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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Je suppose que nombre d'entre vous, chers amis, se sont déjà rendu compte au moins une fois dans leur vie qu'ils avaient tort.
00:19Oh, je suis comme vous et comme vous, je sais que c'est une chose parfois difficile à admettre, pour peu que l'on soit un tantinet têtu.
00:28Donc, seulement il y a des choses sur lesquelles il n'est pas grave de se tromper, des choses pour lesquelles on peut faire amende honorable, sans pour autant en faire une question de vie ou de mort.
00:39Dans l'histoire que vous allez connaître aujourd'hui, un homme s'est trompé, lourdement trompé, par deux fois.
00:46Il a eu pourtant largement le temps d'admettre qu'il avait tort.
00:50Oh, je vous le dis dès le départ, il n'a pas commis de crime.
00:53Selon la loi, ce n'est pas lui que l'on jugera devant les assises.
01:00Et s'il est mort maintenant, c'est de mort naturelle, probablement persuadé qu'il n'avait pas tout à fait tort.
01:08C'est tout ce qu'un homme dans sa situation pouvait admettre.
01:12Cet homme, c'est un père de famille, un homme simple et rude.
01:16Il est forgeron à Frenancourt, dans un petit village du nord-est de la France, où, comme à l'ouest, on est têtu.
01:27Depuis deux ans, il tient bon le père Véron, envers et contre les sentiments que sa propre fille Raymond
01:32éprouve à l'égard d'un garçon qui ne plaît pas à la famille, mais qui surtout ne lui plaît pas à lui.
01:39Un homme habitué à manier le fer rouge et à le tordre, il ignore les états d'âmes de sa fille, comme il dit.
01:45La gamine doit céder, et elle cédera.
01:48Quant à l'amoureux, Alfred, il est trop malingre, un bon à rien rêveur.
01:54Il cédera aussi.
01:56Tout rentrera dans l'ordre, et il se charge, lui, Véron, de se trouver un gendre qui lui conviendra.
02:01Un bon gars, bien costaud, prêt à faire du bon travail et de beaux enfants,
02:05qui nourrira sa famille en travaillant du lever du jour au cocher du soleil.
02:08Un bon ouvrier, un bon père, un bon mari, et un bon gendre,
02:12qui ne perdra pas son temps à parler des étoiles au clair de lune
02:14et à raconter toutes ces sortes de bêtises qui viennent dans la tête des gens de la ville.
02:20Mais, Alfred et Raymond, le Roméo et la Juliette du village,
02:27allaient donner tort au papa irrascible.
02:29Ils allaient lui donner tort une première fois, puis une seconde fois,
02:34en s'y prenant de telle manière que leur histoire d'amour,
02:38qui aurait pu, que dis-je, qui aurait dû être banale,
02:43est devenue l'un des dossiers extraordinaires de la police.
02:46Je vous ai dit que Véron, le forgeron Véron, père de la jeune Raimonde,
03:11allait avoir tort, plutôt deux fois qu'une.
03:14Voyons donc la première fois.
03:16Le forgeron est un homme puissant, haut en couleur,
03:20qui a l'habitude probablement de taper sur la table en tonnant ses opinions bien haut.
03:25Sa fille, qui l'a élevée seule, en sait quelque chose.
03:29Entre eux, les confidences sont rares.
03:31Raimonde habite chez sa grand-mère, une paysanne brave, bien âgée,
03:36guerre bavarde, qui semble venir d'un autre siècle.
03:39La personnalité et les allures de sa petite-fille lui font un peu peur,
03:43de son temps, n'est-ce pas ?
03:45Alors, là aussi, les confidences sont rares.
03:48Et Raimonde a 19 ans.
03:50C'est dur de se taire à 19 ans l'âge des rêves, des enthousiasmes, des incertitudes.
03:54À qui confier tout cela ?
03:56À l'instituteur ?
03:58Elle est trop grande maintenant.
04:00Au curé, où il lui dira d'être sage et d'obéir à son père.
04:03Au facteur.
04:03Il le racontera au bistrot et les garçons riront sur son passage le dimanche au bal.
04:10Raimonde n'a pas d'ami de son âge.
04:12Et on aurait-elle qu'il serait difficile de leur dire qu'elle a un amant ?
04:16Oh, ce n'est pas une chose que l'on affiche en 1930.
04:19Raimonde passerait pour une dévergondée, comme on dit au pays.
04:22Une de ses filles qui viennent au bal sans cavalier
04:24et repartent accompagnées par les chemins sombres.
04:27Et puis, de toute façon,
04:29une passion cachée doit rester une passion cachée pour garder tout son mystère.
04:32Et dans les livres de quatre sous que Raimonde achète chez la mercière,
04:36les amants sont toujours persécutés.
04:38Quelquefois même, la jeune fille meurt à la fin.
04:41Et le fiancé, désespéré, la rejoint dans la mort.
04:45C'est beau.
04:46En l'occurrence, le fiancé, que fréquente Raimonde depuis deux ans, s'appelle Alfred.
04:50Ou ce n'est pas un prénom très romantique, mais peu importe.
04:53Alfred Hélin, donc, a 23 ans, il est manœuvrier.
04:57C'est-à-dire qu'on l'embauche à la journée pour les travaux agricoles.
04:59Mme Hélin, sa mère, a mis au monde 12 enfants, dont 7 sont morts en bas âge.
05:06Son médecin dit d'elle qu'elle est peu résistante physiquement et fantasque au mental.
05:10On le serait à moins.
05:12M. Hélin, son père, est à la retraite vieux coloniale.
05:15Il a été réformé pour troubles nerveux à la suite d'un traumatisme reçu en service aux commandés.
05:22L'ambiance familiale chez les Hélin est assez déprimante
05:23et Alfred, lui non plus, ne se confie guère.
05:27Un père instable, une mère usée, un frère qui s'est jeté sous un train il y a 4 ans,
05:32on n'a jamais su pourquoi.
05:33Alors, Alfred, à peine la soupe avalée se sauve de cette maison,
05:37il va errer dans les chemins d'alentour, regardant le monde, rêvant aux étoiles.
05:41Tout ce que le père Véron n'aime pas.
05:45Un jour, il a rencontré Raimonde.
05:48Elle lui a parlé, ils se sont revus, ils se sont confiés l'un à l'autre,
05:54et bien sûr, ils se sont aimés.
05:57Ils ont maintenant pour eux, tout seuls, un minuscule univers de tendresse,
06:02de confiance absolue.
06:04Ce qui leur a toujours manqué, ils l'ont enfin.
06:08Pour se soustraire au ragot du village et à l'autorité du père Véron,
06:11qui a eu vent de la chose,
06:13ils se retrouvent en secret tous les jours dans le petit bois de Mont-Sau-les-Loups.
06:17Ils font de grandes promenades silencieuses,
06:20et lorsqu'ils s'assoient au pied d'un arbre,
06:22c'est pour échanger des serments
06:23que les petites revues à quatre sous de la Mercière ne renieraient point.
06:28Lorsqu'ils sont empêchés de se voir,
06:30Raimonde écrit des petits billets passionnés.
06:33« Je t'ai vu passer à bicyclette,
06:36j'étais dans l'auto de mon oncle,
06:38et je voulais me jeter par la portière.
06:40Mon Fred chéri, je souffre, viens-moi en aide,
06:43je suis martyr, je pleure, par pitié,
06:45j'ai confiance en toi,
06:47malgré toutes les misères que l'on me fait,
06:48je serai à toi pour la vie. »
06:51Puis les choses se gâtent sérieusement.
06:55Alfred a pris son courage à deux mains,
06:58et il est allé voir le père de Raimonde
07:00pour se justifier et lui demander sa main.
07:03Le père s'est fâché de tout rouge.
07:05Il a traité Alfred de tous les noms.
07:07Pour lui, c'est un malade, un ivrogne, un feignant,
07:10bref, ce n'est pas un homme,
07:11et il n'aura pas sa fille.
07:12« Et quand je dis non, c'est non ! »
07:14crie le forgeron,
07:16en jetant Alfred à la porte.
07:18Pleure, supplication de Raimonde, rien n'y fait.
07:22Et le père d'ajouter,
07:23« Tu es mineur, et tu m'obéiras,
07:27en tout cas jusqu'à ta majorité. »
07:30J'imagine aujourd'hui un père disant ça à sa fille,
07:34et se faisant rire au nez tout simplement,
07:36ou bien alors subissant une contestation en règle
07:38à propos de l'autorité parentale.
07:40Mais on ne parle pas encore de contestation en 1930
07:43dans le petit village de Mont-Soleilou.
07:45Et le père Véron se perçoit
07:47qu'il a mis un terme à ce roman stupide.
07:51C'est là qu'il commence à se tromper.
07:55Il aurait dû essayer de comprendre au lieu de tempêter.
08:01À cette minute, il vient de prendre le risque
08:03de voir se transformer ce qui n'était peut-être jusque-là
08:06qu'une petite amourette.
08:09Il vient de prendre la responsabilité
08:11de la faire grandir en passion
08:13et par là même de devenir incontrôlable.
08:17« Pauvre père Véron ! »
08:21Sa forge ne l'a pas habitué
08:22au tourment de Mme Bovary
08:24et il croit bien faire.
08:27Alors Alfred et Raymond,
08:29qui jusque-là n'étaient que deux amoureux incompris,
08:32se sentent devenir sublimes.
08:36Il ne leur reste qu'une solution,
08:39râver la famille, le village
08:41et le monde entier par la même occasion.
08:44Un dimanche solitaire s'est écoulé
08:48pour l'un comme pour l'autre
08:49et l'on a pris rendez-vous
08:51pour le lendemain lundi dans le petit bois.
08:55C'est le mois de mai.
08:57Le village entier est au travail.
09:01Raymond se sauve de chez sa grand-mère
09:03et court vers le petit bois
09:04où Alfred doit la rejoindre.
09:08Il arrive en retard
09:09car il est allé faire une course mystérieuse,
09:13une course
09:13qui gonfle la poche de son veston
09:17de manière inquiétante.
09:20C'est la fin d'une belle journée de printemps.
09:24Raymond et Alfred,
09:25se tenant par la main,
09:26marchent côte à côte sur un petit sentier.
09:29Leur dialogue est difficile,
09:30le garçon tremble de nervosité,
09:32mais son regard est ferme et décidé.
09:36Les arbres défilent lentement
09:37au rythme de leurs pas.
09:38« Si tu as peur,
09:43si tu t'échappes,
09:47je te tirerai dans le dos. »
09:51Il tire
09:52dans le ventre.
09:57Raymond s'écroule
09:58avec juste un léger recul en arrière.
10:02Alfred retourne l'arme contre lui,
10:08tire à nouveau,
10:11la balle pénètre dans sa tête,
10:14il tombe à son tour
10:15et le silence revient dans le petit bois.
10:23Le lendemain,
10:24dans la rubrique « Fait d'hiver »
10:25de l'éclaireur de l'Est,
10:25on peut lire.
10:26La jeune fille,
10:29malgré ses blessures,
10:30parvint à gagner
10:30les premières habitations
10:31du village de Pont à Bussy,
10:33où elle fut secourue.
10:36À son tour,
10:37Alfred Hélain,
10:37arrivé à l'entrée du pays,
10:38les deux désespérés
10:39furent transportés d'urgence
10:40à l'hôpital de Lens,
10:42où nous avons pu apprendre
10:43que malgré la gravité
10:44de leurs blessures,
10:46les deux jeunes gens
10:47ne seraient pas
10:47en danger de mort.
10:50On a pu exter
10:51la balle du corps
10:52de la jeune fille.
10:52Quant à Hélain,
10:54il restera aveugle.
10:56L'histoire pourrait
10:58s'arrêter là,
10:59en effet,
10:59comme un simple fait divers.
11:02Mais les faits divers
11:03sont-ils toujours
11:03si simples ?
11:05Le vieux forgeron
11:06irascible aurait-il eu raison
11:07de cette histoire
11:08d'amour stupide
11:09et qui finirait
11:09aussi mal ?
11:12Sûrement pas.
11:14Je vous le disais
11:15au début de cette histoire,
11:16l'avenir
11:16va lui donner tort
11:18une fois de plus,
11:19très vite,
11:20et plus gravement encore.
11:26Les récits extraordinaires
11:33de Pierre Belmar,
11:34un podcast européen.
11:36Après ce double suicide
11:37malheureux,
11:38Alfred et l'impasse
11:39en correctionnel
11:40le 4 octobre 1930,
11:41cinq mois environ
11:42après le drame
11:43de la forêt
11:44de Mont-Soulilou.
11:45Pendant cet intervalle,
11:46il est resté
11:47à l'hôpital de Lens
11:48en traitement.
11:49Sa cécité
11:50est définitive.
11:52Au village,
11:52le soir à la veillée,
11:53on cancane un peu.
11:55C'était sûr
11:56que ça tournerait mal.
11:57Là, Raymond,
11:58c'est une orgueilleuse,
11:59elle est comme son père.
12:01Suffisait que le père
12:01dise non
12:02pour qu'elle se mette
12:03le garçon en tête.
12:04Ah, une bien belle fille,
12:05pourtant,
12:05et qui mérite mieux,
12:06enfin,
12:07c'est fini maintenant.
12:09Au café du village,
12:10on philosophe bon train.
12:11Oh, l'amour,
12:12quand ça vous tient,
12:13c'est beau quand même.
12:14Qui l'aurait cru
12:14qu'Alfred aurait des idées
12:16comme ça ?
12:18Des idées comme ça,
12:18le tribunal correctionnel
12:19les condamne à quatre mois
12:20de prison avec sursis.
12:23Et Alfred est aveugle.
12:24à 24 ans.
12:27Raymond,
12:27elle,
12:28s'en est bien sortie,
12:28si l'on peut dire.
12:30Elle a regagné le village
12:31et retrouvé sa famille.
12:32Oh, bien sûr,
12:33elle écrit des lettres embrouillées
12:34qui tantôt parlent d'amour,
12:35tantôt d'abandon,
12:36toujours avec la même passion,
12:37pourtant.
12:39Si tu savais comme tu me manques,
12:41je n'avais que toi
12:42pour être aimé.
12:44Mais Alfred,
12:44au fond,
12:44n'est pas sûr
12:45que la pitié
12:46n'entre pas pour beaucoup
12:47dans ce genre de déclaration.
12:49Brutalement privé
12:50de contact avec l'extérieur,
12:51il se renferme
12:52de plus en plus,
12:53devient jaloux.
12:54Raymond voit toujours
12:55le monde
12:56et le monde la regarde.
12:57Il sait aussi
12:58que pour une grande part,
13:00il lui doit la clémence
13:00du tribunal correctionnel
13:01car c'est elle
13:02qui a supplié le procureur
13:04lors du procès
13:04en adressant au tribunal
13:06une longue lettre
13:06qui se terminait ainsi.
13:08Je vous supplie
13:09à genoux
13:09de ne pas punir
13:11ce pauvre aveugle
13:12déjà puni par lui-même
13:13puisque sa vie
13:14désormais doit rester
13:15dans la nuit éternelle.
13:16Ayez pitié
13:17de deux pauvres enfants.
13:19Toujours lyrique,
13:20la jeune Raymond.
13:22Alors le tribunal
13:22a rejeté l'essentiel
13:23de la faute
13:24sur le père de Raymond
13:25et son intransigeance.
13:28Sur son lit d'hôpital,
13:29Alfred a eu le temps
13:29de réfléchir à tout cela.
13:31Et c'est lui
13:32qui écrit maintenant,
13:33ou plutôt
13:33qui fait écrire
13:34à sa fiancée
13:35de l'oublier.
13:36Elle répond
13:37le traitant de lâche
13:38d'ingrat.
13:38Novembre arrive.
13:41Alfred doit partir
13:42pour Soissons
13:42dans un centre
13:43de rééducation
13:44pour aveugles.
13:45Et Raymond,
13:45qui semblait
13:46s'être un peu détaché
13:46de lui,
13:47tout à coup
13:47ne peut plus supporter
13:48l'idée de cette séparation.
13:50Elle veut partir avec lui.
13:51Mais pour partir,
13:52il faut de l'argent.
13:53Alfred n'en a pas
13:54et le fisc lui réclame
13:55les frais de justice
13:55de son procès.
13:56Voilà,
13:56voilà bien le fisc.
13:57Indifférent aux histoires d'amour,
13:59au reste d'ailleurs.
14:01Plus d'argent,
14:01plus de foyer,
14:02plus de métier.
14:04La misère.
14:05Et le père de Raymond
14:06refuse toujours le mariage,
14:07bien entendu.
14:07plus que jamais même.
14:10Il prétendra plus tard
14:11qu'il avait donné
14:12son consentement.
14:14Si cela était vrai,
14:16on comprend mal
14:16ce qui va suivre.
14:18Quoi qu'il en soit,
14:19le mardi 11 novembre 1930,
14:21jour de l'armistice,
14:22Alfred sort
14:23de l'hôpital de Lens.
14:25Raymond est là.
14:26Il est 13 heures.
14:28L'un s'appuyant sur l'autre,
14:29ils descendent lentement
14:30la rue Saint-Martin.
14:32Il fait gris et froid,
14:33ils ne savent où aller.
14:34Alors,
14:35ils se dirigent
14:35vers la gare.
14:36Raymond est glacé,
14:38il s'attable
14:38devant des boissons chaudes
14:39et Alfred parle,
14:41parle, parle.
14:43Il veut faire comprendre
14:44à Raymond
14:44que la vie sera difficile.
14:47Il faut de l'argent,
14:48des soins,
14:49trouver un emploi
14:49plus tard.
14:51Raymond s'en moque.
14:54Alfred continue son monologue
14:55dans le décor,
14:56sinistre,
14:57au milieu
14:57de teintements des tasses,
14:58du allaitement
14:59des locomotives.
15:01Les voyageurs sont rares
15:02et fatigués,
15:02ils ne s'attardent pas.
15:03un ivrogne
15:05sur une banquette,
15:05une femme chargée
15:06de paquets,
15:07un vieillard
15:07près du poêle
15:08qui s'enfume.
15:09On ne les remarque pas.
15:12On a l'habitude
15:12dans les buffets de gare,
15:14des gens qui refont
15:15ou défont leur vie
15:17avant de prendre un train.
15:21Raymond ne se rend pas compte
15:22que son fiancé a changé.
15:24Elle ne se rend pas compte
15:25que cette angoisse
15:26dans la voix,
15:26c'est la peur.
15:28Car maintenant,
15:28Alfred est là,
15:29à peur de tout,
15:29des gens qu'il ne voit plus
15:30et qui peut-être
15:31le regard de Raymond,
15:32qu'il aime toujours,
15:33mais qui n'a plus
15:34de visage,
15:34de geste pour lui.
15:36Il est jaloux
15:36de tout ce qu'elle a
15:37et qui ne lui appartient plus.
15:40Alors il se lève.
15:43Un seul refuge
15:44pour retrouver peut-être
15:45la vie d'autrefois
15:45sa mère.
15:47Il faut qu'il retourne
15:48là-bas au village.
15:48Sa mère l'accueillera,
15:50il en est sûr.
15:52Il est maintenant
15:52près de cinq heures.
15:54Raymond va prendre
15:55deux tickets au guichet,
15:57les voilà sur le quai,
15:58puis dans le train.
16:00À vingt heures quarante-cinq,
16:03ils sont à Fraissancourt
16:04et se dirigent
16:06vers la maison
16:07des parents Hélain.
16:09Les désertes.
16:12C'est bête.
16:14Si quelqu'un,
16:15si seulement quelqu'un
16:17attendait,
16:18si quelqu'un
16:19tendait les bras,
16:20servait la soupe,
16:21allumait le feu
16:22en parlant de tout
16:23et de rien,
16:23peut-être que
16:24si quelqu'un
16:26était simplement là.
16:30la porte d'une chambre
16:32est ouverte.
16:33Il y a un lit,
16:35un beau lit
16:36de campagne
16:36gonflée
16:37d'un édredon
16:37de crotonne,
16:39au-dessus
16:39un crucifix de bois.
16:43C'est là
16:44qu'on trouva
16:46Raymond d'étranglé
16:47sur le lit.
16:51Lui,
16:52debout
16:52sur le pas
16:52de la porte.
16:54Attendez
16:55les gendarmes.
16:55Le surlendemain,
16:59on pouvait lire
17:00à nouveau
17:00dans l'éclaireur
17:01de l'Est,
17:01mais sur deux colonnes
17:03et en première page,
17:03cette fois,
17:05que se passa-t-il
17:06exactement ?
17:07Au premier interrogatoire,
17:08Hélain déclara
17:09s'être élancée
17:10sur la jeune fille
17:10et comme un fou
17:11lui avoir serré
17:12la gorge
17:12à plusieurs reprises
17:13jusqu'à ce qu'elle
17:14perdit connaissance.
17:15Bientôt,
17:16la mort avait fait
17:17son œuvre.
17:18Le drame se déroula
17:19sans témoins.
17:20À leur retour,
17:20les parents avertirent
17:21les gendarmes.
17:22Ceux-ci firent diligence
17:23et avec perspicacité
17:24interrogeaient Hélain
17:25qui leur fit le récit
17:26que nous venons de rapporter.
17:27Le meurtrier
17:28a été écroué
17:29dans la soirée.
17:31À l'audience
17:32du 10 février 1931
17:33de la cour d'assises de l'Aisne,
17:35on se posa la question
17:35de savoir si Raymond,
17:36comme l'affirmait son amant,
17:38avait à nouveau
17:39demandé à mourir.
17:41Le parquet en doutait
17:42et le président
17:42partagea ce doute.
17:44Des témoins ont dit
17:45que Raymond avait peur
17:46de la mort
17:47et qu'elle ne vous a défendu
17:49au premier procès
17:50que par pitié.
17:52Raymond m'a demandé
17:53la mort.
17:55Alfred s'exprime lentement
17:57et il se défend
17:58avec un calme singulier,
17:59droit à son banc,
18:00les mains croisées
18:01dans le dos
18:01pour les cacher peut-être.
18:03Dans la grande salle gothique
18:04de l'ancien évêché
18:05où siège le tribunal,
18:06l'auditoire grandit
18:07à chaque minute
18:07passionnément attentif.
18:09Une curiosité malsaine
18:10les attire vers cet accusé
18:11qui ne voit pas ses juges.
18:14Raymond ne vous avait dit
18:15qu'elle vous épouserait
18:16à 21 ans.
18:16Deux ans s'est vite passé.
18:18Pourquoi ?
18:19Vous aurait-elle demandé la mort ?
18:22Elle en avait assez
18:23de tous ses affrons
18:24et ses parents
18:26ne voulaient plus
18:26me tolérer
18:27dans sa chambre.
18:30Alfred dit cela naïvement.
18:32Rien ne les branle.
18:34On vous dit paresseux,
18:35sournois,
18:35brutal,
18:36alcoolique.
18:38Paresseux ?
18:39Quand on paiera bien
18:41l'ouvrier agricole,
18:43il travaillera mieux.
18:4623 témoins vont défiler
18:48presque le village entier
18:49et l'on abreuve
18:50les jurés
18:50de ragots de voisinage.
18:52C'est à ce moment-là
18:53que le père de Raymond
18:54affirme
18:54qu'il avait donné
18:55son consentement
18:56à ce mariage.
18:58Alors pourquoi ?
18:59Elle m'a supplié
19:00alors j'ai serré le cou.
19:03Combien de temps ?
19:044 à 5 minutes.
19:07Vous étiez calme
19:08comme maintenant ?
19:09Comme maintenant ?
19:11Mais en étant calme,
19:13vous avez pu serrer
19:14le cou de votre fiancé
19:15pendant 5 minutes ?
19:17C'est un coup
19:18de désespoir.
19:20J'étais entré
19:21dans le désespoir
19:22de Raymond.
19:24Montrez vos mains
19:25au juré.
19:27Il les lève.
19:30Énorme.
19:32Et la salle frémit.
19:35Le docteur Rogue
19:36aliéniste conclut
19:37à une responsabilité
19:38pénale certaine
19:39mais atténuée.
19:40Hélène a commis
19:41un crime passionnel.
19:43Étrangement calme
19:44ce crime passionnel,
19:45pense le président.
19:47Un seul témoin
19:47fait rebondir l'affaire.
19:48C'est l'instituteur.
19:50Après le premier attentat,
19:51il a eu avec Raymond
19:52une conversation
19:53qu'il rapporte à la barre.
19:55Je lui ai demandé
19:56si elle voulait
19:56toujours épouser Hélène.
19:58Elle m'a répondu
19:59« Si je refuse,
20:00j'ai peur
20:01qu'il me fasse
20:01un mauvais coup. »
20:03Alors le défenseur
20:04d'Alfred Hélène
20:05s'agite.
20:06Il inonde les jurés
20:06de la correspondance
20:07échangée entre les deux amants.
20:09Raymond aimait
20:10cet évident,
20:10chaque mot le crie
20:11et elle n'aurait pas
20:12demandé la mort
20:13mais elle a laissé
20:14une preuve certaine
20:15de ce désir de mourir.
20:16Elle a laissé son corps
20:17sur lui
20:17aucune trace de violence,
20:19aucune égratignure.
20:20Elle aurait pu s'échapper,
20:21elle était jeune,
20:22vigoureuse,
20:23elle aurait griffé,
20:24frappé,
20:24mordu.
20:25Et l'un ne portait
20:26aucune trace
20:27de ce genre
20:27quand on l'a arrêté.
20:30Le médecin légiste
20:31confirme
20:32Raymond ne s'est pas défendu.
20:37Oh, je ne vous ferai pas
20:38le grand plaisir
20:38de vous lire,
20:39chers amis,
20:39les autres passages lyriques
20:40de la plaidoirie du défenseur.
20:41J'ignore
20:42s'il est encore de coutume
20:43dans les prétoires
20:44de citer Baudelaire
20:45à tous les échos.
20:46Un seul verre, peut-être.
20:47Vivre est un mal.
20:49C'est un secret
20:49de tous connus,
20:50clame le romantique avocat.
20:53Le procureur,
20:53beaucoup plus prosaïque
20:54et c'est son rôle,
20:55se contente de rappeler
20:56que le meurtrier,
20:57avant de tuer,
20:58s'est servi
20:58et a bu
20:59une tasse de café chaud
21:00et qu'après avoir tué,
21:02il a allumé
21:02une cigarette.
21:04Puis,
21:05lorsque sa mère est arrivée,
21:06il a dit tout de go,
21:07Raymond des Mortes
21:08va chercher les gendarmes.
21:10Guerre plus ému
21:11que s'il venait
21:12de rentrer les foins,
21:13conclut le procureur.
21:15En vérité,
21:15la seule chose
21:16qui troubla les jurés
21:17était que cette fois-ci,
21:18Alfred et l'un
21:19n'avaient pas tenté
21:20de se suicider.
21:22Ils se laissèrent pourtant
21:22entraîner par la défense
21:23et accordèrent
21:24les circonstances atténuantes
21:25avec cinq ans seulement
21:27de réclusion.
21:29On pourrait
21:29presque dire,
21:31en somme,
21:32que la première fois,
21:34Alfred Hélain
21:34avait été condamné
21:35pour avoir tenté
21:36de tuer
21:36et que la seconde fois,
21:39il était acquitté
21:40pour avoir réussi.
21:42Et cela non plus,
21:43le père de Raymond
21:44ne le comprit
21:45jamais.
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