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00:00Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'ancien ambassadeur de France en Syrie, Michel Duclos.
00:05Bonjour Michel Duclos.
00:07Bonjour.
00:08Monsieur Europe 1, vous avez été ambassadeur de France en Syrie de 2006 à 2009,
00:12vous êtes aussi conseiller spécial géopolitique et diplomatie à l'Institut Montaigne,
00:17auteur de « La longue nuit syrienne », livre paru en 2019 je crois, c'est ça Michel Duclos ?
00:24C'est ça, avec une actualisation en livre de poche en 2021.
00:28Voilà, et c'est toujours d'actualité, les autorités syriennes ont annoncé hier la fin de l'opération militaire
00:35contre les derniers fidèles du régime renversé de Bachar Al-Assad.
00:38Alors, opération militaire, ce sont les mots du régime,
00:41et on peut dire, Michel Duclos, que c'est un bel euphémisme pour ce qui ressemble véritablement à un pogrom.
00:46Je rappelle ce qui s'est passé, vendredi et tout le week-end,
00:49au moins 1000 personnes ont été tuées, surtout des civils,
00:52à la huit, c'est-à-dire l'ethnie de Bachar Al-Assad, dans leur bastion de l'ouest syrien.
00:57Il y a aussi parmi les victimes des chrétiens, il n'est qu'à regarder les réseaux sociaux,
01:01c'est un bain de sang qui a eu lieu, Michel Duclos, c'est important ce qui s'est passé,
01:05qu'est-ce que l'on en sait exactement ?
01:08Alors, c'est très important, je dois dire que beaucoup de gens s'y attendaient,
01:13et même s'attendaient à ce que ce soit plus tôt,
01:16parce que les Alaouites, c'était cette partie de la population syrienne
01:23qui avait soutenu le régime d'Assad pendant des décennies,
01:28et même, Assad lui-même était Alaouite,
01:32et ils avaient laissé quand même un souvenir atroce dans le pays,
01:36notamment après cette guerre civile.
01:39Donc beaucoup d'observateurs pensaient qu'il y aurait des vengeances,
01:44un spasme de violences, qui ne s'est pas produit dans les premières semaines,
01:49et là, le point déclencheur semble avoir été quand même
01:53un étapement d'anciens du régime
01:57qui s'en sont pris aux forces du nouveau gouvernement.
02:01Et ça a été le point de départ, effectivement,
02:05d'une attaque beaucoup plus profonde,
02:09où d'autres groupes que les forces du gouvernement
02:12sont venus d'autres parties du territoire.
02:15Oui, ils se sont joints à la curée, et c'est vraiment ça qui s'est passé,
02:17on a vu quand même des djihadistes venus persécuter des gens,
02:21finalement qu'ils n'attendaient qu'un signal pour le faire.
02:24Si avec des djihadistes, ça aurait été sans doute plus illimité,
02:28c'est des groupes armés assoiffés de vengeance,
02:31comme là aussi, beaucoup de gens l'avaient prévu,
02:35c'est ce genre de pays, c'est probablement vrai dans tous les pays,
02:39où la vengeance courbe, est violente,
02:43et les gens veulent se venger des pressions qu'ils ont subies pendant des décennies.
02:49Mais alors, quel est votre diagnostic, Michel Duclos ?
02:51Est-ce qu'il faut voir, dans ce qui s'est passé, dans ces massacres,
02:54la main du nouveau pouvoir de transition ?
02:57Ou bien, cela veut-il dire qu'Armed Al-Shara,
02:59le président syrien, par intérim finalement,
03:02ne contrôle absolument pas le pays ?
03:04Je rappelle qu'il avait dit, à la fin du mois de janvier,
03:07vouloir dissoudre toutes les milices pour rebâtir une armée nationale syrienne.
03:12Comment vous regardez les événements ?
03:14Qu'est-ce que cela signifie concrètement, du point de vue du pouvoir syrien ?
03:17Cela veut dire, effectivement, que, d'abord,
03:22comme tous les observateurs l'avaient prévu,
03:26la situation est extrêmement instable,
03:29et le nouveau pouvoir assez fragile.
03:32Alors, Armed Al-Shara n'est certainement pas à l'origine de ces massacres,
03:36d'ailleurs, probablement pas non plus l'essentiel de ses troupes,
03:40mais il est possible que, parmi ses troupes,
03:44il y ait des éléments qu'il ne contrôle pas.
03:47Ensuite, c'est quand même fondamentalement
03:51un réduit d'anciens fidèles d'Assad,
03:56qui est à l'origine des spasmes actuels,
04:00parce qu'eux, évidemment, ont intérêt à ce que les choses ne se passent pas bien.
04:05La vraie question, c'est par qui sont-ils soutenus ?
04:08Est-ce qu'ils ont reçu un feu vert et de l'aide de la Russie ?
04:13C'est une façon pour les Russes de faire pression dans les négociations sur leur base ?
04:17Ou est-ce que c'est même l'Iran ou d'autres acteurs qui ont intérêt à la déstabilisation
04:22du nouveau pouvoir syrien ?
04:24Sur leur base, c'est la fameuse base de Tartus, je précise,
04:27qui était une grande base navale que les Russes avaient en...
04:31Oui, plus la base de Mlemmlin, qui est une base aérienne,
04:34qui d'ailleurs s'étouffait pour donner refuge à beaucoup de femmes et d'enfants
04:40qui craignaient la persécution.
04:42Mais alors, à quoi ressemble la Syrie aujourd'hui,
04:45quatre mois après la chute du pouvoir de Bachar al-Assad ?
04:48Quel en est le tableau, Michel Duclos ?
04:50Alors là, on vient de mentionner un point extrêmement noir,
04:55je dirais qu'il y a un autre point noir,
04:58et il y a un point positif.
05:01Le point positif, c'est qu'hier, un accord a été trouvé entre les nouvelles autorités
05:06et les Kurdes du nord-est,
05:10qui étaient quand même presque un cinquième du territoire.
05:15C'est des gens qui nous ont aidés, nous, dans la lutte contre Daesh,
05:21lesquels on a évidemment un regard positif,
05:27mais qui avaient sous leur coupe aussi beaucoup de tribus,
05:29et qui avaient pris beaucoup de territoires,
05:31et qui, de surcroît, étaient en but, naturellement, à la Russie de Monsieur Erdogan.
05:36Donc, si ce problème-là n'était pas résolu,
05:39le pays allait tout droit à d'autres soubresauts de guerre civile
05:45et de séparation du territoire.
05:47C'est plutôt la bonne nouvelle.
05:49Oui, Michel Duclos, vous redoutiez, il y a quelques semaines de cela,
05:52finalement, pour la Syrie, un scénario à la libyenne ou à la soudanaise.
05:56Qu'est-ce que vous vouliez dire par cela ?
05:58Est-ce que vous craignez toujours ce scénario-là ?
06:01Alors, je le crains un peu moins depuis cette nouvelle d'hier.
06:05C'est-à-dire un scénario dans lequel, finalement, le territoire part en morceaux,
06:10chaque morceau étant sous le contrôle d'une faction armée.
06:15Et là, en l'occurrence, avec la multiplication des confessions,
06:19on s'aurait voulu dire une faction armée kurde ici,
06:23sunnite là, druze ailleurs, halawite sur la côte.
06:28C'est ça le risque qui n'est pas écarté du tout
06:32et qui correspond si probablement au dessein d'autres puissances dans la région
06:36comme Israël et Iran.
06:39Donc, c'est absolument vital qu'il y ait cet accord avec les Kurdes.
06:45Mais le troisième problème, après celui de la côte et celui des Kurdes,
06:50c'est l'économie.
06:52Et tant que les Américains en particulier n'ont pas levé les sanctions,
06:56et en particulier sur les transactions bancaires et financières,
07:00ça signifie qu'il est impossible pour l'origine non seulement de relever l'économie,
07:06de relancer la croissance, mais même tout simplement de payer les fonctionnaires.
07:10Actuellement, les fonctionnaires ne sont pas payés.
07:13Merci beaucoup Michel Duclos pour votre tableau de la Syrie en ce 11 mars,
07:19au surlendemain de ces massacres ce week-end dans le pays
07:23qui ont tant choqué le monde entier.
07:25Merci d'être venu ce matin sur l'antenne d'Europe 1.
07:27Je rappelle que vous avez été ambassadeur de France en Syrie.
07:30Le titre de votre ouvrage consacré à la Syrie,
07:32pays que vous connaissez très bien, la longue nuit syrienne.
07:34Merci d'être venu sur Europe 1.
07:36Il est 7h18 sur Europe 1.

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