Dans Un papillon sur le bitume, Sophie Carquain livre un récit bouleversant, fruit de plusieurs semaines passées en immersion au sein de la Maison de Solenn, l’unité psychiatrique pour adolescents de l’hôpital Cochin, à Paris. En partageant le quotidien de jeunes en grande souffrance – anorexie sévère, phobie scolaire, scarifications, éco-anxiété – elle capte avec justesse la complexité de leur mal-être et la fragilité de ces âmes en construction. Son regard, à la fois tendre et lucide, met en lumière les failles d’une société qui ne sait plus toujours écouter ses jeunes. Entre confidences de patients, entretiens avec le personnel soignant et réflexions personnelles, Sophie Carquain dresse un portrait saisissant de cette jeunesse en détresse, mais aussi d’une structure hospitalière qui tente, malgré les moyens limités, de redonner de l’espoir. Ce livre, intime et engagé, interroge autant qu’il émeut.
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00:00Bonjour, je m'appelle Sophie Carquin, je suis romancière, autrice, journaliste.
00:06J'ai beaucoup écrit pour la jeunesse et je continue à écrire pour la jeunesse et pour les adolescents des histoires de femmes.
00:14J'ai notamment écrit un recueil de portraits de femmes qui s'intitule « J'aimerais te parler d'elles »
00:20et qui rassemble 50 portraits de femmes qui ont marqué l'histoire du XXe et XXIe siècle.
00:24Je porte mes livres beaucoup dans les salons, je fais des interventions scolaires en France, dans toute la France.
00:32J'ai un agenda très chargé pour l'année.
00:34Le livre que je viens de faire paraître le 24 janvier dernier s'intitule « Un papillon sur le bitume en immersion dans un hôpital psy pour adolescents ».
00:45Puisque le papillon, aujourd'hui, c'est un peu l'adolescent dont les rêves sont un peu brisés par tout ce qui est éco-anxiété,
00:52la panique par rapport à l'état de la planète et donc ils se retrouvent un petit peu asphyxiés.
00:59Dans la maison de Solène, il y a une partie assez importante des consultations qui ont trait aux transculturelles,
01:05c'est-à-dire aux adolescents qui sont coincés, on va dire, entre deux cultures, dont le métissage s'est mal passé, par exemple.
01:13Et ça aussi, ça m'a frappée parce que j'ai assisté à des consultations très belles d'adolescents afghans.
01:20Ils sont venus avec leur famille d'origine, qui venaient en quelque sorte d'ailleurs et qui se sont retrouvés en France,
01:27pour lesquels ça s'est plutôt mal passé.
01:29La transculturalité, c'est l'adolescent souffre d'une pathologie particulière, ça peut être l'anorexie, une grave anorexie,
01:35ça peut être des tentatives de suicide à répétition.
01:38Et c'est la psy qui va, au cours de la consultation, repérer ce phénomène de transculturalité.
01:45Quand je suis entrée en prépa, en Hippocagne, j'ai passé six mois sans manger ou en mangeant extrêmement peu.
01:51Ça va assez dans le profil de la fille qui veut bien faire, qui travaille beaucoup.
01:56J'ai ressenti une espèce d'ivresse à ne rien manger.
02:00Je ne me disais pas « je veux maigrir absolument ».
02:03Non, j'étais prise dans un faisceau d'exigences, je travaillais énormément et ça aide plutôt à travailler.
02:08Moi, j'ai toujours voulu écrire.
02:10J'ai d'ailleurs beaucoup hésité, est-ce que j'allais faire des lettres et de la philo ou des études de psy ?
02:16Et en fait, maintenant, tout se rejoint, c'est-à-dire que j'écris beaucoup de textes qui font référence à la psychologie,
02:23notamment à la psychologie des ados.
02:24C'est vrai que c'est passionnant, l'adolescence.
02:26C'est quand même un moment où, comme disait Françoise Dolto, on n'a plus de carapace.
02:31Françoise Dolto parlait du complexe du homard.
02:34En parlant des adolescents, l'enfant a une carapace, c'est un petit peu celle de ses parents.
02:38Enfin, il est encore dans le milieu familial.
02:40L'adulte s'est construit une carapace avec tout ce qu'il est, tout ce qu'il a vécu.
02:45Et l'adolescent est sans carapace.
02:47Donc, particulièrement perméable à la fois aux troubles, à la fois au dysfonctionnement de la société.
02:53J'ai toujours voulu écrire sur les femmes, sur les droits des femmes.
02:57J'ai toujours été foncièrement féministe.
03:00Donc, quel soulagement appartient de 2017 quand il y a eu hashtag MeToo ?
03:05Là, tout d'un coup, c'est comme une déflagration.
03:07C'est ce qui m'a motivée pour écrire J'aimerais te parler d'elle, déjà, qui est sorti en 2019, donc très peu de temps après MeToo.
03:15Et surtout, il y a eu conjointement l'essor de la poésie féministe et l'essor de MeToo et tout ce qu'on devait rendre visible.
03:25C'est-à-dire tout ce qui était invisible et qu'on devait rendre visible.
03:28Le harcèlement de rue, par exemple, les histoires de consentement.
03:31J'ai vu l'essor de tout ça avec une grande satisfaction.
03:35Et après mon livre J'aimerais te parler d'elle, j'ai écrit un premier poème très long qui s'appelle Dans la rue.
03:42Et ce poème, je le lis sur un rythme de slam, je le lis en musique.
03:48Et en fait, ça plaît énormément.
03:49Quand je vais lire ça dans les classes, ça éveille des choses.
03:53Je le vois dans les yeux des ados.
03:55Je leur demandais ce qu'ils avaient préféré aux adolescents.
03:58Et il y a un garçon qui a dit, celui-là, j'ai vraiment aimé.
04:00Je me suis dit si au moins ça pouvait parler à un seul garçon.
04:04La maison de Solène, c'est un hôpital psy pour adolescents et adolescentes.
04:08Où j'ai fait mon immersion pour écrire un papillon sur le bitume en immersion dans un hôpital psy pour adolescents.
04:14Le professeur Marcel Ruffaut, qui est un pédopsychiatre extrêmement médiatique.
04:19Un pédopsychiatre, c'est un psychiatre qui est spécialisé dans les troubles qui concernent les enfants et les adolescents.
04:25Le professeur Marcel Ruffaut a dirigé la maison de Solène de 2004 à 2008 avec une femme que j'ai rencontrée aussi,
04:35que j'ai trouvée formidable, le docteur Corinne Blanchet, qui est une endocrinologue nutritionniste très spécialisée dans l'anorexie.
04:44Parce qu'au départ, la maison de Solène était vraiment une annexe spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire.
04:51Après, ça s'est étendu à d'autres troubles, mais au départ, c'était vraiment spécialisé là-dedans.
04:57La maison de Solène a ceci d'assez extraordinaire d'être un lieu qui est beau,
05:03où il y a beaucoup d'art, beaucoup d'ateliers, comme des ateliers de peinture, d'art plastique,
05:10ateliers d'émissions de radio aussi, ateliers musicaux.
05:14Les ados ont à disposition énormément d'ateliers auxquels ils s'adonnent pour essayer d'aller mieux,
05:21parce qu'on essaie de soigner ces troubles de façon distanciée.
05:26On ne leur met pas le nez sur leurs troubles.
05:29On ne leur dit pas en permanence qu'ils sont anorexiques, qu'il faut qu'ils mangent plus, etc.
05:34Non, les patients de la maison de Solène ont entre 11 et 18 ans.
05:39On les prend jusqu'à cet âge-là, parce qu'après, ils vont en psychiatrie, et chez les adultes, en fait.
05:44Il faudrait mettre plus de moyens chez les jeunes.
05:46Je pense qu'on est en train de se rendre compte de ça, à cause de l'augmentation du nombre de suicides,
05:52à cause de l'augmentation des troubles psychiatriques chez les jeunes.
05:55Depuis le confinement encore, il y a 30% de troubles en plus.
06:00Ça révèle une société qui est trop exigeante, probablement, sur le plan scolaire, qui est dans la performance.
06:06Certains sont vraiment totalement focus sur leur anxiété de performance.
06:12C'est très propre aux anorexiques, ça.
06:14On m'a laissée assister aux consultations individuelles psy, entre les jeunes et la pédopsychiatre.
06:22Je n'aurais jamais imaginé qu'on me laisse voir ça, parce que c'est quand même...
06:25Bon, il y a le secret médical.
06:26Moi, je l'ai respecté parce que j'ai modifié leur prénom, leur physique, etc.
06:31Ce qu'il faut dire, c'est que les jeunes, aujourd'hui, je pense, ne sont pas assez considérés dans leur angoisse
06:38par rapport à l'éco-anxiété, notamment, qui est très palpable.
06:42Ça, je l'ai vu.
06:43Tous les jeudis matins, à la maison de Solène, il y a groupe de parole.
06:47C'est-à-dire qu'ils se retrouvent tous en groupe dans l'espace qui s'intitule le club.
06:52Donc, je les ai tous vus.
06:53Tous les jeudis, 9h du matin, ils sont tous en train de dormir, plus ou moins.
06:57Donc, ils sont... Certains, ceux qui sont sous sonde, les jeunes filles qui sont sous sonde,
07:02parce qu'elles sont très, très maigres, sont là, en train de tenir leur sonde et d'osciller et de vaciller un petit peu.
07:07Et là, ils débattent de sujets presque d'actualité, de sujets qui les motivent.
07:13Et le premier groupe de parole auquel j'ai assisté, ça a été sur l'écologie et l'éco-anxiété.
07:19Il y a une petite jeune, je dis petite parce qu'elle était extrêmement maigre, elle,
07:24qui dit « J'ai vu dans une vidéo brute qu'on n'avait plus que 90 secondes à vivre. »
07:29Alors là, il y en a une autre qui la met un peu en boîte et qui lui dit « C'est quoi l'échelle ? »
07:33Parce que 90 secondes, c'est forcément une échelle de temps.
07:35Et là, tout d'un coup, j'ai vu tous ces jeunes qui étaient complètement endormis,
07:39se mettre tous à se réveiller en disant « Mais oui, on en a marre.
07:43Arrêtons de fourguer nos déchets à la Thaïlande. »
07:46Arrêtons, donc, les médecins qui étaient là.
07:49Et vous, qu'est-ce que vous faites à l'hôpital ?
07:51Et les médecins répondant « On est en train de mettre des choses au point,
07:55comme le recyclage des gobelets en plastique. »
07:57« Oui, mais vous voyez, vous allez mettre ça au point,
08:00mais c'est maintenant qu'il faut faire les… »
08:01« Vous réagissez comme tous les adultes, nous, c'est maintenant… »
08:05Donc là, j'ai vu de façon palpable en quoi l'éco-anxiété
08:09pouvait être l'une des principales responsables de leurs troubles psychologiques, en fait.
08:14La professeure Marie-Rose Moreau, qui dirige la Maison de Solène depuis 2008,
08:20leur disait « Bon, ben, qu'est-ce que vous avez comme solution vous-même à apporter ? »
08:24Et là, ils disaient « Mais nous, on a des solutions, mais on ne peut rien faire.
08:27C'est vous, les adultes, qui tenez les rênes. »
08:29Et là, ils avaient quand même plein de solutions.
08:31Donc, ils achètent effectivement, ils sont contre la fast fashion,
08:34ils achètent dans des braderies et dans des friperies,
08:37sauf que ça coûte très cher maintenant.
08:39Il n'y a que 20 lits en hospitalisation.
08:42Donc, 20 lits, c'est quand même très peu.
08:43Ce n'est pas aux premières arrivées, c'est aux plus graves, en fait.
08:47Par exemple, il y a des jeunes filles qui arrivent aux urgences.
08:50Il y a quand même toujours un endroit où on reçoit sans consultation.
08:54Et c'est comme ça qu'est arrivée une jeune fille que j'appelle,
08:57parce que j'ai changé les prénoms, Pernille,
08:59qui avait un prénom assez original,
09:01et qui est arrivée à moins de 30 kilos.
09:03Les parents ne se sont rendus compte de rien
09:06avant qu'elles n'atteignent ce poids.
09:08Elles se dissimulent toutes derrière des gros pulls, etc.
09:11Donc, cette jeune fille, elle est arrivée là
09:13et immédiatement, elle a été hospitalisée
09:16parce qu'elle était en danger de mort.
09:18Ce que m'ont expliqué les psys concernant l'anorexie,
09:21c'est que les cas sont de plus en plus graves,
09:24toujours depuis la crise sanitaire,
09:25qui a marqué une sorte de fracture.
09:28Les plus grosses peurs des jeunes,
09:29et ça, je le montre bien dans mon livre,
09:31il y a la peur de l'échec.
09:32Et ça, c'est fou quand même.
09:33La demande, les injonctions de cette société à la réussite,
09:37on demande aux jeunes de s'orienter de plus en plus tôt.
09:41Ils sont complètement paumés.
09:42Qu'est-ce que vous voulez savoir de vous-même
09:44quand vous avez 12, 13, 14 ans ?
09:46La peur de l'échec, je les ai entendus parler de ça
09:49pendant les groupes de parole.
09:51L'effondrement climatique et la peur de l'échec,
09:54ça reste les deux plus grandes peurs.
09:56Le transculturel, c'est le professeur Serge Lebovici,
10:00qui est un psychiatre qui est décédé maintenant,
10:02mais qui l'avait installé à l'hôpital Avicenne,
10:05qui l'avait installé aussi pour les adolescents,
10:07mais ça a pris beaucoup d'ampleur
10:09grâce à la professeure Marie-Rose Moreau,
10:11qui dirige donc la maison de Solène,
10:13et qui, elle, a amené tout ce côté transculturel en 2008
10:17à la maison de Solène,
10:18et qui l'a, en quelque sorte, laissé s'épanouir.
10:21C'est des genres de thérapies familiales,
10:24mais pour des familles qui sont entre deux cultures.
10:27Il y a des thérapeutes qui viennent du monde entier.
10:31La première partie de la consultation consiste à écouter la famille parler.
10:36Si ça se passe à la maison de Solène où on soigne les adolescents,
10:38c'est que l'adolescent porte le symptôme, comme on dit.
10:41Là, l'adolescent afghan, il se mettait en danger,
10:45il prenait beaucoup de drogue,
10:46et il faisait une sorte de suicide aussi.
10:49Et donc, il fallait essayer de comprendre
10:52pourquoi il se mettait en danger.
10:54Comment s'était passé l'arrivée en France, par exemple ?
10:57Donc là, il y avait un traducteur qui était là,
11:00qui traduisait tout ce que la famille disait.
11:02Les parents expliquaient comment il s'était arrivé en France,
11:05combien d'années, etc.
11:07Et ce qui m'a impressionnée,
11:08c'est qu'une fois que l'histoire de la famille a été racontée,
11:12la thérapeute principale, c'est-à-dire Marie-Rose Moreau,
11:15elle s'est tournée vers l'armada des thérapeutes
11:18qui venaient de tous les pays du monde entier,
11:20en disant,
11:21« Amalini, qu'est-ce que ça t'inspire ? »
11:22Jonathan, qui vient du Togo, « Qu'est-ce que ça t'inspire ? »
11:26Et chacun éclairait, avec sa façon,
11:29avec sa culture venue d'ailleurs,
11:32la problématique de cette famille afghane et de l'ado.
11:35Qu'on le croit ou non, ça fonctionne vraiment bien.
11:38C'est-à-dire que l'ado,
11:39il entend ces éclairages venus de tous les pays du monde,
11:42et ça lui parle.
11:43La vérité, elle n'est pas uniquement franco-française ou afghane.
11:47Afghane, il y a une vérité plurielle qui vient expliquer
11:51pourquoi le malaise de cet adolescent.
11:54Ce qui m'a marquée, c'est aussi quand je suis allée prendre mes repas.
11:58Le premier repas que j'ai pris avec elle,
12:00c'était dans la salle à manger thérapeutique.
12:02Le jour où je suis allée déjeuner avec elle,
12:04le repas, c'était cabillaud, épinards,
12:08petits suisses, fromages et une pomme au four.
12:12J'ai bien vu l'ambiance très, très, très tendue
12:16parce que les anorexiques, elles sont là devant leur assiette.
12:19Elles regardent ailleurs, elles font les statues.
12:21Parfois, elles ne mangent absolument rien.
12:23Dans la salle à manger thérapeutique, vous avez trois tables rondes.
12:25Une table de couleur rouge, une table de couleur orange,
12:28une table de couleur verte.
12:29Il y a une petite fille qui tient des ballons
12:31et puis il y a un envol de papillons sur les murs.
12:33Tout est destiné à alléger l'atmosphère,
12:36mais l'atmosphère est quand même très, très lourde.
12:38D'ailleurs, j'ai entendu les ados se dire entre elles,
12:40c'est glauque, l'atmosphère est glauque.
12:42Parce qu'à un moment donné, effectivement,
12:43sur la table orange, je les entends parler.
12:47Et puis tout d'un coup, on arrive au dessert,
12:48c'était la fameuse pomme au four.
12:51Il y a une jeune fille qui était très anorexique,
12:53qui mange quand même deux, trois petites cuillerées
12:57de sa pomme au four.
12:58Et on a une autre qui dit,
12:59« Ah, mais tu viens de manger du caramel. »
13:01La jeune fille, très anorexique, sursaute en disant,
13:04« Quoi ? Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. »
13:06Et là, je me suis dit, « Mais quel est le problème ? »
13:08Et l'infirmière dit à la jeune fille,
13:10celle qui a dit, « Tu as mangé du caramel ? »
13:12Elle a dit, « Mais non, ce n'est pas du caramel. »
13:14C'est le jus de la pomme.
13:15« Ne t'inquiète pas, Jade, ce n'est pas du caramel. »
13:18C'est le jus de la pomme.
13:19Et là, je me suis rendue compte que le fait d'avoir pris
13:21une cuillerée de sucre caramélisé,
13:24ça l'avait plongée dans une déprime affreuse.
13:28Au cours de ce même déjeuner,
13:29cette même jeune fille se met sur le bout des fesses,
13:32sur le bout de sa chaise,
13:33sur le bout des fesses comme ça,
13:35sur le devant de sa chaise.
13:35Et j'entends l'infirmière lui dire,
13:37« Jade, s'il te plaît,
13:39tu t'installes correctement dans le fond de ta chaise. »
13:41Je me dis, si elles n'ont même pas le droit
13:42de s'installer comme elles veulent.
13:44Après, quand on est sorti du self,
13:46je demande à l'infirmière,
13:47j'ai dit, « Mais pourquoi est-ce que tu lui as demandé
13:48de s'installer dans le fond de sa chaise ? »
13:49Elle me dit, « Mais parce qu'au self,
13:51les plus anorexiques d'entre elles font du gainage. »
13:54C'est-à-dire que, tout en mangeant,
13:56pour essayer de ne pas prendre de calories
13:58et de continuer à perdre du poids,
14:00elles font du gainage sur le bout des fesses.
14:02Elles sont obsédées par la perte de calories en tout point.
14:06Il y a une chose qui m'a particulièrement marquée aussi,
14:09c'est une jeune fille qui s'appelle Baya.
14:12Et elle, elle était tout le contraire d'une anorexique,
14:14plutôt en léger surpoids,
14:15extrêmement extravertie,
14:18très décolletée,
14:19se mettant un peu en danger.
14:20Et cette jeune fille,
14:21je ne l'ai appris pas de sa propre bouche,
14:23mais la psy, après son passage,
14:26pendant une consultation, m'a dit,
14:27« Je suis à la limite de faire un signalement
14:29parce que Baya se met en danger.
14:32Elle est sur un site de prostitution occasionnel. »
14:36Et elle dit, « Je n'ai pas le droit de le dire à sa mère
14:38parce qu'elle était obligée de respecter le secret médical. »
14:41Mais ce qui m'a marquée aussi,
14:42c'est qu'après,
14:44j'ai assisté à la consultation avec la mère de Baya.
14:46La psy n'avait pas le droit de dire
14:48puisqu'elle était censée respecter le secret médical
14:51de cette jeune fille.
14:52Sauf que je sentais bien que quelque chose
14:54était en train de se dire, de se transmettre.
14:56Quand la mère, à un moment donné, a dit,
14:58« Je ne sais pas comment ma fille finance son cannabis
15:01parce qu'elle n'a pas d'argent de poche. »
15:03Et la psy a dit, « À votre avis,
15:05elle peut trouver de l'argent où ? »
15:07Et la mère a dit, « Tout y est passé. »
15:08J'ai réfléchi à tout.
15:09Je me suis demandé si elle volait.
15:12Je me suis demandé si elle dealait.
15:13Et la psy a dit, « Et oui, et encore ? »
15:16Elle dit, « Je me suis aussi posé la question
15:18de l'argent facile pour les filles. »
15:20« Oui, c'est-à-dire, vous pensez à quoi ? »
15:22« Je pense à la prostitution. »
15:24Et là, j'ai senti quelque chose se disait sans se dire
15:28parce qu'on n'a pas le droit.
15:29J'étais au cœur d'une espèce de transmission sans les mots.
15:32Et ça, c'était extrêmement émouvant aussi.