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00:00Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le général Olivier Kempf.
00:05Bonjour Olivier Kempf.
00:07Bonjour.
00:08Bienvenue sur Europe 1, vous êtes aujourd'hui le directeur du cabinet stratégique La Vigie,
00:12chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique et auteur d'un ouvrage intitulé tout simplement
00:17« Guerre d'Ukraine » paru aux éditions Economica.
00:20On peut aussi vous lire deux fois par mois dans votre lettre d'analyse stratégique lettrevigie.com,
00:25vous faites le point sur ce qui se passe justement sur ce front d'Ukraine.
00:29Il y a trois ans, jour pour jour, la Russie prenait le monde de court en envahissant l'Ukraine,
00:34où en sommes-nous trois ans plus tard ?
00:36C'est un terrible anniversaire après une semaine diplomatique qui aura vu les Américains abandonner les Ukrainiens,
00:42laissant aussi derrière eux une Europe KO.
00:45Mais commençons peut-être sur le plan des opérations militaires sur le terrain.
00:49Je disais, vous le suivez ça de près, on en est où ce matin ?
00:52Écoutez, si on est à trois ans de guerre, on va faire les choses assez simplement.
00:56La première année, 2022, a plutôt été à l'avantage des Ukrainiens,
01:01parce qu'après une grosse invasion russe, ils ont repris tout le nord du pays, finalement.
01:07Ils ont aussi repris la rive droite du Dnieper.
01:10Et puis le front s'est un peu stabilisé au sud, à l'est.
01:13L'année 2023, on a, souvenez-vous, parlé de la fameuse offensive ou contre-offensive ukrainienne qui n'a pas débouché,
01:21c'est-à-dire que les Russes ont tenu et donc on a eu une stabilisation.
01:24Et l'année 2024, les Russes ont commencé à clignoter.
01:28Il n'y a pas d'autre mot, ils ont pris 4000 km², c'est à la fois beaucoup et très peu,
01:33avec finalement aujourd'hui 20% du territoire contrôlé.
01:37On est en sortie d'hiver aujourd'hui et peut-être vont-ils continuer à reprendre leurs opérations,
01:42mais finalement il y a une stabilité globale.
01:45Vous parlez d'un ralentissement, d'un essoufflement de la progression des Russes,
01:50progression qui se fait aussi au prix de pertes très très lourdes.
01:53J'ai vu que les Russes avaient ainsi perdu la moitié de tout leur parc de chars d'assaut
01:58et les deux tiers de leur artillerie, sans parler évidemment des 200 000 morts.
02:03Oui, alors, sur les chiffres des morts, tout est très très controversé
02:07parce que beaucoup de gens sortent des choses et il faut rester prudent.
02:13On estime les choses les plus sérieuses que les Russes sont 20% de pertes de plus que les Ukrainiens,
02:18ce qui est beaucoup, mais dans une guerre d'attrition et dans la durée,
02:21il faut regarder les potentiels démographiques.
02:23Donc, oui, ils ont des pertes, oui, ils sacrifient beaucoup.
02:27D'un autre côté, ils sont passés en économie de guerre,
02:30ils ont des alliés qui les soutiennent fortement
02:33et donc, oui, ils subissent des pertes, mais ils peuvent tenir.
02:38Si c'est ça la question.
02:40Après, oui, il y a eu un essoufflement au cours de l'hiver que l'on vient de passer.
02:44On ne sait pas très bien pourquoi, à quoi c'est dû.
02:47Est-ce que c'est dû justement à cet essoufflement des ressources ?
02:50Est-ce que c'est dû à la météo ? Est-ce que c'est dû à une décision politique ?
02:53Nous ne le savons pas.
02:54Il semble sur les 15 derniers jours que ça reparte peut-être un peu de l'avant,
02:58mais il faut rester très très prudent sur ces choses-là.
03:00Alors, l'essentiel ces derniers jours, bien sûr, c'est jouer sur le plan diplomatique
03:03avec la décision spectaculaire de Donald Trump de lâcher les Ukrainiens.
03:08À la place, il veut dialoguer avec les Russes.
03:11C'est presque un retournement d'alliance auquel on vient d'assister selon vous, Olivier Kempf ?
03:17En tout cas, vous avez raison de poser la question.
03:20Je crois que ce qu'il faut bien comprendre, c'est que, contre-intuitivement,
03:25finalement, Moscou et Washington ne discutent pas que de l'Ukraine.
03:30Ils discutent de tout un tas de choses.
03:32Ils discutent de pétrole, ils discutent de nucléaire, ils discutent de Moyen-Orient,
03:35ils discutent d'intelligence artificielle et ils discutent d'Ukraine.
03:39Et je crois que le calcul de Trump est de considérer que l'Ukraine n'est pas son problème.
03:43C'est celui de l'administration Biden et il déteste tout ce qu'a fait Biden.
03:47C'est un problème des Européens et Trump n'aime pas les Européens.
03:51Il a visiblement une rancune vis-à-vis de Zelensky.
03:57Et donc, tous ces facteurs font que, et vous avez raison d'insister dessus,
04:01il y a un lâchage, je crois que c'est le mot,
04:04il y a un lâchage de la part des Américains de l'Ukraine.
04:07Et du coup, puisqu'on est au troisième anniversaire, c'est très inquiétant pour Kempf.
04:12Est-ce que ça n'est pas étonnant de voir quand même l'Amérique traiter la Russie comme un égal ?
04:17Enfin, je veux dire, la Russie n'est pas l'URSS, c'est un dixième de son PIB
04:20et on a l'impression que Donald Trump considère Vladimir Poutine comme son égal.
04:25Alors d'abord, il le dit pratiquement, quand vous regardez le communiqué,
04:30il dit « big leaders » qui est « world leaders »,
04:34c'est-à-dire qu'il définit finalement Moscou comme une puissance mondiale.
04:40Oui, pardon, les grands leaders, les leaders mondiaux,
04:43comme une puissance mondiale, comme elle était au temps de la guerre froide,
04:46ce qui ne peut que satisfaire finalement Poutine.
04:50Cela étant, le calcul est assez visible.
04:52Que cherche à faire Trump ?
04:54C'est finalement, effectivement, à se rapatacher,
04:58je ne sais pas si c'est une alliance, excusez ce mot familier,
05:02vos auditeurs me le pardonneront,
05:04se rapatacher avec les Russes pour les séparer des Chinois.
05:07Et d'ailleurs, on voit des Chinois qui font l'amour,
05:10qui sont assez inquiets de ce qui est en train de se passer,
05:12parce que le calcul de Trump, c'est de dire
05:15« si je réussis à séparer le bloc continental,
05:19la grande masse asiatique qui va de l'Arctique jusqu'à la Chine,
05:25eh bien, j'ai des meilleures armes pour contrer Pékin,
05:29parce que depuis 20 ans, Trump, mais tous les Américains d'ailleurs,
05:33considèrent que le rival stratégique aujourd'hui de l'Amérique, c'est la Chine.
05:36Donc, sa priorité, c'est la Chine.
05:38C'est aussi pour ça qu'il va vers Moscou.
05:40C'est aussi pour ça qu'il considère que, finalement,
05:42l'Ukraine perd ses profits, tant pis.
05:44Oui. Dans tous les cas, c'est très mauvais pour les Ukrainiens.
05:47Et qu'en est-il des Européens ?
05:49Emmanuel Macron se rend à Washington aujourd'hui,
05:51il va tenter d'infléchir la position de Donald Trump.
05:53Quelles sont les conséquences pour le vieux continent,
05:56selon vous, Olivier Kempf ?
05:58Alors, d'abord, la grande question, c'est
06:01est-ce qu'ils seront à la table des négociations ?
06:03Ce n'est pas du tout évident.
06:05On est en train de se poser ces questions-là.
06:07Ensuite, Trump a l'intention de leur laisser le problème ukrainien,
06:11sur la question sécuritaire, mais aussi,
06:15et peut-être surtout, sur la question économique.
06:18Et puis, on va avoir un pays qui va être finalement dévasté,
06:21parce qu'il va ressortir divisé en deux,
06:24avec une partie qui va être cédée à la Russie,
06:29avec des millions de réfugiés qui sont à l'extérieur.
06:32Donc, il va quand même être très compliqué d'organiser la reconstruction.
06:35Mais au-delà même du problème ukrainien,
06:37ce qui est en train de se poser,
06:39et qui est peut-être plus grave au-delà du cas ukrainien,
06:42c'est qu'on a une architecture de sécurité européenne
06:45qui est complètement bouleversée, complètement chamboulée.
06:47On est en dépendance totale des Américains.
06:49On ne sait pas du tout comment ça va se passer.
06:51Je dis qu'on est en dépendance pratiquement totale vis-à-vis des Américains.
06:54Absolument, parce qu'à Paris,
06:56on considère qu'il faut faire une défense européenne
07:01en alternative à l'OTAN.
07:02Ce que les gens ne comprennent pas,
07:04c'est que tous nos alliés, qui ne sont pas parisiens,
07:07pour eux, la défense de l'Europe, c'est les États-Unis.
07:10Et ça fait 70 ans que ça dure.
07:12C'est pour ça que le bouleversement est psychologiquement énorme
07:15chez tous nos alliés.
07:16Nous, on est prêts.
07:17Pourquoi ? Parce qu'on a notre dissuasion nucléaire.
07:19Mais tous les autres, ils n'ont pas ça, à part le cas des Anglais.
07:22Mais tous les autres Européens reposent, pour leur sécurité,
07:26sur les Européens depuis 70 ans.
07:28C'est pour ça que le bouleversement, il est de fond en comble.
07:31Et on ne sait pas du tout où est-ce qu'on va aller.
07:33Et ça dépasse la visite d'Emmanuel Macron à Washington aujourd'hui.
07:37Merci beaucoup, Général Olivier KM.
07:39Fait lire d'ailleurs votre dernier point sur les événements d'Ukraine
07:42sur votre site internet lettrevigie.com.
07:44C'est tout frais, c'est sorti cette nuit.
07:46Merci d'avoir été avec nous sur Europe.
07:48Bonne journée.