• il y a 22 heures
Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon business school, pour parler de l'indirection stratégique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Philippe Silberzahn. Bonjour Jean-Philippe. Professeur de stratégie
00:12entrepreneuriale à l'Union Business School. Éloge de l'indirection stratégique. Vous prenez,
00:19comme vous aimez bien le faire, totalement à revers. Il faut une vision, il faut aller de
00:24l'avant, il faut des objectifs à trois ans, à cinq ans. Indirection stratégique.
00:30Oui. Alors, on est prométhéens. C'est-à-dire que nous, on aime les grands problèmes et face
00:36aux grands problèmes, il faut une grande solution. Alors que ce soit des problèmes de santé,
00:41d'économie, de climat, etc., les grands problèmes ne manquent pas. Ça, c'est très clair. Et arrive
00:47un certain nombre de cartésiens en costume qui nous disent « ne vous inquiétez pas,
00:51on va prendre le problème, on va vous proposer une solution ». Et ça donne les choses que l'on
00:56voit tous les jours. Alors, il y a plein de raisons qui font que cette approche qui a pu
01:04être appelée synoptique, c'est-à-dire voilà, on a une vue d'ensemble du problème et on va apporter
01:09une solution. Elle est très naïve parce que, alors on ne va pas réouvrir la notion de la
01:14complexité, mais c'est des choses avec lesquelles on est quand même globalement familier, c'est
01:17que les « problèmes » d'abord ne sont pas forcément clairement identifiés. Ce qui est un
01:22problème pour l'un n'est pas forcément un problème pour l'autre. La consommation de marijuana est vue
01:26comme un problème si vous êtes policier, comme un problème de santé si vous êtes médecin,
01:29et comme un droit fondamental si vous êtes militant libertarien. La même chose est vue
01:33de façon radicalement différente. Le troisième vous dira « il n'y a pas de problème, je fume et
01:36puis c'est mon droit le plus strict », donc zéro problème en fait. Alors qu'il y a des centaines
01:40d'études sur comment peut-on, etc. La deuxième chose, c'est qu'évidemment, ces problèmes ont
01:45des causes multiples, et donc on est dans des interactions extrêmement complexes, etc. Et donc,
01:51si on appuie juste sur un bouton, on se retrouve avec ce que Raymond Boudon avait appelé des effets
01:55pervers, c'est-à-dire qu'on résout un problème, on en crée quatre autres. C'est comme, il y a
01:59le problème de circulation, on va rajouter une voie sur l'autoroute, et donc les gens disent « ah,
02:03ça circule mieux, maintenant tout le monde peut y aller », et bien comme tout le monde y va,
02:07on a de nouveau un embouteillage, on a juste une voie en plus. Donc très souvent, les solutions
02:11d'aujourd'hui créent les problèmes de demain. Donc, cette approche synoptique de gens qui pensent
02:17prétendre régler le problème dans l'ensemble, alors Karl Veik a écrit effectivement que le
02:23problème de ça, c'est que ça dépasse notre capacité d'entendement, la rationalité limitée
02:27fait que, et ça c'est une limite humaine auquel on ne peut rien, fait qu'on n'est pas capable d'embrasser
02:32la totalité du problème. On n'en voit qu'un aspect, on n'en voit qu'un angle, et donc toute la
02:37question devient un problème de décomposition en fait. Alors, ça paraît un peu technique, mais
02:41c'est de dire « je ne réglerai pas le problème de la circulation, de la drogue, ou je sais pas,
02:47moi, le problème de banlieue ou autre, par une recette miracle. Le gouvernement a pris les choses
02:54en main et annoncera trois mesures, voilà, ça fait 50 ans qu'on a droit à ça et que ça ne
02:59résout rien. » Ce que Veik dit, c'est voilà, on n'est pas le premier, mais on ne peut pas embrasser
03:04tout le problème, on doit embrasser le problème sous un certain angle, donc on doit décomposer ce
03:09problème pour le voir sur certains angles. Et ça, c'est la première chose. Le deuxième élément de
03:15l'indirection, c'est de se dire que les problèmes ne sont pas réglés directement, ils sont parfois
03:19effectivement réglés indirectement par quelque chose qu'on n'avait pas prévu. Alors, dans l'article,
03:24je donne un exemple assez célèbre qui est le problème des chevaux à New York, alors dans
03:29toutes les grandes villes à la fin du XVIIe siècle, la ville devient énorme, donc il y avait,
03:34je crois, 145 000 chevaux à Manhattan, imaginez, 145 000 chevaux qui produisent du crotin et de
03:41l'urine en quantité, alors je n'ai plus les chiffres, c'est colossal quand on y pense aujourd'hui,
03:47qui posent évidemment des problèmes, alors pas juste logistique, mais évidemment un problème
03:50d'hygiène, alors ça sent horriblement mauvais, mais surtout il y a des vrais problèmes d'hygiène.
03:54Les villes sont conscientes de ça, il y a une grande réunion qui est organisée des principales
03:59municipalités, Londres, Paris, etc., ils se réunissent pour trouver une solution aux problèmes
04:04du cheval, ils n'en trouvent pas, et donc là on est complètement bloqué face à un problème d'hygiène,
04:10problème social majeur, l'approche directe ne fonctionne pas. Quinze ans après, il n'y a plus
04:15de chevaux dans New York parce qu'il y a un truc qui s'appelle l'automobile, qui avait été inventé
04:19très longtemps avant, mais qui maintenant est devenu dominant, et il n'y a plus de problème,
04:22le problème a été résolu. Mais il a été résolu par une invention qui n'avait pas pour but de
04:27résoudre le problème de New York, et c'est ça aussi l'indirection, c'est qu'on demande toujours
04:32à une innovation d'avoir un objectif clair. Maintenant on a Innovation for Good, prouvez-nous
04:38que votre innovation elle sert le bien commun, et ça c'est très risqué parce que la plupart des
04:43innovations elles sont faites avec une idée qui sera pas celle qui sera retenue à la fin, on pensait
04:48que ça allait servir à A, mais au fond ça sert à B. Beaucoup d'innovateurs font ça par plaisir,
04:53ils ne savent pas trop à quoi servir, et les premiers automobilistes, ils ne se disaient pas
04:58ça servira à M. Dupont à aller au travail le matin, vous voyez, il y a un truc, le moteur,
05:02c'est passionnant, à quoi ça sert, j'en sais rien, et donc on est dans l'innovation gratuite,
05:07et c'est la puissance, je pense, d'un modèle que de permettre voire d'encourager l'innovation
05:13gratuite, la recherche c'est déjà ça, mais l'innovation gratuite, parce que rien n'est aussi
05:17utile que l'innovation gratuite. Le laser dans les années 70 c'était la caricature de l'invention
05:23gratuite, le titre du monde dans les années 70 c'était « laser à quoi ? laser à rien », 70.
05:29Moins de 15 ans après, j'avais un laser dans mon salon pour écouter de la musique, donc l'indirection
05:37c'est aussi ça, c'est de se créer des options, a priori inutiles, qui peut-être un jour seront
05:41utiles, on ne sait pas, et laisser cette incertitude planer, je pense que c'est la force
05:45d'un système, et c'est comme ça qu'on peut résoudre indirectement des problèmes extrêmement
05:49complexes, sans les attaquer de front. L'innovation gratuite comme solution,
05:54c'est une révolution pour beaucoup, cette idée que l'innovation gratuite qui ne sert à rien,
05:59a priori, c'est celle qu'il faut poursuivre. Absolument. Merci Philippe Sidbarzade.

Recommandations