• avant-hier
Xerfi Canal a reçu Norbert Alter, professeur à sciences Po, pour parler du retour du burning management.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Norbert Alter, pour en finir avec le machin, en majuscule, les désarrois d'un
00:17consultant en management, édition EMS. Là, vous êtes professeur à Sciences Po, vous
00:21êtes sociologue, Norbert Alter. L'ordre moral du machin, c'est ce que je vais vous
00:32proposer d'appeler le managerialisme. Vous évoquez Burning Man. J'en ai entendu parler,
00:43c'est quelque chose d'assez incroyable. Ce qui est intéressant, c'est que vous
00:46en tirez des leçons de management. Qu'est-ce que Burning Man ? Ce qui se passe, cette
00:51fête dans le déjanté au fin fond du Nevada, et comment ça nous joue un effet miroir sur le
00:59machin, le managerialisme, et peut-être sur le management, le vrai, si on retrouvait les
01:05sciences du management. Burning Man. Burning Man, c'est une fête qui se déroule depuis maintenant,
01:16une fois par an, depuis une trentaine d'années, 25 ans, au fin fond du Nevada, dans un désert où
01:24le vent souffle très fortement et constamment, donc il y a du sable en permanence, ce qui veut
01:30dire que les participants sont obligés de porter des lunettes, style lunettes de ski,
01:36pour se protéger les yeux. Et le principe, c'est de venir à cette fête en ayant réalisé des
01:46véhicules de toutes sortes, et des tenues de toutes sortes, mais les plus belles et les plus
01:55extraordinaires possibles. Et en plus, on construit une espèce de citadelle en bois, qu'on décore,
02:04de façon élégante et décapante en même temps, et pendant neuf jours, les gens circulent,
02:17se rencontrent, font société, ou communauté peut-être. Et puis au bout de neuf jours,
02:24on brûle tout, on brûle tout. C'est-à-dire que le propre de cette fête, c'est un, l'excès,
02:38de tous ordres, les excès, et la destruction de richesses. C'est-à-dire que ce qui va rendre
02:51cette fête unique, et qui va lui donner une très grande valeur, c'est qu'on va détruire des biens,
02:59au bénéfice des liens qui auront été construits à cette occasion. Dans le monde du travail,
03:09ceci est devenu rigoureusement interdit, rigoureusement interdit. Autrefois, il y avait
03:19des fêtes professionnelles. Aujourd'hui, on les remplace par des événements. La distinction est
03:27importante, c'est-à-dire qu'une fête professionnelle, c'est quelque chose de remontant, qui part du
03:32métier, et qui est donné à voir aux dirigeants de l'entreprise, au bassin d'emploi, un événement,
03:39c'est tout le contraire. L'une des fêtes que je décris, que je nomme le Grand Goulu, c'est la
03:50Saint-Éloi, dans les industries de process, en gros, c'est une grande fête. C'était une grande fête,
03:56ça n'existe plus, pratiquement plus. Pendant deux jours, on buvait, on mangeait, on faisait des tournois
04:08de foot, on dansait, trop, trop, de façon provoquante. C'était l'esprit du carnaval aussi, c'est-à-dire que
04:17cette fête avait pour vertu de critiquer l'ordre établi en le caricaturant, mais du même coup,
04:30en le reconnaissant, en reconnaissant qu'il existait, qu'il avait sa place, mais ça supposait, pour les
04:37représentants de l'ordre en question, de se mêler à la foule et d'être considérés, à un moment donné,
04:45pendant 48 heures, comme les jouets du peuple qui réalisait cette fête carnavalesque. Ceci est
04:54interdit, maintenant on amène les gens en question dans un restaurant international, on danse mais plus
05:02personne ne veut danser, on ne sait pas ce qu'on mange, le chef prononce un discours sans intérêt
05:11puisqu'il n'est pas drôle. Éventuellement, comme le rire est interdit et la moquerie est interdit,
05:17on fait venir un clown d'entreprise, mais externalisé. Donc je décris cette affaire-là
05:25pour montrer que le machin, ce n'est pas seulement une politique de rationalisation, de contrôle,
05:32etc. C'est également quelque chose qui est de l'ordre moral, c'est-à-dire qu'on ne veut pas
05:38que l'esprit des collectifs de travail souffle explicitement dans les espaces professionnels
05:54qu'habitent les gens au quotidien. Alors je donne un autre exemple, parce que des fois ça ne se
06:00passe pas trop mal quand même, qui est plus drôle, c'est les jerboam. C'est-à-dire que ce sont des
06:07commerciaux qui ont l'habitude d'offrir un jerboam de champagne en fin d'année et ils le posent bien
06:15frais, rudiment de fraîcheur, sur le bureau de leur client. Quand on offre, le geste, c'est le
06:23geste qui compte, c'est important cette formule. S'ils l'avaient offert dans un coffret en bois,
06:27le client l'aurait remporté chez lui. Mais là, le client fait péter le bouchon, il n'a pas d'autre
06:38choix et donc ils ne vont pas siffler un jerboam de champagne à tous les deux, même en France,
06:45n'est-ce pas ? Et donc, ils font venir tous ceux qui sont par là et pour le commercial. C'est une
06:51affaire extrêmement importante parce que, un, ils posent une marque le moment de son empreinte et
07:00puis ça lui permet de discuter avec des gens qui ne l'auraient pas été présenté sans cela. Mais
07:06c'est le principe de dépense, c'est-à-dire que les jerboam, constate l'entreprise à un moment
07:12donné, un jerboam c'est plus coûteux, infiniment plus coûteux, que quatre bouteilles de champagne
07:18de 75 centilitres. Donc, on remplace le jerboam par des petites bouteilles. Heureusement,
07:24finalement, on s'aperçoit commercialement, le jerboam c'est mieux, mais il a fallu trois ans
07:29de négociations pour comprendre que le principe de dépense pouvait avoir des vertus plus que le
07:36principe de contrôle des dépenses. Merci d'Orbert Alter. Merci.

Recommandations