• avant-hier
Avec "Reine mère", la cinéaste franco-tunisienne @manelelabidi se joue des représentations, met en scène le duo Camélia Jordana Sofiane Zermani, et se réapproprie un certain Charles Martel... avec humour et dérision !
Transcription
00:00Alors comme ça, M. Martel, on n'aime pas les Arabes ?
00:02J'ai jamais dit que j'aimais pas les Arabes.
00:03Il n'a jamais dit qu'il n'aimait pas les Arabes.
00:05Bonjour, je suis Manel Labidi, je suis franco-tunisienne
00:09et je suis la réalisatrice du film Reine Mère qui sort au cinéma le 12 mars.
00:13Ça parle du racisme ordinaire, de la France des années 90,
00:15d'une famille algérienne, tunisienne,
00:17d'une maman qui a une énergie débordante,
00:20un père qui est extrêmement patient,
00:22une petite fille qui a des visions d'un certain Charles Martel.
00:24Celui qui arrêta les rapes en 732.
00:28Les... Pardon.
00:30Les... Arabes.
00:32Quand on entend 732, Martel arrête les Arabes à Poitiers,
00:35surtout quand tu es le seul Arabe de la classe,
00:37tu le prends pour toi.
00:38Tu dis, oh merde, on a encore déconné.
00:39Chacun, en fait, l'a ressenti différemment.
00:40On était un peu les méchants dans l'affaire.
00:42Et donc c'est dur de grandir avec une certaine confiance
00:45et puis de bâtir une belle estime de soi
00:46quand ton identité, elle est malmenée par les médias,
00:48par le roman national, par les institutions
00:51et qu'il n'y a pas de contre-représentation.
00:53Cette démarche d'aller convoquer ce mythe de Martel,
00:55d'aller me renseigner, de découvrir qu'en fait l'histoire est plus compliquée,
00:57de me réapproprier cette histoire.
00:58Pour moi, c'est une réparation absolument incroyable.
01:00Tu es trop les belles.
01:01Mais parce que ?
01:02Parce que je suis ta fille.
01:04Camélia Jordana aussi, je dois vous avouer
01:06que j'étais très surprise quand je l'ai rencontrée
01:07parce que je ne pensais pas qu'elle pourrait jouer une mère de famille
01:10sachant qu'elle est jeune.
01:10Je ne pensais pas qu'elle dégageait autant de maturité.
01:12Pour moi, il n'y a qu'elle qui pouvait faire ce rôle.
01:14Tu as passé trop de temps chez les cadeaux, toi.
01:15Je te rappelle que chez nous, t'aimes d'abord ta mère,
01:16ensuite ta mère, après ta mère
01:18et seulement après t'aimes ton père.
01:19Elle peut pas séduire aux larmes.
01:20Elle est drôle, émouvante, tragique.
01:22Elle peut être sombre.
01:23Quand elle a lu le scénario, elle a cru que c'était un film sur sa mère.
01:25Elle s'est vraiment reconnue.
01:26J'ai pas eu peur de salir l'archétype de la mère Courage.
01:29Ça n'enlève en rien l'amour que j'ai pour ces femmes.
01:32Mais j'ai l'impression presque de les réhumaniser
01:34en leur amenant ces défauts, ces aspérités, cette complexité.
01:37Et ça, c'est quelque chose que j'essaie d'avoir sur tous mes personnages,
01:39féminin et masculin.
01:40Pareil pour Sofiane Zermany.
01:41C'est quelqu'un qui est née pour faire du cinéma.
01:43Moi, il me fait penser à Vittorio Gassman, à Marlon Brando, plus jeune.
01:47Tous les deux dégagent une espèce de présence, de charisme.
01:49Et c'est un couple que j'aurais aimé avoir dans mes représentations plus jeunes.
01:54L'humour, c'est une façon de voir le monde.
01:56C'est une façon d'aborder la tragédie.
01:58Une façon de prendre de la hauteur.
01:59C'est un outil comme ça qui permet de créer des voies d'émancipation
02:02à des personnages qui sont certes discriminés ou précarisés,
02:04mais qu'on va essayer de rendre vivants, maîtres de leur destin.
02:08Tous ces personnages, et avec Amel en premier lieu,
02:10c'est des personnages qui disent non aux étiquettes, non aux boîtes,
02:12non aux raccourcis.
02:13Et Martel, en quelque sorte, c'est un petit peu la même logique.
02:16C'est que lui aussi, il a été réduit, ratatiné dans un mythe
02:18qui omet complètement la vérité historique.
02:20Et donc quelque part, il y a presque un équilibre
02:21entre la quête identitaire de la gamine
02:23et la quête identitaire de Charles Martel.

Recommandations