Jacques Durif, fils de Louis Durif déporté en juillet 1944 dans le camp de concentration de Neuengamme en Allemagne, est venu rendre hommage à son père, lors de la commémoration de la libération du camp. Il livre son témoignage au micro de BFM2, ce samedi 3 mai.
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00:00Bonjour à tous, nous allons assister dans quelques minutes en direct sur BFM2
00:05à la commémoration des 80 ans de la libération du camp nazi de Neunengamme à Hambourg en Allemagne
00:12où 106 000 personnes ont été déportées, 55 000 personnes ont perdu la vie
00:18et nous avons la chance d'être avec Jacques Durif. Bonjour Jacques !
00:24Bonjour !
00:26Alors vous êtes venu aujourd'hui sur cette commémoration pour rendre hommage à votre père Louis Durif
00:34qui a été déporté dans ce camp en juillet 1944, c'est cela ?
00:40Oui exactement, il a été arrêté à Clermont-Ferrand avec 35 de ses camarades
00:46qui travaillaient dans un service de l'aéronautique du gouvernement français
00:50qui était replié à Clermont-Ferrand. Ils ont tous été arrêtés et il en est revenu un peu moins de la moitié.
00:56Et en ce qui me concerne, je suis venu à leur famille.
00:59Alors pourquoi est-ce que c'est important pour vous d'être là aujourd'hui pour célébrer la mémoire de votre père
01:04et de toutes ces personnes déportées dans ce camp de concentration ?
01:08Je pense qu'en fait, le souvenir des conditions de la déportation et de ce qui s'est passé pendant ces années-là
01:16doit être absolument transmis pour qu'on n'oublie pas et qu'on ne soit jamais renouvelé.
01:22Et d'autre part, c'est parce que j'ai découvert sur place les conditions de déportation de mon père et de tous ses camarades et de sa mort.
01:32Et que je veux absolument transmettre ça à mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants.
01:38Et c'est pour cela que vous êtes venu aujourd'hui en Allemagne en famille ?
01:43Oui, c'est exactement pour cela. Nous sommes venus passer plusieurs jours en Allemagne sur les lieux de la déportation,
01:51mais sur les lieux du transfert où il a été envoyé à Saint-Bostel et où il est mort dans un camp qui est très proche de Nuyangam.
01:59Et nous nous retrouvons actuellement avec plus de 1000 personnes qui sont là et qui célèbrent le même moment.
02:07Je pense que c'est très très important que nos enfants et nos petits-enfants connaissent ce qui s'est passé.
02:13Alors, au-delà d'être sur les lieux de commémoration comme celui sur lequel vous êtes actuellement, comment se diffuse justement ce devoir de mémoire au sein de votre famille ?
02:25Alors, il y a eu deux périodes. Une période où malheureusement, la famille n'a pas beaucoup parlé de ce qui s'était passé.
02:33Et je dois dire que c'est même relativement récent. On n'avait pas envie d'en parler parce que c'était douloureux.
02:39Et aussi peut-être parce qu'il y avait des difficultés à un cadre de la famille.
02:44Mais récemment, j'ai pris conscience de ce qui s'était passé et de la nécessité d'en parler à mes enfants et à mes petits-enfants.
02:54Donc, nous venons à 21, c'est-à-dire presque toute la famille, presque tous les descendants de Louis du Riff sont là.
03:01Et nous avons visité les différents camps où il est passé.
03:07Et alors, comment est-ce que c'est vécu dans votre famille d'être les descendants d'un homme déporté, d'un homme qui a vécu l'enfer ?
03:17C'était en fait un peu une surprise. Il savait qu'il était déporté. Il ne savait pas dans quelles conditions ça s'était passé.
03:25Donc, c'est douloureux. C'est-à-dire que ça fait beaucoup de tristesse dans la famille.
03:29Et en même temps, ça ouvre des fenêtres sur le passé et sur, disons, l'avenir qui peut se présenter.
03:35C'est-à-dire qu'on ne veut pas renouveler ce qui s'est passé.
03:38Mais c'est vécu difficilement et ça a été vécu très difficilement dans la famille qui n'en parlait pas ou très peu.
03:44Comme beaucoup d'enfants déportés, beaucoup de familles déportés.
03:48Alors, vous l'avez dit, il y a une sorte de silence autour de la déportation au sein des familles, mais pas seulement.
03:55Par exemple, on a dû attendre 1965 pour qu'un mémorial soit érigé sur place grâce aux associations.
04:03Donc, il y a une prise de conscience qui a mis beaucoup de temps.
04:07Vous le dites, vous ne voulez pas que l'histoire se répète.
04:10Est-ce que vous avez le sentiment qu'en ce moment, cette histoire-là peut se répéter ?
04:16J'ai des craintes sur ce qui peut se passer parce qu'en fait, on ne veut pas évoquer les souvenirs douloureux du passé
04:25et expliquer les conditions dans lesquelles ça s'était passé pour arriver à cette situation-là.
04:30Et je crois que quand on fait preuve de beaucoup de volonté et qu'on veut avancer sans regarder ce qui s'est passé,
04:38on fait des erreurs très profondes.
04:40Voilà.
04:41Donc, j'ai un peu peur de ce qui se présente.
04:44Et je pense qu'il y a beaucoup de jeunes qui commencent à être bien informés
04:48et qui commencent à être conscients de ce qu'il ne faut pas renouveler.
04:53Alors, vous le dites, vous transmettez ce devoir de mémoire au sein de votre famille.
04:59Est-ce que vous allez aussi éventuellement auprès d'associations ou dans des lycées, des collèges transmettre cette mémoire ?
05:08Oui.
05:09Alors, l'association dans laquelle je suis, l'amicale de Nuyangam, se charge de publier depuis 1945,
05:18depuis la sortie des camps, un journal tous les trimestres où ils rappellent ce qui s'est passé,
05:23où ils ont fait des études et des recherches précises sur différents moments de la déportation.
05:27Et ils se chargent d'aller dans les écoles et de faire, disons, des réunions avec les enfants pour expliquer.
05:37Donc, cette amicale est extrêmement active.
05:40Et bien sûr, moi, en ce qui me concerne, je participe à ce genre de choses auprès de ma famille.
05:46Et vous vous rendez compte que la jeunesse actuelle réagit,
05:50se rend compte que justement, il ne faut pas répéter les mêmes erreurs
05:53et prend conscience peut-être un peu de la tournure des événements actuels dans le monde
05:59et la crainte de revenir vers ce passé désastreux ?
06:04Je pense que la jeunesse actuelle, les très jeunes et les moins jeunes,
06:08et puis même, disons, ceux qui sont un peu plus anciens, se rendent compte de ce qui s'est passé.
06:13Ils sont surtout très à l'écoute de tout ce qu'on peut leur dire sur le passé.
06:19Donc, il faut profiter de cette écoute, il faut diffuser toutes ces informations au maximum
06:26pour que ça ne se renouvelle pas.
06:30Merci infiniment.
06:32Qu'est-ce qui concerne les Allemands ?
06:34Pardon, non, non, allez-y, allez-y, je vous en prie, monsieur.
06:36Vous avez tout votre temps.
06:37Et je voudrais indiquer aussi que nous sommes ici reçus en Allemagne,
06:41que tout le travail qui a été fait en Allemagne dans les camps est remarquable.
06:45C'est un travail d'histoire, mais c'est aussi un travail de mémoire et d'explication,
06:51où les guides qui sont sur place passent beaucoup de temps pour expliquer tout ce qui s'est passé.
06:57Et vraiment, j'incite tous les Français qui peuvent, qui ont des souvenirs de déportation,
07:02à venir ici, à passer du temps, à découvrir, ou même par Internet, à interroger les lieux de camps qui sont bien équipés.
07:08C'est très important.
07:10Merci infiniment, Jacques Durif, pour ce témoignage précieux.
07:14Donc, je rappelle, vous êtes le fils de Louis Durif qui a été déporté dans ce camp de Nodengame,
07:20près d'Ambourg, en juillet 1944, alors qu'il était à Clermont-Ferrand.
07:24Et nous allons suivre en direct, dans quelques minutes, sur BFM2, la commémoration des 80 ans de la libération de ce camp nazi.
07:33Encore merci pour votre témoignage.
07:35Et nous, nous nous retrouvons très bientôt pour un nouveau direct sur BFM2.
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