Emmanuel Macron s'adresse aux Français, lors d'une allocution télévisée, afin de répondre aux inquiétudes sur la guerre en Ukraine. Le président de la République s'exprime à la veille d'un sommet européen crucial et dans un moment de bascule géopolitique autour d'un rapprochement entre Washington et Moscou, potentiellement aux dépens de l'Europe et de Kiev.
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03:11Françaises, Français, mes chers compatriotes,
03:13je m'adresse à vous ce soir en raison de la situation internationale
03:17et de ses conséquences pour notre pays et pour l'Europe,
03:20et cela après plusieurs semaines d'action diplomatique.
03:24Vous êtes en effet, je le sais, légitimement inquiets
03:27devant les événements historiques en cours
03:29qui bouleversent l'ordre mondial.
03:32La guerre en Ukraine,
03:34qui a entraîné près d'un million de morts et de blessés,
03:37continue avec la même intensité.
03:39Les Etats-Unis d'Amérique,
03:41notre allié,
03:42ont changé leur position sur cette guerre,
03:45soutiennent moins l'Ukraine et laissent planer le doute sur la suite.
03:48Dans le même temps,
03:50les mêmes Etats-Unis d'Amérique
03:52entendent imposer des tarifs douaniers
03:54aux produits venant d'Europe.
03:56Enfin, le monde continue d'être sans cesse plus brutal
04:00et la menace terroriste ne faiblit pas.
04:03Au total,
04:05notre prospérité et notre sécurité
04:07sont devenues plus incertaines
04:09et il faut bien le dire,
04:11nous rentrons dans une nouvelle ère.
04:14La guerre en Ukraine dure maintenant depuis plus de trois ans.
04:18Nous avons, dès le premier jour,
04:20décidé de soutenir l'Ukraine
04:22et de sanctionner la Russie.
04:24Et nous avons bien fait.
04:25Car c'est non seulement le peuple ukrainien
04:27qui lutte avec courage pour sa liberté,
04:29mais c'est aussi notre sécurité
04:31qui est menacée.
04:33En effet, si un pays peut envahir impunément son voisin en Europe,
04:36alors personne ne peut plus être sûr de rien
04:39et c'est la loi du plus fort qui s'applique.
04:41Et la paix ne peut plus être garantie sur notre continent même.
04:45L'histoire nous l'a enseigné.
04:48Au-delà de l'Ukraine,
04:50la menace russe est là
04:52et touche les pays d'Europe.
04:54Elle nous touche.
04:55La Russie a déjà fait du conflit ukrainien un conflit mondial.
04:58Elle a mobilisé sur notre continent
05:00des soldats nord-coréens,
05:02des équipements iraniens,
05:04tout en aidant ces pays à s'armer davantage.
05:07La Russie du président Poutine
05:09viole nos frontières pour assassiner des opposants,
05:12manipule les élections en Roumanie, en Moldavie.
05:15Elle organise des attaques numériques contre nos hôpitaux
05:18pour en bloquer le fonctionnement.
05:20La Russie tente de manipuler nos opinions
05:23avec des mensonges diffusés sur les réseaux sociaux.
05:25Et au fond, elle teste nos limites.
05:27Elle le fait dans les airs, en mer, dans l'espace
05:30et derrière nos écrans.
05:32Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières.
05:36Et la Russie, dans le même temps, continue de se réarmer,
05:40dépensant plus de 40% de son budget à cette fin.
05:45D'ici 2030,
05:47elle prévoit d'encore accroître son armée,
05:49d'avoir 300 000 soldats supplémentaires,
05:513 000 chars, 300 avions de chasse de plus.
05:54Qui peut donc croire, dans ce contexte,
05:58que la Russie d'aujourd'hui s'arrêtera à l'Ukraine ?
06:02La Russie est devenue, au moment où je vous parle
06:05et pour les années à venir,
06:06une menace pour la France et pour l'Europe.
06:09Je le regrette très profondément.
06:11Et je suis convaincu qu'à long terme,
06:14la paix se fera sur notre continent
06:16avec une Russie redevenue apaisée et pacifique.
06:20Mais la situation que je vous décris est celle-là,
06:22et nous devons faire avec.
06:25Alors, face à ce monde de danger,
06:27rester spectateur serait une folie.
06:29Il s'agit, sans plus tarder,
06:32de prendre des décisions pour l'Ukraine,
06:34pour la sécurité des Français,
06:35pour la sécurité des Européens.
06:38Pour l'Ukraine, d'abord.
06:40Toutes les initiatives qui aident à la paix
06:42vont dans le bon sens,
06:43et je veux ce soir les saluer.
06:45Nous devons continuer d'aider les Ukrainiens à résister
06:49jusqu'à ce qu'ils puissent négocier avec la Russie
06:52une paix solide pour eux-mêmes et pour nous tous.
06:55C'est pour cela que le chemin qui mène à la paix
06:58ne peut pas passer par l'abandon de l'Ukraine.
07:00Bien au contraire.
07:02La paix ne peut pas être conclue à n'importe quel prix
07:05et sous le dictat russe.
07:07La paix ne peut pas être la capitulation de l'Ukraine.
07:10Elle ne peut pas être son effondrement.
07:12Elle ne peut pas davantage se traduire
07:14par un cessez-le-feu qui serait trop fragile.
07:16Et pourquoi ? Parce que là aussi, nous avons l'expérience du passé.
07:19Nous ne pouvons pas oublier que la Russie
07:22a commencé d'envahir l'Ukraine dès 2014
07:25et que nous avons alors négocié un cessez-le-feu à Minsk.
07:28Et la même Russie n'a pas respecté ce cessez-le-feu.
07:32Et nous n'avons pas été capables de maintenir les équilibres
07:36faute de garanties solides.
07:38Aujourd'hui, on ne peut plus croire la Russie sur parole.
07:41L'Ukraine a droit à la paix et la sécurité pour elle-même.
07:45Et c'est notre intérêt,
07:47et c'est l'intérêt de la sécurité du continent européen.
07:49C'est en ce sens que nous travaillons avec nos amis britanniques,
07:53allemands et plusieurs autres pays européens.
07:55C'est pourquoi vous m'avez vu ces dernières semaines
07:58rassembler plusieurs d'entre eux à Paris,
08:00aller les retrouver il y a quelques jours à Londres
08:02pour consolider les engagements qui sont nécessaires à l'Ukraine.
08:06Une fois la paix signée,
08:08pour que l'Ukraine ne soit pas à nouveau envahie par la Russie,
08:12il nous faut le préparer.
08:14Cela passera à coup sûr par un soutien à l'armée ukrainienne dans la durée.
08:18Cela passera aussi peut-être par le déploiement de forces européennes.
08:22Celles-ci n'iraient pas se battre aujourd'hui.
08:24Elles n'iraient pas se battre sur la ligne de front.
08:26Mais elles seraient là au contraire une fois la paix signée
08:30pour en garantir le plein respect.
08:33Dès la semaine prochaine, nous réunirons à Paris
08:36les chefs d'État-major des pays qui souhaitent
08:38prendre leurs responsabilités à cet égard.
08:41C'est ainsi un plan pour une paix solide, durable, vérifiable
08:47que nous avons préparé avec les Ukrainiens
08:50et plusieurs autres partenaires européens
08:52et que j'ai été défendre aux États-Unis il y a 15 jours
08:56et à travers l'Europe.
08:58Et je veux croire que les États-Unis resteront à nos côtés.
09:01Mais il nous faut être prêts si tel n'était pas le cas.
09:06Que la paix en Ukraine soit acquise rapidement ou non,
09:10les États européens doivent, compte tenu de la menace russe
09:14que je viens de vous décrire, être capables de mieux se défendre
09:18et de dissuader toute nouvelle agression.
09:20Oui, quoi qu'il advienne, il nous faut nous équiper davantage,
09:26hausser notre position de défense et cela pour la paix même,
09:30pour dissuader.
09:32À ce titre, nous restons attachés à l'OTAN
09:34et à notre partenariat avec les États-Unis d'Amérique.
09:37Mais il nous faut faire plus, renforcer notre indépendance
09:41en matière de défense et de sécurité.
09:44L'avenir de l'Europe n'a pas à être tranché à Washington ou à Moscou.
09:48Et oui, la menace revient à l'Est.
09:51Et l'innocence, en quelque sorte, des 30 dernières années
09:54depuis la chute du mur de Berlin, est désormais révolue.
09:59À Bruxelles demain, lors du Conseil extraordinaire
10:01qui réunira les 27 chefs d'État et de gouvernement
10:04avec la Commission et le Président du Conseil,
10:08nous franchirons des pas décisifs.
10:11Plusieurs décisions seront prises que la France proposait
10:14depuis plusieurs années.
10:16Les États membres pourront accroître leurs dépenses militaires
10:19sans que cela soit pris en compte dans leur déficit.
10:22Des financements communs massifs seront décidés
10:25pour acheter et produire sur le sol européen
10:28des munitions, des chars, des armes,
10:31des équipements parmi les plus innovants.
10:34J'ai demandé au gouvernement d'être mobilisé pour que,
10:37d'une part, cela renforce nos armées le plus rapidement possible
10:40et, d'autre part, que cela accélère la réindustrialisation
10:43dans toutes nos régions.
10:45Et je réunirai avec les ministres compétents
10:47les industriels du secteur dans les prochains jours.
10:51L'Europe de la défense, que nous défendons depuis huit ans,
10:55devient donc une réalité.
10:58Cela veut dire des pays européens davantage prêts à se défendre
11:01et à se protéger, qui produisent ensemble les équipements
11:04dont ils ont besoin sur leur sol,
11:07qui sont prêts à davantage coopérer, à réduire leurs dépendances
11:10à l'égard du reste du monde.
11:13Et c'est une bonne chose.
11:15L'Allemagne, la Pologne, le Danemark, les États baltes
11:18et nombre de nos partenaires ont annoncé
11:21des efforts inédits en matière de dépenses militaires.
11:25Alors, dans ce temps de l'action qui s'ouvre enfin,
11:28la France a un statut particulier.
11:31Nous avons l'armée la plus efficace d'Europe.
11:34Et grâce aux choix faits par nos aînés
11:36après la Deuxième Guerre mondiale,
11:38nous sommes dotés de capacités de dissuasion nucléaire.
11:41Ceux-ci nous protègent beaucoup plus que nombre de nos voisins.
11:45Et de plus, nous n'avons pas attendu l'invasion de l'Ukraine
11:49pour faire le constat d'un monde inquiétant.
11:52A travers les deux lois de programmation militaire
11:54que j'ai décidées et que les parlements successifs ont votées,
11:58nous aurons doublé le budget de nos armées en presque dix ans.
12:03Mais compte tenu de l'évolution des menaces,
12:05de cette accélération que je viens de décrire,
12:08nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires
12:12et des investissements supplémentaires
12:14qui sont désormais devenus indispensables.
12:17J'ai demandé au gouvernement d'y travailler le plus vite possible.
12:20Ce seront de nouveaux investissements qui exigent
12:23de mobiliser des financements privés,
12:26mais aussi des financements publics,
12:28sans que les impôts ne soient augmentés.
12:31Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage.
12:36Notre dissuasion nucléaire nous protège.
12:39Elle est complète, souveraine, française de bout en bout.
12:44Elle a, depuis 1964, de manière explicite,
12:47toujours joué un rôle dans la préservation de la paix
12:50et de la sécurité en Europe.
12:53Mais répondant à l'appel historique du futur chancelier allemand,
12:57j'ai décidé d'ouvrir le débat stratégique
13:00sur la protection par notre dissuasion
13:03de nos alliés du continent européen.
13:06Quoi qu'il arrive, la décision a toujours été
13:09et restera entre les mains du président de la République,
13:12chef des armées.
13:15Maîtriser notre destin, devenir plus indépendant,
13:18nous devons y œuvrer au plan militaire,
13:21mais aussi au plan économique.
13:24Oui, l'indépendance économique, technologique, industrielle
13:27et financière sont des nécessités.
13:30Nous devons aussi nous préparer à ce que les États-Unis
13:33décident de tarifs douaniers sur les marchandises européennes,
13:37comme ils viennent de le confirmer à l'encontre du Canada et du Mexique.
13:41Cette décision incompréhensible,
13:43tant pour l'économie américaine que pour la nôtre,
13:46aura des conséquences sur certaines de nos filières.
13:49Elle accroît la difficulté du moment,
13:52mais elle ne restera pas sans réponse de notre part.
13:55Alors, tout en préparant la riposte avec nos collègues européens,
14:00nous continuerons, comme je l'ai fait voilà 15 jours,
14:03à tout tenter pour convaincre que cette décision
14:06nous ferait du mal à tous.
14:08Et j'espère, oui, convaincre
14:11et en dissuader le président des États-Unis d'Amérique.
14:15Au total, le moment exige des décisions sans précédent,
14:20depuis bien des décennies.
14:22Sur notre agriculture, notre recherche, notre industrie,
14:26sur toutes nos politiques publiques,
14:28nous ne pouvons pas avoir les mêmes débats que Naguère.
14:31C'est pourquoi j'ai demandé au Premier ministre et à son gouvernement
14:35et j'invite toutes les forces politiques, économiques et syndicales du pays
14:40à leur côté, à faire des propositions à l'aune de ce nouveau contexte.
14:45Les solutions de demain ne pourront être les habitudes d'hier.
14:50Mes chers compatriotes,
14:53face à ces défis et ces changements irréversibles,
14:57il ne faut céder à aucun excès,
15:01ni l'excès des vates en guerre, ni l'excès des défaitistes.
15:05La France ne suivra qu'un cap,
15:08celui de la volonté pour la paix et la liberté,
15:12fidèle en cela à son histoire et à ses principes.
15:16Oui, c'est ce en quoi nous croyons, pour notre sécurité,
15:21mais c'est ce en quoi nous croyons aussi,
15:24pour défendre la démocratie,
15:26une certaine idée de la vérité,
15:30une certaine idée d'une recherche libre,
15:33du respect dans nos sociétés,
15:35une certaine idée de la liberté d'expression,
15:38qui n'est pas le retour des discours de haine,
15:40au fond une certaine idée de l'humanisme.
15:43C'est cela ce que nous portons et qui se joue.
15:46Notre Europe possède la force économique,
15:48la puissance et les talents pour être à la hauteur de cette époque.
15:53Et que nous nous comparions aux Etats-Unis d'Amérique
15:55et a fortiori à la Russie, nous en avons les moyens.
15:58Nous devons donc agir en étant unis en Européens
16:02et déterminés à nous protéger.
16:05C'est pourquoi la patrie a besoin de vous, de votre engagement.
16:09Les décisions politiques, les équipements militaires,
16:11les budgets sont une chose,
16:13mais ils ne remplaceront jamais la force d'âme d'une nation.
16:19Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix.
16:23Il ne tient qu'à nous, que nos enfants récoltent demain
16:28les dividendes de nos engagements.
16:31Alors nous ferons face, ensemble.
16:35Vive la République, vive la France.