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00:00Je reçois ce matin un ancien publicitaire qui s'est reconverti avec brio en écrivain, l'écrivain de la famille d'ailleurs, c'était le titre de son premier roman et premier succès.
00:09Mais c'est vraiment avec la liste de mes envies qu'il entre dans la liste des best-sellers avec 1,5 million d'exemplaires vendus en France, traduits dans 35 langues, adaptés au théâtre puis au cinéma.
00:20Aujourd'hui il revient avec un récit beaucoup plus intime. Bonjour Grégoire Delacour.
00:24Bonjour Thomas, bonjour tout le monde.
00:26Et merci d'être avec nous ce matin, vous avez dansé un petit peu en coulisses avec les enfants.
00:32Ah oui, avec les enfants, c'était formidable. Je me suis luxé l'épaule mais ça va.
00:37Ça va, ça s'est bien passé.
00:38Alors vous publiez Polaroïde du frère parce qu'il raconte en 188 instantanées la vie, la mort de votre frère que vous n'avez pas vue pendant 30 ans jusqu'à ce qu'on vous annonce en 2022 qu'il a été retrouvé mort chez lui après une chute dans sa salle de bain.
00:54Un frère qui est mort dans une solitude absolument totale. Est-ce que c'est cette culpabilité qui vous a donné envie d'écrire ce livre ? Parce qu'on la ressent par moments cette culpabilité dans le livre.
01:04Non, non, il n'y a pas la culpabilité au départ du livre parce qu'au départ il n'y a pas de livre. Au départ avant qu'il décède, j'avais essayé de renouer avec lui, j'avais commencé à lui écrire sur les conseils d'un psy et j'ai eu le temps de lui écrire deux cartes, deux mots.
01:19Et je sais qu'il en avait été très très content. Et je pense qu'on allait commencer à tisser quelque chose ensemble et malheureusement il est mort et j'ai continué.
01:29En fait j'ai continué à écrire des petits bouts de choses qui lui étaient destinés et très très tard, à l'automne dernier, j'ai dit mais tiens je vais les mettre ensemble comme on fait un album de photos, comme on range des souvenirs.
01:40Et le livre est né après avoir été écrit finalement.
01:43Sous forme de puzzle comme ça, qui est un portrait. Il faut expliquer Grégoire Delacour que vous aviez une bonne raison aussi de ne plus vouloir avoir le moindre contact avec votre frère.
01:53Il s'était passé quelque chose à la fin de l'année 90 où il y a eu une sorte de qu'un et Abel entre nous où l'un des deux frères saute sur l'autre et veut la tenter à sa vie ou je ne sais pas quoi.
02:06Et c'est vrai que j'ai eu très très peur quand il m'a sauté de tueur, il m'a étranglé.
02:11Et après j'ai évité évidemment de le voir pendant un certain temps, par prudence, élémentaire.
02:16Et puis les choses restent là, ce silence inexplicable.
02:20Lui était dans la nuit, moi j'ai essayé d'aller dans la lumière et puis il a fallu 30 ans pour qu'on tente de renouer.
02:26Et puis c'est trop tard, mais ce n'est pas trop tard.
02:29Je me suis dit que la mort n'aura pas le dernier mot, c'est les mots qui doivent avoir le dernier mot.
02:34Et donc j'ai écrit ça.
02:35Et alors pour écrire ce livre, vous allez puiser dans les quelques souvenirs que vous avez encore avec lui.
02:40Et puis vous allez découvrir des choses sur lui après sa mort.
02:43C'est aussi une sorte d'enquête que vous menez un peu dans ce livre.
02:46Oui, alors c'est difficile et ça c'est la magie de la littérature.
02:49C'est de pouvoir faire le point comme sur une photo floue, sur des choses qui restent floues.
02:54De trouver des pièces manquantes, d'assembler.
02:58Et c'est trouver le difficile équilibre entre la réalité, que je ne sais pas, et la vérité que seule l'écriture romanesque permet d'atteindre.
03:05Donc oui, il y a une première partie qui sont des souvenirs communs, et puis une seconde partie où il y a un travail d'enquête.
03:10Découvrir qu'il était sous curatelle, avec très très peu d'argent pour vivre.
03:16Il y a une lettre qui est poignante, qui l'a écrite lui.
03:20Et puis en plus qui est admirablement bien écrite.
03:22C'est très très émouvant de découvrir de façon posthume la beauté de quelqu'un, je trouve.
03:27Il demande un tout petit peu plus d'argent.
03:29Et la découverte la plus importante que vous faites, c'est que vous avez vécu en fait le même drame, tous les deux dans votre enfance.
03:35Oui, on a eu un sérieux problème avec notre père, un problème d'abus.
03:40Et ce qui est curieux, c'est que moi j'ai pu en échapper rapidement, puisque ma mère m'a éloigné très très vite de la maison.
03:47Je le raconte dans l'Enfant Réparé.
03:48Et lui malheureusement est resté, je ne sais pas, et on ne s'en est jamais parlé.
03:53Comme si l'un et l'autre en avaient une honte.
03:55Et on n'ose pas en parler au frère de peur qu'il en souffre pour nous, parce qu'il y a une relation forte entre frères.
04:01Et donc moi je n'en ai jamais parlé, lui non plus.
04:03Et c'est après sa mort que sa curatrice m'a dit qu'effectivement il lui avait confié avoir été abusé, abîmé.
04:10Et c'est vrai que vous aviez raconté, vous Grégoire Delacour, dans ce livre, L'Enfant Réparé, ses abus.
04:16Et votre frère, il est décédé neuf mois après la publication de ce livre, L'Enfant Réparé.
04:20Vous savez s'il l'a lu ou pas ?
04:22Je ne sais pas.
04:23On a retrouvé un livre chez lui, deux mois d'ailleurs, mais ce n'était pas celui-là, non ?
04:28Et il est parti donc à un moment où vous commencez enfin à reprendre contact avec lui.
04:32Et alors il faut attendre la page 143 pour enfin avoir son prénom.
04:36Pourquoi ce choix ?
04:38En fait je commence sur un corps très très abîmé, dès le début un corps dévoré,
04:42qui était à l'abandon pendant plusieurs jours, lors de la canicule, enfin de tous les étés maintenant.
04:48Et en fait j'ai essayé de reconstituer, donc on part de quelque chose de très vilain,
04:51c'est comme une restauration d'un tableau, de quelque chose qui est fort abîmé.
04:55Et puis son nom, je voulais prendre mon temps de le ramener,
04:59et une fois qu'il était complet, complété ce frère, il est baptisé.
05:02Et plus j'avançais dans la construction du livre,
05:05plus il y avait cette idée de naissance, de redonner vie à quelqu'un.
05:08Et donc à ce moment-là il est baptisé, et c'est très tard que je donne son prénom.
05:13J'aime bien que ça arrive tard, c'est très joyeux à ce moment-là dans le processus d'écriture.
05:17Et si c'est un livre douloureux, c'est aussi un livre de joie, je trouve, de retrouvailles.
05:21Et les retrouvailles c'est toujours joyeux, quoi qu'il arrive.
05:23Et dans vos souvenirs avec votre frère Grégoire Delacour,
05:26il y a cette chanson qui revient tout au long du livre.
05:29Fernando Daba, vous écrivez qu'en écoutant à fond cette chanson sur votre manche disco orange et blanc,
05:50c'est l'unique fois où vous avez été frère, vraiment, tous les deux.
05:54Dans l'enfance, oui, ça a été un moment absolument incroyable.
05:57Notre mère était en barbe, je me souviens, on a piqué des bières dans le frigo,
06:01des bières des Litros, des Real Stars.
06:04Du sérieux, du lourd, de 13 ans, une petite clope comme ça,
06:08puis on s'est mis dans sa chambre et on a été deux gamins filous, bandits, heureux.
06:14Il y avait ce disque, on a mis ce disque en boucle,
06:16et il nous a touchés, surtout les couplets, moins le refrain qui est un peu plus pop, on va dire.
06:21Il y a quelque chose de bouleversant dans la musique des couplets,
06:25et ça a été un moment de grâce, comme ça, pendant une heure.
06:28Je pense qu'on commençait à être un peu pétés et tout.
06:30Mais il y a eu une... J'étais lui, il était moi, il n'y avait plus de différence.
06:33Il y a eu un seul corps et je crois que c'est le plus beau souvenir que j'ai de cette fraternité physique,
06:39spirituelle, qui ne demandait rien, qui était juste un moment parfait.
06:42C'était Fernando, ça aurait pu être autre chose, c'était ça.
06:45Et cette chanson, elle est un peu...
06:47Elle rappelle cette beauté-là, cette grâce, parce que même dans le chagrin, il y a quand même des lumières.
06:52Et c'était une lumière extraordinaire, ce moment-là.
06:54Vous écrivez quelques heures d'enfance légère et grave à la fois,
06:57où ne planait plus l'ombre extraordinaire du corbeau,
06:59le corbeau, c'est le surnom que vous donnez à votre père,
07:02où plus rien ne pouvait nous séparer, ni la vie, ni la mort.
07:05Nous avions ri ensemble, te rends-tu compte ?
07:07Nous avions donc été vivants ensemble.
07:09Voilà, ça fait partie des très belles pages de ce livre.
07:12Polaroïde du frère, c'est publié aux éditions Albin Michel,
07:15le dernier livre de Grégoire Delacour, dont on va continuer à parler.
07:19Et puis, on va parler cinéma avec M. Olivier Bencoumou.
07:22Une série, une série.
07:23C'est une série aujourd'hui, une série Netflix.
07:24Série d'Alain Chabat.
07:26Ah, oui, on adore.