Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur de La France Insoumise, était l'invité de "Perrine jusqu'à minuit", sur BFMTV.
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00:00On accueille notre invité, bonsoir Manuel Bompard, merci d'avoir accepté notre invitation, vous êtes député des Bouches-du-Rhône, coordinateur de la France Insoumise, vous avez des actions en bourse ?
00:08Non, j'en ai pas.
00:10Il y a beaucoup d'entreprises et d'épargnants qui sont inquiets ce soir, après ce lundi noir sur les marchés financiers, est-ce que vous l'êtes aussi pour notre économie ?
00:17Evidemment, ces chiffres font peser un risque, quels termes on doit utiliser aujourd'hui, vous avez dit bourrasque, peut-être crack, la question c'est est-ce que ça peut se transformer en une vérité ?
00:29Est-ce que ça peut avoir des impacts sur l'économie réelle ?
00:36Je pense que tout le monde regarde cette situation avec prudence et avec inquiétude, une fois qu'on a dit ça, la question c'est qu'est-ce qu'on doit faire ?
00:44Mais y compris vous, sur l'inquiétude, vous êtes rallié au système de libre-échange ?
00:49J'ai entendu ce nouvel élément de langage, si je peux me permettre peut-être de préciser les choses, le monde n'est pas binaire, il n'y a pas d'un côté le libre-échange généralisé,
01:01qui est aujourd'hui le modèle à l'œuvre depuis à peu près 50 ans, depuis la fin des années 70, le début des années 80, la nouvelle forme du capitalisme, c'est celle du capitalisme globalisé, du libre-échange généralisé,
01:13et puis de l'autre côté il y a les décisions, à mon avis, brutales et totalement irréfléchies et contre-productives de Trump, c'est-à-dire des droits de douane brutaux sur l'ensemble des secteurs.
01:22Entre les deux, il y a un modèle, à mon avis plus intelligent, en tout cas c'est celui qu'on promeut depuis des années et des années, qui est celui de ce qu'on a appelé le protectionnisme solidaire,
01:31ça ne veut pas dire, contrairement à la manière avec laquelle cette position a longuement été caricaturée dans le débat public ces dernières années, de refuser tout échange avec les autres.
01:39D'accord, du coup je suis retournée voir votre programme cet après-midi, j'ai été voir, et c'est vrai que quand je relis les termes du programme, c'est relocaliser l'économie, la fin du libre-échange, donc je me dis, bon, on sent quand même à ce qu'est fait...
01:48Attendez, je termine si vous voulez bien mon propos, parce que je n'enlève strictement rien à ce que vous venez de dire ici.
01:54Oui, je pense qu'effectivement on a besoin de relocaliser aujourd'hui un certain nombre d'activités économiques, de garantir une souveraineté en matière industrielle, en matière sanitaire,
02:04la capacité à produire nos propres médicaments, nos propres industries indispensables à la vie de la nation...
02:10Mais c'est Trump !
02:11Attendez, attendez, attendez, je vais y venir, je précise d'abord notre position, après je répondrai à celle de Donald Trump si vous voulez.
02:16Donc évidemment que la relocalisation reste un objectif qui est un objectif décisif, et oui, je suis totalement opposé au modèle du libre-échange généralisé,
02:24et je crois au contraire qu'il faut avoir des échanges qui sont des échanges régulés, c'est-à-dire, pour résumer, ce qu'on est capable de produire chez nous, on le produit chez nous,
02:31et puis ce qu'on ne peut pas produire chez nous, on a des accords commerciaux, y compris avec d'autres zones du monde dans lesquelles il y a des produits dans lesquels il y a des droits de douane
02:39parce qu'on n'en a pas besoin et donc on protège notre propre production, et il y en a sur lesquels il y a des échanges qui sont libérés.
02:44C'est un discours qu'on entend beaucoup et qu'on a beaucoup entendu, notamment à l'occasion de la crise sanitaire, sur la nécessité de retrouver chacun une souveraineté économique
02:53et pas uniquement une souveraineté nationale de décision. Le problème, c'est qu'on s'aperçoit à la faveur de ce que fait Trump aujourd'hui, c'est qu'il y a une interdépendance des économies
03:04qui est telle que c'est impossible et que le pari de Trump de relocaliser est presque un pari voué à l'échec dans la mesure où une voiture, elle n'est jamais construite à 100% à un endroit donné
03:16et qu'il y a des pièces qui viennent d'un peu partout dans le monde et que du fait de cet assemblage nécessaire, c'est impossible de recouvrer une souveraineté totale.
03:28Alors, je vais vous surprendre. Comment vous faites ? Je suis assez d'accord avec ce que vous venez de dire, mais je vais le nuancer si vous le permettez.
03:35D'abord, je suis d'accord avec vous sur le fait que les chaînes de production aujourd'hui, elles sont imbriquées, elles sont au-delà des frontières.
03:44D'ailleurs, la conséquence très claire, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à mon avis, les détentions de Donald Trump, elles vont d'abord avoir un impact négatif pour l'économie américaine elle-même.
03:52D'ailleurs, vous avez vu que, par exemple, Stellantis dit que deux usines de fabrication vont être à l'arrêt au Canada et au Mexique parce qu'en vérité, il y a des échanges de part et d'autre de la frontière
04:02et que quand vous avez un piston pour fabriquer une voiture qui passe deux ou trois fois la frontière, si vous mettez 25 ou 30% de droits de douane à chaque fois, à la fin, la voiture, elle coûte très cher.
04:10Donc, je suis d'accord avec le fait que les chaînes, elles sont très imbriquées de cette manière.
04:14C'est pour ça, d'ailleurs, que je vous répondais, que je pense que la mesure brutale à la Trump, à mon avis, elle est contre-productive.
04:20Pour autant, vous pouvez avoir des mesures progressives d'introduction de droits de douane qui doivent s'accompagner de politiques de relocalisation, de reconstruction de tissus industriels.
04:31Alors oui, je pense que vous n'allez pas en deux ans ou en trois ans revenir en arrière sur 50 ans d'imbrication des chaînes de production.
04:39Je m'arrête juste sur ce que vous venez de dire sur les droits de douane.
04:42Vous dites qu'il y a une possibilité, effectivement, d'avoir des mesures progressives de droits de douane, donc de rentrer dans une logique aussi protectionniste pour protéger notre économie.
04:50Est-ce que pour vous, il faut rendre coup pour coup ?
04:53Est-ce qu'il faut faire comme la Chine, la Chine qui a monté ses droits de douane à 39%, me semble-t-il, en réciprocité à ce qu'a fait Donald Trump ?
05:02Je pense que si on réplique bêtement, c'est-à-dire sans avoir une action intelligente réfléchie...
05:08C'est bêtement ce que fait la Chine ?
05:10Je ne veux pas parler de la Chine, mais si nous, les premières annonces que j'ai entendues de la Commission européenne, franchement, je les trouvais assez hors de propos.
05:18Et vous devez cibler les secteurs qui sont intéressants.
05:22Par exemple, la balance commerciale américaine aujourd'hui, le plus gros élément exportateur, c'est les services numériques.
05:30Si vous voulez avoir un rôle, si vous voulez faire quelque chose d'intelligent, c'est-à-dire que vous voulez taper là où ça fait mal, dans le rapport de force avec Trump...
05:37C'est un levier d'action qui est sur la table, justement, qui a été évoqué par Emmanuel Macron.
05:41Il va se passer peut-être un peu plus tard, s'il y a des leviers d'action.
05:43Oui, mais justement, vous voyez bien qu'il y a un problème d'unité européenne sur le sujet.
05:46Par exemple, l'Irlande, qui accueille un certain nombre de multinationales du numérique aujourd'hui, vous dit que ce n'est pas ce qu'il faut faire.
05:51Non, elle n'a pas dit ça.
05:52C'est ce que j'ai lu comme déclaration, de la même manière que vous l'avez dit tout à l'heure, que l'Italie...
05:56Bref, ce que je veux vous dire, c'est que, par exemple, dire qu'on va avoir une vraie taxe GAFAM, mettre à contribution les multinationales du numérique,
06:03là, un, vous tapez là où ça fait mal, et en plus, par ailleurs, vous tapez des alliés très proches de l'administration américaine.
06:10Vous allez taper aussi les internautes français, vous allez taper aussi les entreprises françaises qui utilisent tous ces logiques.
06:15Ceux qui regardent Netflix.
06:16Ceux qui regardent Netflix.
06:17C'est la raison pour laquelle je vous disais tout à l'heure que vous ne pouvez pas avoir des politiques comme ça, qui ne s'accompagnent pas d'une planification et d'une politique de souveraineté.
06:26En matière numérique, par exemple, évidemment que le corollaire de ça, c'est comment vous faites monter en puissance des services numériques.
06:32Oui, mais ça, ça va mettre du temps.
06:34C'est la raison pour laquelle je vous ai parlé d'actions progressives tout à l'heure, et je vous ai dit qu'à mon avis, il fallait être intelligent dans la manière de riposter.
06:40Mais là, sur la riposte, on n'a pas le temps de riposter.
06:43Les services numériques, pardon, taxer les multinationales du numérique, on peut le faire tout de suite.
06:47Vous avez évoqué tout à l'heure, je ne sais plus l'un de vous deux a évoqué ça tout à l'heure.
06:50Oui, mais ce que vous dites, c'est que vous dites oui, effectivement, les Français devront payer, quoi qu'il arrive, le coût de cette riposte, que ce soit par des abonnements Netflix ou autre, que ce soit par les logiciels Microsoft.
06:58Pardon, mais les entreprises dont on est en train de parler, je pense qu'elles ont des résultats économiques aujourd'hui qui leur permettent très largement d'encaisser une hausse de la fiscalité.
07:10Elles vont le répercuter.
07:13Les GAFAM, pardonnez-moi, on ne parle pas des GAFAM, ce n'est pas des PME.
07:17C'est précisément pour éviter le risque, parce que je suis très sensible au fait qu'il ne s'agit pas de produire nous-mêmes de l'inflation en France ou en Europe.
07:24C'est précisément la raison pour laquelle je dis attention les produits sur quoi on met des droits de douane, parce que sinon, on va créer un propre effet récessif chez nous.
07:31Précisément.
07:33Deuxième élément, quelqu'un l'a évoqué tout à l'heure.
07:36Vous avez aujourd'hui des mesures qui existent, y compris dans l'arsenal des mesures disponibles à l'échelle européenne, qu'on peut tout à fait actionner tout de suite.
07:43Interdire par exemple d'accès au marché public les entreprises américaines, pardon, mais ça, ça n'a aucun intérêt.
07:48C'est une des propositions qui est sur la table d'Emmanuel Macron.
07:50Est-ce que s'il y a un risque de récession, c'est-à-dire un risque d'appauvrissement d'une grande partie de la population dans notre pays, est-ce que vous demandez au gouvernement de revoir sa fiscalité ?
08:05Est-ce que, pour m'exprimer autrement, est-ce que vous modérez votre discours sur ce front-là, ou au contraire, vous allez l'accentuer ?
08:15Précisément, je vais répondre à votre question, mais je pense que vous avez raison de dire qu'à mon avis, si on veut avoir une stratégie de réplique intelligente, elle ne peut pas se concentrer sur la question douanière et sur la question commerciale.
08:27Elle doit couvrir différents secteurs et notamment, évidemment, qu'il doit y avoir des mesures de protection de nos entreprises.
08:34Et je pense par exemple au blocage du prix de l'électricité.
08:37On sait que le problème de l'électricité aujourd'hui, c'est un problème de compétitivité pour le tissu entreprise industrielle, en particulier français, et des mesures de protection de la population.
08:47Parce que si ça se traduit par un choc inflationniste qui est en train de se passer, je crois qu'il faut revenir sur des mesures de blocage des prix, sur des mesures en faveur des salaires.
08:54Sinon, c'est la population qui va payer le prix de cette situation.
08:57Je pense que ce qu'on pourrait impacter, ce qu'on pourrait récupérer par exemple en mettant à contribution les multinationales du numérique, ça devrait ensuite être utilisé, reversé en quelque sorte comme politique de soutien à la population et aux entreprises.
09:12Si depuis 50 ans, on importe des produits qu'on pourrait produire chez nous, c'est parce que les coûts de production au lointain étaient beaucoup plus faibles que les coûts de production chez nous, notamment en Inde et en Chine à cause du prix de la main d'œuvre.
09:23Est-ce qu'il ne faut pas commencer à travailler sur une baisse du coût de la main d'œuvre ici en France ?
09:28Surtout pas en diminuant les salaires, il faut augmenter les salaires nets et là-dessus on sera d'accord, mais en travaillant sur les charges encore et donc sur la baisse de la dépense publique pour pouvoir alléger les charges.
09:37Mais franchement, Christophe Barbier, vous savez très bien que si vous prenez le problème par ce bout-là, la compétitivité, on va dire, du coût du travail, vous atteindrez jamais le coût du travail chinois.
09:50Non, mais il y avait des taxes et le coût du transport, on peut s'y retrouver peut-être.
09:54Oui, mais bon, je vous ai posé, j'ai par exemple mis sur la table la question du prix de l'électricité, je pense que c'est un facteur énorme aujourd'hui pour les entreprises.
10:01Donc là, vous avez une action qui favorise notre tissu industriel, mais qui ne peut pas se faire en impactant la population.
10:10Et puis deuxièmement, il y a quand même quelque chose qui maintenant tout le monde doit le prendre en compte, peut-être qu'on ne le prenait pas en compte il y a 40 ou 50 ans,
10:17c'est que peut-être que produire loin, ça coûte peut-être moins cher, mais ça a aussi un coût environnemental et que si à un moment vous voulez être à la hauteur aussi de cet enjeu,
10:26parce que je pense qu'on ne peut pas le mettre de côté, alors ce qu'on est capable de produire ici, il faut le produire ici et donc il faut lutter contre les formes de dumping.
10:33C'est ce que fait Donald Trump en l'occurrence.
10:35Oui, mais attendez, s'il vous plaît, j'essaye depuis le début, il me semble que ma position, elle n'est ni trumpiste ni libre-échangiste,
10:41donc j'essaye juste si c'est possible d'avoir une position.
10:44Il y a des éléments quand même qui se rapprochent en tout cas des déclarations d'honnêteté.
10:48Non, je vous ai dit l'inverse, je vous ai dit que je trouvais que sa politique, elle n'avait pas de sens.
10:51Vous avez développé le protectionnisme version insoumise qui est différent de celui de Donald Trump.
10:56Je n'ai pas attendu Donald Trump pour le développer, ça fait 15 ans qu'on le développe.
10:59Vous avez un adversaire commun qui est libre-échangiste et vous l'attaquez de manière différente.
11:04Moi, mon adversaire, Christophe Barbier, c'est le capitalisme et il peut avoir différentes formes.
11:08Une forme libre-échangiste, c'était le cas actuel, et une forme impérialiste, c'est le cas avec Donald Trump, et les deux sont mes adversaires.
11:14Est-ce que, à votre avis, le glas du capitalisme est sonné ?
11:17Non, je ne dis pas ça, je pense qu'on est dans un moment de crise du capitalisme,
11:20que cette période qui s'est ouverte à la fin des années 70 et 80, cette étape-là du capitalisme est en impasse, en échec,
11:28et que, comme souvent, ce modèle, il cherche d'autres manières de faire.
11:31Et on a un moment de bascule pour vous, c'est ce que nous disait Sandrine Rousseau.
11:34Oui, c'est un moment de bascule, c'est ce que je pourrais appeler le techno-féodalisme,
11:38c'est-à-dire l'idée que maintenant le capitalisme va s'organiser autour du poids des géants du numérique,
11:42avec d'ailleurs une dérive extrêmement autoritaire à la Millet, Trump...
11:46Et des crypto-monnaies !
11:47Est-ce que, Manuel Bompard, derrière ce bouleversement de l'ordre économique mondial, puisque vous parlez vous-même de point de bascule,
11:52est-ce qu'il y a là une opportunité pour vous ?
11:54Je vous pose la question, on peut s'interroger, quand on lit l'analyse de Jean-Luc Mélenchon sur le site L'Insoumission,
11:59qui dit que la révolution citoyenne peut surgir par cette porte inattendue, ouverte par l'absurdité de la politique des Etats-Unis.
12:10Donc, en clair, vous espérez que ce chaos économique vous profitera ?
12:15Non, je pense que... C'est pas le chaos économique, je pense qu'on est dans une...
12:20Vous-même, vous avez dit que vous étiez extrêmement inquiet de la situation.
12:22Oui, mais c'est bien la preuve que c'est le sujet, c'est pas est-ce que ça va me profiter ou pas.
12:26C'est ce que dit Jean-Luc Mélenchon.
12:28Je vais préciser là aussi, si vous voulez bien.
12:30Je pense qu'on a un certain nombre d'éléments qui étaient un peu des éléments de certitude dans le débat public,
12:36le libre-échange généralisé en faisait partie.
12:39La mondialisation heureuse.
12:40Voilà, qui, aujourd'hui, sont y compris dans le discours.
12:43Parce que, pardon, je ne veux mettre en cause personne ici autour de ce plateau,
12:46mais je ne vous ai pas entendu dire toujours la même chose.
12:48Donc, forcément, ça fait réfléchir plein de gens, et c'est normal, ça fait réfléchir plein de gens.
12:52Et dans cette circonstance, du fait que beaucoup de gens réfléchissent
12:55sur la manière avec laquelle on organise l'économie à l'échelle internationale,
12:58bah oui, il y a une opportunité pour faire grandir une organisation économique alternative à celle du capitalisme néolibéral.
13:06Mais à chaque fois que le capitalisme a été remplacé par autre chose depuis deux siècles, ça a été une catastrophe.
13:11Ça a été vrai de la Russie soviétique, ça a été vrai des expériences extrêmes comme la Chine.
13:17Mais attendez...
13:19Enfin, si vous voulez, si vous essayez de m'expliquer que le modèle chinois, aujourd'hui, n'est pas un modèle capitaliste...
13:23Non, c'est la financiarisation, c'est la finance.
13:25Vous allez avoir un peu de mal à le faire, M. Warnke.
13:27Mais si vous voulez, ce qui vous intéresse, c'est une nouvelle étape du capitalisme à la Musk, Trump, Émilie.
13:35Bon, on a compris votre position. Merci.
13:37J'essaie d'inventer autre chose.
13:40Ce qui est étonnant, c'est que ce n'est pas une crise.