Une attaque effroyable dans un lycée privé de Nantes. Un élève de 16 ans a poignardé quatre élèves ce jeudi dans l'établissement scolaire Notre-Dame-de-Toutes-Aides. Une jeune fille a succombé à ses blessures. Une dérive meurtrière qui a semé la terreur. Que s'est-il passé ? Quel est le profil de l'agresseur ? Quelles étaient ses motivations ? Reportage de Maël Jeanthon, Clément Granon, Linda Bouziad avec Stéphanie Zenati et Alexandre Funel
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00:00Aux abords de ce collège lycée Nantais, malgré la foule, un silence pesant.
00:10Ce vendredi après-midi, 24 heures après le drame qui s'est déroulé derrière les grilles de l'établissement, le temps du recueillement.
00:19Ces élèves sont venus rendre hommage à leurs camarades, assassinés la veille, en plein cours, par un autre lycéen et aux trois autres blessés.
00:31C'était une personne souriante qui ne cherchait pas les problèmes. On est vraiment touchés, ça aurait pu être nous.
00:36On est tristes en fait pour les victimes et pour leurs proches, donc on s'est dit on va les soutenir, on va leur rendre hommage.
00:45Les policiers s'occupent du filtrage.
00:47Vous avez votre carte s'il vous plaît ?
00:49Non mais c'est bon, il est bien de chez nous.
00:51Seuls les élèves scolarisés ici ont l'autorisation d'entrer au compte-gouttes.
00:57Mes fleurs, je ne peux pas rentrer. Est-ce que vous pouvez les penser ?
01:01Vous pouvez.
01:02Merci.
01:02Merci à vous.
01:03Merci beaucoup.
01:05Ce père de famille est venu accompagner ses fils.
01:09Je vous conseille, vous restez ensemble ?
01:11Oui.
01:12Et toi tu nous fais un petit message quand vous savez que vous partez, c'est tout.
01:15Allez, vous nous projette tout à l'heure.
01:20Les visages sont graves, fermés, les têtes basses.
01:24Un rassemblement douloureux mais nécessaire face à une tragédie jusqu'ici impensable.
01:31Un peu excentré, à l'est de Nantes, Notre-Dame de toutes aides.
01:40Un immense groupe scolaire privé, l'un des plus importants en Loire-Atlantique.
01:46C'est un groupe scolaire catholique sous contrat avec l'État et c'est un grand groupe scolaire qui va de la maternelle jusqu'au lycée.
01:52Il y a à peu près 2000 élèves qui sont scolarisés là-bas.
01:55On parle d'un milieu protégé voire même privilégié.
01:58C'est un établissement qui n'avait jamais fait parler de lui.
02:01Il est aux alentours de midi et demi ce jeudi.
02:04Depuis le début de la semaine, les élèves sont de retour en cours après les vacances de printemps.
02:10À cette heure-là, certains sont en pause déjeuner, d'autres encore en classe.
02:16Lorsque l'un de leurs camarades, Justin Pé, lycéen de seconde, franchit les portes du bâtiment.
02:25Ce jeune garçon, Justin Pé, va pénétrer dans son lycée.
02:31Il a un pantalon noir, des chaussures de sécurité.
02:34Il a son sac à dos.
02:36Il pose d'abord ses affaires dans les toilettes.
02:38Puis il arrive devant une classe de seconde.
02:40Il entre, il demande un prénom et un nom.
02:43Et à ce moment-là, personne ne comprend bien de quoi il parle.
02:46Dans son attitude, rien n'attire l'attention.
02:48Il n'a pas de couteau à la main.
02:50Il repart tout de suite après.
02:53Et il va revenir quelques instants plus tard.
02:55Cette fois-ci, un couteau à la main.
02:57Le visage complètement masqué.
02:59Des lunettes de soleil.
03:01Et il se jette sur sa première victime, qui s'appelle Lorraine, 15 ans.
03:05Et qui va succomber quelques instants plus tard à ses blessures.
03:09Il s'en prend exclusivement à cet élève de 15 ans.
03:12Il va s'acharner sur elle.
03:14Il a donné 57 coups de couteau sur le corps de cette victime.
03:21La plupart, voire l'intégralité des coups de couteau ont été donnés sur le haut du corps, sur le crâne, dans la gorge.
03:30Et tous les témoins présents indiquent qu'il a continué à s'acharner sur elle alors qu'elle est tombée à terre.
03:38Justin Pé sort alors de la salle, puis rentre dans celle d'à côté, une autre classe de seconde.
03:47Là, il poignard d'une fille et deux garçons âgés de 15 et 16 ans.
03:52Dans les couloirs, c'est la panique.
03:57Un technicien informatique de l'établissement qui a entendu des cris, tente alors de s'interposer et de stopper net le parcours meurtrier de l'adolescent.
04:06Il entre dans la salle de classe et il prend une chaise qu'il jette sur l'assaillant pour essayer de le maîtriser.
04:16Mais à ce moment-là, sa réaction va le surprendre puisqu'il se met à le pourchasser dans les couloirs.
04:21Donc le responsable informatique part en courant, l'assaillant a ses trousses.
04:26Ils vont arriver jusqu'au rez-de-chaussée du lycée.
04:30Et là, ce responsable informatique va avoir la présence d'esprit de comprendre que dans la cour de récréation, il y a d'autres élèves.
04:36Il y a donc un risque qu'il y ait d'autres victimes.
04:39Il va donc fermer une porte qui mène vers l'extérieur et tenter de maîtriser l'assaillant.
04:45Il va le convaincre de poser ses armes au sol.
04:48Il les pose, il se jette à terre.
04:49Et à ce moment-là, le responsable informatique va le maintenir.
04:53Et des témoins vont dire qu'à ce moment-là, Justin P va dire « qu'est-ce que j'ai fait ? ».
04:58Dans l'une des salles de cour voisines, Clément, lui aussi élève de seconde, dans la même classe que Justin P,
05:06comprend qu'il se passe quelque chose.
05:09On entendait pas mal de bruits qui venaient de la cour.
05:13Des couriers, couriers, on trouvait ça un petit peu bizarre.
05:15Puis après, on entendait des élèves qui criaient et qui couraient dans les couloirs.
05:21Là, on s'est un petit peu alarmés.
05:23On a dit à la professeure si ça serait pas préférable de fermer la porte à clé.
05:29Et à ce moment-là, il y a un surveillant qui a ouvert la porte et qui nous a dit de courir et de s'éloigner
05:37parce que c'était dangereux et qu'il fallait qu'on aille dans la cour pour pouvoir ensuite être mis en sécurité.
05:45On descendait les escaliers et là, on a vu Justin qui était à terre avec un adulte en train de le neutraliser.
05:53Et c'est là qu'on a immédiatement compris que c'est de lui que venait le problème.
06:00Immédiatement, l'établissement est bouclé.
06:03Aucun élève ne peut sortir ni entrer dans l'enceinte du lycée.
06:08Sur le trottoir, derrière un périmètre de sécurité, leurs parents, angoissés, s'impatientent.
06:16Nicolas a trois enfants, tous scolarisés ici.
06:20Il a été prévenu par l'un de ses fils, en classe de seconde, qui a assisté à la scène.
06:25Il m'a appelé pour me prévenir qu'un élève était rentré et qu'il allait agresser au couteau d'autres élèves.
06:32Donc voilà, sous le choc évidemment, ça venait juste de se passer.
06:38Donc je suis venu ici directement et on sait que tout va bien.
06:40Mais on attend de pouvoir les prendre dans nos bras, s'en assurer et puis de gérer le stress que ça va générer.
06:52Car à l'intérieur du lycée, les élèves sont effrayés.
06:57Les élèves sont tous terrifiés.
07:00Une source proche de l'enquête nous a expliqué que lorsque les policiers arrivent au premier étage pour leur venir en aide,
07:06ils sont tous réfugiés dans une salle de classe.
07:10Ils ont fermé à clé, ils sont complètement barricadés.
07:12Et dans un premier temps, ils vont refuser d'ouvrir aux policiers tellement ils sont à ce moment-là terrorisés.
07:19On nous décrit aussi des cris, des hurlements qui viennent de cette salle de classe.
07:22Donc on a été mis dans une salle avec les élèves témoins de ces actes.
07:28Là, on en a parlé et on a appris plus en détail ce qui s'était passé.
07:31On était extrêmement choqués, complètement bouleversés.
07:34On ne se rendait pas réellement compte de ce qui venait de se produire.
07:39Les adolescents sont alors pour certains confinés dans le gymnase voisin.
07:45C'est le cas d'Antoine, élève de troisième, qui filme ces images.
07:50Tout le monde est rentré en courant dans le gymnase.
07:52Les reculés étaient strictes.
07:53Il ne fallait pas qu'on parle, il fallait qu'on les écoute.
07:56Il fallait qu'on reste à l'appui de ce qui allait se passer.
08:00Et donc les consignes, c'était vraiment rester assis.
08:02Parce qu'ils ne voulaient pas que les personnes se lèvent.
08:05Parce que, par exemple, pour les malaises, etc.
08:07Vu qu'il est très chaud.
08:10Les forces de l'ordre arrivent sur place en huit minutes.
08:13Et interpellent Justin P.
08:17Lorsque les policiers arrivent sur place,
08:19ils trouvent sur Justin P. deux couteaux.
08:22Un couteau de chasse qui lui a servi à poignarder les différentes victimes.
08:27Et un couteau à lame repliable qui est rangé sur lui.
08:32Et au premier étage, sur les indications du jeune homme,
08:35ils vont retrouver dans les toilettes son sac à dos avec à l'intérieur un faux pistolet
08:38avec des billes en plastique et une canette de boisseau énergisante.
08:44Justin P., un adolescent âgé de 16 ans.
08:47Enfant de parents divorcés,
08:49il est scolarisé à Notre-Dame de Toutes-Aides depuis 2021.
08:52Un élève jusque-là plutôt discret et solitaire.
08:57Il était souvent absent, même depuis le début de l'année.
09:01Il venait rarement en cours et ça devenait presque un événement
09:05qui vienne sans jamais qu'il nous donne de justification.
09:09Ses résultats, ils n'étaient pas très satisfaisants.
09:13Il avait plutôt pas mal de difficultés au niveau scolaire.
09:17S'il est plutôt timide, il participe très peu.
09:21On ne l'entend pas trop.
09:24Il est très souvent absent.
09:26Alessio, 18 ans, qu'il fréquentait à l'extérieur du lycée
09:30pour jouer au foot ou aux jeux vidéo.
09:34On traînait dans Nantes ensemble avec des amis à lui qu'il avait
09:38et que moi j'avais aussi.
09:39Et c'est là que j'ai fait connaissance avec lui.
09:41Il m'avait dit qu'il aimait bien rester avec les plus grands
09:43parce qu'il s'entend en sécurité,
09:44parce que ça n'allait pas bien en cours, il disait,
09:45ou quoi que ce soit.
09:46Du coup, moi, je ne veux pas dire non.
09:48S'il veut sortir en sécurité, qu'il vienne, il n'y a pas de souci.
09:51Là encore, Justin P. reste un peu en marge.
09:55Taciturne et souvent renfermé.
09:58Oui, il est très calme.
09:59Ça veut dire qu'il reste tout seul dans son coin,
10:00il ne parle pas, il a toujours la tête baissée.
10:04Quand je lui ai posé la question, comment il s'appelait au début,
10:06il ne me disait pas « et toi ».
10:07Je lui ai dit « à quel âge ? »
10:08Il me disait son âge, mais pas « et toi ».
10:09Genre, il n'y a eu que pour lui.
10:10Et sur son téléphone, il regardait son téléphone,
10:12il ne regardait même pas dans les yeux.
10:13Pour moi, c'est un faux calme.
10:14Pour autant, jusque-là, Justin P. n'a jamais été mêlé à des événements violents.
10:21Ce qui inquiète plutôt ses amis et camarades de classe,
10:25ce sont ses idées et les propos extrémistes qu'il tient régulièrement.
10:28Il parlait souvent d'Hitler ou il faisait souvent des liens avec les nazis
10:36ou même sa photo de profil sur les réseaux.
10:39C'était un logo SS.
10:42Donc bon, déjà, on voyait ça, on trouvait sa louche.
10:46Il a déjà ramené Mein Kampf au lycée.
10:51Un jour, il avait aussi ramené un brassard nazi
10:54avec une croix gammée dessinée dessus
10:55qu'il s'était amusé à faire en papier.
10:57Donc il l'avait mis dans son sac et il nous l'a montré.
11:00Il l'avait sorti un petit peu fier.
11:03Un comportement signalé à la direction
11:06qui avait convoqué l'élève avec sa mère la veille des vacances de Pâques.
11:10Sa mère, qui l'avait elle-même emmenée à six reprises
11:13consulter à la maison des adolescents de Nantes.
11:17Mais son discours restait inchangé.
11:20On parlait de nazis, d'extrémistes, de djihadisme,
11:23même du journal d'Anne Franck, je ne sais pas,
11:26plein de trucs du monde.
11:28Mais moi, ce qui m'a fait le plus peur, c'est qu'il m'a parlé du 11 septembre.
11:30C'est juste là où j'ai eu le plus peur.
11:31Où il nous disait, ouais, ça a l'air incroyable de détourner un avion
11:34et de conduire un avion sans savoir le conduire et tout.
11:37Je prends mes distances avec lui sans rien lui dire.
11:41Juste voilà, s'il veut me parler, il vient de me parler.
11:43Mais moi, je n'irai pas moi-même vers lui et lui parler.
11:45Jusqu'à dimanche dernier, sur leur groupe Snapchat,
11:50Justin Pé prend la parole, comme pour dire adieu à ses amis.
11:55Il nous appelait, nous, dans un groupe sur Snapchat.
11:58Il disait que c'était la dernière fois qu'on allait le revoir,
12:00qu'on allait, qu'il nous c'était une longue vie et tout ça.
12:04Après, il a raccroché direct et moi, je lui ai direct l'envie de le rappeler
12:09en privé entre moi et lui.
12:10Il pouvait demander si ça allait ou voilà, quoi.
12:14Il ne voulait pas me parler, il me disait, longue vie à toi,
12:16c'est que du bonheur, prends soin de ta famille, bloqué, raccroché.
12:21C'est la dernière fois qu'Alessio a entendu parler de Justin Pé.
12:25Était-ce le signe annonciateur d'un passage à l'acte imminent ?
12:29Jeudi matin, en tout cas, il ne laisse rien paraître.
12:33Et pour la première fois de la semaine, l'adolescent se présente en cours.
12:37Le matin, les premiers cours, il était présent.
12:41Puis après, on a eu une heure de trop où on était libre.
12:45Là, à ce moment-là, il a disparu alors qu'on est censé rester à l'établissement.
12:49On est obligés normalement et on ne l'a pas vu revenir pour l'heure de cours d'après.
12:55À la place, le lycéen envoie un mail à l'ensemble des élèves de l'établissement.
12:59Un document de 13 pages intitulé « L'action immunitaire ».
13:03L'email ne contient rien si ce n'est un document attaché, une pièce jointe, qui est une espèce de manifeste.
13:11L'auteur parle d'écocide, d'aliénation mentale, de société capitaliste.
13:17Et surtout, il expose qu'il faut résister, il faut crier, il faut résister.
13:20Et voilà ce qu'il dit.
13:22La mondialisation a transformé notre système en une machine à décomposer l'humain.
13:26Pourquoi continuer à vivre soumis à un système qui détruit notre essence même ?
13:31Pour autant, c'est un document de 13 pages qui ne comporte pas une faute d'orthographe,
13:35avec des phrases extrêmement compliquées dans leur tournure,
13:38qui fait par exemple l'exégèse d'un tableau de Bruegel l'Ancien.
13:40C'est quelque chose de très érudit.
13:42En prenant toutefois une précaution, il explique que ce manifeste ne justifie en aucun cas les actes,
13:48sans préciser de quels actes il s'agit.
13:51Pour les élèves destinataires du message, un nombre retient particulièrement leur attention,
13:57car il fait écho à un événement survenu quelques mois plus tôt au lycée.
14:02Comme titre, le mail avait pour le chiffre 21.
14:07Et donc il y avait eu un événement dans l'établissement il y a quelques mois.
14:12Et en fait, c'est dans les toilettes, il y avait des étoiles de David avec écrit 21 au centre,
14:17écrit un peu partout, au flotre.
14:20On n'avait pas fait le lien directement, mais c'est là en recevant le mail qu'on a directement fait le lien.
14:27Comment expliquer ce passage à l'acte qui semble avoir été minutieusement préparé ?
14:32Lui-même n'a donné aucune explication aux policiers.
14:37Justin P. connaissait-il alors personnellement ces victimes ?
14:41Selon nos informations, des élèves ont raconté aux enquêteurs que par le passé,
14:46lors d'un voyage scolaire, Justin P. avait fait des avances à cette jeune fille qui les avait refusées.
14:52Une hypothèse à relativiser.
14:55Selon le procureur, c'était la seule personne avec qui il entretenait de bonnes relations dans le lycée.
15:02Seule certitude, l'assaillant présente un profil suicidaire.
15:06En témoigne les inscriptions qu'il a laissées avant son passage à l'acte.
15:10Au cours de son premier passage dans les toilettes, il avait écrit aux feutres, sur les murs, un certain nombre de phrases.
15:18L'une d'entre elles étant qu'il souhaitait qu'on lui tranche la gorge.
15:21Il s'est également scarifié quelques minutes avant le drame.
15:28Une fragilité extrême, confirmée par les médecins qui l'ont examiné après son interpellation.
15:35Et quelques heures plus tard, ce médecin va estimer que son état n'est pas compatible avec une garde à vue.
15:41Son état psychiatrique, il va donc être interné d'office.
15:44Si au moment des faits, les experts estiment qu'il était en pleine possession de ses moyens et que son discernement n'était pas aboli,
15:52Justin Pé sera jugé.
15:54Il risque jusqu'à 20 ans de prison.