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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 27 mars 2025 : l'animateur et écrivain Antoine de Caunes. Avec Xavier Coste au dessin, il publie la bande dessinée "Il déserte : Georges ou la vie sauvage", aux éditions Dargaud.

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00:00Bonjour Antoine Decaune. Bonjour Hélodie. Vous êtes un jeune homme éternel devenu maître de votre temps, votre regard en dit long sur votre refus de vous ennuyer ou de votre envie de vous émerveiller de tout.
00:11Vous ne vous arrêtez jamais ou peu, votre moteur reste la curiosité, l'envie de continuer à jouer à saut de mouton avec les années, les époques, les modes aussi.
00:20Et à chaque fois que vous avez considéré être arrivé au bout d'un cycle, vous avez cassé ce cycle pour remettre votre titre en jeu.
00:27C'est justement le jeu qui a toujours rythmé votre vie, de l'émission Chorus sur Antenne 2 qui vous a vu naître à la télé à Popopop sur France Inter en passant par nulle part ailleurs,
00:35avec Philippe Gildas et José Garcia en frère d'éclats de rire. Vous avez toujours mis l'humour au cœur de vos aventures humaines et professionnelles, les deux étant intimement liées.
00:45Aujourd'hui vous publiez Il Déserte, une bande dessinée qui raconte avec Xavier Coste une histoire vraie, celle de Georges ou La Vie Sauvage, Georges c'est votre père.
00:55Alors que vous n'aviez que 8 ans, il a décidé de partir sur une île déserte. Au début, il vous a annoncé qu'il allait partir pendant un an.
01:01Il est parti dans l'archipel des Marquises. C'est une destination qu'il avait choisie pour justement retrouver une forme d'autonomie et pour pouvoir proposer autre chose.
01:10C'était il y a plus de 60 ans. Il avait laissé un journal de bord qui est resté dans votre table de nuit pendant des années.
01:16Et un beau jour, vous avez décidé d'ouvrir cette table de nuit, d'affronter son écriture en pattes de mouche, si j'ai bien tout compris, et de raconter cette histoire.
01:24Le fait de laisser ça dans un tiroir, c'était une façon de ne pas affronter ce mystère qui vous a toujours accompagné ?
01:30C'était une façon, je ne sais pas si je le formulerais comme ça, c'était une histoire qui appartenait au passé en fait.
01:38Un lointain passé, parce que ça s'est déroulé il y a une soixantaine d'années et moi c'était ma petite enfance.
01:43C'est une histoire qui m'avait évidemment profondément marqué, pour toutes les raisons que vous venez de citer.
01:48Mais je n'avais pas le besoin de me replonger là-dedans. On en avait parlé, lui en avait parlé, même si c'était assez superficiel, les commentaires qu'il en faisait.
01:58Et je n'avais pas le besoin d'aller voir plus loin. Et puis, cet objet était là, qui guettait dans l'ombre du tiroir de ma table de chevet,
02:09qui attendait en fait, qui attendait parce que je finis par croire un peu aux signes finalement dans la vie.
02:14Et quand la proposition est arrivée de faire une BD avec Dargaud et Xavier Coste, c'est immédiatement cette idée-là qui s'est imposée.
02:23Parce qu'il fallait, quitte à faire une BD, je ne suis pas auteur de BD, je n'ai jamais fait ça de ma vie, une raison de plus de le faire d'ailleurs.
02:29On avait besoin d'une histoire originale, d'une histoire personnelle, d'une histoire que personne d'autre que moi ne pouvait raconter.
02:37Et donc celle-là cochait toutes les cases.
02:39On sent la tristesse même à travers le dessin de Xavier Coste.
02:42Quand on vous voit apparaître et qu'il vous tient par la main, on sent toute la profondeur de ce dessin-là.
02:47C'est difficile justement d'affronter ça ?
02:51En fait, ce qui est difficile, c'est les relations père-fils.
02:53Je crois que lui-même avait beaucoup souffert d'abord d'avoir un père absent et puis un père disparu très prématurément,
03:00parce qu'il a perdu son père quand il avait 16 ans sur un quai de gare.
03:03La guerre est arrivée derrière.
03:04Donc en fait, c'est toute une enfance et une adolescence et une entrée dans l'âge adulte qui ont été totalement brouillées pour mon père.
03:12Et je pense que ce besoin qu'il avait de s'éloigner, de partir, remettre sa vie en jeu d'une certaine manière,
03:19après avoir survécu à toutes ces années épouvantables, c'était une manière d'être au monde qu'il n'en connaissait pas d'autre.
03:27Alors, vu de l'extérieur, évidemment, quand vous avez une famille, des enfants,
03:31ça peut paraître très égoïste, très inconséquent d'aller prendre des risques pareils.
03:37Mais en même temps, je le comprends.
03:39Je ne peux pas le condamner tout à fait formellement pour ça.
03:44C'est l'un des journalistes les plus importants.
03:46Il a collaboré à la création du journal télévisé.
03:50Il a commenté le rugby.
03:51Il s'est passé énormément de choses.
03:53Il vous a donné envie aussi, vous, de raconter des histoires ou pas ?
03:56Alors, lui, il n'en racontait pas.
03:58Il les racontait au monde entier, mais pas à ses enfants.
04:01Une fois franchi la porte du domicile, il était taiseux.
04:06En fait, j'en ai parlé avec d'autres enfants d'aventuriers.
04:11Je crois que j'avais parlé avec un Tabarly.
04:14Le père Tabarly était comme ça.
04:16Il vivait des histoires extraordinaires.
04:18Et puis, une fois rentré à la maison, c'était un mur.
04:20Je ne sais pas ce qu'il m'a transmis.
04:24En tous les cas, ce qu'il m'a transmis, c'est certainement un regard amusé sur les choses,
04:29une distance, une forme d'humour.
04:33J'étais très sensible à l'humour de mon père,
04:36qui était un humour sans rire, très flegmatique, très anglo-saxon.
04:43Et le besoin de raconter, oui, certainement,
04:46mais pas dans la ligne qu'il avait choisie, lui.
04:50J'avais voulu être journaliste, journaliste, moi.
04:53Il y a un émerveillement aussi dans tout.
04:55Il y a une fidélité.
04:56Je voudrais qu'on en parle.
04:58Philippe Gildas, vous manque terriblement.
05:00Vous savez qui vous a permis de devenir l'homme que vous êtes devenu.
05:03Oui, bien sûr.
05:04Et en même temps, la tristesse, vous la transformez en quelque chose de très positif.
05:08C'est ce qu'on découvre dans cette BD aussi.
05:10Oui.
05:11Ça fait partie de votre personnalité, ça ?
05:13Oui, parce que je peux être très malheureux,
05:16mais je n'aime pas rester dans cet état-là.
05:19J'aime bien transformer ça.
05:21Et toujours essayer de…
05:23Vous savez, comme Clément Tipiton,
05:25toujours danser sur le côté un peu ensoleillé de la rue.
05:28Donc, je n'ai pas une nature tragique.
05:30J'ai une nature un peu mélancolique parfois, mais pas tragique.
05:33Je vis avec une Grecque qui, elle, en possède une solide.
05:37Donc, je peux faire la comparaison.
05:39Non, je ne suis pas dans la tragédie.
05:42Enfin, la comédie, oui.
05:43Tout ça est une grande comédie.
05:45Et c'est terrible quand on est contraint de le prendre au sérieux.
05:50Pour terminer, cet ouvrage, « Il Déserte »,
05:53c'est une déclaration d'amour ou un hommage à votre père ?
05:56C'est une déclaration d'amour, un hommage,
05:58et certainement pas une mise en accusation.
06:03J'imagine que le livre lui aurait plu.
06:06Je sais qu'il avait tiqué sur le titre
06:07parce que je lui avais proposé comme titre « Il Déserte »
06:09pour un projet d'entretien que je lui avais soumis,
06:11mais qui tournait en rond parce qu'il n'arrivait pas à se déboutonner assez.
06:16Donc, j'avais dit, écoute, on va mettre un terme à ça.
06:19C'est dommage.
06:20Le livre se sera appelé « Il Déserte »,
06:21ce qui l'avait plutôt mal pris,
06:22même si ça l'avait fait rire, pour les bonnes raisons.
06:26Je ne sais pas.
06:27C'est un hommage en tous les cas.
06:28L'hommage, moi, je veux le rendre à Xavier Coste,
06:30qui est le dessinateur qui a travaillé sur le livre.
06:33D'âge, Pierre. Vraiment, c'est...
06:35Et qui a fait un boulot absolument exceptionnel.
06:39Exceptionnel, non seulement, c'est un très grand dessinateur.
06:42Puis, il a travaillé dans une urgence,
06:44avec une énergie qu'on sent, je crois, dans le livre.
06:46Ce n'est pas des petites cases enfermées.
06:49On parle d'une aventure qui se passe au grand air.
06:51Et cette aire, cette lumière, elles sont dans le livre, je crois.
06:55Mais surtout, il s'est tellement emparé du sujet.
07:00C'est tellement devenu son histoire à lui, en même temps que la mienne,
07:04que c'est très troublant.
07:05Moi, je vois les dessins, dans ces dessins,
07:08ce que je pouvais imaginer quand j'avais 8 ans,
07:10de ce qui se passait sur cette île.
07:12Et je m'y reconnais aujourd'hui, alors que j'en ai 71,
07:14dans tout le point de vue rétrospectif.
07:17Donc, c'est très troublant.
07:19Et ça, c'est vraiment le génie de Xavier.

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