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00:00Il est 10h ici à Paris, bonjour à toutes et tous et bienvenue dans Parlons-en, votre
00:07rendez-vous avec l'info qui prend son temps.
00:09Voici les titres de ce jeudi matin et on apprend à l'instant en Algérie la condamnation
00:15de l'écrivain franco-algérien Boalem Sansal.
00:17Il est condamné par un tribunal algérien à 50 prisons en dépit de la mobilisation
00:22ici en France pour obtenir sa libération.
00:24L'écrivain avait été arrêté le 16 novembre dernier à son arrivée en Algérie.
00:28Il est condamné pour atteinte à l'unité nationale, outrage à l'armée, atteinte
00:33à l'économie nationale et détention de vidéos et publications menaçant la sécurité
00:37et la stabilité algérienne.
00:38Son cas est venu aggraver les tensions déjà existantes entre Paris et Algiers.
00:43Boalem Sansal est malade et il a 75 ans.
00:46Dans l'actualité également, ce sommet à Paris avec le Britannique Keir Starmer, l'Italienne
00:50Giorgia Meloni et l'Allemand Olaf Scholz, ou encore le patron de l'OTAN Marc Routteux.
00:54Emmanuel Macron accueille les alliés de l'Ukraine à Paris avec le président Zelensky.
00:58Nouvelle réunion de la coalition dite des volontaires.
01:02Les Européens veulent montrer qu'ils sont à la manœuvre face au désengagement américain
01:06et qu'ils se projettent dans une Ukraine d'après-guerre.
01:08L'actualité c'est aussi l'histoire qui semble s'accélérer au Soudan.
01:13Le général Al-Bourhan, à la tête de l'armée régulière, revendique avoir repris le contrôle
01:18de Khartoum, la capitale, jusqu'ici aux mains des rebelles.
01:21Deux ans de guerre où le Soudan passait largement sous les radars médiatiques.
01:25Une guerre extraordinairement meurtrière.
01:27On reviendra sur ces titres et sur la condamnation en Algérie, notamment de Boalem Sansal dans
01:32le journal de 11h.
01:33Aujourd'hui, tout autre chose, d'en parlons-en.
01:35Je vous emmène au Mexique, avec un chiffre saisissant, 120 000.
01:40C'est le nombre de personnes portées disparues dans un pays gangrénée par la violence liée
01:44au trafic de drogue, par celle des cartels.
01:46Un abysse qui a connu une illustration sordide ces dernières semaines.
01:50La découverte de fausses communes.
01:52Et dans ces fosses, les dépouilles de centaines de petites mains, vraisemblablement des narcotrafiquants.
01:57Comment est-ce possible dans ce pays qui a déclaré la guerre aux cartels il y a près
02:00de 20 ans ? Avec quelles armes peut-on lutter contre les narcotrafiquants au Mexique mais
02:05aussi en Colombie et contre leurs réseaux aux Etats-Unis ou encore en Europe ? Est-ce
02:09qu'on peut véritablement gagner la bataille ? Est-ce déjà trop tard ?
02:12Narcotrafic, la guerre tentaculaire, question posée ce matin à nos invités Frédéric
02:18Saliba et Pierre Gossens, merci beaucoup à tous les deux d'être là.
02:21On a beaucoup de choses à se dire, c'est « Parlons-en » et c'est parti.
02:35Bonjour Frédéric Saliba, bienvenue sur ce plateau.
02:38Vous êtes journaliste, vous avez été correspondant du Monde, du quotidien français Le Monde
02:42au Mexique pendant une quinzaine d'années.
02:44Vous y êtes arrivé quelques mois avant que le président Calderón à l'époque déclare
02:48la guerre au narcotrafic et vous signez « Voyages au pays des narcos » sorti aux éditions
02:52du Rocher il y a quelques mois.
02:55Bonjour Pierre Gossens et bienvenue sur ce plateau.
02:58Voilà la couverture de votre livre Frédéric Saliba.
03:00Vous êtes sociologue au Collège du Mexique et chercheur résident à l'Institut d'études
03:04avancées de Paris.
03:07Quelques chiffres d'abord, en plus de celui que j'évoquais à l'instant depuis 2006,
03:12c'est l'année où le président Calderón a déclaré la guerre contre le narcotrafic.
03:15450 000 morts, ce sont des chiffres que j'ai tirés de votre livre Frédéric Saliba.
03:1930 000 assassinats, rien qu'en 2023, la plupart dû au crime organisé.
03:25Et puis c'est disparu, 120 000 personnes portées disparues dans le pays essentiellement.
03:30Donc depuis 2006, des disparus sur lesquels il y a eu un coup de projetteur particulièrement
03:35sordide ces dernières semaines, ces fausses communes découvertes dans ce qu'on a appelé
03:40les ranches de l'horreur.
03:42Je vous propose avant de commencer notre discussion de regarder le reportage pour Parlons-en de
03:46nos envoyés spéciaux dans la région de Guadalajara.
03:49C'est un reportage signé Quentin Duval et Aurore Bayou.
03:53Avec leurs piques et leurs pelles, ces femmes s'apprêtent à remuer la terre dans cette
03:58maison en construction dans la banlieue de Guadalajara.
04:01Dans les profondeurs du sol, elles cherchent toute la trace d'un proche disparu.
04:05La personne qui a acheté cette maison nous a informé que les maçons avaient remarqué
04:11des choses étranges.
04:12On essaye de retrouver ce qui pourrait ressembler à des sacs.
04:17Après plusieurs heures de labeur, le collectif tombe sur un sac plastique enterré.
04:23Oh mon Dieu, c'est ici ! Fausse alerte aujourd'hui, les ossements découverts
04:30ne correspondent pas à ceux d'un être humain.
04:31C'est un animal, un petit chien.
04:35Quelques semaines plus tôt, ce collectif a découvert dans un ranch situé à une heure
04:40d'ici, des centaines d'ossements calcinés.
04:42Grâce à leurs observations sur place et des informations transmises par des anciennes
04:47victimes de recrutements forcés, ils pensent avoir mis à jour un centre d'entraînement
04:52et d'extermination appartenant au cartel Jalisco Nueva Reinacion.
04:55Ils creusaient la terre, découpaient les corps et jetaient les morceaux, puis ils
05:03ajoutaient un produit chimique type hydrocarbure pour les brûler plus facilement.
05:07Le lieu était pourtant connu des autorités.
05:11En septembre 2024, un affrontement avait eu lieu entre la garde nationale et des hommes
05:15armés, une dizaine de personnes interpellées, deux personnes sauvées et un corps retrouvé.
05:20Le problème, c'est que le parquet local a fermé le lieu sans y mener d'investigation.
05:26S'ils avaient fait leur travail, comment expliquer que le 5 mars, nous y allons et
05:31nous découvrons tout cela ?
05:34Les experts du parquet général poursuivent leurs investigations à l'intérieur du ranch
05:38derrière moi, loin des caméras.
05:40Quelques heures après cette macabre découverte, Claudia Sheinbaum, la présidente du Mexique,
05:45a annoncé une série de mesures pour renforcer la commission nationale de recherche et permettre
05:49qu'une disparition soit déclarée dès les premières heures.
05:51Des promesses qui ne rassurent pour autant pas les proches de disparus qui attendent
05:56depuis des années de pouvoir faire leur deuil et d'obtenir justice.
06:00Frédéric Saliba, 20 ans de mesures, 20 ans de politique mexicaine en guerre contre les
06:05cartels, 120 000 disparus, je le disais, qu'est-ce qui n'a pas pu arriver à ce Mexicain dont
06:10on a retrouvé les restes dans ses ranches ?
06:12Alors écoutez, apparemment, alors c'est une histoire assez polémique, on va en parler,
06:16mais apparemment, il y aurait des recrutements forcés en fait, les cartels, évidemment
06:21maintenant on est presque à plus de 18 ans de guerre des cartels entre eux et contre
06:25le gouvernement, ils ont besoin en fait de 109 quelque part et donc ils recrutent, ils
06:31ont des nouvelles recrues qu'ils entraînent en fait, c'est un camp d'entraînement qu'ils
06:34ont découvert et dans ce camp d'entraînement, ils ont aussi découvert donc des restes humains
06:40et donc il y a toute une polémique pour savoir si en effet c'est un lieu d'extermination
06:44ou pas, mais ce qui est sûr c'est que c'est un camp d'entraînement et on a ça au travers
06:51du Mexique où donc des gens disparaissent mais pas seulement des gens recrutés par
06:55des cartels mais aussi des femmes par exemple, il y a comme ça énormément de féminicides
07:00et la traite des personnes par exemple, des migrants aussi qui disparaissent, dans ces
07:05120 000 personnes, il y a comme ça une nébuleuse et le gouvernement mexicain a une certaine
07:12mauvaise foi par rapport à ce problème, à ce fléau, il a mis beaucoup de temps à
07:17reconnaître en fait le fléau et tout simplement, alors on en parlera, mais parce que l'histoire
07:22du Mexique est faite de disparitions, de disparitions forcées qui dans les années
07:2880 par exemple ou les années 70 étaient réalisées par le gouvernement, par un régime
07:32autoritaire et aujourd'hui c'est les narcotrafiquants qui font disparaître la population et qui
07:38font autant de morts à travers le pays.
07:41Des histoires de disparitions au Mexique, il y en a certaines qui nous arrivent, pas
07:47toujours, c'est quand même assez largement passé sous les radars médiatiques, on se
07:50souvient de la disparition des 43 étudiants d'Ayotinapa en 2014, à se demander effectivement
07:57Pierre Gossen, ce que font les pouvoirs publics mexicains, ils sont tout à fait impuissants
08:02face à ça ?
08:03D'abord il y a un problème je pense de moyens, de moyens surtout du système de justice,
08:10on le voit dans votre reportage, le parquet manque de moyens, manque de ressources humaines,
08:16il y a des bénévoles qui creusent avec leurs propres pelles.
08:18Donc ça, ça oblige évidemment les citoyens, les gens à s'organiser face à la faillite,
08:25au manque de moyens et au dysfonctionnement qu'on peut observer dans les institutions
08:29judiciaires et les institutions policières d'un côté, mais de l'autre côté on a
08:33aussi des institutions qui des fois commettent ces mêmes crimes, on l'a vu justement dans
08:39le cas d'Ayotinapa où on avait toutes les institutions répressives de l'état qui
08:44étaient représentées et qui avaient une participation dans ce crime, on retrouvait
08:51des policiers municipaux, régionaux, fédéraux, l'armée, le pouvoir judiciaire, en plus
08:59des acteurs criminels.
09:01Donc ça, ça rend vraiment les choses très compliquées parce que ça fait que les gens
09:06se retrouvent un peu à l'abandon et qu'ils sont obligés de s'organiser eux-mêmes pour
09:12essayer d'obtenir justice et retrouver leurs proches disparus.
09:15Ce que dit Pierre Gossens, Frédéric Saliba, vous le racontez dans votre livre, vous travaillez
09:21dessus aussi bien sûr, c'est que la situation est telle que les cartels narcotrafiques
09:26ont infiltré l'intégralité du fonctionnement du Mexique grâce à la corruption notamment
09:32et ça fait qu'il n'y a aucune partie de la vie mexicaine qui est épargnée aujourd'hui
09:37de ça.
09:38Oui, d'ailleurs, vous parliez donc du cas d'Ayotinapa, donc maintenant ça fait
09:40dix ans que ces 43 étudiants ont disparu, on ne sait toujours pas, ça reste un mystère,
09:45on ne sait toujours pas ce qu'ils sont devenus.
09:47Il y avait eu des manifestations très fortes, je les avais couvertes et c'est dans mon livre,
09:50où les Mexicains dénonçaient l'état mafia.
09:52Pourquoi ? Parce qu'en fait dans cette affaire, mais sans doute, peut-être qu'on découvrira
09:58la même chose dans l'affaire du Ranch de l'Horreur, c'est-à-dire que des policiers,
10:04voire même des militaires, il y a une collusion entre le crime organisé et les autorités
10:10mexicaines, en tout cas certaines, et là il y a une grande polémique parce que le
10:14Mexique est un pays fédéral, donc il y a l'état local de Jalisco qui a donc découvert,
10:19enfin qui était plus ou moins au courant, qui a fait les premières analyses et qui
10:23apparemment a mal fait son travail, et puis vous avez la fédération, donc l'état central,
10:28qui prend la main aujourd'hui et qui renvoie la balle, alors il se renvoie la balle en
10:32disant que c'est la faute de l'état local, alors qu'en fait vous avez une crise qui
10:38est une crise de l'ensemble de l'état mexicain, alors évidemment les autorités
10:42locales, municipales sont les plus affectées par l'infiltration du crime organisé, mais
10:46aujourd'hui le crime organisé a complètement noyauté en fait les institutions mexicaines,
10:51et une fois que le verre est dans la pomme, c'est très difficile d'agir, et c'est vrai
10:57qu'on parle de ces proches de disparus, parce qu'en fait ce sont des mamans, enfin des
11:00mamans en tout cas, des proches de gens disparus, mais la plupart sont des mères, qui vont
11:05seules, qui font des associations, qui vont seules chercher des corps, moi j'ai fait
11:10des reportages avec elles, c'est très impressionnant, très lourd émotionnellement, et qui parfois
11:16par exemple piquent le sol avec des grands piques en métal, et puis retirent, ils sentent,
11:22et si ça sent la mort, on creuse, et on trouve des fosses communes, ce qui est quand même
11:26assez horrible, et ces mamans se retrouvent seules face à un gouvernement qui détourne
11:32en fait l'attention, qui refuse de reconnaître les disparitions, on en parlera, ça peut
11:37être associé à une violation de droit humain quand même, les disparitions forcées, voyez,
11:42et donc le Mexique est très embêté par rapport à ces événements, parce qu'il
11:46ne peut pas renvoyer toute la faute au cartel de la drogue, et qu'on s'aperçoit là,
11:51les mamans et les journalistes ont eu le droit d'aller sur le site, figurez-vous que le
11:55site où il y a eu ces crimes a été nettoyé, et donc il y aurait encore au conditionnel
12:03des manipulations de preuves.
12:04On sent qu'il y a d'un côté de la chaîne ces mamans, avec leurs piques, avec leurs
12:11pelles, avec toute la peine qui est la leur, et de l'autre côté, c'est David contre
12:16Goliath, des multinationales, des cartels, vous écrivez Frédéric, qu'il contrôle
12:21aujourd'hui ces narcotrafiquants, le trafic de drogue sur l'ensemble du continent sud-américain,
12:26on parle souvent de ces cartels, je ne suis pas sûre qu'on sache exactement de quoi
12:28on parle en réalité, donc je voudrais qu'on essaie de définir ce que c'est qu'un cartel
12:31aujourd'hui au Mexique, notamment, de quoi parle-t-on, de combien de cartels on parle,
12:37de combien d'hommes on parle, et comment ils fonctionnent.
12:39On va commencer peut-être par leur nombre, alors le plus connu c'est celui du Sinaloa,
12:42ce n'est pas le seul, Pierre Gossens ?
12:44Non, il y a de nombreuses organisations qui ont un caractère régional, donc le Sinaloa
12:51c'est un état, mais on trouve aussi d'autres organisations.
12:54Il est très difficile de connaître exactement leur nombre, parce que leur organisation
13:00et leur configuration est très fluctuante, elle varie, elle s'adapte aussi à la répression,
13:07parce que de temps à autre il y a des captures, il y a des arrestations, des têtes qui tombent,
13:12et il y a aussi des conflits entre ces organisations criminelles, qui luttent entre elles pour
13:17le contrôle de certains territoires, de drogues et de routes de commerce.
13:23Donc c'est très difficile d'évaluer le nombre exact, l'identité, parce qu'aussi
13:29on retrouve des personnes avec plusieurs étiquettes, qui peuvent appartenir à un groupe en particulier,
13:35mais qui peuvent aussi remplir d'autres fonctions, et en plus, ce qui rajoute à la complexité
13:40du problème, c'est ces problèmes de corruption, de collusion, qui fait que ces groupes criminels
13:47ne peuvent pas opérer en totale impunité ou liberté sans une certaine complicité
13:54ou protection de la part des autorités de l'état mexicain.
13:57Donc il est extrêmement difficile de pouvoir faire une comptabilité, disons, de ces groupes,
14:07mais c'est indéniable qu'aujourd'hui c'est un acteur armé parmi d'autres qui
14:11est important et qui participe du contrôle du territoire et du gouvernement local.
14:19Frédéric Saliba, comment est-ce que ça fonctionne un cartel ? On voyait à l'instant
14:22des images d'El Chapo, l'un des plus connus, qui a été arrêté il y a quelques temps
14:26et dont la vie a fait l'objet notamment d'une série télévisée, ça c'est pour
14:30le côté pop culture.
14:32Malheureusement, comment est-ce qu'ils fonctionnent ces cartels ?
14:34Alors, c'est vrai qu'en Europe, on a tendance à parler de mafia.
14:37En Amérique latine, on parle plutôt de cartel.
14:39On peut parler de gang aussi, Pierre en parlait, mais en fait, ce qu'on peut dire, c'est
14:44que d'abord, pour qui est cartel, il y a donc une organisation mafieuse, on parle
14:49toujours du narcotrafic parce que c'est ce qu'il y a de plus emblématique, mais
14:51vous avez quand même presque une vingtaine d'activités, les Mexicains sont dans toutes
14:55les activités, sauf une...
14:56Oui, sauf le trafic de matières radioactives.
14:59Exactement, et heureusement, on a envie de dire heureusement, jusqu'à quand ? On verra, jusque là.
15:04Cartel, l'idée en fait, c'est qu'il y a une infiltration des autorités, une corruption,
15:09encore une fois, il n'y a pas de narcotrafic sans narco-politique, il faut avoir des appuis
15:13politiques pour pouvoir avoir un spectre mafieux qui permet de faire des trafics, d'ailleurs
15:20la corruption n'est pas que mexicaine, elle est aussi américaine, elle est aussi européenne,
15:24j'espère qu'on en parlera, et c'est vrai que les cartels mexicains, ce qui s'est passé,
15:28c'est que dans les années 90, vous aviez un peu une domination des cartels colombiens,
15:33notamment le fameux Pablo Escobar, qui meurt en 93, il y a une déstabilisation un peu
15:38des cartels colombiens, et c'est là-dessus que les cartels mexicains, qui étaient en fait
15:43des sous-traitants, qui permettaient de faire passer la cocaïne jusqu'aux Etats-Unis,
15:48commencent à prendre la main sur le narcotrafic sur tout le sous-continent, bien sûr en association
15:54avec des cartels locaux, mais on sait très bien que le cartel de Sinaloa, et d'ailleurs on le voit,
15:59très souvent des cellules sont arrêtées, on le voit en Équateur, par exemple, la situation
16:03d'Équateur est liée au cartel de Sinaloa, à un autre cartel aussi, qui est le cartel
16:07Jalisco de Nouvelle Génération, qui sont les deux très grands cartels mexicains.
16:11Qui serait celui impliqué dans l'affaire du Duranch de l'horreur.
16:14Exactement, et donc en fait ces cartels ont pris la main sur le sous-continent,
16:20aujourd'hui ils sont présents dans les 50 états américains, et ils sont aussi présents en Europe,
16:25chez nous.
16:26À la faveur de quoi ces cartels mexicains ont pris le pouvoir sur les cartels colombiens ?
16:31Qu'est-ce qui s'est passé pour observer ce reversement de prise de pouvoir ?
16:34Je ne sais pas si vous pouvez répondre là-dessus.
16:36Leur position stratégique, la frontière avec les États-Unis, il faut bien prendre
16:42en compte que le narcotrafic est indissociable de la consommation de drogue, et que la production
16:47de drogue, qu'elle soit d'origine végétale ou synthétique, produite dans des laboratoires,
16:53elle ne vient que répondre à une demande.
16:55Et cette demande, elle se trouve aux États-Unis, en Amérique du Nord et en Europe.
17:00Et donc l'avantage des cartels mexicains par rapport aux colombiens, c'est leur position
17:05géographique, qu'ils font qu'ils se rendent indispensables pour la commercialisation des
17:11drogues, de la cocaïne et d'autres drogues, l'héroïne, ça c'était avant le cannabis,
17:17et maintenant aujourd'hui les drogues de synthèse, comme le fentanyl qui sont en train
17:21de déplacer et de remplacer les drogues traditionnelles d'origine végétale, c'est leur position
17:28par rapport au marché de consommation des États-Unis qui est stratégique.
17:33Ce qui est intéressant autour des cartels mexicains, si on parle de cocaïne, vous me
17:39corrigez si je me trompe Frédéric Saliba, en fait les cartels mexicains ont une espèce
17:45de rôle d'import-export, ils ne produisent pas nécessairement toute la drogue dont ils
17:51gèrent le trafic et le business, c'est ça ?
17:53Alors pour rebondir sur ce que disait Pierre, en fait il y a une explosion de la consommation
17:57de la cocaïne dans le monde, notamment en Europe, très très forte, il y a trois pays
18:02qui produisent vraiment la cocaïne qui sont la Colombie, le Pérou et la Bolivie, il y
18:06a d'autres pays comme le Venezuela mais c'est assez anecdotique, c'est très fort, que
18:10les cartels mexicains comme je vous l'expliquais se sont associés avec des cartels notamment
18:15colombiens et qui en fait font transiter cette drogue aux États-Unis mais aussi en Europe,
18:23pourquoi ? Parce que d'abord le Mexique est une très grosse économie, membre de l'OCDE,
18:28du club des pays les plus riches du monde, il y a énormément de transports, la plupart
18:33en fait du trafic se fait par la mer et les ports mexicains sont très très importants
18:37et donc ça passe par la mer.
18:39Oui parce qu'il faut l'infrastructure.
18:40Il faut l'infrastructure, il faut la corruption, il faut tout ça mais il faut aussi comprendre
18:43que l'essor du narcotrafic et notamment du narcotrafic mexicain est lié aussi à l'essor
18:48du néolibéralisme, c'est-à-dire que ces échanges comme ça de plus en plus rapides
18:53empêchent des contrôles vraiment importants et d'ailleurs on se pose toujours la question
18:57et on en parlera j'espère d'une certaine hypocrisie d'ailleurs du côté des dirigeants
19:01et notamment du côté de Washington par rapport au fait d'avoir passé des accords de libre-échange
19:07favorisant donc ces circulations sur cette frontière énorme de 3000 kilomètres qui
19:12séparent les États-Unis et le Mexique et qui évidemment favorisent tous les trafics.
19:16Le produit le plus rentable donc on l'a dit c'est la cocaïne, en préparant cette émission
19:22j'essayais de comprendre le cheminement de cette cocaïne de la Colombie où si je comprends
19:29bien elle est majoritairement produite jusque en Europe notamment, 1000 dollars à la production
19:34Colombie, 80 le kilo, 1000 euros donc le kilo de dollars à la production, 90 000 euros le kilo
19:42à l'arrivée en Europe, c'est une marge théorique de près de 10 000% dans la vraie vie, dans le
19:47business qui n'est pas illégal, ça n'existe pas de telle rentabilité si j'ose dire.
19:53C'est justement le problème, ce qui rend ce commerce, c'est un commerce avant tout comme le
19:58disait Frédéric donc on peut très bien faire l'analogie avec le commerce légal et avec les
20:03entreprises, les cartels sont aussi des entreprises, il faut bien le comprendre, ce qui rend rentable
20:09ces activités c'est son illégalité, c'est la prohibition qui rend rentable les activités
20:17des économies illégales et en particulier la drogue avec des marges qu'évidemment on ne pourrait
20:22pas retrouver dans la partie légale du commerce parce que là il faut déclarer, il faut payer des
20:28taxes, des impôts, cotiser etc. Donc vraiment le problème il est là et c'est pour ça qu'aujourd'hui
20:35le régime international de prohibition qui est né dans les années 1920-1930 au niveau international
20:41avec une convention de Vienne et d'autres conventions internationales, il est de plus en
20:45plus questionné par les pays du sud, les pays producteurs pour essayer de chercher des solutions
20:52à cette prohibition qui ne marche pas clairement, qui rend les acteurs et les
20:58narcotrafiquants très riches et essayer de réguler. Donc il y a plusieurs alternatives qui
21:04sont proposées pour certaines substances comme la marijuana, on parle de légalisation et pour
21:11d'autres chercher des moyens de régulation pour essayer d'encadrer cette production, ce commerce
21:17et c'est des choses qui sont en train de se faire dans différents pays. On connaît très bien ici
21:22la politique des Pays-Bas, en Amérique latine on a l'Uruguay, il y a de plus en plus d'états aux
21:27Etats-Unis qui sont aussi en train de réguler, de légaliser certaines de ces activités. Il faut
21:33vraiment réfléchir et mettre sur la table ces enjeux économiques qui posent de graves problèmes
21:39en termes d'accumulation de richesse. Là on parle de cannabis, mais sans faire
21:45erreur de ma part, on ne parle pas de réguler autour du trafic d'héroïne ou de cocaïne.
21:52Au Mexique il y a des propositions qui ont été faites pour encadrer la production de pavot
21:59et avec le pavot on fait de l'héroïne mais aussi on fait de la morphine. Donc on pourrait canaliser
22:05une partie de la production de ces stupéfiants pour usage thérapeutique par exemple. Je ne
22:10parle pas évidemment de la légalisation de l'héroïne, mais essayer de canaliser la production
22:14vers d'autres secteurs. La demande aux Etats-Unis en Europe de drogue de synthèse comme le
22:21fentanyl, c'est 30 000 morts par an aux Etats-Unis. Le fentanyl est un produit extraordinairement
22:28qui rend dépendant et qui cause des mortalités terribles. Elle explose, elle explose aussi en
22:33Europe, donc il y a une vraie corrélation entre la demande et l'explosion de la production en
22:39Amérique centrale et la Chine. Si je peux me permettre, les overdoses aux Etats-Unis c'est
22:43plus de 100 000 par an, le fentanyl serait à peu près autour de 70 000, donc c'est beaucoup plus.
22:50Ce sont ce qu'on appelle des opioïdes de synthèse et d'ailleurs c'est ce que disait Pierre, c'est-à-dire
22:54que souvent l'origine des drogues sont des médicaments, c'est le cas du fentanyl qui était
22:58en fait un anti-douleur qui a été développé par un marché pharmaceutique très important et par
23:06des campagnes commerciales très très fortes et qui à un moment donné était stoppé et donc les gens
23:10se sont retrouvés en manque et se sont tournés vers un marché illicite où les Mexicains sont
23:15très très bons, on parle de cuisiniers, ils cuisinent en fait la drogue, ce sont donc des
23:20précurseurs qui viennent d'Asie, de Chine et d'Inde, particulièrement de laboratoires et qui
23:26sont ensuite exploités pour créer cette drogue hyper puissante qui est quand même 30 fois plus
23:32forte que l'héroïne et qui crée une hécatombe aux Etats-Unis. En France, en Europe, on est un
23:37petit peu plus protégé parce qu'on n'a pas eu les mêmes politiques vis-à-vis de ces anti-douleurs
23:41avec une dépendance très très forte, cela dit il y a en effet des opioïdes qui commencent à rentrer,
23:47on est toujours un petit peu en retard vis-à-vis des Etats-Unis et on devrait d'ailleurs se poser
23:51des questions parce qu'on découvre des laboratoires sur le sol européen, beaucoup en Belgique mais
23:56aussi en France, dans les campagnes et figurez-vous... Des laboratoires de drogue de synthèse...
24:01Des laboratoires de drogue de synthèse mais aussi des laboratoires qui transforment la cocaïne parce
24:05que la cocaïne arrive par exemple sous forme liquide, aujourd'hui la science a tellement avancé
24:11qu'on est capable de faire de la cocaïne imbibée dans des vêtements ou dans des jus de fruits ou
24:15dans du sucre, mélangé à du sucre et puis après il faut la séparer et pour la séparer il faut des
24:19chimistes très très très très bien formés et les Mexicains sont très très bons et figurez-vous
24:24qu'on retrouve souvent quand on fait des saisies dans des laboratoires un chimiste mexicain ou un
24:29chimiste colombien. Il y a aussi une économie de l'erasmus du chimiste qu'on envoie de ci de là
24:35pour apporter ses compétences. Un partage de savoir-faire, exactement. Donc cocaïne on l'a dit, fentanyl, héroïne,
24:40cannabis, c'est là-dessus que ces cartels mexicains font leur beurre, ça va peut-être, ça semble un
24:48peu naïf de le dire comme ça mais c'est vrai que c'est intéressant et c'est très singulier dans
24:52ce fonctionnement des cartels. Cette guerre, Frédéric Saliba, vous écrivez, elle est fondée sur un
24:57principe tout simple, c'est le fait que la seule idéologie de ces cartels c'est l'argent, c'est le
25:02dollar, c'est tout. Faire de l'argent dans une société qui est fondée sur l'hyper-matérialisme, Frédéric Saliba.
25:08Oui, c'est ce que je disais avec l'essence du néolibéralisme, c'est-à-dire que comme Pierre
25:13le disait vous avez donc des marges qui sont 4000% par exemple sur le fentanyl et donc en effet ça
25:20attire énormément d'intérêts, c'est ce qui explique aussi la violence parce que la violence devient
25:26en fait un mode de gestion des trafics parce que évidemment ces bénéfices suscitent la convoitise
25:31donc vous parliez de la domination du cartel de Sinaloa mais il est concurrencé par d'autres
25:35cartels qui veulent prendre sa place et donc ça crée donc des tensions, des violences, les cartels
25:40se mettent à défier l'État parce que l'État devient, mais aussi effraie aussi les populations.
25:45Quand on parlait de ce ranch de l'horreur, vous imaginez le message qui peut être passé à des parents
25:51au Mexique vis-à-vis d'enfants qui pourraient disparaître en répondant à une annonce d'un emploi.
25:56Donc toute cette peur, toute cette terreur devient en fait une forme d'organisation et c'est d'ailleurs
26:03ce qui est très inquiétant et on en voit quelques signes, alors ça n'a rien à voir, le ministre de l'Intérieur
26:10Bruno Retailleau parlait de mexicanisation du trafic français, non, on n'en est pas là, cela dit
26:15il y a quand même des questions d'alerte avec ces modes de gestion qui sont comparables.
26:19On reviendra sur la situation en Europe et en France en particulier dans un instant.
26:22Pour revenir sur ces cartels sud-américains et d'Amérique centrale, on l'a évoqué rapidement,
26:29ils sont basés sur deux principes, trois, l'argent, la violence et la corruption.
26:34Si on peut revenir là-dessus, qui est corrompu aujourd'hui ? C'est quoi, des policiers, des militaires ?
26:42Là je crois qu'il y a deux choses, d'abord il ne faudrait pas non plus généraliser l'état de la corruption.
26:49L'état mexicain est encore un état qui fonctionne et il faudrait faire aussi au cas par cas,
26:55voire selon les institutions, selon les niveaux aussi de l'état, donc évidemment les plus exposés à la corruption
27:02ce sont les niveaux les plus bas, surtout le niveau municipal, c'est vraiment à l'échelle municipale
27:07que se trouve le principal problème aujourd'hui de la corruption au Mexique et certaines institutions en particulier
27:14qui ont affaire avec la répression et la prévention du crime, donc évidemment on parle des polices,
27:20des différentes institutions de police, la justice, le système pénitentiaire et l'armée également qui n'est pas moins corrompue.
27:28Mais je voudrais rajouter aussi un quatrième ingrédient à ce que vous venez de dire qui est l'impunité.
27:34L'impunité dans le sens où la grande majorité des crimes et délits qui sont commis ne sont pas dénoncés,
27:39justement en lien avec ce manque de confiance de la population vis-à-vis de la police et du système de justice
27:45et des rares crimes et délits qui sont dénoncés, il y en a très peu qui arrivent au système judiciaire
27:53qui se transforment en procès et de ce nombre infime de procès, il y a encore moins de condamnations.
27:59Donc c'est vraiment un gros problème aujourd'hui au Mexique et c'est en lien avec ce que je disais au début,
28:04le manque de moyens de la justice, que la grande majorité des crimes et des délits reste aujourd'hui impunie.
28:10Et puis le vivier est tel que quand une tête tombe, c'est comme la figure de l'hydre, une autre tête repousse instantanément.
28:17Oui, on a tendance à parler de la pieuvre en France, mais moi j'ai plutôt tendance à comparer ça à une hydre
28:22parce qu'en effet on arrête des grands noms, El Chapo Guzman, vous en parliez, El Mayo Zambada,
28:28et en fait on s'aperçoit que l'organisation continue et d'ailleurs on peut le voir dans notre discussion,
28:34c'est-à-dire que vous avez les acteurs qui sont donc les cartels de la drogue,
28:37mais en fait on est en train de parler de beaucoup plus d'acteurs autour qui permettent quelque part un système,
28:42on pourrait parler d'un système qui favorise le développement des mafias, des cartels, des marchés illicites
28:49et il y a peut-être un cinquième élément qu'on pourrait ajouter qui serait celui du blanchiment d'argent
28:55où ces milliards de dollars retournent dans l'économie légale et donc il y a une forme de complicité des états
29:02et on le voit quand il y a des crises économiques type les subprimes qu'on avait vues ou même la crise du Covid à l'époque du Covid,
29:09il faut rappeler que pendant le Covid, le président Hamelot, qui était au pouvoir à l'époque au Mexique,
29:14n'a pas fait de prêts aux entreprises, d'aides aux entreprises, il a appelé les familles mexicaines à se mobiliser,
29:20mais en sous-entendant aussi qu'il a aussi mobilisé les cartels de la drogue pour éviter une crise économique absolument dramatique pour le Mexique
29:29et donc quand je vous parlais d'hypocrisie, c'est-à-dire qu'on a un problème qui est multi-acteur, multifactoriel,
29:36mais en fait les autorités se focalisent sur le tout répressif, pourquoi ?
29:40Parce que c'est visible, on le voit, il y a des caméras, on voit les militaires, etc.
29:44Ça a un bénéfice politique et donc il faut quand même rappeler que la guerre contre les cartels date de 1971,
29:51Richard Nixon, donc on est à plus de 50 ans aujourd'hui, et qu'est-ce qu'on peut dire ?
29:55On peut dire que cette guerre est perdue, en fait, quelque part, quand on voit le développement des cartels
30:00et qu'il serait peut-être temps de changer notre manière d'aborder ce problème,
30:06on parlait de la légalisation, c'est une des manières, mais c'est aussi le développement économique, l'éducation, le manque d'opportunités,
30:13et puis aussi du côté des consommateurs, il faudrait peut-être un jour qu'on parle du désenchantement,
30:17pourquoi ces gens se droguent et pourquoi ces gens se droguent avec des drogues aussi puissantes ?
30:22C'est ça la question.
30:24Alors de l'autre côté de l'Atlantique, la drogue arrive d'une façon ou d'une autre en Europe et ensuite redirigée,
30:31ce qui je comprends bien, elle a plusieurs façons d'arriver jusqu'en Europe,
30:35alors il y a, on raconte des histoires de mules, mais j'imagine que c'est une goutte d'eau dans l'océan,
30:40la plupart de la drogue arrive par bateau pour ensuite être redistribuée,
30:46si elle arrive par bateau, il y a forcément nécessairement sur le chemin, pour revenir sur mon histoire de corruption,
30:53des gens qui à l'arrivée, à la réception, participent de ce système aussi.
30:58Oui bien sûr, donc il ne faudrait pas non plus stigmatiser le Mexique vis-à-vis de la corruption,
31:04mais cette corruption elle se retrouve aussi dans les pays consommateurs, les pays du Nord,
31:09donc il n'y aurait pas autant de commerce transfrontalier entre le Mexique et les Etats-Unis sans la corruption d'agents et de fonctionnaires américains,
31:18de même qu'ici on retrouve cette corruption chez certains acteurs clés de ce commerce international,
31:25qui, vous avez raison de le signaler, c'est très important de le dire, en grande majorité passent par le commerce maritime,
31:31et le développement des routes maritimes et la plupart de la drogue se trouve dans les conteneurs,
31:35sauf que c'est des milliers de conteneurs, c'est des volumes très importants de commerce,
31:40et pour les agents des douanes, c'est un peu mission impossible, et là pour le coup c'est David contre Goliath,
31:45d'essayer de contrôler toute cette masse de marchandises qui arrive et dans laquelle se trouve cette drogue sous des formes de plus en plus sophistiquées.
31:53Oui avec des narcotrafiquants qui développent des trésors d'inventivité, Frédéric Salima, pour faire passer la drogue,
31:59il ne s'agit pas de dire ici bien sûr que tous les douaniers et les dockers d'Europe savent ce qu'il se passe,
32:05mais il y a forcément des canards boiteux dans la ferme, mais il y a aussi une efficacité de l'intrusion de la drogue dans les ports de France, des Pays-Bas qui est impressionnante.
32:17Oui alors moi j'ai interviewé par exemple des douaniers qui me parlaient de contrôle sur à peu près 4% des conteneurs,
32:23donc vous imaginez il y a 96% des conteneurs qui ne sont pas contrôlés, vous imaginez comme ça peut passer ?
32:27Alors quand on fait une saisie très importante on est content, mais imaginez tout ce qui passe au travers de ces saisies.
32:3354 tonnes en France saisies l'an dernier, c'est une goutte d'eau ?
32:38Voilà, c'est ce qu'on peut se dire, et quand on regarde la consommation par exemple de la cocaïne qui explose quand même,
32:43elle a été multipliée par 3 en 10 ans en France, donc il y a quand même une explosion, cette cocaïne est moins chère,
32:48aujourd'hui à peu près pour 60 euros vous avez un gramme de cocaïne, la cocaïne avant était consommée par une forme d'élite,
32:55on parlait du milieu du spectacle etc. Aujourd'hui vous avez des maçons, des chauffeurs de bus qui consomment de la cocaïne,
33:01et tout ce marché alimente une chaîne de corruption, on parle toujours des autorités, mais pensons aux dockers et notamment les chevaliers,
33:10on appelle les chevaliers ceux qui vont chercher ces conteneurs dans les ports, il faut dire que les ports sont des entreprises privées,
33:17donc c'est quand même très compliqué, et puis cette corruption ce n'est pas que la pas du gain, au Mexique on parle de plata au plomo,
33:25c'est-à-dire l'argent ou le plomb, sous-entendu les balles en fait, donc l'argent ou les balles, et ces dockers, d'ailleurs il y a eu des cas en France
33:32de dockers qui criaient à l'aide vis-à-vis de menaces qu'ils avaient, il y en a qui ont été assassinés, il y a un tabou notamment du côté des syndicats des dockers,
33:41mais aussi des autorités vis-à-vis de tous ces schémas de corruption, parce qu'en effet on ne sait pas bien gérer, alors là je ne sais pas si vous avez vu,
33:50mais il y a eu notamment à Madrid, le responsable en fait de l'agence contre le blanchiment de Madrid a été accusé de corruption,
33:59les autorités sont allées chez lui il y a quelques mois, et ils ont trouvé plusieurs milliers d'euros dans les murs de sa maison, cachés dans les murs de sa maison,
34:07et donc il est accusé de corruption. Donc on s'aperçoit qu'il y a différents niveaux, au niveau, Pierre a tout à fait raison que les structures locales,
34:13pourquoi ? Parce que les cartels de la drogue sont un peu comme des seigneurs féodaux, et ce qui les intéresse particulièrement c'est l'échelle municipale,
34:20on le voit en France, certains maires commencent à crier au secours, il y en a qui sont d'ailleurs accusés de corruption et qui se retrouvent coincés,
34:28et qui ne sont pas suffisamment soutenus par l'état central. Et en fait les problématiques qu'on voit au Mexique, alors à une échelle tout autre,
34:35avec une ampleur très importante, en effet il ne faut pas stigmatiser le Mexique parce que c'est un pays fonctionnel, mais attention,
34:40encore une fois le verre est dans la pomme du système mexicain, on se pose des questions, on a l'affaire Gennaro Garcia Luna,
34:47qui est quand même l'architecte de la guerre contre les cartels, quand moi je suis arrivé en 2006 au Mexique et que le président Felipe Calderón
34:53déclare la guerre aux cartels de la drogue en déployant l'armée, figurez-vous que l'architecte de cette guerre, Gennaro Garcia Luna,
34:59aujourd'hui est en prison aux Etats-Unis, condamné à 38 ans de prison pour lien avec le cartel de Sinaloa, donc qu'est-ce que ça veut dire ?
35:05Que le tsar antidrogue était un narco ? Imaginez un petit peu, d'abord la méfiance de la population, et puis la force de frappe de ces cartels,
35:13qui sont évidemment très puissants au niveau local, les chiffres c'est toujours difficile à évaluer, mais un expert me parlait de 70% des municipalités mexicaines infiltrées par le narcotrafic,
35:22donc imaginez l'échelle que ça peut prendre, alors encore une fois les cartels de la drogue sont des organisations pragmatiques, ont tout intérêt à ne pas faire de vagues,
35:30il y a des violences en effet, mais donc on a tendance à créer un tabou sur cette question.
35:36Qui aujourd'hui prend le relais une fois que la drogue, les drogues arrivent en Europe ? Est-ce que les cartels mexicains travaillent en bonne intelligence avec les cartels ici en Europe,
35:47qu'on appellerait mafia ou gang ou que sais-je ? Comment est-ce que ça se passe le transit ?
35:51Les organisations criminelles évidemment qu'elles communiquent, qu'elles font des alliances, des pactes, mais c'est pour ça que je parlais du commerce tout à l'heure,
36:01on peut à nouveau parler en termes d'entreprise, c'est des contrats commerciaux qui sont faits entre commerçants, entre narcotrafiquants,
36:10donc il y a des commandes qui sont passées, des livraisons qui sont organisées, et puis évidemment les grosses structures, les grosses organisations,
36:18elles prennent en charge la grosse logistique, surtout pour traverser les frontières et traverser les océans dans ce cas-là,
36:26et puis après vous avez la revente au détail par des plus petites structures, et là on retrouve les gangs qui sont très importants ici mais aussi au Mexique,
36:36qui organisent la revente du produit au consommateur.
36:39Le gros du marché aujourd'hui c'est plus l'Europe que les Etats-Unis ? C'est en train de basculer ?
36:44Ça dépend des drogues, ça dépend des drogues. Aujourd'hui ce qu'on voit aux Etats-Unis c'est vraiment une crise des opioïdes,
36:50des opioïdes de synthèse avec le fentanyl entre autres, tandis qu'ici en Europe ce qu'on voit c'est vraiment l'explosion de la cocaïne.
36:59Il faut voir que ces dernières années, les cultures de coca, la plante en Colombie, ont été augmentées, on estime l'augmentation à 50%.
37:11À la faveur des accords de paix conclus avec les rebelles ?
37:14Il y a eu, disons que les FARC avaient quand même, je ne sais pas si on pourrait parler de monopole, mais ils avaient vraiment un contrôle du marché,
37:22et avec ces accords de paix il y a eu une dérégulation à nouveau sur le modèle néolibéral, une dérégulation des acteurs qui a fait que
37:29beaucoup de nouveaux acteurs ont vu des opportunités et sont aussi rentrés sur le marché, ce qui a contribué à l'augmentation de la production,
37:36mais toujours en réponse avec l'explosion de la consommation ici.
37:40Un mot sur le fentanyl, on en a beaucoup parlé depuis le retour au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis,
37:45c'est le prétexte numéro un brandi par le nouveau président américain pour justifier la crispation de ses relations avec le Mexique.
37:54Oui, et d'ailleurs je trouve ça, encore une fois, moi je ne suis pas là pour juger du bienfait de ces décisions,
38:00mais c'est quand même très intéressant de mettre en comparaison des taxes douanières,
38:04donc une menace de taxes douanières de 25% sur les produits importés du Mexique,
38:09à la condition que le Mexique renforce sa lutte contre le narcotrafic.
38:15Donc on voit bien que le narcotrafic devient d'abord un élément politique, qu'on utilise politiquement,
38:19mais aussi économique, et un levier de négociation, et donc on s'aperçoit quand même que cette crise du fentanyl,
38:26et donc en effet c'est quand même très embêtant, vous voyez à San Francisco les russes sont jonchés de gens pliés en deux,
38:34parce qu'en plus le fentanyl est très très fort, donc il y a vraiment quelque chose qui est impactant pour les américains,
38:41on parlait de 70 000 morts quand même par overdose, c'est énorme, et donc en effet il y a une crise,
38:46cette crise est utilisée par Donald Trump pour faire pression sur l'économie mexicaine,
38:51donc il y a comme ça une complexification du problème, où en fait on ciblerait mal les acteurs,
38:58on jouerait, il y aurait une influence politique, on utiliserait ce fléau, ce qui complexifie tout,
39:04et qui rend très difficile cette lutte, et encore une fois 50 ans plus tard,
39:09moi je suis désolé, je suis un peu catastrophé par les mesures qui sont prises.
39:13On pose la question ce matin d'une guerre tentaculaire, enfin c'est une question posée,
39:18vous avez dit tout à l'heure Frédéric Saliba que cette guerre déclarée il y a bien longtemps était déjà perdue,
39:22il y a effectivement quelque chose d'un peu désespérant, Pierre Gossens,
39:28on est forcément démuni, on n'a pas les bons outils, on n'aborde pas le problème de la bonne façon ?
39:32C'est plutôt ça, c'est le dernier point, il faudrait vraiment changer de paradigme,
39:37Frédéric l'a dit, il faut changer notre façon de voir ce problème,
39:41et en fait il faut abandonner ce prisme sécuritaire, ce n'est pas en premier lieu un problème de sécurité.
39:48Pardon parce que je vous coupe, on voit l'exemple du Salvador avec ces giga prisons
39:52dans lesquelles d'ailleurs ont été expulsés des Etats-Unis des narcotrafiquants,
39:58ou en tout cas présentés comme tels, qui n'étaient pas du Salvador mais qui étaient du Venezuela,
40:02le tout sécuritaire, on parle beaucoup de ce que fait le président du Salvador
40:05comme étant l'une des façons de répondre à ça, ce n'est pas la bonne méthode selon vous ?
40:09Non, parce que le coup c'est renoncer à la démocratie, à nos libertés fondamentales et aux droits humains.
40:15Donc s'il y en a certains qui peut-être voudront renoncer à leur liberté,
40:21ce n'est pas mon cas et je ne pense pas que ce soit une solution,
40:25on parle dans le cas de Naïb Boukele de plus de 86 000 personnes emprisonnées,
40:30rapporté à plus ou moins 5 ou 6 millions d'habitants,
40:34c'est comme si en France, en 3 mois, on mettait plus ou moins 1 million de personnes en prison.
40:39C'est ça rapporté à la France, 1 million de personnes dans des camps,
40:43on appellerait ça des camps de concentration ici en France.
40:46Une espèce de cage ?
40:48Oui, c'est vraiment l'inhumanité totale, ces gens ont perdu tous leurs droits
40:53et vraiment il y a un gros problème de dérive autoritaire dans ce pays.
40:58Il a beau se présenter comme le dictateur le plus cool du monde, Naïb Boukele,
41:03ce n'est vraiment pas un modèle à suivre malgré les résultats,
41:06le coût de cette politique du tout répressive est énorme et insoutenable sur la durée.
41:12Et l'exemple mexicain montre que le tout répressif ne fonctionne pas, Frédéric Salim ?
41:15Non, d'ailleurs, il y a 18 ans, il déploie l'armée, 50 000 militaires,
41:19aujourd'hui on évalue à 190 000 avec la garde nationale, qui sont souvent des anciens militaires.
41:24Qui sont mobilisés aujourd'hui encore.
41:25Mobilisés dans les rues, contrôle de narcotrafic,
41:27et en fait ce qu'on s'aperçoit c'est une multiplication des plaintes pour violation des droits de l'homme,
41:31parce que mettre des militaires dans la rue, donner leur une fonction de sécurité civile,
41:35ils ne sont pas formés pour ça, ils sont formés pour faire la guerre.
41:38Et donc vous avez des abus, vous avez une méfiance qui se crée au sein de la population vis-à-vis,
41:43je peux vous dire, moi mon expérience au Mexique, vous vous faites arrêter par les militaires,
41:47vous avez peur, vous appelez tout de suite des gens que vous connaissez, vous alertez, etc.
41:52Ça crée une ambiance comme ça, ça tend une ambiance très forte.
41:55Vous savez on en parle parfois, même en France,
41:59des élus ont parlé du fait de déployer l'armée par exemple dans les cités, etc.
42:02Bon bah regardons un petit peu l'exemple mexicain.
42:06Encore une fois, quand on dit que la guerre est perdue, c'est peut-être un peu fort,
42:08c'est-à-dire qu'il y a toujours un espoir, enfin moi je suis plutôt optimiste,
42:11par contre la manière dont c'est pris en main,
42:13évidemment si vous n'êtes que sur le justice police, voire armée,
42:18il manque des éléments qui sont l'élément sanitaire,
42:21puisque c'est une crise sanitaire quand même, on parle du fentanyl, les overdoses,
42:24l'éducation, le manque d'opportunités, et puis les politiques urbaines.
42:28Comment est-ce qu'on construit, comment est-ce qu'on vit ensemble en fait ?
42:31On s'aperçoit qu'en fait il y a donc un système qui fait un terreau fertile pour le narcotrafic,
42:36nos hommes politiques sont tout à fait conscients de ce genre de choses,
42:38simplement le coût serait trop important pour eux de changer ce système,
42:43et donc quelque part ils colmatent en déployant les militaires,
42:46en faisant comme Bukele une énorme prison où vous mettez absolument tout le monde,
42:50alors dans le cas des arrestations par exemple,
42:52il suffisait que vous ayez un tatouage pour que vous soyez arrêté par la police du Salvador.
42:57Je veux dire, il y a énormément d'innocents qui se retrouvent en prison.
42:59Oui, parce qu'il y a des arrestations extrajudiciaires, des personnes qui ne sont pas jugées, etc.
43:03Même cause, même conséquence ici en Europe.
43:05Alors vous disiez que vous aviez des doutes sur l'utilisation du terme mexicanisation
43:09utilisé par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau,
43:12mais ce qu'on voit quand même, ce qu'on a vu ces derniers mois,
43:14c'est un degré de violence dans certaines villes,
43:17et pas que villes d'ailleurs ici en France, mais c'est le cas un peu partout en Europe,
43:22et là encore on ne prend pas vraiment la voie de la réflexion sanitaire ou que sais-je,
43:26on prend plutôt la voie du tout répressif.
43:28Et malheureusement, et c'est pour ça que ça va continuer,
43:31et que cette guerre, même je me demande si cette guerre était pensée pour être gagnée, à la rigueur.
43:37Mais c'est une guerre qui pour moi est perdue, avec des résultats qui sont désastreux,
43:43et c'est pour ça que c'est très important de penser à d'autres termes.
43:46Il y a vraiment une politique sanitaire à adopter d'accompagnement aux utilisateurs, aux consommateurs de drogue.
43:52Il faut quand même se demander pourquoi les gens se droguent de plus en plus,
43:56ou avec des drogues de plus en plus fortes,
43:58au lieu de cette culpabilisation moralisatrice du consommateur qui a quand même ses limites.
44:04Et pourquoi alors ?
44:05Il faut se demander, posons-nous, qu'est-ce qui se passe dans le monde du travail par exemple ?
44:09Pourquoi aujourd'hui des chauffeurs de bus ou des infirmières prennent de la cocaïne ?
44:14C'est pour tenir la cadence, c'est pour toujours répondre à ce demande de productivité,
44:20à des journées de travail qui sont de plus en plus difficiles, la pénibilité au travail.
44:24Posons-nous ces questions aussi par rapport aux détériorations des conditions de travail
44:29qui fait qu'aujourd'hui de plus en plus de travailleurs dans notre pays
44:32et dans les pays du Nord en général se droguent de plus en plus pour simplement tenir le coup dans leur job.
44:39L'explication de la demande est une des clés de la résolution de cette guerre multifactorielle,
44:47on l'a bien compris, mais il faut qu'on s'interroge là-dessus.
44:49Oui et d'ailleurs si vous regardez, la dernière campagne lancée par Bruno Retailleau sur les consommateurs
44:53culpabilise le joint du sang par exemple, des expressions comme ça très fort,
44:57narco-racaille, enfin des choses qui en fait quelque part ont un bénéfice politique
45:01mais pas du tout social et qui ne règlent absolument pas le problème des drogues.
45:05Donc c'est vrai que moi je suis quand même préoccupé par cette récupération
45:08et puis cette hypocrisie aussi parce qu'en fait on s'aperçoit quand même
45:12qu'on commence à être assez spécialisé sur les choses.
45:15On a des exemples, est-ce qu'on peut dire que le Mexique a 18 ans d'avance ?
45:18Peut-être parce qu'ils ont déployé l'armée, ils ont fait des choses.
45:20Regardons un peu ce qui se passe à l'étranger.
45:22Et puis il y a un autre élément qui moi me fascine, c'est qu'on fait des lois nationales,
45:26d'ailleurs une loi est en débat en ce moment à l'Assemblée nationale,
45:28alors qu'en fait les organisations sont des multinationales, qu'elles se jouent des frontières et donc...
45:32Il y a un manque de coopération là-dessus ?
45:34En tout cas ça s'améliore la coopération, mais surtout c'est des politiques publiques,
45:38c'est-à-dire que si on légalise, est-ce qu'on ne devrait pas légaliser à l'échelle de l'Europe ?
45:42Quand on par exemple, on augmente les saisies dans un port,
45:45le port d'Anvers par exemple a été équipé et donc les saisies ont baissé,
45:49en disant qu'il y a eu moins d'envois en fait,
45:51comme un élément, un facteur où on s'aperçoit qu'il y a moins de drogue à Anvers,
45:55mais il y en a beaucoup plus au Havre.
45:57Alors en fait les narcotrafiquants se déplacent, ils ont toujours un coup d'avance.
46:00Vous avez le Covid, le Covid a bloqué, paf, on a développé Ubercheat,
46:03ce qu'on appelle Ubercheat, on se fait livrer à la maison aujourd'hui.
46:05Donc ce qu'on s'aperçoit c'est que les cartels de la drogue sont des organisations hyper capitalistes,
46:11hyper productives, qui ont des formes complètement différentes.
46:14Alors il y a des franchises, il y a des cartels pyramidales, il y a des fédérations de narcos,
46:18enfin bon, il y a un peu toutes les formes.
46:20Et puis face à ça, on a une forme de politique, donc police-justice, qui ne marche pas,
46:26mais on continue de le faire.
46:28Alors encore une fois, attention, le gouvernement a peut-être intérêt,
46:31et c'est là où je lance un peu un appel,
46:34où il faudrait vraiment intégrer dans les équipes gouvernementales
46:37des spécialistes du narcotrafic pour pouvoir appliquer des politiques qui marchent.
46:41On va s'arrêter sur cet appel, cette proposition.
46:45Merci beaucoup Frédéric Saliba d'être revenu ce matin sur ce plateau.
46:48Voyage au pays des narcos, aux éditions du Rocher.
46:52C'est une lecture passionnante, mais effectivement assez inquiétante.
46:55Merci infiniment Pierre Gossens d'être revenu sur ce plateau, sociologue au Collège du Mexique,
46:58chercheur résident à l'Institut d'études avancées de Paris.
47:01Une émission à revoir en replay et en podcast.
47:04On se retrouve dans un petit quart d'heure pour la suite de l'info en continu.
47:06A tout à l'heure.