Pendant toute l'intervention en Afghanistan, ils ont travaillé pour l'armée française et risqué leur vie. Aujourd'hui considérés comme des traîtres par les talibans et abandonnés par la France.
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00:00Nous, on ne sait pas quel jour on sera tué, qui va nous tuer, qui va kidnapper nos enfants,
00:10qui va tuer nos parents parce que nous, on a travaillé avec l'armée française.
00:14C'est vrai qu'ils sont considérés là-bas comme des traîtres, ils sont grillés.
00:18Ils ont tout lâché de leur côté, sinon on ne leur tape pas la main, qu'est-ce qu'ils
00:22deviennent ?
00:23On n'est pas là pour leur faire du mal, on est en patrouille.
00:28Aujourd'hui, on a des collègues qui sont tous menacés par les talibans et daesh à
00:33cause de leur collaboration avec l'armée française.
00:42Ces traducteurs ont risqué leur vie aux côtés de soldats français, voire parfois ont permis
00:47de sauver la vie de soldats français.
00:48Il y a une volonté d'en rapatrier le moins possible parce qu'on considère ces auxiliaires
00:52d'armée comme des migrants.
00:53Aujourd'hui qu'on les laisse derrière nous, c'est scandaleux.
00:56Oui, c'est un scandale d'Etat.
01:05A partir de fin 2001 jusqu'à fin 2012, la France intervient en Afghanistan pour combattre
01:09les talibans et lutter contre le terrorisme aux côtés d'une coalition internationale.
01:14Pour cette mission, les militaires français ont travaillé avec plus de 800 tarjumans,
01:17des traducteurs afghans, qui ont toujours voulu être rapatriés, au même titre que
01:21l'armée française.
01:26J'étais encore à l'école quand j'ai commencé à travailler avec l'armée française,
01:41en 2003, jusqu'à juillet 2012.
01:43J'étais avec une équipe qui s'appelait Artec, c'était une équipe d'intervention
01:49sur les attentats explosifs, c'était une équipe d'investigation.
01:53J'ai donné mon neuf ans pour l'armée française, j'ai travaillé le jour et la
01:58nuit pour l'armée française, et travailler avec des trous étrangers, c'est toujours
02:02un risque.
02:03Les gens ici pensent que les gens qui ont travaillé avec l'armée étrangère ont des
02:09espions.
02:10Ma vie c'est complètement en danger, je ne peux pas aller dehors, les gens ils cherchent
02:16les interprètes.
02:17Les talibans n'ont pas hésité à exécuter des membres de familles de traducteurs et
02:25des traducteurs pour essayer de dissuader les gens de venir le faire, et donc tous
02:30les gens qui ont été traducteurs l'ont fait au péril de leur vie, au péril de la
02:34vie de leur famille.
02:35Et depuis le départ de l'armée française en 2012, beaucoup de ces traducteurs ont essayé
02:39de se cacher, et ils sont toujours vulnérables, certains d'entre eux se retrouvent régulièrement
02:44reconnus, voient des menaces sur la porte de leur maison, et certains d'entre eux ont
02:49déjà été tués.
02:50Le 23 juin, le nuit à 23h15, j'étais attaqué par les gens armés, il y avait deux ou trois
02:58personnes qui étaient armées, la porte est frappée, je suis allé là-bas pour voir
03:01qui c'était.
03:02Les gens ils parlaient entre eux que c'est sa maison, ils ont commencé de tirer, ils
03:09ont bien détruit la porte d'entrée de chez moi, quelques vitres ont été cassées,
03:14mais heureusement je n'ai pas été touché.
03:16Est-ce que vous avez le sentiment d'avoir été abandonné par l'armée française et
03:22l'état français ?
03:23Oui, je sens qu'on est abandonné.
03:24Depuis un long temps de départ des français, on est passé dans une situation très très
03:30dangereuse.
03:31Bien sûr que j'ai peur pour la vie de moi et de ma famille, parce que je ne veux pas
03:36que je perde la vie de mes enfants et de ma famille à cause que j'ai travaillé avec
03:41l'armée française.
03:42La procédure de délivrer des visas pour les interprètes, une fois j'ai demandé mais
03:48sans raison, ma demande a été rejetée par l'ambassade de France.
03:53On est optimiste, on espère que bientôt on pourra avoir notre visa et sauver notre
03:58vie et la vie de nos enfants et de la famille.
04:07Quand les français sont arrivés en Afghanistan, ils n'avaient aucun relais locaux.
04:12Ils ne connaissaient pas ce pays, ils ne connaissaient pas les vallées de ce pays, ils ne connaissaient
04:16pas les coutumes, ils ne connaissaient pas la culture.
04:18Donc il a fallu pour les militaires français être en contact avec des afghans, avec des
04:22locaux.
04:23Et les relais des militaires français, c'était leurs interprètes.
04:26Donc sans eux, les militaires français n'étaient rien en Afghanistan.
04:30Du coup j'ai voulu savoir si des militaires français ayant servi en Afghanistan et ayant
04:34travaillé avec des traducteurs locaux trouvaient ça normal.
04:38Et c'est comme ça que j'ai rencontré l'adjudant-chef Jean-François.
04:40Bon, je suis retraité.
04:42Maintenant.
04:43J'étais instructeur de tir et instructeur armement.
04:46J'ai été déployé en Afghanistan, je suis arrivé en mai 2011.
04:50On devait former soit des soldats, soit des cadres.
04:53Dans notre mission, on était aidé par des traducteurs, les tarjeman.
04:57Sur place, ils peuvent apaiser des tensions, puisqu'ils vont aller au devant des populations
05:11expliquer ce que font les militaires, ce que fait la force ici.
05:14Ils ont un rôle important, c'est vraiment l'interface.
05:16Est-ce que vous les considérez comme des frères d'armes quand vous êtes en opération?
05:21Tout à fait.
05:22Pour moi, c'était comme des soldats.
05:24Moi, ils étaient dans mon équipe, c'était comme mes soldats.
05:26Oui, des frères d'armes, bien sûr.
05:28Il y a des secteurs, d'ailleurs, où c'était dangereux, ils étaient armés.
05:33On sait qu'ils sont dans la vallée, il ne peut pas dire le contraire.
05:39Parfois, ce qu'ils faisaient, c'était, pour les renseignements français, de l'écoute.
05:42Non, il n'y en a pas ici.
05:44C'est-à-dire que ce sont des gens qui sont responsables de la mort de militants talibans
05:49et que les talibans n'hésiteront pas à exécuter comme traîtres, comme responsables
05:53de la mort de certains de leurs combattants.
05:55Donc, ce sont des gens qui sont aujourd'hui dans une très, très grande vulnérabilité.
05:59C'est vrai qu'ils sont considérés là-bas comme des traîtres.
06:01Ils sont grillés.
06:03Ils ont tout lâché de leur côté.
06:05Sinon, on ne leur tape pas la main.
06:06Qu'est-ce qu'ils deviennent?
06:07Qu'est-ce qu'ils deviennent?
06:08Et après six mois d'opération sur le terrain, l'adjudant-chef Jean-François se lie d'amitié
06:13avec son traducteur Ari Foula, mais la France décide de quitter le pays.
06:16La France se retire.
06:22Il y a un premier groupe qui est rapatrié.
06:24Donc, je pensais que tout naturellement, ça allait suivre, surtout le cas de Ari,
06:29qui était francophile comme lui.
06:31Et puis, plus rien.
06:32C'est là qu'on commence à s'inquiéter.
06:34D'ailleurs, chaque fois qu'il y avait un attentat, j'appelais.
06:36On avait gardé contact avec Skype.
06:39J'étais là, j'ai été voir à droite, à gauche, essayer d'intervenir avec mes petits moyens.
06:45Et finalement, il est arrivé en 2018.
06:49Oui, lui, c'était souvenu ce que j'avais dit.
06:52Tu te pointes n'importe quand, on te récupère.
06:54Et c'était une putain de bonne nouvelle.
06:56Ouais, je sais pas, je me suis intéressé à Ari.
06:59Peut-être que j'ai fait une fixette sur lui.
07:01Je m'étais dit, toi, tu bois un coup en Bourgogne.
07:06Ça fait peur, ils sont venus faire venir des Afghans en France, alors que c'était
07:15des gens qui ont travaillé avec des Français, qui ont travaillé avec l'armée en plus,
07:18qui ont une certaine culture.
07:21Je trouvais ça injuste.
07:22C'est donnant-donnant.
07:23Lui, il a donné pour la France, il faut qu'ils reçoivent.
07:27La trahison qui est faite à ces traducteurs afghans est d'autant plus forte que lorsque
07:32ces traducteurs se sont engagés aux côtés des militaires français, il leur a été
07:36dit qu'en cas de problème, ils pourraient venir en France.
07:39Ça a été une des manières utilisées pour inciter des gens à venir être traducteurs
07:44et être guides.
07:45Il y a ici une politique d'État qui trahit des gens qui se sont battus pour lui.
07:49Sauf que cette promesse, elle n'était pas écrite noir sur blanc dans le contrat des
07:53traducteurs.
07:54Et lorsque la France commence à se retirer de l'Afghanistan à partir de fin 2011, plusieurs
07:58centaines de traducteurs afghans ont fait une demande de visa qu'ils n'ont pas obtenue
08:02parce que le ministère de l'Intérieur a décidé de mettre en place des quotas très
08:05stricts.
08:06Nous, on a découvert que Manuel Valls, à l'époque ministre de l'Intérieur, dit
08:11Nous, on en a en rapatrie 35 sur les 800 qu'on a embauchés.
08:14Vous me choisissez les 35 meilleurs.
08:16Ceux qui présenteront le moins de problèmes d'intégration en France et ceux qui sont
08:20le plus en danger, vous me les rapatriez.
08:22Et au cours de cette enquête, les journalistes Quentin Muller et Brice Handler découvrent
08:26aussi des échanges de mails entre l'attaché de défense de l'ambassade de France à
08:30Kaboul et ses collègues, où on peut voir en fait que les traducteurs ont été classés
08:35avec des appréciations telles que plus de 60 ans, famille nombreuse ou encore semble
08:39bien islamiste.
08:41Il y a une volonté d'en rapatrier le moins possible parce qu'on considère ces auxiliaires
08:45d'armée comme des migrants, comme des chiffres en moins sur le budget du ministère du Logement,
08:50sur le budget du ministère de la Défense.
08:51Donc il y a un mépris pour ces gens-là.
08:53Pourtant, en 2012, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense et aujourd'hui ministre
08:58des Affaires étrangères, assurait que la France aiderait les traducteurs afghans.
09:02La France ne doit pas abandonner ses collaborateurs, quelle que soit leur situation, et ceux qui
09:06sont le plus à risque trouveront en France l'accueil qu'ils méritent.
09:107 ans plus tard, l'accueil de certains traducteurs afghans est en réalité loin d'être à la hauteur.
09:15Sur Twitter, un supporter du FC Nantes m'a parlé des Satari, une famille de traducteurs
09:19afghans arrivés en juillet 2019 et qui depuis est baladée d'hôtel 115 en hôtel 115.
09:29Je viens d'arriver à la gare de Saint-Nazaire où je rejoins Frédéric, c'est un gars de
09:32Twitter qui a aidé la famille Satari quand il a appris qu'elle devait quitter son hôtel
09:37115 de Nantes et qui les a aidés à s'installer à Saint-Nazaire.
09:45Charles, enchanté.
09:46Enchanté.
09:50Alors toi comment tu t'es retrouvé en fait à aider la famille Satari ?
09:54En fait j'ai découvert leur histoire au travers du réseau social Twitter et leur
10:01histoire m'a touché et en plus ça se passe dans ma ville donc c'est difficile de détourner
10:08les yeux quand on lit un récit ou une histoire pareille.
10:12J'ai un compte qui regroupe une communauté de fans nantais, entre autres assez importante,
10:17donc des gens qui habitent Nantes, sous un hashtag qu'on utilise, qui est un hashtag
10:23On est Nantes putain, ça veut dire que face à l'adversité on peut tout faire, on peut
10:30renverser tous les défis.
10:33Donc là on est arrivé c'est ça ?
10:35Là on est à l'hôtel.
10:36Allez on y va.
10:43Bienvenue.
10:44Bonjour.
10:45Comment allez-vous ?
10:46Merci.
10:47Bonjour.
10:49Alors combien de fois avez-vous bougé depuis que vous êtes arrivé ?
10:51Un, deux, trois, c'est la quatrième fois.
10:54La quatrième fois en seulement trois mois ?
10:56Oui, en trois mois.
10:58On est arrivé en France, j'avais en fait expérimenté par l'armée française qu'ils
11:05venaient et qu'ils nous disaient aussi de nous accueillir en France parce qu'on avait
11:11des problèmes avec la France.
11:13Tous les jours, qu'est-ce que vous faites ?
11:15Je fais attention à ma femme parce qu'elle ne peut pas bouger, parce qu'elle est paralysée.
11:21Je dois faire attention à mes enfants.
11:23Au début, ils veulent qu'on soit familier en français parce qu'il y a des problèmes
11:29avec la langue française.
11:31Et puis après, ils veulent qu'on aille à l'hôpital parce qu'il y a des problèmes
11:35avec la langue française.
11:37Et puis après, ils veulent qu'on aille à l'hôpital parce qu'il y a des problèmes
11:42avec la langue, parce que je pense que c'est la vérité.
11:44Une des choses les plus difficiles pour la famille, c'est l'ennui.
11:47Ils restent toute la journée dans leur chambre, ils n'ont rien à faire, ils n'ont pas d'activité,
11:51pas de cours de français, donc il n'y a vraiment aucune prise en charge pour les aider
11:55à mieux s'intégrer ou à reprendre le cours d'une vie normale.
11:58Et s'il n'y avait pas les bénévoles pour leur filer un coup de main,
12:00ils seraient complètement livrés à eux-mêmes.
12:03Vous avez dit qu'on avait perdu hier ?
12:06Notre club de football ?
12:08Oui, on a perdu.
12:11Tu veux avoir aussi converti au foot ?
12:13Oui, ils s'intéressent, mais ils adorent le foot.
12:15Vous aimez le football ?
12:16Oui.
12:18J'aime le football, et aussi l'équipe de Barcelone.
12:23Ah non !
12:24L'équipe de Real Madrid.
12:25L'équipe de FC Nantes.
12:26L'équipe de Paris.
12:27L'équipe de Paris-Germain.
12:29Non, pas Paris.
12:30Non, pas Paris.
12:31Non, c'est impossible.
12:32L'équipe de Paris-Germain.
12:34Non, non.
12:35Ça ne va pas le faire.
12:36Ça ne le fera pas, là.
12:38On va aller à un match, ensemble, au stadium.
12:41Un autre match.
12:42Un autre match ?
12:43Oui, oui.
12:44Inch'Allah.
12:45Inch'Allah.
12:46Inch'Allah.
12:54Qu'est-ce qui t'a le plus surpris, toi, aujourd'hui, dans ce qu'ils ont pu nous raconter ?
12:58Je ne les ai pas vus depuis 3-4 jours.
13:01C'est de voir la meilleure mine.
13:02Ils ont une bonne mine, quoi.
13:04Je pense qu'ils ont retrouvé de l'espoir.
13:07Je pense que ça y est, la rencontre entre ces gens et puis la France, ça y est, elle est faite.
13:13Et c'est ça qui, je pense, nous importait avec les copains.
13:17C'était de leur montrer que la France, c'était autre chose qu'une miteuse chambre d'hôtel.
13:24Allez.
13:25Mes amis, merci.
13:27Merci.
13:28Merci.
13:29Merci.
13:31Et j'espère que tout se passera bien pour vous.
13:34Et vous serez bienvenue en France.
13:36Merci.
13:37Merci beaucoup.
13:38Merci pour votre attention, monsieur.
13:40Merci beaucoup.
13:41Depuis 2012, la France en a accueilli environ 250.
13:44Elle fait figure de mauvaise élève à l'échelle européenne.
13:47A titre de comparaison, l'Allemagne en a rapatrié 760.