La part de la France dans les exportations de la zone euro est passée de 18 % en 2000 à 13 % en 2024. C’est l’un des principaux enseignements d’une étude menée par l’institut Rexecode sur le Made In France. Perte de compétitivité, manque de spécialisation, budget de l’État… Comment expliquer ce recul ?
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00:00Le débat de ce Smart Impact, on va notamment parler du recul du Made in France.
00:11Je vous présente mes invités, Marie Fromentin, bonjour.
00:13Bonjour.
00:13Vous êtes la présidente de la Maison Prélonge et Olivier Redoulez, bonjour.
00:17Bonjour.
00:18Bienvenue à vous aussi, vous êtes directeur des études chez Rex&Code.
00:21La Maison Prélonge, en quelques mots, présentez-nous votre entreprise.
00:24C'est une marque française d'objets de décoration en fausse fourrure haut de gamme.
00:30En fait, on a une alternative aujourd'hui à la vraie fourrure.
00:34On confectionne en France des plaids, des couvre-lits, des coussins à destination de nos clients.
00:42Nos clients sont principalement professionnels, donc des boutiques de décoration et des architectes d'intérieur,
00:47pour des projets résidentiels ou hôteliers.
00:51Pour ma part, j'ai repris l'entreprise il y a 4 ans et j'étais assez étonnée de voir qu'environ 70% de notre chiffre d'affaires est fait à l'étranger.
00:59Justement, on va parler du Made in France, comment il est perçu à l'étranger et comment il est perçu par les consommateurs français.
01:06Vous avez publié avec Rex&Code, Olivier Redoulez, votre rapport sur la compétitivité de la France en 2024.
01:15On va vraiment se concentrer sur le Made in France dans un instant, mais si vous deviez sortir une bonne et une mauvaise nouvelle générale, vous diriez quoi ?
01:22La bonne nouvelle, c'est que si on prend l'ensemble des biens et services, c'est-à-dire ceux qui comptent au niveau macroéconomique pour garder l'équilibre extérieur d'un pays,
01:30on est revenu à peu près au niveau de déficit qu'on avait en 2019, juste avant la crise.
01:36Donc ça, c'est une bonne nouvelle. Une bonne nouvelle, c'est que ça s'est fait par un excédent exceptionnel de services de l'ordre de 50 milliards d'euros.
01:46Si on pouvait parler de ça à une nouvelle, c'est qu'on a continué à perdre des parts de marché par rapport à l'ensemble des autres pays européens à l'exportation
01:55et qu'au final, notre retour, notre réception du déficit record qu'on avait observé au moment de la crise du Covid,
02:03c'est plus par moins d'importations que plus d'exportations.
02:07Oui, effectivement. Et alors, il y a ce chiffre qui est sur une longue période, puisqu'on est sur un quart de siècle.
02:14C'est l'un des enseignements de vos rapports, on va dire. La part de la France dans les exportations de biens et services de la zone euro est passée de 18% en 2000 à 13% en 2024.
02:25Donc une pèse de 5 points. Est-ce que c'est une tendance régulière ? Est-ce qu'elle s'aggrave ? Qu'est-ce qu'on peut en dire de ce recul du Made in France ?
02:32Alors, ça a été une tendance régulière à peu près de 2000 à 2017. Ensuite, ce qu'on voyait et on voulait croire aux effets positifs de la politique de l'offre,
02:41c'est une amélioration entre 2017-2019. Et ce que l'on perçoit aujourd'hui, c'est qu'on a de nouveau franchi une marge escalier par le bas avec la crise du Covid.
02:50Et là, on s'inscrit sur cette tendance de longue période. Il faut bien voir que cette tendance, elle touche la France, mais elle ne touche pas les autres pays.
02:58Elles ont soit augmenté leur part de marché, soit se sont maintenues. La France, en fait, sous-performe la plupart de ses grands voisins européens.
03:05C'est quoi ? C'est une perte de compétitivité ? Comment vous l'expliquez ?
03:08Alors, il y a sans doute pas mal de facteurs. Il y a un sujet de compétitivité, effectivement. Il y a le fait qu'aussi un sujet de spécialisation.
03:19En fait, on mène une enquête Rexico depuis un certain nombre d'années auprès des importateurs, des acheteurs de six grands pays européens.
03:25On en a interrogé 500. On va sortir d'ailleurs la prochaine édition très bientôt. Les résultats ne sont pas encore prêts.
03:30Mais ce qu'on en a vu au fil des éditions de cette enquête, c'est que pour le faire simple, on avait des prix assez proches du niveau allemand, mais pas la qualité allemande.
03:40Et donc, en fait, le rapport qualité-prix nous situait assez de manière défavorable à la fois par rapport à l'Allemagne, qui certes a des prix très élevés,
03:49mais à une qualité telle qu'elle peut se les permettre, mais sans être compétitif au niveau des prix comme nos partenaires et nos concurrents espagnols, italiens par exemple.
03:58Marie Formenta, vous nous le disiez tout à l'heure, le Made in France, comment vous, à la dimension de votre entreprise, vous le voyez perçu à l'international ?
04:08Ça reste un label d'excellence. Comment vous le percevez, ça ?
04:10C'est vrai que le Made in France, c'est un vrai label du luxe. La France est le berceau du luxe. Et ça, ça remonte à Louis XIV, lorsqu'il a créé la manufacture royale de tapisserie.
04:24Donc la mode et la décoration sont perçus à l'étranger comme quelque chose de luxueux. Et lorsque je vais rencontrer des clients étrangers, c'est vrai qu'ils sont vraiment...
04:33C'est le premier argument de se dire « j'ai un produit unique, un produit différent ». Et mes clients français, finalement, j'ai l'impression que c'est un petit peu plus banal pour eux.
04:43C'est normal d'avoir un produit Made in France. Et c'est pas mon premier argument. L'argument, ça va être plutôt « on peut vous livrer rapidement, on est flexibles, on va faire du sur-mesure avec vous dans les ateliers, dans les Vosges ».
04:58Voilà. Donc c'est pas du tout la même perception. Et je pense que la problématique aujourd'hui, c'est comment sensibiliser les Français à acheter français, même s'il y a une problématique de prix.
05:09— Oui, j'allais y venir, mais... — Très clairement. Mais ça va être boule de neige, en fait.
05:14— Parce que vous dites que l'argument, ça va être la proximité, la livraison, les conditions d'eux, la qualité du produit, évidemment, et le prix. Donc est-ce que ça, c'est un frein à l'achat ?
05:26— Oui. Aujourd'hui, c'est un frein à l'achat. Effectivement, juste après le Covid, on a vu comme un engouement d'acheter français. Je pense que c'était médiatisé.
05:38Mais maintenant, il y a un problème de prix très clairement. Et pourtant, on est sur un produit qui est très luxueux, qui a vraiment une qualité supérieure par rapport à ce qu'on peut trouver importé d'autres pays.
05:52— Alors là, on est sur le secteur du luxe, qui est... Je sais pas si vous avez secteur par secteur dans votre étude. Mais est-ce qu'on est vraiment sur une liche, quoi, même si c'est un secteur majeur
06:02qui pèse très lourd dans l'économie française, dans la capacité à exporter le made in France ? Le luxe est hors catégorie d'une certaine façon. Est-ce qu'on peut dire ça ?
06:12— On a quelques grands secteurs qui sont très forts, dans lesquels on arrive à dégager des excédents très importants. Et effectivement, le luxe, une partie des matériels de transport, c'est l'aéronautique.
06:21Il y a les médicaments. Ce sont trois grands secteurs. Et puis aussi, c'est devenu assez médiatique depuis quelque temps. Il y a aussi l'électricité, en fait. On exporte de l'électricité.
06:30Et on a augmenté ses exportations depuis la période avant-crise. Mais cela étant, la question qui se pose quand on regarde l'équilibre entre le pouvoir d'achat et le choix des Français,
06:39c'est vrai que si on regarde les biens, les Français, ils achètent pour un tiers seulement du français et deux tiers de l'étranger, les consommateurs français.
06:46Et ça, c'est en mettant tout ensemble. Mais si on prend les biens de plus ou moins durable, ils se reportent de plus en plus vers des achats étrangers parce que c'est moins cher.
06:55Il y a un vrai sujet de salaire. Mais le salaire, au fond – et ça nous renvoie aux questions de politique de l'offre –, qu'est-ce qui justifie des salaires élevés dans un pays comme la France ?
07:05C'est qu'on a un stock de capital très élevé. C'est ça qui fait de la productivité du travail qui est la source des salaires. Il y a la productivité du travail italien.
07:13Mais notre niveau de compétence, par exemple, les ingénieurs français sont à peu près aussi bons que les ingénieurs italiens, roumains ou espagnols.
07:20Ce qui fait vraiment la différence, c'est le stock de capital installé. Ça nous renvoie sur l'attractivité de la France au capital.
07:27Pendant des décennies, on n'y a pas prêté gare. On a accumulé un certain nombre de charges. La rentabilité des entreprises – on le voit, c'est encore de nouveau le cas depuis quelques jours –
07:39a été une variable d'ajustement qui était un petit peu hors du débat public. Du coup, s'il n'y a pas assez de capital, les salariés ne sont pas assez productifs
07:48et n'arrivent pas à dégager suffisamment de salaires et de pouvoir d'achat pour ce pays, ce qu'ils produisent en quelque sorte.
07:54C'est un peu un cercle vicieux en quelque sorte. Et là, ce qu'il ne faudrait pas pour les années à venir, c'est revenir en arrière d'une dizaine d'années
08:02où on a plus prêté que dans les décennies précédentes à l'attractivité, aux conditions de l'offre et au bon développement des entreprises.
08:11– Alors, ce budget 2025 a couché dans la douleur. Il risque d'aggraver la tendance ?
08:17– Oui, oui. On a un budget qui est quand même centré surtout sur la fiscalité. C'est ça, l'ajustement budgétaire.
08:24Les mesures d'économie de dépense, c'est des économies par rapport à une tendance croissante de la dépense.
08:29Mais là où vraiment, par rapport à l'année précédente, on réduit le déficit, c'est quand même sur les impôts.
08:34C'est surtout sur les impôts sur les entreprises, autour de 13 ou 14 milliards. Et vous avez des sujets de coûts du travail.
08:40Vous avez la surtaxe d'IS. Vous avez des questions aussi d'impôts de production qui, non seulement, on met pause sur la baisse de la CVE,
08:48mais en plus, on autorise les collectivités territoriales à augmenter le versement de transports.
08:53Donc, au final, on a eu une inflexion, un retour en arrière, un retour de balance en arrière sur la politique de l'offre
08:59qui avait été enclenchée par le rapport Galois en 2013. Et c'est un peu frustrant parce qu'en fait,
09:06on a beaucoup investi collectivement pour développer le Made in France. Et là où on le remet en danger,
09:12on risque de mettre à néant une dizaine d'années d'efforts collectifs.
09:16– C'est le discours que portait le patron de LVMH qui disait, à son retour des États-Unis,
09:20« Quelle folie, on est en train de taxer le Made in France ».
09:23Ces 6 mois d'incertitude budgétaire, à votre niveau de chef d'entreprise,
09:29comment vous l'avez vécu, le fait de ne pas avoir de budget, de ne pas avoir de cap ?
09:33Est-ce que vous avez senti un coup de frein ?
09:35– Exactement, on a vraiment senti des clients professionnels dans l'immobilier qui sont attentistes,
09:45qui attendent de savoir. À l'étranger, évidemment, c'était largement publié
09:51et nos clients nous demandaient alors…
09:53– Avec un petit ton moqueur ?
09:55– Exactement, parce que la majorité de nos clients sont quand même américains et un petit peu asiatiques.
10:02Et puis, à l'échelle plus régionale, en France, l'atelier est actuellement dans les Vosges
10:09et on a du mal à recruter, on a du mal à trouver des talents, qu'ils soient fidèles à l'entreprise.
10:18On les forme, mais il faut…
10:21– Alors ça, c'est quand même un des paradoxes français.
10:23On a à la fois un chômage qui est en train de remonter
10:25et des entreprises qui continuent d'avoir du mal à recruter.
10:28Comment vous, encore une fois, au niveau de la Maison Prelange, pourquoi vous n'arrivez pas à recruter ?
10:34Il n'y a pas assez de salariés qui correspondent à ce que vous vous cherchez ?
10:39Parce que vous dites qu'on est obligé de les former.
10:41Ou alors c'est une question de salaire ?
10:43Vous n'êtes pas en capacité, vu les charges que vous supportez,
10:45de leur offrir des salaires suffisamment attractifs ?
10:47Comment vous l'expliquez ?
10:48– En fait, on va les chercher directement à la sortie de l'école.
10:51Et là, on s'aperçoit qu'ils n'ont plus envie de travailler dans un atelier artisanal.
10:57Ils ont des rêves de grandeur, ou en tout cas, pas des rêves français.
11:03Et c'est là où effectivement ces six derniers mois ont été capitales.
11:08C'est que ça n'a pas fait rayonner la France dans l'esprit des jeunes qui sortent d'école.
11:14Donc ce n'est pas forcément une question de salaire ou de sécurité de l'emploi.
11:18C'est plus le métier artisanal n'est pas forcément bien mis en avant.
11:24– Merci beaucoup. Merci à tous les deux.
11:27Et à bientôt sur Be Smart For Change.
11:29On passe tout de suite à notre rubrique Start-up.