• avant-hier
Retrouvez les émissions en intégralité sur https://www.france.tv/france-2/telematin/toutes-les-videos/
Dans « le grand témoin », Télématin reçoit Philippe Douroux, auteur, ancien rédacteur en chef à Libération.

Catégorie

📺
TV
Transcription
00:00Télématin, durant la seconde guerre mondiale,
00:0110 000 Français environ se sont enrôlés volontairement dans les Waffen-SS.
00:06C'est une information difficile à désirer, à digérer,
00:08d'autant plus quand on découvre qu'un membre de sa famille y a participé,
00:11et c'est le cas de votre grand témoin.
00:13Bonjour Philippe Dourou.
00:14Bonjour.
00:15Merci d'être avec nous Philippe.
00:16Vous avez longtemps travaillé pour le journal Libération.
00:18Vous publiez aujourd'hui ce livre, une enquête édifiante
00:21qui s'appelle « Un père ordinaire », un récit que l'on retrouve chez Flammarion.
00:25Le voici, ce père ordinaire, si je puis dire.
00:28Alfred Dourou, dit Freddy, comment l'appeliez-vous ?
00:33Je ne sais pas.
00:34Vous ne l'appeliez pas ?
00:35Je ne sais pas, je n'ai aucun souvenir de l'avoir appelé Dourou.
00:38Je n'ai pas de souvenir de tendresse, je n'ai pas de souvenir de ça s'est effacé, je ne sais pas.
00:44Vous n'avez pas le souvenir d'un père ?
00:47J'ai eu un père, je suis génétiquement son fils.
00:51Après, je n'ai pas grand-chose appris de lui, je n'ai pas appris grand-chose.
00:57Je n'ai pas appris ce qu'on doit apprendre d'un père.
00:58Alors, un père qui, dans l'éducation, si je puis dire, qu'il vous a donné,
01:02vous a toujours dit, il ne faut pas mentir, Philippe, dans la vie.
01:04Et pourtant, ce père, il a menti, il a trompé son monde.
01:08Il a menti à ses enfants jusqu'au printemps 1972.
01:11Qu'est-ce qui s'est passé dans le salon familial ce jour-là ?
01:15Il nous réunit un dimanche soir, parce que le pasteur nous…
01:19On est protestants de culture et le pasteur nous a…
01:23l'a enjoint de parler à ses enfants, devait parler à ses enfants.
01:27Il nous réunit et pour moi, les choses se brouillent assez vite.
01:30On s'installe. Les images sont très claires au début.
01:34Il passe dans le couloir. J'ai à vous parler.
01:37Et puis, ma mère le suit. Et puis, on s'installe et les choses vont se brouiller,
01:44parce que moi, je retiens juste, j'ai à vous parler,
01:47j'ai à vous dire ce que j'ai fait pendant la guerre.
01:49J'ai combattu aux côtés des Allemands jusqu'à Berlin,
01:53c'est-à-dire qu'il a combattu dans les derniers jours de Berlin.
01:56Et là, mon cerveau se ferme.
01:58Il y a un étrange, un processus très étrange qui se produit.
02:03C'est que je suis libéré, complètement libéré.
02:06C'est comme un œuf qui se dénoue.
02:09Voilà, je comprends. Je comprends la violence.
02:12Je comprends cette ambiance très lourde qui était à la maison.
02:16En fait, cet aveu, d'une certaine façon, vous a libéré parce que l'ambiance était lourde,
02:23parce que vous a donné un éclairage sur l'éducation que vous veniez de vivre pendant 17 ans.
02:29Ça a été l'occasion pour vous de revisiter aussi ces 17 premières années de votre vie
02:33et de vous rendre compte que l'entourage familial était aussi composé de personnes
02:38qui s'étaient battues aux côtés de votre père, aux côtés des Allemands.
02:42Oui, oui, oui, je découvre. Mais ça, je le découvrirai après avec l'enquête.
02:47Mais je découvre progressivement, effectivement, que des amis qui viennent dîner,
02:53avec qui on part en vacances, sont des anciens Waffen-SS.
02:58Et c'est un entourage normal, si j'ose dire.
03:01Voilà, c'est comme ça. Ils ont combattu avec la Waffen-SS, dont on ne sait pas grand-chose.
03:06Vous réagissez comment à ce moment-là ?
03:08Et vos frères, également, réagissent comment ?
03:10C'est juste le soulagement dont vous venez de nous parler ?
03:12Ou c'est également la surprise et la colère, bien sûr ?
03:16C'est d'abord le soulagement. C'est d'abord un soulagement qui est difficile à saisir,
03:20difficile à comprendre. La colère, elle vient après. La colère, elle se construit après.
03:25Elle se construit parce que vous comprenez peut-être l'écart qu'il y a
03:29entre cette droiture dont on vous parle, ce fait de ne pas mentir,
03:35et puis ce mensonge qui se construit, qui gonfle, qui enfle, parce que vous lisez.
03:39Votre mère, elle était complice de ce mensonge ? Elle le savait ?
03:42Oui. Oui, elle le savait. Oui, elle le savait. Elle l'encourageait.
03:49Je veux dire, elle n'était pas en retrait par rapport à l'antisémitisme, le racisme et la xénophobie.
03:54Philippe Dourou, vous parlez d'une boue, vous évoquez une boue, ce jour-là,
03:58et qui, évidemment, ne vous a jamais lâché d'une certaine façon depuis.
04:02C'est ce qui vous a amené à cette enquête.
04:04Est-ce que cette boue, elle a remporté aussi l'amour que vous portiez à votre père ?
04:07Bien sûr. Il est de l'amour. Je ne l'ai jamais ressenti.
04:12Vous ne pouvez pas aimer quelqu'un qui vous fait peur. Vous ne pouvez pas l'aimer.
04:16La peur, elle est quotidienne, elle est permanente, elle est dans les cris, dans les coups.
04:21Vous ne pouvez pas aimer cette personne.
04:23Simplement, la libération vient du fait que vous comprenez pourquoi.
04:26Oui, je comprends.
04:27Vous comprenez ? C'est comme s'il venait de s'effondrer.
04:32Mais comment est-ce qu'on avance avec un tel héritage dans la vie, Philippe Dourou ?
04:36Chacun s'en sort comme il peut.
04:41Certains vont choisir le silence.
04:44Moi, j'ai choisi de comprendre à un moment.
04:46Mais pour comprendre, c'est extrêmement long.
04:48Et d'abord, c'est incompréhensible.
04:50Bien sûr.
04:51Ça reste incompréhensible.
04:52Voilà, donc j'ai écrit ce livre, mais c'est six ans de travail.
04:56C'est une enquête.
04:57Une enquête qui nous emmène aussi dans une part édifiante de l'histoire
05:01de la Seconde Guerre mondiale du côté des Français
05:04qui sont allés jusqu'en Biélorussie et qui ont participé à des massacres.
05:08Vous voulez bien nous expliquer ce que vous avez entre les mains,
05:10qui ne vous quittent pas ?
05:12C'est le foulard des babouchkas.
05:14On dit « baboule » en Biélorussie.
05:17Et elles portent tout ce foulard autour des cheveux, comme ça.
05:21Et ce qui a été très frappé en allant là-bas, en cherchant des témoins,
05:26de ces femmes qui ont vu des horreurs absolues dont on n'imagine pas.
05:33Quand je dis qu'il y a pillage, il y a pillage.
05:35Quand je dis qu'il y a massacre, il y a massacre.
05:37Mais ce sont des mots.
05:38Bien sûr.
05:39Eux, elles, ont vu des soldats français, entre autres,
05:44massacrer des hommes, des femmes et des enfants.
05:47Et elles le racontent avec un espèce de sourire.
05:50Un sourire qui me touche toujours beaucoup
05:53parce que j'ai l'impression qu'elles veulent, par là,
05:57combattre les soldats qui sont venus écrabouiller, massacrer des enfants.
06:03Et ce sourire est une sorte de victoire contre l'horreur.
06:07Un sourire que vous me l'avez confié en préparant cette émission,
06:10que vous essayez vous aussi d'opposer, je dirais, au chaos du monde
06:14et à ce passé aussi avec lequel vous devez vivre.
06:18Votre père est mort en 1997, il avait 77 ans.
06:21Qu'est-ce que vous avez ressenti à cela ?
06:23Rien. Rien, j'ai rien ressenti.
06:26Mon frère m'appelle, je suis au Parc des Princes,
06:29et je vais le voir, je vais dans la chambre.
06:33Il est mort, il est froid, et je passe 45 minutes
06:40en attendant que quelque chose se produise.
06:44Un ami m'a dit, tu vas voir, c'est un arrachement,
06:47un bout de falaise qui se détache, j'ai rien ressenti.
06:51A tel point qu'un infirmier vient, passe la tête et me dit ça va.
06:55Je lui dis oui, ça va. Ce qui est absurde comme réaction.
06:59Et en même temps, je ne ressens rien.
07:01Je n'ai pas d'émotion, je n'ai pas de peine.
07:07Il est mort en 1997, il avait 77 ans, il était malade d'Alzheimer.
07:13Sa mémoire a effacé son passé nazi, mais pas vous.
07:17Car vous avez mené cette enquête et je voudrais conseiller votre livre.
07:20Un véritable travail d'historien, un éclairage nouveau, édifiant,
07:24donc je le disais, sur la seconde guerre mondiale.
07:26Ça s'intitule Un père ordinaire et c'est publié chez Flammarion.
07:29Merci pour votre confiance, Philippe.
07:31Merci à vous.