bras-le-corps à la DGP.
06:39 Quels sont les liens avec le droit d'auteur du coup ?
06:41 Ok, oui. Alors le lien entre technologie et droit d'auteur, bizarrement, est assez ambigu et pas toujours très serein.
06:53 Ce que nous regrettons, parce que ça n'a pas lieu d'être, cette opposition.
06:59 Comme je vous le disais, le droit d'auteur a 250 ans maintenant.
07:04 Depuis l'imprimerie et l'invention de la lithographie et des gravures, texte, images, musique ont vu arriver un certain nombre de nouvelles technologies.
07:17 Certaines qui ont même été très créatives, comme la photographie ou le cinéma, la radio, la télévision, l'internet.
07:23 Et à chaque fois, le droit d'auteur s'est tout à fait adapté.
07:28 Les artistes se sont emparés de ces outils.
07:30 Ces outils ont permis de diffuser des œuvres.
07:34 La création est plus vive que jamais.
07:36 Les œuvres circulent plus que jamais.
07:38 Et là, on se retrouve, en ce début du XXIe siècle, après quelque chose qui a déjà éprouvé la création, l'arrivée d'Internet et la circulation des œuvres.
07:50 On a réussi à trouver des régulations qui permettent que les droits sur Internet, en tout cas dans la loi, doivent être respectés.
08:00 Et que la plupart des opérateurs Internet les respectent concrètement, même s'il y a encore des négociations à mener.
08:06 Là, l'un de nos enjeux majeurs, c'est l'avènement de l'intelligence artificielle.
08:11 On est sur un phénomène qui est très récent, puisqu'on va le dater d'il y a deux ans, en tout cas pour le fait qu'il arrive dans le grand public.
08:18 Et là, on est non seulement sur un enjeu pour les auteurs et les créateurs d'une façon générale, puisqu'on est sur des logiciels qui vont remplacer la création humaine.
08:30 Mais on est aussi sur un enjeu de société globalement, puisque la question peut se poser de savoir si une image synthétique, par exemple,
08:39 a la même valeur en termes de créativité et de sens que l'image créée par un humain.
08:48 Et il y a énormément de problématiques qui sont liées par cet effet substitutif du travail des auteurs humains par des créations faites par des algorithmes.
08:59 Ce sont des chantiers à mener, mais qui ne vous font pas peur.
09:02 Non.
09:03 Parce que vous avez déjà vécu ça. Enfin, le droit d'auteur a déjà vécu ça.
09:05 Exactement.
09:06 Merci beaucoup pour vos réponses, Marianne Ferry-Fall. Vous êtes directrice de l'ADAGP.
09:10 Quant à nous, on se revoit la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
09:14 [Musique]