MACRO - Plus de 500.000 personnes signent une rupture conventionnelle chaque année. Depuis sa création en 2008, le succès de cette fin de CDI «à l’amiable» dépasse toutes les prévisions. Mais à quel prix ?
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00:00C'est une situation qu'on ait des milliers à avoir vécue.
00:03Une salariée qui en a marre de son job,
00:05un patron qui n'est plus content du travail de sa salariée.
00:08Et dans ces cas-là, il y a une solution, la rupture conventionnelle.
00:12La rupture conventionnelle, c'est quand un employeur et un ou une salarié
00:17décident de mettre fin à un CDI d'un commun accord.
00:20L'employeur verse des indemnités de départ au salarié
00:23qui a le droit de toucher le chômage à la fin de son contrat.
00:26Et depuis sa création en 2008, les Français adorent la rupture conventionnelle.
00:31En 2023, plus de 500 000 ruptures conventionnelles ont été signées.
00:35Et on a tous ce cliché en tête,
00:37des jaunes cadres dynamiques qui profiteraient d'une rupture conventionnelle
00:40pour faire le tour du monde.
00:45Alors pour certains économistes et responsables politiques,
00:48ça marche même trop fort.
00:49C'est vrai que tout le monde a été surpris par l'ampleur du phénomène.
00:52La rupture conventionnelle coûterait trop cher à l'assurance-chômage
00:56et elle inciterait à la paresse.
00:57Alors, on va essayer de répondre à la question
01:00Les ruptures conventionnelles ruinent-elles l'économie française ?
01:06Ça peut paraître bizarre vu les critiques aujourd'hui,
01:08mais la rupture conventionnelle est une mesure qui vient de la droite et du patronat.
01:13Il faut remonter au début des années 2000 pour connaître son histoire.
01:16Elle coïncide avec une grande idée théorique lancée par quelques économistes,
01:20le contrat unique de travail.
01:22En gros, ça consistait à simplifier le marché du travail
01:26en supprimant tous les types de contrats.
01:28Tout était un CDI, mais beaucoup plus simple à rompre.
01:30Bertrand Martineau était le conseiller social de Nicolas Sarkozy
01:34juste après son élection.
01:35Certains candidats se sont montrés intéressés
01:38au moment de l'élection présidentielle de 2007,
01:40dont Nicolas Sarkozy.
01:42Le contrat de travail unique.
01:43C'est un contrat unique.
01:45C'était à Bertrand Martineau d'aider le président
01:47à mettre en place cette promesse de campagne.
01:49Sauf que...
01:50Personne, en fait, n'en voulait véritablement.
01:52Les syndicats n'en voulaient pas
01:53parce que c'était une façon aussi
01:54d'avoir des licenciements plus simples, moins coûteux.
01:57Et le patronat n'en voulait pas non plus
01:59parce que les chefs d'entreprise,
02:00ils ont évidemment besoin d'un volant de main-d'oeuvre relativement flexible,
02:04que ce soit des CDD ou de l'intérim.
02:06L'idée du contrat unique est vite abandonnée.
02:08Mais personne ne veut renoncer à une grande réforme du droit du travail.
02:11C'est là que le MEDEF, l'organisation patronale, entre en scène.
02:15Laurence Parizeau est l'ancienne présidente du MEDEF
02:18et c'est elle qui a eu l'idée de la rupture conventionnelle.
02:20J'en ai eu l'idée avec deux ou trois autres personnes
02:23en faisant la comparaison avec le divorce.
02:26Jusqu'au milieu des années 70,
02:28il n'y avait pas d'autre formule juridique possible de divorce que par faute.
02:31Jusqu'à ce qu'en 1975, on invente le divorce par consentement mutuel.
02:36Et j'ai essayé de le transposer dans le marché du travail,
02:40sur le contrat de travail.
02:42Nous sommes entre 2006 et 2008
02:44et il y a un contexte assez particulier dans les entreprises.
02:47À ce moment-là, les entreprises françaises,
02:50et notamment les PME, avaient d'énormes difficultés
02:53et pour embaucher et pour ajuster leurs effectifs
02:56en fonction des variations de carnet de commandes.
02:58Avant même l'élection de Nicolas Sarkozy,
03:01le MEDEF entame des discussions avec les syndicats.
03:03Et après plusieurs mois de négociations,
03:05tous les partenaires sociaux, sauf la CGT, se mettent d'accord.
03:08La loi sur la rupture conventionnelle
03:10entre dans le Code du travail en juin 2008.
03:14Avant d'aller plus loin,
03:15laissez-moi vous présenter Flex et Securix.
03:18Flex, c'est la flexibilité, et Securix, la sécurité.
03:21Quand on parlait travail en France avant 2008,
03:24on penchait clairement du côté de Securix.
03:26C'est-à-dire que la rupture du contrat de travail était l'exception.
03:30Si un employeur voulait licencier un salarié,
03:32il devait absolument justifier ce licenciement par un motif
03:36et payer des indemnités.
03:38À l'autre extrémité, il y a les pays flex
03:40où la rupture conventionnelle, c'est l'exception.
03:42C'est-à-dire que la rupture conventionnelle, c'est l'exception.
03:45C'est-à-dire que la rupture conventionnelle, c'est l'exception.
03:46Elle ne coûte rien à l'employeur
03:48qui peut facilement virer un salarié sans motif.
03:51Et le salarié se retrouve sans rien.
03:56Eh bien, la rupture conventionnelle,
03:57c'est la rencontre entre ces deux extrêmes.
03:59C'est la flexisécurité.
04:02La flexibilité faisait peur, était considérée comme un danger.
04:05Il fallait essayer de faire comprendre
04:07qu'elle pouvait être entourée de garanties
04:10ou de mécanismes très protecteurs.
04:12Et que cette souplesse sur le marché du travail
04:15était en réalité gagnante pour tout le monde.
04:18Elle est gagnante pour les patrons
04:19parce qu'ils peuvent se séparer d'un salarié
04:22sans devoir se justifier, contrairement à un licenciement.
04:25Et que la rupture conventionnelle est très difficile à casser
04:28une fois qu'elle a été signée.
04:29C'est aussi gagnant et plus sécurisant pour les salariés
04:32parce qu'ils touchent le chômage après une rupture conventionnelle.
04:35Et que c'est moins stigmatisant.
04:37Avoir sur un CV un licenciement, ce n'est pas toujours facile.
04:39Avoir sur un CV une rupture conventionnelle,
04:42ça laisse plus de liberté.
04:43Bon, sur le papier, tout le monde est content.
04:45Mais en réalité, qu'est-ce que ça donne ?
04:50D'abord, voyons qui fait des ruptures conventionnelles.
04:52Ce sont en majorité des employés du secteur des services
04:55qui ont moins de 40 ans.
04:56Et est-ce que cette réforme a atteint son objectif ?
04:59Au départ, la rupture conventionnelle devait permettre trois choses.
05:03Premièrement, remplacer les licenciements
05:05qui comportent un risque juridique important pour les employeurs.
05:08Deuxièmement, faciliter les empauches en CDI
05:11puisqu'on peut plus facilement divorcer
05:13si l'une des deux parties n'est plus satisfaite.
05:15Et enfin, flexibiliser le marché du travail.
05:18C'est-à-dire permettre plus de mouvements de salariés
05:21entre les entreprises.
05:22Vous êtes viré !
05:23Non, vous êtes viré.
05:25Alors, pour ce premier objectif, c'est assez mitigé.
05:28En réalité, seuls 12% des licenciements pour motifs personnels
05:32sont remplacés par des ruptures conventionnelles.
05:34Et pour les deux autres objectifs ?
05:36J'ai interrogé Cyprien Battu,
05:38qui a co-écrit un article de recherche pile sur ce sujet.
05:41Voici ce qu'il m'a dit.
05:42Nous, ce qu'on montre dans l'article qu'on a écrit avec Éric Morin,
05:45c'est qu'on peut lier directement
05:47l'apparition des ruptures conventionnelles dans certains établissements
05:49et la fluidification du marché du travail.
05:52Parce qu'en fait, ce qu'on voit,
05:53c'est qu'une fois qu'un établissement commence à utiliser les ruptures conventionnelles,
05:56il y a une augmentation du nombre de ruptures des CDI.
05:59Et cette augmentation des ruptures de contrats,
06:01elle est accompagnée aussi par une certaine augmentation des embauches.
06:04De telle sorte qu'il y a effectivement une fluidification.
06:06Mais en fait, ce qu'on a aussi trouvé,
06:08c'est qu'il y avait un petit peu moins de personnes qui arrivaient
06:11qu'une personne qui partait.
06:12En gros, oui, il y a de la fluidification du marché du travail.
06:16Mais non, il n'y a pas plus d'embauches.
06:18Mais souvenez-vous, ce qui pose problème
06:20à pas mal d'adversaires de la rupture conventionnelle,
06:22c'est le volet Securix de la réforme.
06:25C'est-à-dire le fait qu'on touche le chômage
06:27et donc que ça coûterait trop cher à l'État.
06:32J'ai pu récolter pas mal de chiffres sur les personnes
06:34qui ont signé une rupture conventionnelle.
06:37En 2023, plus de 680 000 personnes touchaient le chômage
06:40à la suite d'une rupture conventionnelle,
06:42soit 18% des allocataires indemnisés.
06:45Ils sont en moyenne mieux indemnisés
06:47que les personnes licenciées en fin de CDD ou d'intérim,
06:50parce qu'ils sont plus diplômés et qu'ils ont de meilleurs salaires.
06:56Ça représentait donc 8 835 000 000 d'euros d'indemnisation en 2023,
07:02soit un quart des dépenses d'allocations chômage.
07:05Ces chiffres bruts peuvent paraître énormes.
07:07Mais en fait, c'est compliqué de calculer le coût exact
07:10de la réforme de la rupture conventionnelle sur l'assurance chômage.
07:14Pour calculer ce coût, il faudrait savoir précisément
07:16ce que remplacent les ruptures conventionnelles.
07:19Est-ce que ce sont plutôt des licenciements qui donnent le droit au chômage
07:23ou des démissions qui ne donnent pas le droit au chômage ?
07:26Comme on l'a vu plus tôt, il y a un consensus
07:28sur le fait que 12% des licenciements sont remplacés par des ruptures conventionnelles.
07:33Et pour le reste, les économistes ne sont pas d'accord.
07:38Comme il n'y a pas de consensus clair dans les études,
07:41l'UNEDIC, l'organisme qui gère France Travail, a tranché.
07:44Il dit qu'il ne peut pas calculer l'impact net de la rupture conventionnelle
07:48sur les dépenses d'assurance chômage.
07:50En gros, l'UNEDIC ne donne pas de chiffres.
07:53Ça n'empêche pas des économistes comme Pierre Cauc
07:55de réclamer des mesures pour réduire le coût pour l'assurance chômage.
07:59Par exemple, introduire une période de carence prolongée.
08:02Mais pour comprendre le coût pour les finances publiques,
08:05on peut aussi se demander à quoi sert la période de chômage
08:09après une rupture conventionnelle.
08:10Selon l'UNEDIC, ceux qui passent par une rupture conventionnelle
08:13lancent plus souvent des projets de création d'entreprises.
08:16Aussi...
08:17Dans la plupart des cas, et en tout cas c'est ce qu'on observait dans les données,
08:20c'est que ce temps passé au chômage,
08:21il permettait de trouver un emploi de meilleure qualité que celui qui était avant.
08:25Et là, on en revient à notre question de départ.
08:30À l'échelle microéconomique,
08:31pour les entreprises comme pour les salariés,
08:33la rupture conventionnelle permet souvent de mettre fin
08:36à des situations où personne n'est content.
08:38Et à l'échelle macroéconomique ?
08:40Il est évident qu'il doit y avoir des effets non souhaités.
08:44Il est évident que ça coûte de l'argent.
08:47Mais ces coûts ou ces effets indésirés,
08:51ce n'est rien à côté de l'incertitude,
08:55de la rigidité, du blocage général,
08:58que peut-être certains ont oublié ou n'ont pas connu,
09:01qu'il y avait à l'époque.
09:02C'est pour cette raison que,
09:03quand il y a eu une rumeur de suppression de la rupture conventionnelle,
09:07elle a été immédiatement démentie.
09:09C'est une réforme qui fonctionne.
09:11C'est une réforme qui est mise en œuvre sans réticence par personne.
09:16Et en préparant ce sujet,
09:18j'ai aussi découvert que c'était la dernière grande réforme du marché du travail
09:22qui a été pensée par l'ensemble des partenaires sociaux.
09:25Ça explique peut-être le consensus qu'il y a encore aujourd'hui
09:27sur la rupture conventionnelle.
09:29Enfin, pour remettre tout ça en perspective,
09:31voici un graphique qui montre les ruptures de CDI par catégorie.
09:35Les ruptures conventionnelles ont augmenté,
09:37mais elles restent en avant-dernière position,
09:39bien loin derrière les démissions.
09:42Merci d'avoir regardé cette vidéo jusqu'au bout
09:44et dites-nous si vous aussi vous avez fait une rupture co.
09:47Et si cette vidéo vous a plu, likez, commentez
09:50et surtout n'oubliez pas de vous abonner.