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00:00Il est 20h13, on est en direct, on est sur Europe 1, c'est Europe 1 Week-end, soir, Henri Guaino, et mon invité, bonsoir Henri Guaino.
00:08Bonsoir.
00:09Merci d'être avec nous dans ce studio, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, je salue aussi l'arrivée de Philippe Guibert et de Charlotte Dornelas.
00:15Bonsoir messieurs-dames.
00:16Dans ce studio, on voulait vraiment vous entendre, je voulais vraiment vous entendre parce que vous avez publié effectivement, et vous y serez sensible Charlotte Dornelas,
00:23une tribune dans le Figaro, à propos de la subjectivité des juges, ça a quand même été le sujet de la semaine, on en a beaucoup parlé.
00:31Une tribune, vous dites les choses Henri Guaino, vous dites les choses, c'est-à-dire que les juges sont-ils vraiment libres ?
00:39Faut-il peut-être, peut-être changer le système avant que les Français ne fassent plus confiance à leur juge, à la justice ?
00:47Évidemment ça fait écho, je ne le rappelle pas, à la condamnation de Marine Le Pen.
00:51D'abord moi je ne souhaite pas qu'on en arrive là, je pense qu'une société civilisée doit avoir des tribunaux, des juges qui jugent en toute indépendance,
01:00mais qui se mettent des limites, précisément parce qu'ils sont indépendants, et que l'indépendance ce n'est pas la souveraineté, l'indépendance ce n'est pas un absolu,
01:08ce n'est pas quelque chose qui est sans limites, sinon le juge finit par faire la loi et par juger en fonction de sa seule opinion.
01:19Ce n'est pas moi qui ai inventé ce sujet.
01:21Est-ce que les juges sont plus puissants que les politiques aujourd'hui ?
01:25Ce sujet il est dans tous les débats juridiques depuis qu'il existe les juridictions, et notamment dans l'esprit des lois de Montesquieu, c'est dire.
01:37Mais est-ce que vous pensez que les juges sont plus puissants que les hommes politiques, les hommes et femmes politiques aujourd'hui ?
01:44Je pense que très simplement, les rapports entre la justice, la société et le politique, ils suivent un mouvement de balancier.
01:54Quand l'un s'affaiblit, l'autre prend le pouvoir et dévore celui qui s'affaiblit.
02:01Alors quand c'est les juges, on va vers le gouvernement des juges, mais ça ne finit pas par la tyrannie judiciaire, parce que les juges perdent toujours à la fin.
02:10Face au peuple en colère ou face à la politique qui prend tout le pouvoir, les juges perdent.
02:17Donc à la fin, si les juges contribuent eux-mêmes à entretenir cette tension, ils perdront et on n'aura pas la tyrannie judiciaire moralisatrice des juges,
02:28on aura la tyrannie tout court, même la dictature, l'histoire en est pleine.
02:33Un grand exemple de notre histoire sur lequel on ne réfléchit jamais assez, c'est la fin de l'Ancien Régime et la Révolution.
02:40La phrase n'est pas de moi, elle est de François Mitterrand, mais elle est très juste et elle doit peut-être empointer d'ailleurs à quelqu'un d'autre.
02:46Ils ont détruit la monarchie, ils détruiront la République. Qu'est-ce qui se passe à la fin de l'Ancien Régime ?
02:52Les parlementaires qui sont des juges, qui ne sont pas du tout des législateurs, ce sont des juges, font la guerre à la monarchie,
02:59minent les fondements de la monarchie qui finit par s'écrouler et ensuite, ils ne vont pas prendre le pouvoir,
03:06ils vont monter sur l'échafaud à la suite de la noblesse des paix et de la famille royale.
03:14Et que va faire la Convention ? La Convention, qui se méfiait terriblement du pouvoir judiciaire, va museler la justice.
03:22On se retrouve sous la Convention avec des tribunaux révolutionnaires, le comité de salut public, des lois un peu folles comme la loi des suspects,
03:34c'est-à-dire qu'il suffit de suspecter quelqu'un de ne pas avoir été assez favorable à la République pour pouvoir le condamner,
03:40et les juges des tribunaux normaux sont mis à l'écart. Si mes souvenirs sont exacts, la Convention va même créer une cour de cassation,
03:47la première, auprès d'elle, pour bien être certain que les juges ne font que réciter la loi.
03:54Donc ça, c'est le plus grand risque, c'est un risque pour tout le monde, c'est un risque pour les juges, l'institution judiciaire,
03:59mais c'est un risque pour nous tous et pour nos libertés. Moi, je ne veux pas qu'on en arrive dans cette situation où on met les juges à l'écart
04:05et où l'arbitraire des juges serait remplacé par l'arbitraire sans limite du politique.
04:11Vous savez, c'est le procès de Kafka, un matin on sonne à votre porte, vous êtes en état d'arrestation, pourquoi, je ne sais pas,
04:20mais vous êtes en état d'arrestation.
04:22On est au seuil d'une nouvelle révolution française quand on vous écoute, Henri Guaino, effectivement, c'est passionnant ce que vous dites,
04:27c'est angoissant, je pense que les auditeurs d'Europe 1 se le disent aussi, la machine est enclenchée, comment faire ?
04:36Est-ce que vous pensez aujourd'hui que les juges sont trop politisés ?
04:40Alors, je pense qu'il y a des juges politisés, mais je pense que ce n'est pas le problème central.
04:45Je pense qu'il ne faut pas prendre le problème par ce biais-là. Il y a des juges politisés, d'ailleurs de toutes sortes, comme partout,
04:51il y a des juges politisés à droite, à gauche, au centre, des juges qui ne sont pas politisés du tout.
04:56Alors, bien sûr, il y a le syndicat de la magistrature, on peut lui reprocher beaucoup de choses,
05:00mais ce qui nous arrive, ça existait avant que la dérive actuelle soit aussi forte.
05:06Je crois que, non, il y a l'idée, ou le sentiment plutôt, d'un pouvoir sans limite.
05:14C'est un pouvoir qui n'a de compte à rendre à personne, je ne parle pas des fautes de procédure,
05:20des dysfonctionnements du système judiciaire, ou des délits que pourraient commettre les juges,
05:27mais sur le fond, la mise en œuvre de l'appareil judiciaire, toutes les décisions de justice,
05:35c'est-à-dire faire des perquisitions, les faire d'une certaine façon,
05:40faire la façon dont les juges d'instruction font leur travail,
05:46à la fois ils devraient être à charge et à la décharge, mais on voit bien que c'est inhumain, c'est surhumain.
05:51La plupart sont en général à charge.
05:55La façon dont on est jugé, que ce soit en première instance, en appel, ou même la courte cassation,
06:01tout ça est insusceptible en réalité de toute forme de mise en cause de responsabilité.
06:11Mais comment on peut stopper ça, Henri Guaino ? Est-ce qu'on a les armes nécessaires ?
06:15J'ai une conviction, c'est que d'abord il y a le législateur à sa responsabilité dans tout ça.
06:23Si le politique est dans l'état où il est, dans l'état de faiblesse où il est, c'est aussi de sa faute.
06:29Mais le législateur, on l'a laissé faire, Henri Guaino.
06:32Oui, c'est la politique. Le législateur, non seulement on l'a laissé faire, mais on l'a choisi.
06:37Mais ça c'est le politique au sens large.
06:41Il règne depuis des décennies, dans nos sociétés occidentales en particulier,
06:47une idéologie de la dépolitisation de la société, de l'économie, qui est devenue préoccupante.
06:54Une société ne peut pas se passer de la politique.
06:57Et la politique, ce n'est pas le droit.
07:00La politique c'est un domaine dans lequel on prend des décisions discrétionnaires,
07:05dans lequel on marchande, on négocie, on trouve des compromis.
07:09Mais elle est absolument nécessaire et on en rend compte.
07:12Quel que soit le type de régime, d'ailleurs, la politique n'a qu'une source de légitimité,
07:19c'est la souveraineté du peuple.
07:22Et en réalité, derrière la souveraineté du peuple, le consentement de presque tous les citoyens.
07:29Si une fraction d'entre eux, significative, ne veut plus consentir à obéir aux lois,
07:35simplement parce qu'elles sont les lois de la majorité, ça ne peut plus fonctionner.
07:40Nous avons besoin de politique et nous avons besoin que la politique cherche le consentement du peuple.
07:47Mais tous les pouvoirs ont besoin de ce consentement du peuple.
07:50Ce qui ne va pas aujourd'hui dans le comportement de l'institution judiciaire,
07:56c'est qu'on a l'impression qu'elle considère qu'elle ne tient son pouvoir de rien,
08:01sauf d'une religion du droit, qu'on dit l'état de droit sans dire ce qu'on met dedans,
08:08qui serait dans le ciel des idées pures, dont ils seraient les porteurs.
08:13Et non, la légitimité de tout pouvoir, elle est dans le souverain.
08:17Et même dans un régime, dans l'ancien régime, tant que la légitimité était reconnue,
08:24la légitimité dynastique, par exemple, était reconnue,
08:27ou celle du droit divin, de l'essence religieuse ou en partie religieuse du pouvoir,
08:32était reconnue et acceptée par un peuple qui y consentait,
08:36tout ça fonctionnait très bien jusqu'au jour où ce consentement a été retiré,
08:39et du jour au lendemain, cette légitimité s'est effondrée.
08:43Donc à la fin, il y a toujours le peuple et il y a toujours le consentement du peuple.
08:46Et ça, j'ai l'impression que les politiques ont tendance à l'oublier et les magistrats pas.
08:52Presque par nature, comme ils le faisaient souvent dans ces régimes.
08:55Ils pensaient dépositaire de quelque chose de plus grand que la souveraineté politique.
09:00Ce n'est pas très rassurant, cher Henri Guénon, mais comment faire pour stopper l'évolution des choses ?
09:06Parce que si on suit le processus...
09:07Il n'y a qu'une façon de le stopper, c'est que tout le monde veuille bien s'arrêter et se mettre à réfléchir.
09:13Vous savez, les principales barrières à l'émergence de dictatures ou à la violence,
09:23elles ne se trouvent pas dans les lois et les règles que nous nous imposons.
09:28Moi, je ne connais aucune dictature, aucune tyrannie qui ait été empêchée par des lois, par des juridictions.
09:37Quand vous en prenez le nazisme, le parti nazi n'a pas la majorité, mais il est le parti le plus important.
09:47Il négocie avec une partie de la droite qui a une majorité.
09:50Et ensuite, il va prendre le pouvoir.
09:53Personne ne lui a délégué ce pouvoir absolu, mais c'est un pouvoir auquel, hélas, la société allemande consent,
10:00et auquel aucune juridiction n'arrête pas.
10:03Vous pensez que la porte est ouverte à ça en France aujourd'hui ?
10:05Je pense que la catastrophe intellectuelle et morale de notre époque, c'est qu'elle pense,
10:12c'est que beaucoup de gens pensent que ce qui est arrivé aux époques précédentes ne peut plus nous arriver.
10:16Il y a beaucoup de gens qui pensent que la nature humaine a changé,
10:19que toutes les fautes qu'ont fait nos prédécesseurs ne peuvent plus être refaites.
10:24Et du coup, toutes les barrières sont tombées.
10:27Mais les vraies barrières sont dans la tête des citoyens, dans la tête de ceux qui exercent le pouvoir,
10:32comme dans la tête des juges.
10:34C'est la question qui a été posée de façon formidablement éclairante pour moi par Camus,
10:39c'est la question de la limite.
10:42Donc si chacun ne voit pas ce qui nous attend quand il ne se met pas de limite,
10:48alors, oui, nous allons vers la catastrophe.
10:51Mais regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, moi je voudrais juste, c'est un peu un cri d'alarme ce texte,
10:56c'est dire aux magistrats aussi, mais aux politiques aussi,
10:59parce que le politique qui n'a jamais rien d'autre à dire quand il y a un problème avec la justice,
11:03que la justice est indépendante, ou bien l'état de droit,
11:06quand évidemment ça n'est pas son compte qui est concerné.
11:10Ou le magistrat qui fait pareil, si vous voulez, ils jouent tous avec le feu.
11:16C'est la pire des choses, il faut s'arrêter, il faut regarder en face ce qui peut nous attendre,
11:21il faut regarder ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique aussi.
11:24J'ai dit à la fin, ça n'est peut-être qu'un petit avant-goût de ce qui nous attend.
11:31On a essayé d'empêcher Trump d'être candidat à l'élection présidentielle,
11:35la justice, il y a eu plus de 90...
11:38Oui bien sûr, d'ailleurs il a fait un parallèle avec Marine Le Pen et ce qui lui est arrivé.
11:41Voilà, le problème c'est qu'il a même été condamné sur l'affaire Stormy Daniel,
11:47et il avait je crois 90 chefs d'incrimination,
11:51mais ils ne sont pas arrivés à le rendre inéligible par la justice juste avant l'élection.
11:56Le résultat, on l'a vu, c'est que la majorité des électeurs a dit au fond,
12:03on n'en a rien à faire, on n'en a rien à faire.
12:06Et il a promis qu'il amnistierait tous ceux qui étaient,
12:10ou qui grâcieraient tous ceux qui avaient participé à l'attentat du Capitole,
12:14dont certains étaient condamnés à 20 ans de prison, il l'a fait.
12:17Les gens savaient très bien ce qu'il faisait en votant pour lui,
12:20et ils ont laissé la justice de côté,
12:23ils l'ont piétiné d'une certaine façon,
12:26dans le pays où le droit a le statut le plus important dans la société,
12:31de toutes les sociétés occidentales.
12:33C'est-à-dire presque tous se règlent par le droit, le droit est partout,
12:36tous se règlent devant les tribunaux,
12:38et dans ce pays-là, on a trouvé une majorité d'électeurs pour dire,
12:42on s'en fiche.
12:44Et ça, ce n'est que le début.
12:47Nos sociétés occidentales, il faut voir dans quel état elles sont.
12:52Il y a tout ce qui, dans les décisions de justice,
12:55trop subjectives, à mon avis,
12:57et ressenties par les citoyens comme trop laxistes,
13:00ne les mettant pas à l'abri de la violence
13:04qui est en train de se développer, de l'insécurité, etc.
13:07On pourrait faire la longue liste sur les mois qui viennent de se passer,
13:11d'autres l'ont fait,
13:12sur toutes les condamnations absolument dérisoires de certains actes.
13:17Encore une fois, le législateur est coupable aussi.
13:20Et puis, il y a de l'autre côté, la guerre qu'on fait aux politiques,
13:24ce qui ne veut pas dire que nos politiques ne doivent pas être jugées,
13:26ce qui ne veut pas dire qu'elles ne doivent pas être condamnées,
13:28mais là, la part de subjectivité est telle,
13:31et l'entreprise de démolition, consciente ou pas,
13:34est tellement importante qu'elle ne fait que nourrir le tous-pourri.
13:38Et le tous-pourri, il est destructeur.
13:41Si on ne prend pas conscience de la gravité de la situation
13:46dans laquelle se trouvent nos sociétés,
13:48et de la dangerosité de ces sociétés,
13:51et du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
13:54Ah oui, on va à la catastrophe !
13:55Je pense qu'on en a conscience, mais on n'a pas les clés pour y remédier.
13:58C'est ça, Henri Guaino ?
14:00Si on compte sur tout le monde qui prend conscience, malheureusement...
14:03Non, parce que si tout le monde prenait conscience,
14:05d'abord, on n'assisterait pas au spectacle auquel on assiste,
14:07entre ceux qui vomissent sur la justice...
14:11Moi, j'ai fait des débats avec des gens qui disaient
14:13« Non, mais le droit, on n'en a rien à faire ! »
14:15Ah bon ?
14:16Oui, des gens très sérieux.
14:18« Le droit, on n'en a rien à foutre ! »
14:19Non, non, ce n'est pas grave, on s'en fout.
14:21Non, on ne s'en fout pas.
14:22On ne s'en fout pas, même quand on est en colère
14:25contre la façon dont il est appliqué.
14:27Mais on ne peut pas s'en foutre.
14:29Sinon, c'est la porte ouverte à tout.
14:31Et puis, vous avez de l'autre côté,
14:32des gens qui brandissent toujours les saines écritures.
14:35C'est comme sur le plan international.
14:38Le droit international.
14:39J'ai cité une phrase de De Gaulle,
14:41où a-t-on vu que l'homme avait changé.
14:44Et il disait ça à propos du droit international,
14:47dans le fil de l'épée.
14:49Le droit ne résout pas tout.
14:51Le droit, il résout les problèmes
14:53quand tous les partis consentent.
14:55Mais consentent à ce que les problèmes
14:58soient réglés par la justice.
14:59Alors, c'est plus facile quand on peut utiliser
15:02la force légale que quand on ne peut pas.
15:05Mais dans le droit international,
15:08la plupart du temps, on ne peut pas.
15:09En tout cas, quand on a un adversaire
15:10qu'on ne veut pas écraser.
15:12Et ça ne peut pas.
15:14Ça ne résout pas les problèmes.
15:16Et si vous dites, entre le droit et la guerre,
15:18il n'y a rien.
15:19Alors, vous avez la guerre tout le temps.
15:21Entre le droit et la guerre,
15:22il y a la diplomatie et la politique.
15:23C'est vraiment un appel que vous lancez,
15:24effectivement, à travers cette tribune.
15:26Réveillez-vous avant qu'il ne soit trop tard.
15:28Mais oui, réveillez-vous avant qu'il ne soit trop tard.
15:29Parce que vous allez, vous, magistral,
15:31payer très cher.
15:32Et nous allons, nous, citoyens,
15:34le payer très cher aussi.
15:35Bien sûr.
15:36Et je trouve qu'il n'y a pas de prise de conscience.
15:40En tout cas, on n'en tire aucune conséquence
15:42pour essayer d'avancer sur ce sujet.
15:44Il y a ceux pour qui on doit se débarrasser de tout.
15:47Et puis les autres pour lesquels on ne doit toucher à rien.
15:50Parce que c'est sacré.
15:51Parce que c'est commode de se réfugier.
15:53C'est un truc de bon sens.
15:54Je crois que vous appelez au bon sens, en fait, Henri Guaino.
15:55Au bon sens et vite.
15:56Oui, alors, moi, le bon sens,
15:58c'est une forme...
15:59Je me suis souvent méfié,
16:00parce que je préfère dire beaucoup de choses au bon sens.
16:02Mais hélas, maintenant,
16:03elle finit par s'imposer avec force.
16:05Je ne trouve plus de mots.
16:06Je ne trouve plus de mots devant le caractère insensé.
16:09Voilà, insensé de la plupart des positions en présence.
16:13Philippe Guibert et Charlotte Dornet,
16:15là, ce sont des questions à vous poser.
16:16Henri Guaino, vous restez avec nous sur Europe 1.
16:19On a beaucoup de thèmes à aborder.
16:20Puis je voudrais aussi vous faire réagir à ce livre.
16:23Je ne l'ai plus, on me l'a pris.
16:24Ah, voilà.
16:25Pour qui roule Mediapart ?
16:27Voilà.
16:28Gilles Gaetner était notre invité tout à l'heure.
16:30Vous m'avez déjà piqué le livre.
16:31Philippe Guibert, juste un petit mot aussi sur Mediapart.
16:34Vous n'aurez pas le temps de le lire
16:35pendant le journal permanent.
16:36Il est 20h29.
16:38Henri Guaino est toujours mon invité dans ce studio.
16:41Je vous voyais réagir pendant le journal permanent.
16:44Je vais prendre les phrases, effectivement,
16:45issues d'un long entretien de François Bayrou
16:48à nos confrères d'aujourd'hui en France Le Parisien.
16:50On lui pose la question.
16:52Il faut évaluer les effets concrets de la guerre commerciale
16:57et des droits de douane imposés par les Américains.
16:59Que dit-il ?
17:00Le risque de perte d'emploi est majeur,
17:01comme celui d'un ralentissement économique,
17:03d'un arrêt des investissements.
17:04Les conséquences seront importantes.
17:05La politique de Trump peut nous coûter plus de 0,5% du PIB.
17:10Et je vous voyais, effectivement, faire une moue, Henri Guaino.
17:12Oui, parce que ces chiffres sont en réalité de nulle part.
17:16Nous ne pouvons pas savoir, à l'heure actuelle,
17:18combien ça nous coûtera.
17:19Et simplement, je sais que ça nous coûtera d'autant plus cher
17:22que nous entrerions dans une logique de guerre,
17:24une fois de plus, de guerre commerciale.
17:26C'est-à-dire que si on répond à cette hausse des tarifs,
17:31par une hausse des tarifs,
17:32pour essayer de faire mal à l'adversaire
17:35qui répondra par une hausse encore plus grande,
17:37alors là, oui, ça sera destructeur.
17:40La première chose à faire, c'est de se calmer
17:43et de ne pas s'engager dans la guerre.
17:48Dans une surenchère, en fait.
17:49Oui, c'est toujours le fruit d'une surenchère.
17:52Et puis ça devient une surenchère encore pire.
17:55C'est pareil, c'est la même logique que sur l'histoire de l'Ukraine.
18:00La surenchère nous amène à quelque chose
18:03qui ne peut pas être bénéfique
18:07ni pour notre économie, ni pour notre société.
18:10Pourtant, les Chinois eux-mêmes ont réagi très vite,
18:14beaucoup plus que l'Union Européenne ou les pays européens,
18:17puisqu'ils ont répliqué en disant
18:19vous nous taxez de 34%,
18:21on vous taxe, vous Américains, de 34%.
18:24Est-ce que le rapport de force avec Donald Trump
18:26ne fait pas partie de la négociation ?
18:28Et que d'arriver devant Donald Trump en disant
18:30on ne va pas faire de surenchère,
18:32il risque de rigoler un peu
18:34et de considérer qu'il a gagné par le rapport de force.
18:36Mais il aura gagné quoi ?
18:38A nous de savoir répondre autrement que par la surenchère.
18:43D'abord les Chinois, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure idée qu'ils aient eue,
18:49mais les Chinois sont au cœur d'un marché
18:53de plusieurs milliards de personnes.
18:55Parce qu'il n'y a pas que la Chine, il y a toute l'Asie.
18:58Et comme Donald Trump a beaucoup taxé les pays asiatiques,
19:03et puis il y a la Chine, puis il y a la Russie,
19:07il y a tout le Sud.
19:09Non, non, mais justement,
19:11la Chine a une position très forte dans le Sud global aujourd'hui.
19:19Je pense qu'elle a des moyens de réussir,
19:22mais je ne suis pas sûr qu'en allant très très loin,
19:25elle gagnera beaucoup.
19:26Elle a aussi une société qui est fragile,
19:29qui a des problèmes de pouvoir d'achat,
19:34de cohésion sociale.
19:36Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure idée.
19:39Mais eux, ils ont des moyens que nous n'avons pas.
19:41Et de toute façon, les guerres commerciales sont toujours des désastres pour tout le monde.
19:45Comme toutes les guerres d'ailleurs.
19:47Quand on rentre chez vous, vous faites la guerre.
19:50Mais quand on peut l'éviter, c'est mieux.
19:54Donc là, il y a autre chose à faire.
19:56Il faut d'abord bien comprendre que c'est un changement structurel
19:59auquel nous sommes confrontés,
20:00qui n'a pas commencé avec Donald Trump.
20:02Il a commencé dès Obama,
20:04qui a été très ouvertement continué et amplifié par Joe Biden.
20:10Là, ça accélère beaucoup.
20:12Ce n'est pas le protectionnisme ou la protection de son économie.
20:15Ce n'est pas que les tarifs douaniers.
20:17C'est l'un des pays les plus protectionnistes du monde depuis toujours.
20:26Les Etats-Unis ont gardé des instruments comme le Buy American Act
20:32depuis la Grande Dépression des années 1930.
20:35Et ils n'ont cessé d'ailleurs de l'amplifier.
20:38Au début, on ne peut pas acheter de fournitures.
20:41L'État fédéral ne peut pas acheter de fournitures auprès d'entreprises
20:45qui ne produisent pas sur le sol américain.
20:47Maintenant, même l'argent des plans de relance
20:50doit être utilisé avec des entreprises qui produisent sur le sol américain.
20:58Sauf quand il n'y a vraiment aucune entreprise américaine
21:01qui produit le service ou le bien dont on a besoin.
21:04Rien que ça, c'est énorme.
21:06Alors que l'Europe est le pays qui se targue
21:10d'avoir signé le plus d'accords de libre-échange au monde.
21:14Qui nous explique que chaque accord du libre-échange a été un bienfait extraordinaire.
21:18Et quand vous faites la somme de ces bienfaits extraordinaires,
21:20vous tombez sur le désastre économique.
21:23Je vous renvoie au rapport Draghi pour comprendre ce qui s'est passé.
21:26Ce qui ne veut pas dire que le modèle américain, socialement, est magnifique.
21:31C'est un modèle.
21:33Mais la position de l'Europe dans le monde aujourd'hui,
21:35du point de vue économique, est une position très fragile
21:38et qui n'a pas fait la preuve d'une grande réussite.
21:40C'est même exactement le contraire.
21:43Mais en tout cas, on bascule d'un monde
21:46qui était un monde où tout devait être lisse, ouvert, sans frontières, multilatéral,
21:50à un monde qui se fracture politiquement,
21:53qui se fracture aussi économiquement.
21:58Je crois que Mme Yellen avait, qui était la secrétaire du Trésor
22:01de l'ancien gouvernement Biden,
22:04elle avait fait un discours il y a 2-3 ans
22:08sur le changement d'optique des Américains.
22:12Elle disait qu'avant notre but c'était l'internationalisation de notre économie.
22:16Il fallait aller produire partout,
22:18tisser une toile d'économie américaine,
22:26d'entreprise américaine sur l'ensemble du monde.
22:28Elle a dit que maintenant ce n'est plus ça,
22:29maintenant c'est la sécurité qui compte.
22:31Donc on fait revenir le plus d'activités possibles.
22:34Ce n'est pas Trump qui a inventé ça.
22:36Aux Etats-Unis, l'Europe s'en rend bien compte.
22:39La guerre dans l'Ukraine a été un révélateur formidable.
22:42Il y a des choses qu'on a intérêt à produire,
22:45qu'on avait laissé partir.
22:47Ça va des médicaments aux armements,
22:50en passant par toutes sortes de produits.
22:53La question de l'industrialisation, de la réindustrialisation,
22:56c'est une question qui était inabordable en Europe il y a encore quelques années,
23:00et qui maintenant obsède à peu près tous les pays du monde,
23:03y compris tous les pays européens.
23:05Il faut travailler, on n'a pas le temps ce soir,
23:08mais il faut travailler le repositionnement de nos économies
23:12dans ce nouveau monde.
23:14On est vraiment à la croisée des chemins,
23:16quand on prend un peu de hauteur,
23:18et c'est mondial, ce n'est pas que nous.
23:20Non, ce n'est pas que nous,
23:22parce que les sociétés occidentales ont les mêmes malaises
23:24et sont au bord du désastre,
23:26et le monde change aussi.
23:28Il faut comprendre que c'est la fin
23:30de cinq siècles d'occidentalisation du monde,
23:32et que nous entrons dans une période,
23:36la période de tous les refoulés,
23:38c'est-à-dire là aussi la nature humaine,
23:40et la nature des choses.
23:42Toutes les vieilles civilisations,
23:44tous les vieux empires, tous les vieux peuples
23:46réclament aujourd'hui
23:50de retrouver leur rôle sur la scène internationale.
23:52Ah oui, le peuvent-ils ?
23:54Franchement, Henri Guaino, le peuvent-ils aujourd'hui ?
23:56Ah ben ça oui, ils le peuvent aujourd'hui.
23:58On peut ?
24:00Non mais tous les vieux...
24:02Derrière les Molas, il y a aussi la Perse,
24:04regardez la Turquie,
24:06alors que, à mon avis, c'est même indépendant
24:08du maintien de M. Erdogan au pouvoir,
24:12il y a une...
24:14Souvenez-toi, ta Turque, c'était
24:16laisser céder l'Empire
24:18et faire de la Turquie une nation.
24:20Maintenant,
24:22il y a une tendance,
24:24une aspiration ottomane,
24:26qui est très importante,
24:28avec une volonté de réunir les peuples
24:30turcophones
24:32de l'Eurasie,
24:34de les regrouper.
24:36Beaucoup de choses se jouent d'ailleurs dans l'Eurasie,
24:38nous oublions, nous Européens, que nous sommes
24:40une partie de ce immense continent
24:42et que les Américains,
24:44ils ont deux océans
24:46qui les protègent de chaque côté.
24:48Nous, nous sommes en Eurasie.
24:50En Eurasie, il y a des Chinois, des Russes, des Iraniens,
24:52des Turcs...
24:56Et chacun réclamant maintenant
24:58sa place dans l'ordre international.
25:00On est passé, on en a beaucoup dit,
25:02mais on n'en tire pas les conséquences,
25:04d'un ordre bipolaire dans la guerre froide
25:06à une tentative d'ordre unipolaire
25:08après la guerre froide, qui a nié
25:10une chose, c'est que le monde devenait
25:12multipolaire, c'était un fait,
25:14même si ce monde est plus dangereux et plus instable,
25:16c'est un fait, et dans ce monde
25:18multipolaire, il y a évidemment sous-jacente
25:20la question qu'on se pose sur le protectionnisme,
25:22mais ça n'est qu'une partie
25:24de l'histoire.
25:26J'ai une dernière question, parce qu'il nous reste
25:28un peu de temps, Henri Guaino,
25:30question sur Mediapart.
25:32Question sur Mediapart, puisque nous avions
25:34tout à l'heure... Oui, je vous vois, Gilles Gaetner,
25:36sans transition, non mais je veux absolument poser
25:38une question à Henri Guaino sur Mediapart,
25:40malheureusement, le temps nous manque.
25:42Gilles Gaetner sort ce livre
25:44que Philippe Guibert m'a volé, Pour qui roule
25:46Mediapart ? Je l'avais en invité
25:48tout à l'heure. C'est très intéressant,
25:50alors pourquoi je vous pose cette question ? Vous êtes
25:52un proche de Nicolas Sarkozy,
25:54on a un peu le sentiment que Mediapart a ciblé
25:56aussi Nicolas Sarkozy,
25:58dans l'affaire des soupçons
26:00de financement libyens de sa campagne
26:02de 2007.
26:04Vous diriez quoi, vous, des méthodes de Mediapart ?
26:06Henri Guaino ?
26:08Les méthodes ?
26:10Je pense qu'on pourrait
26:12longuement en discuter, mais
26:14ils ne sont pas
26:16toujours...
26:18Je me sens mal à l'aise.
26:20Je me sens mal à l'aise.
26:22Ils ont leurs méthodes, moi je ne les
26:24approuve pas du tout,
26:26mais...
26:28Vous avez déjà eu affaire à eux ?
26:30Non, en fait, moi j'ai toujours eu
26:32de bons rapports avec
26:34Diplénel, dont je ne partage
26:36absolument aucune
26:38déconviction.
26:40J'ai fait des débats avec lui assez rudes,
26:42à propos justement de
26:44Nicolas Sarkozy,
26:46et de ce qui a pu se passer pendant
26:48le quinquennat. Maintenant,
26:50il faudrait
26:52plutôt s'interroger sur
26:54la place qu'occupent Mediapart
26:56et d'autres médias, dans
26:58le système,
27:00j'allais dire, médiatico-
27:02judiciaire,
27:04aujourd'hui, parce que...
27:06Ce n'est pas moi qui l'ai dit...
27:08Vous pensez qu'il y a des liens
27:10assez proches ?
27:12La justice, c'est Mediapart, par exemple.
27:14La justice, c'est Mediapart, par exemple.
27:16J'ai souvent des débats,
27:18à la main qu'a écrit il y a quelques
27:20années, je ne sais plus comment
27:22s'appeler son livre, il a écrit
27:24qu'il y avait
27:26entre ces deux
27:28groupes sociaux
27:30en déclassement, qui sont les journalistes
27:32d'un côté et les juges de l'autre,
27:34une sorte de connivence
27:36qui fait que chacun utilise
27:38l'autre pour essayer d'asseoir
27:40son pouvoir, c'est-à-dire que
27:42approximativement il y a des affaires qui sortent,
27:44certaines viennent de la
27:46justice, certains juges,
27:48une fois qu'elles sont sorties
27:50dans la presse, il faut bien faire
27:52une enquête
27:54préliminaire,
27:56la machine se met en route.
27:58Il y a aussi des choses qui viennent de
28:00journalistes qui utilisent des méthodes que
28:02la justice ne peut pas utiliser,
28:04mais que les journalistes peuvent utiliser
28:06de toute façon au nom de la liberté de la presse
28:08et de l'investigation.
28:10On refile ça à la justice.
28:12Moi je suis
28:14intéressé, je vais lire ce livre, il y a beaucoup d'intérêt,
28:16mais je pense qu'il y a la vraie
28:18question que nous devons
28:20nous poser d'abord, c'est comment
28:22s'organise ce système
28:24et quel rôle y joue un média
28:26comme Mediapart, mais ce n'est pas le seul.
28:28Voilà.
28:30Merci beaucoup
28:32Henri Guénon.

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