C'est une défense poétique et politique des animaux, des droits des animaux, avoir une apparence inutile, gratuite, qui ne serait pas qu'une question de survie ou de sélection naturelle. Un appel à décentrer notre regard. Bertrand Prévost publie un essai absolument passionnant "L'Élégance animale".
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00:00Dans le grand entretien, ce matin j'ai le bonheur de recevoir un professeur de l'art et d'esthétique.
00:05Il enseigne à l'université Bordeaux-Montaigne et il publie un essai absolument passionnant,
00:11« L'élégance animale ». C'est aux éditions de minuit et dans la collection « Paradoxes et paradoxes il y a »
00:18et on va l'explorer justement avec lui.
00:20C'est une défense poétique et politique des animaux, des droits des animaux,
00:25à avoir une apparence inutile, gratuite, qui ne serait pas qu'une question de survie ou de sélection naturelle.
00:32Bref, un appel à décentrer notre regard.
00:36Vos appels au 01 45 24 7000, faites-nous part de votre regard sur les animaux,
00:42leur beauté, leur éventuelle élégance, leur laideur, pourquoi pas ?
00:46En tout cas, vous pouvez aussi nous écrire sur l'application Radio France.
00:51Bonjour Bertrand Prévost et bienvenue.
00:53Bonjour, merci.
00:54La collection « Paradoxes », rapprochez-vous un petit peu du micro.
00:57« L'élégance animale », ce sont deux mots qu'on n'a pas l'habitude de voir associés.
01:02Quand on parle d'élégance, on pense au système de la mode,
01:06on pense à un choix de style par exemple, à ces beaux vêtements que vous portez ce matin,
01:12chemise, col bleu, pull, col V avec une veste.
01:16On pense aussi à un choix de conduite.
01:19Et pourtant, les animaux aussi peuvent être élégants.
01:21Tout à fait, tout à fait. Ce que vous prenez, ce que vous présentez justement comme un paradoxe dans le parallèle que vous faites avec le vêtement humain,
01:29permet au contraire, non pas de nous éloigner des animaux, mais de nous rapprocher au plus près de ce qui ferait, non pas tant, je voudrais dire, leur beauté.
01:36Parce que sur la beauté animale, les scientifiques et les esthéticiens ont déjà beaucoup parlé.
01:42On a tout écrit !
01:44Les questions d'ordre, de symétrie, de régularité dans les motifs.
01:47Mais dans le fond, ce n'est pas tant ça qui m'intéresse que d'essayer de faire quelque chose, de faire droit à cette extraordinaire expressivité des formes animales.
01:55C'est-à-dire cet ensemble de motifs, de couleurs, de richesses, d'aucelles, de rayures et qui viennent justement résonner jusque dans nos...
02:03Qui viennent nous toucher, qui viennent résonner dans nos propres modes vestimentaires, dans nos façons d'être cosmétiques.
02:08On va en parler parce qu'il y a un malentendu sur ce qu'est l'élégance et vous citez Balzac.
02:13L'élégance renvoie toujours non à des formes, mais à des manières d'être.
02:17Non à un canon de beauté, mais à une sorte de grâce, moins un art qu'un sentiment.
02:24Tout est dit là ?
02:25Oui, en tout cas des choses importantes qui dessinent déjà des grandes directions, des grands choix de pensée.
02:30Parce que comme on le disait, la beauté renvoie assez classiquement à des questions de canon, de proportions, de symétrie.
02:38Oui, qui évoluent au fil du temps.
02:40Qui évoluent, mais ce sont les critères qui évoluent.
02:42Mais dans le fond, cette histoire de mesures, de proportions, voilà, sont en tant que telles toujours les mêmes.
02:47Alors que parler d'élégance, c'est introduire un régime de grâce, de charme.
02:52Pourquoi pas de séduction, sans même parler jusqu'au paranuptial des animaux.
02:56Oui, on va en parler.
02:57Mais de charme, de séduction, dans quelque chose de beaucoup plus subtil, de beaucoup plus impalpable,
03:02que Balzac, non par hasard, dans ses traités, non pas sur les animaux, mais dans ses traités cosmétiques,
03:07ses traités sur la toilette, sur la démarche.
03:09La démarche, c'est un style, c'est une manière d'être, de marcher.
03:12Il a écrit des milliers de pages là-dessus.
03:14Tout à fait, tout à fait.
03:15Et d'ailleurs, comme une bonne part des grands naturalistes du 19ème siècle,
03:19ces questions vestimentaires, ces questions cosmétiques,
03:22je ne dis pas qu'elles sont au cœur du questionnement sur les animaux,
03:26mais elles rendent possible des descriptions tout à fait précises et passionnantes.
03:32Vous écrivez sur l'élégance animale, mais c'est évidemment aussi une manière de décrire ce qu'est l'élégance des hommes.
03:39Dans nos esprits, elle est évidemment liée aux vêtements.
03:42C'est au nom de la parure, au moins en Occident, que l'homme a voulu se distinguer des animaux, du règne animal.
03:49Est-ce que c'est le vêtement, le fait de pouvoir se vêtir, de se dévêtir,
03:55qui ferait de l'élégance quelque chose comme le propre de l'homme ?
03:59On dit le rire est le propre de l'homme, la raison est le propre de l'homme, la politique est le propre de l'homme.
04:05Au fond, c'est le vêtement. Vous répondez non ?
04:08Non, en effet, je réponds non parce que si on faisait la liste des propres de l'homme,
04:12on n'aurait pas le temps d'aller chercher les œufs tout à l'heure parce qu'on y serait encore.
04:15Jusqu'à la nuit.
04:16Non, d'abord parce que toute l'éthologie contemporaine a bien montré que les animaux, du moins certains animaux...
04:22Donc la science des comportements des animaux.
04:23Voilà, étaient capables de se produire des vêtements, de se protéger et donc de produire des quasi-vêtements.
04:31Mais le sens qu'il y a à parler de vêtements ou de parure animale, il me semble n'est intéressant
04:37que s'il nous permet de déplacer ce que l'on entend par vêtements humains.
04:42Donc quelque chose qui vient nous déporter, nous autres humains, dans nos propres manières d'être vestimentaires et cosmétiques.
04:48Je pense à l'étonnement de nos auditeurs qui viennent de vous entendre parce que ce que vous dites,
04:53vous le dites avec passion et vous le dites avec conviction et vous le démontrez dans votre essai.
04:58Mais au fond, est-ce que les animaux sont nus puisqu'ils n'ont pas de vêtements ?
05:03Ah, ça c'est une très grande et très difficile question que celle de la nudité animale.
05:11C'est-à-dire que pour une part, si on considère que les animaux sont des animaux par opposition aux hommes
05:18qui seraient caractérisés par leur mode vestimentaire, les animaux sont nus.
05:22Mais si on attache à la nudité un état sans ornements, sans paraître,
05:27évidemment c'est une contradiction totale face au spectacle extraordinaire que nous offrent les animaux,
05:32que d'apparaître d'une façon singularisée, que de se constituer, que de s'imposer dans une manière d'être visuelle,
05:40tout à fait singulière et précise, distincte, que de se distinguer dans l'apparence.
05:45Donc de ce point de vue-là, non, les animaux ne sont jamais nus.
05:48Les animaux ne sont pas à poils. Mais en revanche, les animaux fournissent à l'homme les parures les plus simples,
05:54comme les plus somptueuses. C'est une évidence. Si je vous cite, vous faites la liste,
05:59les plumes, les poils, les griffes, les écailles, les coquilles sont attestés comme des matériaux cosmétiques
06:04pratiquement depuis la préhistoire et c'est une forme de paradoxe. Il y a, quand on s'intéresse aux parures des animaux,
06:11quand on les regarde, au fond, ce sont toujours des producteurs. Ils font quelque chose.
06:17C'est comme s'ils se mettaient en scène. C'est ce que vous expliquez et vous faites la liste.
06:23Il y a des, on va s'arrêter sur chacun des cas, il y a, Bertrand Prévost, des chimpanzés
06:29qui se fabriquent des protections pour cueillir des fruits dans les épineux.
06:33Tout à fait. Un cas parmi d'autres, il y a...
06:38Il y a des crabes qui se couvrent de feuilles découpées pour mieux se camoufler.
06:43Oui.
06:44Il y a la coquille du Bernard l'Hermite, évidemment, puisqu'en plus il peut en changer régulièrement
06:49au cours de sa vie et il la fait passer du statut de maison au statut de vêtements.
06:56Et puis il y a des insectes qui se confectionnent une sorte de fourreau protecteur
07:01avec les matériaux qu'elle trouve au fond des lacs et des rivières, bref.
07:04Mais on a tort quand on s'intéresse à ces parures en les voyant comme si les animaux se comportaient comme des hommes au fond.
07:11Tout à fait. Ce que j'essaie de remettre en question, c'est cette vision de, on va dire grosso modo,
07:15qui est d'ailleurs bien attestée dans la littérature zoologique depuis fort longtemps,
07:18de l'animal artiste, c'est-à-dire de l'animal producteur, qui fabrique de l'animal poétique,
07:23c'est-à-dire qui produit, qui construit quelque chose.
07:26Bien sûr, ça nous met sur la voie d'un rapprochement entre cosmétique humaine et cosmétique animale,
07:31mais, et ça c'est peut-être le cadeau inouï que nous font les animaux,
07:34les animaux n'ont pas besoin de produire quelque chose comme un vêtement, de le construire, de le fabriquer,
07:39pour apparaître sous une modalité, sous une manière d'être particulière.
07:44C'est-à-dire pour faire vêtements, pour être élégants.
07:47Ils le sont dans leur apparence même.
07:50Si tant est que, on va peut-être en reparler plus précisément,
07:53si tant est que justement cette apparence ne se confond pas avec leur substrat organique,
07:59ne se confond pas avec leur corps.
08:01Et ce point, il est essentiel parce que c'est peut-être là-dessus qu'on peut retrouver des façons contemporaines,
08:07de la mode au sens même de la haute couture,
08:10quand on dit d'un vêtement de haute couture qui n'est pas métable, qui n'est pas portable,
08:14c'est bien une façon de désigner une forme vestimentaire
08:18qui ne coïncite pas avec la forme organique de l'être humain, avec notre anatomie, avec la forme de notre corps.
08:23Eh bien, est-ce qu'il ne faudrait pas penser des apparences animales également de cette façon,
08:26comme quelque chose de détaché, qui ne se confond pas avec le substrat corporel,
08:32quelque chose de non corporel, qui ne coïncite pas avec les formes corporelles,
08:38ni même avec les fonctions ou les besoins utilitaires de l'animal ou de l'espèce ?
08:43Parce qu'il y a l'élégance qui est liée aux vêtements, il y a aussi l'élégance d'un comportement,
08:48une manière de se tenir.
08:50Il y a Jean-Louis sur l'application de Radio France qui vous interpelle, il vous dit
08:56je suis écrivain, je fais un livre parlant de l'élégance de mon chat.
09:01Lorsque mon chat effectue sa toilette, on dirait une chorégraphie.
09:04C'est quelque chose qu'on a évidemment tous en tête quand on pense, j'en sais rien moi, à une panthère
09:09ou à un félin en général d'ailleurs.
09:11Qu'est-ce que vous répondez à cette manière-là de décrire l'élégance animale ?
09:16Alors tout à fait, on peut parler des animaux en général, des chats en particulier,
09:22l'élégance féline en particulier, mais de façon générale, la voie d'accès la plus évidente
09:30ou la plus facile pour cette élégance, c'est de la penser dans les termes justement de mouvement,
09:35de comportement, parce que le dynamisme est comme déjà là dans le comportement animal.
09:40Et donc en effet, chorégraphie pour dire un mouvement qui ne serait pas utile,
09:43pour dire un mouvement qui ne serait pas rivé à un besoin physiologique.
09:48Donc là on a le mouvement.
09:49Mais je trouve que c'est encore plus difficile si on essaye d'appliquer cette attitude dynamique,
09:54non pas vis-à-vis d'un mouvement, d'un comportement, mais vis-à-vis des formes même.
09:57Parce que spontanément, en héritier d'une longue tradition philosophique,
10:02on a du mal à penser la forme, à penser l'apparence, à penser la couleur, à penser la qualité,
10:06comme quelque chose de dynamique, comme quelque chose d'apparaissant.
10:10Et sur la question plus précise des chats, en effet, l'élégance des chats, ce je ne sais quoi de l'élégance du chat,
10:16il se vérifie notamment dans une question, je dirais presque picturale, tout simplement de représentation.
10:24Pourquoi les chiens ont-ils fait l'objet de multiples représentations mimétiques dans la peinture plutôt bien faites ?
10:30Et pourquoi trouve-t-on si difficilement de chats bien représentés, je mets des guillemets, mimétiquement juste en peinture ?
10:37Justement parce que saisir cette élégance féline, c'est quelque chose de très difficile pour un travail d'imitation.
10:44Et ça, c'est l'historien d'art qui parle, Bertrand Prévost, avant d'aller au standard inter où il y a de nombreuses questions sur les animaux.
10:53Vous citiez dans votre livre la formidable philosophe Vinciane Després qui a beaucoup réfléchi sur les animaux,
11:01qui elle n'a pas de chat mais qui a un chien, un gros chien, un gros labrador blanc qui s'appelle Alma.
11:07Et c'est pour l'anecdote, Vinciane Després, elle dit qu'il y a une double croyance au fond, c'est comme si on était dans le monde de Darwin.
11:14Une croyance qui consiste à penser que les choses doivent être liées par une signification particulière.
11:20Exemple, de grandes plumes doivent signifier quelque chose impensable dans le monde de Darwin
11:27qu'un oiseau qui a de grandes plumes a ces plumes-là de manière parfaitement gratuite.
11:33Mais aussi, ça c'est une autre croyance, la nature doit être économe.
11:38Elle ne fait rien au hasard, elle est sage, elle n'est pas excentrique, elle n'est pas dépensière.
11:44L'extravagance, elle doit forcément avoir un sens.
11:48C'est ça finalement le petit Darwin qui est dans toutes nos têtes ?
11:52Tout à fait, il y a un geste critique dans cette attitude que j'essaie d'avoir et qui…
11:59Alors à la suite, je ne suis pas le premier puisque je m'inspire des travaux d'un grand zoologue suisse du XXe siècle
12:03qui est peut-être le premier à poser des jalons de cette critique de ce que vous avec Vinciane Després vous commencez
12:09d'énoncer comme une critique d'un darwinisme un peu spontané qui voudrait que les apparences répondent,
12:14que les formes répondent toujours à des besoins ou à une signification…
12:19Paraitre est une fonction vitale, pour le dire rapidement.
12:22Et vous citez effectivement ce scientifique Adolf Portman qui a écrit dans les années 30.
12:29Et c'est contre la position utilitariste, pour le dire rapidement, d'un darwinisme qu'on aurait rapidement lu
12:37ou qu'on n'aurait même pas lu en l'occurrence.
12:40Il faut avoir une idée misérable et grotesque de la vie dès qu'on l'évalue en termes de lutte pour la survie.
12:47C'est assez Nietzsche ça, bien sûr. Parce que, comment dire, on peut expliquer la forme des cornes,
12:54l'existence même des poils, des plumes en termes de protection contre les intempéries.
13:01Donc tout un ensemble de fonctions.
13:03Mais Portman…
13:04Mais ça ne suffit pas.
13:05Mais non, ça ne suffit pas parce que d'abord empiriquement on explique très très peu de phénomènes de cette façon.
13:09Par exemple, le dit les grands perroquets ara, les grands ara de l'Amérique tropicale n'ont pas d'imorphisme sexuel.
13:16Ces couleurs extraordinaires, elles ne peuvent évidemment pas s'expliquer par le camouflage.
13:20Mais dans le fond, peu importe…
13:21Vous leur consacrez plusieurs pages d'ailleurs.
13:23Oui, j'ai un rapport privilégié avec ces lettres.
13:26Et ils ont une couleur rouge certain, un rouge franc-saintérien.
13:30Non ?
13:32Non.
13:33Plus éclatant ?
13:34Plus éclatant, plus vermillon pour la rame à KO.
13:36Plus vieux rose pour le chloroptère.
13:39Mais le geste de Portman n'est justement pas, en voulant détacher ces apparences animales de toute utilité, de toute fonction pour l'espèce,
13:49n'est pas du tout d'en faire une espèce d'absoluté, d'absolu, de gratuité.
13:54Mais au contraire, de les réinvestir, de les réinjecter dans la vie même pour dire que paraître est une fonction vitale.
14:02Et que paraître, si c'est une fonction…
14:04Paraitre, c'est une fonction vitale ?
14:05Explication de texte.
14:06Voilà, pardon ?
14:07Explication de texte.
14:08Explication de texte, ça veut dire que paraître est une fonction vitale, au sens où ce qui est vital ne se confond pas avec ce qui est organique.
14:14Avec un plan, ça Portman insiste beaucoup là-dessus, ce qui est vital ne doit pas se penser à l'aune de sa compatibilité avec la physiologie,
14:22la reproduction, la nutrition, le déplacement, la locomotion, mais doit se penser, du point de vue des comportements animaux,
14:31comme un champ autonome qui a sa propre valeur en soi.
14:35Alors Bertrand Prévost, on va aller au standard inter où il y a de très nombreuses questions,
14:39et notamment celle d'Agnès qui nous appelle du Rhône.
14:42Bonjour Agnès.
14:43Oui, bonjour, merci pour votre émission.
14:45J'aurais aimé que sur le thème de l'élégance, votre intervenant, puisqu'on a parlé beaucoup d'apparence physique…
14:51Bertrand Prévost.
14:53On a parlé beaucoup d'apparence physique et je trouve que l'élégance fait aussi référence,
14:58quand on connaît bien les animaux, à leur esprit, leur tempérament, leur unicité,
15:03dans le champ d'une même espèce ou d'un même groupe.
15:06On parle souvent, nous humains, de l'animal en termes de compléments d'objets directs.
15:10J'ai vu un animal, j'ai aidé un animal, j'ai protégé.
15:13En fait, l'élégance, pour moi, elle fait aussi beaucoup référence à leur comportement, leur esprit, leur individualité.
15:20Comme s'ils avaient un esprit actif.
15:22Merci Agnès pour cette question.
15:24Qu'est-ce que vous lui répondez, Bertrand Prévost ?
15:27Je suis un petit peu en décalage par rapport à ses affirmations,
15:30parce qu'il me semble qu'elles nous font retomber, si je peux le dire comme ça,
15:35du côté de l'animal, justement de l'animal sujet, on peut dire de l'animal qui se comporte comme un sujet.
15:41Et là, le tournant contemporain de l'animalisme contemporain, qui se déploie en philosophie, en éthologie, est tout à fait justifié et légitime à le dire.
15:51Donc oui, de ce point de vue-là, il peut y avoir une élégance.
15:54Mais dans les comportements, il me semble que ce qui donne son élégance à un style d'être, un style d'existence animalier,
16:02est justement moins lié à une intention.
16:05Et les animaux supérieurs, c'est désormais complètement attesté,
16:08mais même d'autres formes d'existence animale peuvent avoir quelque chose comme un début de psychologie ou d'intention.
16:14Eh bien, ce n'est justement pas du côté de l'intention ou de la subjectivité animale
16:19que l'on pourra saisir quelque chose comme une élégance,
16:21parce que l'élégance tient d'un détachement de quelque chose que l'on ne contrôle pas,
16:24de quelque chose qui se détache, de quelque chose qui s'arrache à des intentions, à des volontés.
16:29Quelque chose qui est toujours plus que soi, qui de ce point de vue-là dépend d'une sorte de puissance dans les manières d'être.
16:34On va retourner au standard, mais il y a un exemple, j'imagine,
16:37que beaucoup de nos auditeurs ont en tête, en tout cas c'est le cas de Max,
16:41et c'est celui du paon.
16:43« J'ai un paon dans mon jardin, je le trouve majestueux, il trône devant moi, il profite de son dimanche matin.
16:49J'aime le regarder », c'est ce qu'il écrit sur l'appli Radio France.
16:52Et ça, c'est un exemple qui donne tort à Darwin, le paon.
16:55Les apparences du paon, elles veulent se maintenir en vie coûte que coûte.
16:59Je vous cite, rien ne justifie l'existence du paon si on suit Darwin.
17:04Ses plumes sont ce que certains biologistes appelleraient même « handicapantes ».
17:09Et pourtant il est là, et pourtant son apparence est vitale.
17:13Tout à fait. Et là, on se trouve presque confrontés, acculés dans les paradoxes des sciences de la nature,
17:20puisqu'on range le plus souvent ces phénomènes sous l'appellation de phénomènes d'hyper-téli.
17:26Téli comme télos, le but final en grec.
17:30Donc d'hyper-développement d'organes de l'apparence, la traîne du paon tout particulièrement,
17:36qui, on peut l'imaginer, a été sélectionnée par les femelles pour être les plus grandes, les plus belles, les plus chatoyantes,
17:43et qui par là même produisent une forme organique qui va, au cours du développement de l'espèce,
17:52qui va augmenter, puisque ce seront les mâles, auront été sélectionnés, les mâles arborant les plus sompteuses, les plus grandes, les plus grandes traînes.
17:58Donc les dimensions et les formes de cet appendice vont augmenter, augmenter,
18:03au point de mettre en péril l'existence même, l'existence individuelle des individus qui la portent.
18:09Et on voit donc presque là une sorte de contradiction entre la forme, l'habit d'apparence porté par l'animal,
18:16et la forme, l'apparence de l'espèce qui se joue, qui semble vouloir se jouer contre l'animal qui le porte,
18:22comme si la vitalité des apparences était plus forte que la vie organique des animaux qui la portent.
18:27C'est le paon, donc parfait exemple. Bonjour Dominique.
18:31Bonjour France Inter, bonjour à votre invité.
18:34Et bienvenue dans le grand entretien.
18:36Merci. Alors, est-ce que l'homme a besoin de se sentir près d'un animal, quel qu'il soit ?
18:43Je n'aurais pas l'outre-pudence de dire que l'homme a besoin de se sentir près d'un singe.
18:49Mais pourquoi pas après tout, mais merci Dominique pour cette question.
18:54L'homme a-t-il besoin de se sentir près d'un animal ?
18:56Au fond, que fait à l'homme la présence ou la proximité avec l'animal, Bertrand Prévost ?
19:02Alors encore, on touche à des très grandes questions, tant philosophiques qu'anthropologiques, sur ce plan-là.
19:08Moi, je crois que notre rapport...
19:11Oui, mais ce sont des expériences communes également.
19:13Tout à fait, mais ce qui est philosophique et anthropologique nous touche dans nos expériences.
19:1730 millions d'amis au moins !
19:19Tout à fait, et cette proximité, moi j'essaie de la penser ou alors il me semble qu'elle devient pertinente quand on la pense sous des rapports à la fois de ressemblance et de dissemblance.
19:28Est-ce que, dans le fond, la notion d'animal ne recouvrirait pas, non pas comme on le pense, une réalité zoologique, scientifiquement tout à fait délimitée, mais quelque chose de plus intuitif qui toucherait à la ressemblance.
19:39Les animaux, dans le fond, décriraient des êtres vivants qui nous ressemblent, qui nous ressemblent dans nos manières d'être, puisque les animaux, eux aussi, mangent, se nourrissent, se déplacent, se reproduisent,
19:51mais aussi dans les formes mêmes, tête, bouche, jambes, pattes, et produisent ainsi cette proximité des hommes et des animaux qui est capable de produire des étrangetés, voire des gènes.
20:05C'est pas quand même par hasard si, dans le vocabulaire, si on parle des pattes des animaux, mais des jambes de l'homme, si on parle de l'accouplement chez les animaux, mais de faire l'amour chez les hommes.
20:16Et donc, il y a à la fois une proximité et une distance qui s'établit, une ressemblance et une dissemblance, qui me paraît être l'une des modalités de notre rapport aux animaux.
20:24Vous, vous êtes antispéciste, vous pensez qu'il y a une continuité entre les animaux et les hommes, ou est-ce qu'au contraire, vous pensez qu'il y a une séparation radicale ?
20:32Mais ni l'un ni l'autre, M.K.
20:33Ni l'un ni l'autre ?
20:34Ni l'un ni l'autre, la notion d'espèce est très très débattue dans les sciences du... il me semble, d'abord je ne suis pas zoologue, il me semble que la notion d'espèce est très débattue dans les sciences naturelles,
20:45mais alors qu'elle a quelque chose, si vous voulez, d'absolument pas évident, la notion d'espèce, et c'est ça qui la rend, à mon sens, magnifique,
20:52puisque une espèce zèbre, une espèce chimpanzé, personne ne l'a rencontrée, on ne rencontre que des individus particuliers qui incarnent ou qui actualisent une espèce,
21:01et qu'il faut aussi penser, quand on essaye de penser la question de l'espèce comme un ensemble de formes, comme une sorte de thème,
21:08comme une sorte de programme visuel autour duquel vont tourner, vont s'agglomérer des individus.
21:14Par exemple pour les zèbres, ça peut être la forme caractéristique avec les hébrures, l'alternance des bandes noires et blanches.
21:22Et il y a plein de modalités de ce motif qui constituent tous, qui tournent tous, qui constellent autour de ce qu'il faudrait bien appeler une espèce zèbre,
21:30mais qui ne peut jamais trouver son identité claire et définie, qui n'est jamais donnée pour elle-même.
21:34En tout cas, c'est absolument passionnant de vous lire, parce que c'est une invitation à une prise de conscience, celle de notre devenir animal.
21:42Vous reprenez une formule de Gilles Deleuze. Il y a la question de la queue de pie, par exemple, qui est passionnante.
21:49Il y a une question de Lionel sur l'appli d'Inter qui vous demande s'il y a des artistes qui ont véritablement réussi à représenter l'élégance animale.
21:58Vous viendrez pour nous en parler et nous dire aussi s'il y a des animaux qui sont inélégants ou disgracieux.
22:04Merci infiniment Bertrand Prévost d'avoir été l'invité d'Inter ce dimanche matin.
22:08L'élégance animale, c'est donc cet essai que je recommande chaleureusement, publié aux éditions Demi-Nuit dans la collection Paradoxe.
22:15Merci à vous.
22:16Bonne journée.